Alors que la conjoncture économique fragilise de nombreux
opérateurs économiques, la loi de finances pour 2021 a introduit différentes mesures
fiscales destinées à accompagner les sociétés en difficulté, et ceux
(créanciers, actionnaires, bailleurs…) susceptibles de leur venir en aide.
Certains de ces dispositifs sont temporaires, notamment pour favoriser la
mobilisation de la trésorerie, d’autres sont des aménagements légaux pérennes.
Le présent article donne
un aperçu des principales mesures concernées.
Mesures
concernant les créanciers
Création d’un nouveau cas de
déduction fiscale des abandons de créance…
On sait que les règles de l’impôt sur les sociétés encadrent strictement
les cas où un abandon de créance peut donner lieu à déduction fiscale de la
perte constatée. Dans le cas général, seuls les abandons de créance à caractère
commercial sont susceptibles
d’être déduits, à condition que le créancier justifie qu’il retire une
contrepartie suffisante de l’abandon consenti.
Une exception existante permettait de déduire les abandons
de créance à caractère commercial, sans justification particulière, lorsqu’ils
étaient consentis à des entreprises faisant l’objet d’une procédure de
sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.
C’est cette exception que la loi de finances étend en la rendant également applicable aux
abandons consentis à des entreprises en conciliation.
… Et assouplissement des
conditions de capitalisation de créances acquises à prix décoté en franchise
d’impôt
Lorsqu’une entreprise acquiert une créance à un prix décoté, c’est-à-dire
à un prix inférieur au nominal de la créance, puis l’incorpore au capital de la
société débitrice, l’entreprise créancière est mécaniquement imposée sur
l’écart entre la valeur nominale des titres émis par la société débitrice
(correspondant au nominal de la créance acquise) et le prix d’acquisition de la
créance. Ce profit est communément désigné comme le « profit
de conversion ».
Afin de limiter la sévérité de cet effet mécanique, le Code général des
impôts prévoyait d’ores et déjà une exception selon laquelle le profit de
conversion imposable devait être déterminé par rapport à la valeur réelle (et
non nominale) des titres émis par la société débitrice lorsqu’il n’existe aucun
lien de dépendance ni (i) entre le cédant de la créance et la société
débitrice, ni (ii) entre le cédant de la créance et l’entreprise cessionnaire.
Ces liens de dépendance s’apprécient au cours des 12 mois qui précèdent et qui suivent la date de la capitalisation de la
créance.
La loi de finances assouplit ces conditions en supprimant la condition
d’absence de lien de dépendance entre le cédant de la créance et la société
débitrice lorsque la capitalisation de la créance est effectuée dans le cadre
d’un protocole de conciliation ou d’un plan de sauvegarde ou de redressement.
Mesures
concernant les particuliers associés ou actionnaires
Pour un particulier qui détient des titres de société, seules les
moins-values de cession sont fiscalement imputables sur les plus-values de même
nature et donc susceptibles de générer une économie d’impôt. À l’inverse,
les pertes constatées en cas d’annulation des titres ne sont en principe pas
déductibles fiscalement, sauf dans des situations particulières de procédure
collective (sous les conditions prévues à l’article 150-0 D ter du Code général des impôts).
La loi de finances permet désormais aux particuliers de déduire les pertes
constatées à l’occasion de l’annulation de titres qu’ils détiennent, lorsque
celle-ci résulte d’une réduction à zéro du capital d’une société émettrice dont
les pertes accumulées sont égales ou supérieures à ses capitaux propres
(procédure prévue aux articles L. 223-42 et L. 225-48 du Code de commerce).
Dans ce cas, les pertes subies par l’associé dont les titres sont annulés
sont imputables sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la
même année et, le cas échéant, des dix années suivantes, dans la limite du prix
ou de la valeur d’acquisition des titres annulés.
Ce nouveau cas de déduction est précisément circonscrit et, par exemple,
les pertes constatées du fait d’une réduction partielle ou totale du capital de
la société émettrice demeurent fiscalement non imputables.
Mesures
concernant les bailleurs
Plusieurs mesures ont été prises au cours de l’année 2020 pour encourager les bailleurs à abandonner ou étaler les loyers dus par
leurs locataires professionnels frappés par des mesures d’interdiction
d’ouverture de leur commerce. Ces mesures restaient cependant limitées et peu
incitatives pour les bailleurs.
La loi de finances a franchi une étape supplémentaire en prévoyant que les
bailleurs qui consentent, au plus tard le 31 décembre 2021, un abandon
de loyer afférent à des locaux situés en France au titre du mois de novembre
2020 peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt.
La mesure s’applique largement en ce qui concerne la typologie de
bailleurs : elle s’adresse aux bailleurs personnes physiques domiciliés en
France et aux bailleurs personnes morales résidentes, y compris ceux bénéficiant de
certains régimes d’exonération (en particulier les régimes SIIC et OPCI).
Les entreprises locataires, bénéficiaires des abandons, doivent quant à
elles remplir les conditions suivantes :
• être locataires de locaux qui ont fait l’objet d’une interdiction
d’accueil du public au cours du mois de novembre 2020 ou exercer leur activité
principale dans un secteur mentionné à l’annexe 1 du décret 2020-371 relatif au
fonds de solidarité, dans sa rédaction en vigueur à la date de publication de
la loi de finances (en pratique il s’agit principalement des secteurs de
l’hôtellerie, restauration, cafés, tourisme, événementiel, sport et culture) ;
•
avoir un effectif inférieur à 5 000 salariés (y compris les effectifs des entités liées
lorsqu’une entreprise locataire contrôle ou est contrôlée par une autre
personne morale au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce) ;
• ne
pas avoir été en difficulté au 31 décembre 2019 au sens de la réglementation européenne (sous réserve de certaines
exceptions) et ne pas avoir été en liquidation judiciaire au 1er mars 2020.
On relèvera qu’en règle générale, les bailleurs ne seront pas toujours en
mesure de savoir par eux-mêmes si leurs locataires remplissent les conditions
requises, et il leur appartiendra donc d’obtenir le confort nécessaire auprès
de ces derniers.
Lorsqu’une entreprise locataire est exploitée par un ascendant, descendant
ou membre du foyer fiscal du bailleur, ou lorsqu’il existe des liens de
dépendance, au sens de l’article 39-12 du Code général des impôts, entre bailleur et preneur, le crédit d’impôt
est conditionné en outre à des justificatifs complémentaires.
Le crédit d’impôt s’élève à 50 % du montant de l’abandon de loyers, retenu à concurrence de 100 % si le locataire a un effectif inférieur à 250 salariés et dans la limite des deux tiers du loyer dû au titre du mois de
novembre sinon.
Le montant total des abandons de loyers donnant lieu à crédit d’impôt
consentis à un même locataire ne peut excéder, selon le cas, 1 600 000 euros (si le locataire a un effectif inférieur à 250 salariés) ou 2 400 000 euros (si le locataire a un effectif compris entre
250 et 5 000 salariés).
Le crédit d’impôt s’applique pour le calcul de l’impôt dû au titre de
l’année civile / l’exercice au cours de laquelle / duquel les abandons ont été
consentis (2020 ou 2021). Si le montant du crédit d’impôt excède
l’impôt dû, l’excédent est restitué. Cette mécanique est notamment applicable
aux SPPICAV et aux sociétés bénéficiant du régime SIIC.
Dans le cas des bailleurs sociétés de personnes, groupements assimilés et
placements collectifs (notamment SCPI), le crédit d’impôt est réparti aux
associés, porteurs de parts ou actionnaires proportionnellement à leurs droits.
Mesures
en faveur de la mobilisation de trésorerie des entreprises
Différé d’imposition des
réévaluations libres réalisées en 2021 et 2022
Une première mesure, temporaire, vise à favoriser les opérations de
réévaluation libre d’actifs : ces opérations, purement comptables,
permettent de restaurer le bilan d’une entreprise en extériorisant dans les
comptes les plus-values latentes sur actif immobilisé.
Ces opérations sont le plus souvent rédhibitoires au plan fiscal dans la
mesure où, en principe, l’écart de réévaluation constaté par les entreprises
constitue un produit imposable au taux de droit commun de l’impôt sur les
sociétés au titre de l’année de mise en œuvre de l’opération.
Précisément, la loi de finances permet de différer l’imposition des écarts
résultant de la première réévaluation libre constatée au terme d’un exercice
clos entre le 31 décembre 2020 et le 31 décembre 2022.
L’imposition des écarts afférents à des actifs non amortissables est ainsi
placé en sursis jusqu’à la cession des actifs concernés (l’entreprise
s’engageant alors à calculer leur plus-value de cession par rapport à leur
valeur fiscale historique).
L’imposition des écarts afférents à des actifs amortissables fait l’objet
d’un étalement (par voie de réintégrations extra-comptables sur une période de
5 ou 15 ans, selon la nature des actifs concernés). Cette
imposition étalée devrait en général être globalement compensée par les
suppléments d’amortissement que la réévaluation aura rendu possibles.
Ce dispositif est optionnel et chaque entreprise devra évaluer l’intérêt
de cette option au regard de sa situation propre (existence de déficits
reportables, appartenance à un groupe intégré, impact sur la participation des
salariés, etc.).
Étalement de l’imposition des plus-values sur
immeuble en cas de cession-bail intervenant jusqu’en juin 2023
Les opérations de cession-bail peuvent constituer une solution de
financement pour les entreprises. Cette option est cependant pénalisante
fiscalement dans la mesure où la cession de l’immeuble entraîne l’imposition
immédiate de la plus-value de cession, absorbant de ce fait une partie de la
trésorerie dégagée par l’opération.
Afin de lever ce frein fiscal, la loi de finances a créé un dispositif
temporaire, applicable aux cessions à une société de crédit-bail intervenant
entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2023, et précédée d’un accord de financement accepté par le
crédit-preneur entre le 28 septembre 2020 et le 31 décembre 2022.
Ce dispositif prévoit la possibilité d’opter pour l’étalement de
l’imposition des plus-values réalisées en cas de cession d’immeuble affecté à
l’activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole (à
l’exclusion donc des immeubles de placement) de son propriétaire, ou d’une
société qui lui est liée au sens de l’article 39-12 du Code général des impôts, au profit d’une société de crédit-bail qui en
rétrocède immédiatement la jouissance au cédant en vertu d’un contrat de
crédit-bail immobilier.
Cette mesure s’applique aux contribuables relevant de l’impôt sur les
sociétés ou de l’impôt sur le revenu dans les catégories des bénéfices
industriels et commerciaux, bénéfices agricoles ou bénéfices non commerciaux.
Le dispositif s’applique également à la quote-part de résultat d’une
société de personnes revenant à un contribuable imposé dans l’une de ces
catégories.
En ce qui concerne les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, la
plus-value réalisée est pleinement imposable mais son montant est réparti par
parts égales sur les exercices clos pendant la durée du contrat de crédit-bail,
sans excéder 15 ans. Il est mis fin à l’étalement si l’immeuble est
acquis ou si le contrat de crédit-bail est résilié.
Accélération
du remboursement de la créance de « carry-back » des entreprises en conciliation
Lorsqu’une société soumise à l’impôt sur les sociétés constate un déficit
fiscal au titre d’un exercice donné, elle a la possibilité de le reporter en
avant ou, sous certaines conditions et limites, de le reporter sur le bénéfice
fiscal de l’exercice précédent (opération communément appelée carry-back).
Dans ce dernier cas, l’entreprise constate une créance sur le Trésor qu’elle
peut utiliser pour acquitter son impôt sur les sociétés futures ou, à défaut,
dont elle peut obtenir le remboursement au bout d’une période de cinq ans.
Dans l’objectif de faciliter la mobilisation de la trésorerie des
entreprises, la 3e loi de finances pour 2020 avait permis à toutes les entreprises de demander le remboursement
anticipé de leurs créances de carry-back nées antérieurement au 31 décembre 2020.
La loi de finances pour 2021 élargit cette possibilité
en prévoyant que les entreprises en conciliation peuvent également demander le
remboursement anticipé de leurs créances de carry-back constatées à
compter du 1er janvier 2021.
Marie-Laure Bruneel,
Avocate associée,
Goodwin Procter (France)
LLP
Charles-Henri de Gouvion
Saint Cyr
Avocat associé,
Goodwin Procter (France)
LLP