Le cabinet d’affaires internationales Alérion a
proposé une matinée de débat sur la loi de finances 2019. Philippe Pescayre,
avocat associé, et Christophe Grohin, reviennent pour les lecteurs du JSS sur l’impôt sur la fortune immobilière
(IFI) remplaçant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Bonne ou mauvaise
nouvelle pour l’assujetti ?
L’impôt sur la fortune immobilière (IFI), institué par l’article 31 de la loi 2017-1837 du
30 décembre 2017, est venu en remplacement de l’impôt de solidarité sur la
fortune (ISF). Ce nouvel impôt s’appliquant sur le patrimoine immobilier net
imposable est déjà au centre de toutes les controverses, moins d’un an
seulement après son instauration. En effet, cet impôt a une assiette beaucoup
plus restreinte puisque, au lieu du patrimoine global du redevable, ne sont
imposés que les immeubles et droits immobiliers détenus par celui-ci,
directement ou indirectement par l’intermédiaire d’une société ou d’une entité
juridique.
Cette assiette restreinte a conduit le législateur à truffer l’IFI de
mesures dites « anti-abus », le recours à l’endettement étant vu
comme une pratique suspecte pouvant être motivée par la recherche d’une
économie fiscale. Ces mesures anti-abus édictent ainsi des principes de
non-déductibilité de certaines dettes souscrites pour l’acquisition d’actifs
immobiliers, soit au titre de règles d’assiette pour la détermination de la
valeur des sociétés immobilières taxables, soit au titre de la définition des
passifs déductibles.
Malgré la nouveauté du texte régissant l’IFI, la loi de finances pour
2019 (loi n°° 2018-1317du 28 décembre
2018) vient déjà aménager les conditions d’application des mesures anti-abus.
Sous l’apparence de dispositions très techniques venant corriger des
imperfections rédactionnelles, ces modifications vont inévitablement aboutir à
une hausse substantielle des bases imposables à l’IFI pour de nombreux
contribuables qui en feront l’amer constat au moment de remplir leur
déclaration pour l’année 2019.
Extension du champ d’application des dettes non déductibles pour la
détermination de la valeur des sociétés immobilières
L’article 973 du CGI
prévoit par principe que certaines dettes ne sont pas prises en compte pour la
valorisation des titres dans les sociétés immobilières taxables à l’IFI, sauf
application de la clause de sauvegarde permettant de retrouver le droit de les
déduire en justifiant, selon le cas, que le prêt n’a pas été contracté dans un
objectif principalement fiscal ou que le prêt présente un caractère normal. Les
dettes concernées sont celles provenant de prêts consentis à la société par le
redevable de l’IFI ou par une société dont il a le contrôle ou par un membre de
son groupe familial (ascendants, descendants, frères et sœurs). Sont aussi
concernés les prêts de toute nature consentis à la société pour l’acquisition
d’un bien immobilier appartenant au redevable de l’IFI qui la contrôle
(« vente à soi-même »).
Le texte applicable pour l’IFI dû au titre de 2018, limitait toutefois
la non-déductibilité aux dettes souscrites pour l’acquisition d’un « bien
ou droit immobilier » ou le financement de travaux y afférents. Ainsi, une lecture littérale du
texte aboutissait à la conclusion que les dettes souscrites pour l’acquisition de titres de sociétés immobilières n’étaient
pas concernées par le dispositif anti-abus.
La loi de finances pour 2019 vient
corriger cet oubli en prévoyant désormais que le dispositif s’applique aux
dettes d’acquisition de tout "actif responsable", ce qui inclut les titres de sociétés immobilières.
Cette modification mettant en relief une imperfection du texte
d’origine, cela pourra donner matière à déposer une réclamation contentieuse
pour obtenir une réduction de l’IFI 2018 pour les contribuables
qui ont pris une position très conservatrice dans leur déclaration et n’ont pas
tenu compte pour la valorisation des titres des sociétés qu’ils détiennent des
dettes souscrites pour l’acquisition de titres de sociétés immobilières.
Extension du
champ d’application des dettes non déductibles au niveau du foyer fiscal
Les redevables de l’IFI doivent également être
attentifs à la liste des dettes non
déductibles de leur patrimoine imposable. Ainsi, l’article 974 du CGI refuse la déduction des dettes souscrites par le redevable
auprès d’un membre de son foyer fiscal, auprès d’un membre de son groupe
familial composé de ses ascendants, descendants et frères et sœurs, ou encore
auprès d’une société dans laquelle il détient le contrôle. Là encore, il existe
une clause de sauvegarde permettant de retrouver le droit de déduire la dette
en justifiant que le prêt a été accordé à des conditions normales. Cette clause
de sauvegarde n’est toutefois pas applicable pour les dettes envers un membre
du foyer fiscal, lesquelles sont frappées d’une impossibilité absolue de
déduction.
Contrairement à l’article 973 précité,
l’article 974 prévoit bien que les dettes non déductibles sont celles
souscrites en vue de l’acquisition d’un actif imposable, intégrant donc dans le
champ des dettes couvertes par le dispositif celles souscrites en vue de
l’acquisition de titres de sociétés détenant directement ou indirectement des
immeubles. En revanche, ce même article prévoyait
également que les prêts remboursables in fine ou ceux ne prévoyant pas
de terme pour le remboursement du capital devaient faire l’objet d’un
retraitement particulier en réputant que ces prêts étaient amortissables
annuellement. Or, le texte initial relatif à ces emprunts particuliers ne
s’appliquait que lorsqu’ils avaient été souscrits pour l’acquisition de biens
ou droits immobiliers, laissant ainsi s’échapper du dispositif les prêts in
fine ou sans terme conclus pour l’acquisition de titres de sociétés.
Là encore, la loi de finances pour 2019 vient réparer cette anomalie afin de viser désormais les prêts
souscrits pour l’acquisition de tout actif imposable.
Le
dispositif de lutte contre les prêts in fine ou sans terme est étendu
aux sociétés
Prenant peut-être conscience qu’il était facile de contourner les
règles limitant la déductibilité des emprunts in fine ou sans terme en
interposant une société qui s’endettait pour acquérir l’actif immobilier,
l’article 48 de la loi de finances pour 2019 vient prévoir que désormais le dispositif s’applique également pour la
détermination de la valeur des parts de la société immobilière.
Ainsi par exemple, lorsqu’une société a souscrit un emprunt
remboursable intégralement au bout de dix ans pour acquérir un actif
immobilier taxable, la valorisation des parts de la société pour l’IFI devra se
faire en diminuant fictivement la dette de 1/10e de son montant par
an.
Focus sur
les avances en comptes courants d’associés
L’avance en compte courant d’associé constitue un prêt consenti par
l’associé à la société. L’avance est un moyen simple d’apporter des fonds à la
société en évitant d’avoir à réaliser une augmentation de capital, ou de se
tourner vers un emprunt bancaire. C’est aussi un instrument très souple car il
n’est pas nécessaire de prévoir une date de remboursement, et en pratique, le
montant du compte courant varie régulièrement dans le temps, que ce soit à la
hausse si la société a besoin d’un apport complémentaire pour payer une dépense
exceptionnelle, ou à la baisse lorsque la société dispose d’une trésorerie
excédentaire permettant de rembourser en tout ou partie la dette envers son
associé.
Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, les dettes d’une société
immobilière envers son associé redevable de l’IFI sont par principe suspectes
et ne sont donc pas à prendre en compte pour déterminer la valeur de ses parts.
Toutefois, la loi autorise la déduction de telles dettes si le redevable de
l’IFI justifie que le prêt à la société n’a pas été consenti dans un objectif
principalement fiscal. En quelque sorte, c’est comme si on obligeait le
redevable de l’IFI qui a des liquidités qu’il entend affecter à une acquisition
au travers d’une société à les apporter en capital. Et s’il ne veut pas
apporter les fonds en capital mais en compte courant d’associé, il doit justifier
de motifs valables autres que fiscaux pour agir ainsi et démontrer que ces
motifs non fiscaux ont plus de poids que les motifs fiscaux. Nul doute que la
tentation sera grande pour l’administration fiscale de considérer
systématiquement que le financement par avance en compte courant est
principalement motivé par la volonté de diminuer la base imposable à l’IFI. Le
combat sera en outre d’autant plus inégal que l’administration
fiscale mettra en avant un avantage fiscal quantifiable correspondant à
l’économie d’IFI réalisée par le redevable tandis que ce dernier n’aura bien
souvent que des motifs juridiques ou opérationnels non quantifiables à opposer
(plus grande souplesse pour récupérer les sommes prêtées, financement
inégalitaire avec les autres associés, faciliter une transmission ultérieure en
diminuant la valeur de la société…). Comment apprécier dans ce cas lequel de
ces motifs est le principal ? Force est de constater que l’administration
semble être confrontée à la même difficulté car elle ne donne aucune indication
ou piste de réflexion dans son BOFIP, en se bornant à préciser que « l’analyse du caractère principal de l’un
des objectifs résulte d’une appréciation de fait tenant notamment compte du
montant de l’économie d’impôt résultant de la minoration de l’assiette
imposable à l’IFI rapporté à l’ensemble des gains ou avantages de toute nature
obtenus du fait du montage » (BOI-PAT-IFI-20-30-30-20180608, § 240).
C’est donc avec grand soulagement que les fiscalistes
avaient accueilli la confirmation par l’administration fiscale dans ce même
BOFIP que « peuvent être susceptibles de
caractériser un objectif principalement autre que fiscal les circonstances que
la dette a été souscrite avant la création de l’IFI au 1er janvier 2018, ou à
une date très antérieure à celle à compter de laquelle le foyer fiscal est
devenu redevable de cet impôt ». En d’autres termes, le stock de dettes
existantes au 1er janvier 2018 reste intégralement déductible et le dispositif
anti-abus ne concerne que les dettes nées postérieurement à cette date. Malheureusement,
la loi de finances pour 2019 change
totalement la donne et ce pour le plus grand plaisir des laboratoires
fabriquant des médicaments contre les maux de tête ! En effet, sauf en cas
de convention écrite prévoyant un remboursement à une date précise, les avances
en compte courant constituent par hypothèse des prêts sans terme. Elles sont
donc concernées par l’extension aux sociétés immobilières du dispositif de
lutte contre les prêts in fine ou sans terme.
Fini donc la déduction intégrale des comptes courants préexistants au 1er janvier 2018 !
La mise en pratique de ces nouvelles règles ne manquera pas de poser de
sérieuses difficultés.
En effet, à
défaut de terme prévu pour le remboursement des comptes courants, ceux-ci
seront réputés être des prêts amortissables sur une durée de 20 ans à
compter de la mise à disposition des fonds. Cela imposera en conséquence de
retracer l’évolution du compte courant depuis son origine afin d’identifier ce
qu’il a financé et les différents apports faits au fil des ans. Chaque apport
net annuel devra faire l’objet de son propre plan d’amortissement. Cela induira
donc un suivi très précis et complexe, notamment au sein des groupes de
sociétés.
En outre,
certaines questions restent sans réponse aujourd’hui. Ainsi, par exemple, si un
remboursement partiel a été réalisé en cours d’année, comment faudra-t-il
l’imputer ? Pourra-t-on considérer qu’il vient diminuer l’avance la plus
ancienne, ou devra-t-on l’imputer proportionnellement sur le montant des
avances faites annuellement ? Et qu’en est-il lorsque les avances en
compte courant ont financé l’acquisition d’un actif immobilier pour partie, et
des dépenses non liées à l’immobilier pour le reste ? Incontestablement,
le législateur n’a pas pris la mesure des nombreuses incertitudes créées par ce
nouveau texte, ce qui est regrettable.
Pour
conclure, s’il parait légitime que le législateur souhaite réagir pour contrer
les schémas abusifs, la démarche consistant à abuser des mesures anti-abus doit
être dénoncée, car elle va à l’encontre du principe constitutionnel
d’intelligibilité de la loi en mettant le contribuable dans l’impossibilité
d’appliquer correctement la loi en raison de son extrême complexité.
Philippe
Pescayre,
Avocat
associé,
Alerion
Christopher
Grohin,
Juriste