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Les notaires au cœur de la révolution numérique : entretien avec Maîtres Olivier Herrnberger, Nicole Bokobza et Stéphane Adler

Les notaires au cœur de la révolution numérique : entretien avec Maîtres Olivier Herrnberger, Nicole Bokobza et Stéphane Adler
Publié le 22/07/2021 à 09:49

À l’occasion du Forum Technologies et Notariat, Technot’, organisé le 17 juin dernier par les Notaires du Grand Paris, nous nous sommes entretenus avec Maîtres Olivier Herrnberger, notaire à Issy-les-Moulineaux et président du 117e Congrès des notaires qui se tiendra en septembre prochain à Nice, Nicole Bokobza, notaire à Paris, associée chez Arias Notaires et Maître Stéphane Adler, notaire à Paris, associé chez 137 notaires. Ces derniers ont fait le point sur les nouvelles technologies utilisées dans leur étude, et plus globalement sur leur impact sur la profession notariale. En quoi la crise sanitaire a-t-elle accéléré la révolution numérique dans les offices ? Réponses.

 

 

Le 17 juin dernier, vous avez participé à la 4e édition de Technot’, que représente pour vous cet événement ?

Olivier Herrnberger : Pour moi, il s’agit d’un rendez-vous central pour les notaires, qui leur permet, chaque année, de faire un point sur les innovations technologiques commercialisées ou en développement. C’est un moment essentiel pour appréhender les nouveaux outils et s’assurer que l’on ne prend pas de retard dans son propre fonctionnement. Les évolutions sont rapides et l’on peut vite se retrouver sur le bord du chemin.

Nicole Bokobza : Cet événement permet en effet de faire le point sur les avancées technologiques dans le monde du droit et de découvrir les évolutions à venir.

Stéphane Adler : J’ajoute que c’est une concentration des dernières évolutions digitales pour le besoin à la fois des notaires et de leurs clients. Il y a plein de bonnes idées et de belles applications au même endroit et au même moment. Cela fait réfléchir sur ce que l’on peut faire, sur la gestion de nos offices et le service à rendre à nos clients.

 

Quelles conséquences la crise sanitaire a-t-elle eues sur les offices notariaux ? Et plus particulièrement sur le vôtre ?

Olivier Herrnberger : Incontestablement, la crise sanitaire a accéléré le processus de dématérialisation totale des flux. Notre étude par exemple est passée en moins de 24 heures à 100 % en télétravail, y compris avec des postes d’ordinateurs fixes qui n’avaient pas été configurés pour cela à l’origine, et nous avons été stupéfaits de l’efficacité des outils et des réseaux. Avant la crise, nous avions trois collaborateurs à plein temps en home office, et ils sont désormais six, trois ayant finalement décidé de quitter la région parisienne, mais de continuer à travailler avec nous. En ce qui me concerne, mes semaines sont de plus en plus hybrides, et il m’arrive de travailler à l’extérieur lorsque je n’ai pas de rendez-vous, et j’ajuste mon agenda quotidiennement en fonction de la nature de ce que j’ai à faire, du degré d’interaction dont j’ai besoin avec d’autres à un instant donné, etc. La rédaction d’une clause très complexe ou un audit se réalisent très bien à distance dans le calme d’un domicile. En revanche, je trouve que la mise en commun des conclusions d’un audit ou la définition d’une stratégie de négociation est plus efficace en présentiel. Par ailleurs, le télétravail fonctionne bien dès lors que les collaborateurs concernés sont en mesure de gérer leurs actions avec une certaine autonomie, et disposent d’une culture de travail en équipe qui implique une capacité à faire circuler les informations. C’est enfin un enjeu de ressources humaines, pour évoluer vers un management de la confiance, comme Julia de Funès l’a expliqué dans sa conférence*.

Nicole Bokobza : Pour ma part, je pense que la crise sanitaire nous a obligés à repenser nos méthodes de travail. La digitalisation s’est accélérée avec le télétravail imposé. Dans mon entreprise créée entre deux confinements (par la fusion en octobre 2020 de deux offices, l’un à Paris et l’autre au Bourget), le zéro papier vers lequel nous tendions est ainsi devenu la règle. Une réflexion démarre aussi sur la mise en place du flexi-travail.

Stéphane Adler : Comme mes confrères l’ont dit, nous avons accéléré la dématérialisation au sein de nos offices, et le nombre de signatures d’acte à distance est devenu très important. Nous n’échappons pas à la règle. Toutefois, le risque de cette dématérialisation accrue c’est que les clients ne se déplacent plus, de même que nos confrères alors que nous sommes à deux rues. En tout cas, avec la crise, tout s’est ralenti, car l’ensemble des administrations et institutionnels, comme les banques par exemple, sont plus lents que d’habitude. C’est à l’heure actuelle une réalité à laquelle nous sommes confrontés.

 

 

Quels outils technologiques sont utilisés dans votre étude ?

Olivier Herrnberger : Globalement, les outils métiers sont performants. Ils gèrent ce qu’il se passe « dans la cuisine » (rédaction des actes, tenue des fichiers clients…). Il y a en revanche des progrès à faire sur ce qu’il se passe « dans la salle à manger », c’est-à-dire l’interaction entre les clients, le notaire et les autres intervenants au dossier (banque, agent immobilier, syndic, etc.), notamment pour assurer à chaque participant un niveau d’information identique et en temps réel. Certains de ces outils présentent cependant l’inconvénient de mettre en évidence qui a fait son travail et qui ne l’a pas fait, sans pouvoir se dissimuler derrière telle ou telle excuse. Mais je crois que ces exigences de fluidité et de transparence – et finalement de responsabilité – sont des demandes sociales qui ne peuvent plus être ignorées.

Notre étude s’est beaucoup impliquée dans le développement de NOTIPLUS, dont l’un de mes associés est cofondateurs. Cette plateforme vise justement à améliorer les interactions et les échanges d’informations, dans le respect des règles du secret professionnel et de déontologie du notaire.

Nicole Bokobza : De notre côté, nos deux offices sont équipés de tous les moyens technologiques actuels : documentation dématérialisée, ordinateurs portables, téléphones portables professionnels, serveurs de mutualisation des données, actes à distance, visioconférences.

Stéphane Adler : Dans mon office, c’est la généralisation du télétravail qui a dû être adaptée. Aujourd’hui, le télétravail n’est vraiment possible que si nous sommes zéro papier et que nous pouvons travailler de la même manière en présentiel que chez nous. C’est pourquoi nous avons investi pour que nos collaborateurs soient aussi efficaces chez eux qu’au bureau. Nous travaillons depuis longtemps en zéro papier, nous avons des ordinateurs portables avec un double écran pour la plupart de nos collaborateurs. Évidemment, la visioconférence est de rigueur et nous échangeons via une messagerie interne. En outre, nous avons de plus en plus besoin de faire certifier des procurations, par conséquent, l’identification du signataire à distance est de plus en plus nécessaire et utile.

 

 

Il est communément admis que la crise a été un accélérateur des outils numériques. Dans quelle mesure cela est-il vrai pour vous en tant que notaire ?

Olivier Herrnberger : La crise a amplifié la dématérialisation totale de tous les documents, y compris ceux qui arrivent en format papier dans les études. Elle a fait prendre conscience aussi que la dématérialisation impliquait une très grande rigueur dans le classement des dossiers, le nommage et le rangement des éléments numérisés. De ce point de vue, digitalisation ne rime pas avec moins grande rigueur et moins grande précision, et c’est sans doute exactement le contraire… La crise sanitaire a aussi accéléré l’habitude de se réunir à distance en visioconférence pour discuter et évidemment pour signer. Elle a aussi été propice aux réunions mixtes, certains étant présents, d’autres à distance. Il sera intéressant de voir dans l’avenir quelles seront les habitudes qui vont s’installer : va-t-on revenir à une majorité de réunions physiques ou non ? Il est amusant de constater que les grandes salles de réunion de 20 ou 25 places de nos études sont aujourd’hui moins occupées… mais ce phénomène sera-t-il pérenne ? Je crois pour ma part qu’il n’y aura pas de règle générale et que l’on se dirige vers une forme d’ « hybridation intelligente » : on décidera à chaque fois, au coup par coup, de la forme appropriée de la réunion selon le contexte, la nature de la réunion, le degré de tension (simple échange technique froid ou véritable négociation avec une implication psychologique).

Nicole Bokobza : Ainsi que je l’ai indiqué ci-dessus, la crise sanitaire nous a poussés à repenser l’exercice à distance de notre métier. En tant que notaires, nous avons dû nous adapter pour organiser des réunions entre participants présents virtuellement dans la même salle.

Stéphane Adler : Pour ma part, je crois que nous étions une profession en avance sur le sujet du numérique, bien qu’il y ait aujourd’hui un effet de rattrapage par les autres professionnels du droit. Nous voyons bien que la profession du notariat continue d’innover en cherchant sans cesse des outils digitaux permettant d’assurer la continuité des services tout en assurant de la sécurité dans le digital. Et c’est l’enjeu majeur. Ne pas détériorer la sécurité au bénéfice du numérique.

 

 

La profession était-elle prête à faire face à de nouvelles formes d’organisation du travail comme le télétravail notamment ?

Olivier Herrnberger : Oui, et la plupart des études ont très bien géré ce passage, puisque nous travaillions déjà totalement de manière dématérialisée et que les échanges en interne se faisaient déjà sous cette forme d’un bureau à l’autre dans les offices, ainsi qu’avec les administrations, à commencer par la publicité foncière.

Nicole Bokobza : Comme mon confrère vient de le dire, notre profession était très en avance dans le domaine technologique : tous les outils étaient déjà opérationnels et efficients. Mais leur utilisation était balbutiante. Le télétravail était déjà utilisé dans mes deux offices, mais en était à ses débuts. La crise nous a montré que le télétravail était possible et que dans le mot « télétravail » il y a plus le mot « travail » que le mot « télé ».

Stéphane Adler : De notre côté, nous avions déjà des collaborateurs en télétravail avant même que la pandémie arrive. Nous nous sommes employés à l’adapter à la situation sanitaire pour nos collaborateurs et nos clients comme je vous l’ai indiqué au-dessus.

 

 

Pour faire le lien avec le 117e Congrès des notaires qui approche – Le numérique, l’Homme et le Droit – comment justement allier intelligence artificielle et humain ?

Olivier Herrnberger : Luc Julia, un chercheur de la Silicon Valley, sera présent à Nice lors du congrès pour nous parler de l’IA. Plusieurs masters class y seront consacrées pour réfléchir, avec des avocats, des huissiers et des magistrats, sur son impact potentiel sur l’exercice du droit. En ce qui me concerne, je perçois l’intelligence artificielle comme une occasion de recentrer le juriste sur le cœur de sa mission et de son utilité sociale, et non comme une menace. Elle devrait lui permettre de gagner du temps sur le travail d’audit de documents ou de conformité d’un contrat à la loi et à la jurisprudence. Ce temps pourra être redéployé en faveur du client, à son écoute, à la construction de sa stratégie contractuelle ou judiciaire, en un mot à la contextualisation humaine. L’IA peut donc être une chance de mieux remplir notre office, qui est celui d’accompagner des projets, en passant moins de temps sur le « dossier » et plus sur la situation humaine.

Nicole Bokobza : Je suis persuadée qu’un nouveau défi est devant nous : celui de pouvoir conserver les données numériques, y avoir accès en toute sécurité et en assurer l’intégrité. Le notaire a en tout cas vocation à être un acteur central dans cette nouvelle ère.

Stéphane Adler : De mon côté, je suis certain que l’intelligence artificielle sera un facilitateur pour demain. Pour qu’elle soit efficace demain, il faut l’entraîner aujourd’hui, et pour cela, nous avons besoin de l’humain. Il ne s’agit pas de combattre l’intelligence artificielle, car on ne peut pas y échapper. Il faut l’utiliser au mieux pour nous faire gagner du temps et nous donner plus de sécurité juridique. Actuellement, la Chambre des notaires de Paris et Paris Notaires Services travaillent sur l’IA avec des sociétés comme Hyperlex, ou Pricehubble pour que nous ayons des outils efficaces et fiables au profit de nos confrères et de nos clients. L’intelligence artificielle, c’est évidemment l’avenir, il suffit juste de la mettre là où il faut pour nous faire gagner du temps et nous permettre de nous concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée pour nos clients.

 

Propos recueillis par Myriam de Montis et Maria-Angélica Bailly

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