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Mais à quoi sert une agence de conseil en vote ? Extrait de travaux du CEDE-ESSEC soutenus par le CERESSEC sur la Gouvernance d’entreprise – focus : l’engagement actionnarial

Mais à quoi sert une agence de conseil en vote ?  Extrait de travaux du CEDE-ESSEC soutenus par le CERESSEC sur la Gouvernance d’entreprise – focus : l’engagement actionnarial
Publié le 11/06/2019 à 17:48

Pourquoi des agences de conseil en vote ? Le développement des proxies


Les agences de conseil en vote sont nées aux États-Unis dans les années 80 avec la création des entreprises américaines ISS et PIRC qui ont ouvert la voie à ces acteurs d’un genre nouveau. Une agence de conseil en vote a pour mission d’analyser les résolutions proposées par tel ou tel émetteur pour leur client investisseur. Plus les investisseurs institutionnels ont pris part au jeu, plus les proxies se sont développées jusqu’à former désormais une catégorie à part entière d’activistes bien que non actionnaires (1).  De fait, dans la décennie qui a suivi, de nombreuses agences ont emboîté le pas aux États-Unis (telles Glass Lewis ou Egan Jones), puis en Europe avec Ivox en Allemagne, IVIS et Manifest au Royaume-Uni ou encore Shareholder Support aux Pays-Bas. C’est dans ce contexte que Pierre Henri Leroy décide en France de créer Proxinvest en 1995.


 


Comment travaillent–elles ?


Elles se basent sur les études, les rapports annuels des sociétés, notamment sur des aspects de gouvernance pour émettre des recommandations de vote, « proxy advisory services », que leurs clients seront libres de suivre. En étudiant les différents documents mis à disposition des actionnaires et du public et les renseignements qui y figurent (politique de rémunération, transparence, politique de dividendes, conventions réglementées, mais aussi politique de mixité, intégration de la RSE, etc.) et à partir d’une politique de vote élaborée (ou qui tient compte des doléances de son client), l’agence développe son analyse et émet des recommandations en se référant au Code de gouvernance désigné par l’entreprise concernée (en France : AFEP MEDEF ou Middlenext), à la pratique et au droit positif contraignant, à la doctrine, etc.


Au-delà de ce rôle conseil, les agences exercent aussi des missions dites de « proxy voting service » (service qui concernent la logistique du vote et la transmission d’instructions par exemple avec une plateforme d’exécution de votes) ou fournissent des missions de consultants corporate governance ; et, en ce cas, il y a risque de conflit d’intérêt.


Au cours de la saison des assemblées générales, les conseillers en vote sont mobilisés sur les sujets sensibles ou litigieux. Un avis favorable de la part d’une agence constitue un argument majeur pour une campagne activiste et peut faire basculer le vote sur une résolution. Une étude du cabinet Towers Watson relève que lorsque l’agence ISS émet une recommandation favorable en matière de rémunération, les résolutions emportent en moyenne 92 % d’adhésion et 73 % si la recommandation est défavorable, un écart significatif.


Le poids de ces acteurs étant réel et le risque de dérives non négligeable, le législateur européen a eu à cœur d’intégrer davantage ces acteurs au système en limitant le risque de pratiques biaisées.


Ainsi, la directive droit des actionnaires(2) que transcrit la loi PACTE entend favoriser plus de transparence. Les proxies devront appliquer un Code de conduite et prendre des mesures pour assurer que leurs recommandations soient précises et fondées sur une analyse approfondie des informations dont elles disposent. Elles doivent porter à la connaissance de leurs clients tout conflit d’intérêts potentiel et toute relation commerciale pouvant influencer l’élaboration des recommandations ainsi que les mesures prises pour les limiter ou éliminer.


 


Proxinvest, un acteur unique en son genre en France !


À une époque où être différent signifiait être condamné et être condamné signifiait disparaître, il y a près de 25 ans, un acteur (Proxinvest) a fait le choix risqué mais nécessaire, en France, d’envisager l’activisme actionnarial et ses pratiques différemment et de jouer un rôle jusqu’ici inexistant, celui d’une agence de conseil en vote (proxy advisor) militante.


Proxinvest fait figure de modèle comme première société française de conseil en vote qui a fait le choix courageux de s’interdire toute prestation de services rémunérés par les émetteurs. Ainsi, Proxinvest non seulement n’a pas attendu la directive précitée pour se conformer à des exigences de transparence et éviter les conflits d‘intérêt, mais libre de tout conflit d’intérêt, elle peut défendre les causes qu’elle estime devoir être défendues. Cette posture comporte un revers, un business model plus fragile de la société qui, contrairement à la plupart de ses camarades, ne dispose pas du soutien financier d’émetteurs.


Ce choix a longtemps assumé la place aujourd’hui dans une position périlleuse qui pourrait être de nature à perturber son action, ce qui serait une bien mauvaise nouvelle pour tous les défenseurs de la démocratie actionnariale, car Proxinvest n’est pas seulement un organisme qui donne des conseils en vote éclairés, c’est un acteur engagé.Ses combats sont nombreux : intégrité de la gestion, séparation des pouvoirs, indépendance au sein des conseils d’administrations, gestion raisonnée des fonds propres dans le respect des actionnaires, transparence et équité des politiques de rémunération des dirigeants, enfin tout naturellement l’égalité de traitement des actionnaires.


Proxinvest surveille ainsi tant la manière dont les administrateurs indépendants exercent leurs mandats en pointant du doigt un nombre trop important de mandats cumulés, que le risque de conflits d’intérêts lié à la problématique des conventions réglementées qualifiées de libre ou votées dans des conditions étranges. L’agence a par exemple interpellé l’Autorité des marchés financiers au sujet de la participation au vote des actionnaires de contrôle sur des résolutions relatives à des conventions réglementées auxquelles ils étaient intéressés ; elle a aussi dans l’affaire SoLocal, en juin 2017, interpellé la direction sur des conflits d’intérêts et recommandé de voter contre le rapport du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées. Proxinvest a pris position pour une évolution du régime des conventions réglementées afin de plus de transparence, appel qui a fait écho dans la loi PACTE, jusqu’à un dernier rebondissement récent : la liste des conventions libres à fournir aux actionnaires préconisée dans la version d’origine du projet semble avoir disparue ?


Cette année, Proxinvest a aussi aidé l’Association regroupement PPlocal dans son action pour demander des comptes sur les décisions et la gestion du dirigeant et du conseil de la société INTRASENSE. Même si cet article n’a pas pour objet spécifiquement la question des droits des minoritaires, nous invitons le lecteur à lire attentivement le remarquable art du questionnement intervenu dans cette affaire et la stratégie de regroupements de voix utilisée pour obtenir le seuil de 5 % des droits de vote permettant de proposer des résolutions externes au vote pour l’assemblée générale (3) !


Dans un monde où la gouvernance des grandes entreprises cotées demeure largement contrôlée et policée, l’agence fut aussi l’une des premières à dénoncer les dérives en matière de rémunération des dirigeants.


 


Militante pour l’actionnariat, mais pas seulement…


Toutefois, les combats de Proxinvest vont au-delà des problématiques classiques de gestion des sociétés et adressent des questions qui ont trait à une gestion éthique et respectueuse des groupes.


Ainsi, en ce qui concerne la mixité, Proxinvest a dès 2016 publié un rapport critique qui a fait mouche sur l’absence de lien entre féminisation des conseils d’administration et de surveillance et promotion des femmes dans les COMEX/Codir : « Existe-t-il un plafond de verre pour les femmes dirigeantes en France ? » (4). Rapport sans concession qui avait pour ambition d’enclencher une prise de conscience parmi les investisseurs institutionnels et d’alerter le gouvernement à propos de l’effet d’entraînement limité de la loi quota (5) sur les conseils d’administration quant à l’évolution de la composition des COMEX et Codir. Même si ça n’est pas le seul acteur à s’être mobilisé (6), l’action a été efficace.


Soulignant le manque d’efficacité ou en tout cas de rapidité d’application des mesures légales, l’agence estime que l’activisme et la communication directe est un moyen de faire avancer les choses. Proxinvest s’investit pour l’environnement, en prônant une performance environnementale qui passe par les critères ESG. À titre d’exemple, dans ses recommandations aux entreprises, l’agence préconise en matière énergétique de faire valider par la Science Based Targets Initiative (7), les objectifs de réduction d’émission de carbone et de publier l’avancement des objectifs.


Ces recommandations, très suivies par les émetteurs, permettent de faire évoluer les pratiques et les consciences. L’influence de l’agence n’est pas que symbolique. Son opposition a un réel impact sur le taux d’approbation postérieur des résolutions, par exemple concernant Safran, une résolution avait été émise en 2017 concernant la mise en place d’une « Retraite à cotisation définie accordée à Ross McInnes, Président du Conseil d’administration », Proxinvest avait fait connaître son opposition et la résolution a été désavouée avec 49,6 % (8).


Alors que la saison 2019 des assemblées générales se déroule, Proxinvest se prononce contre la rémunération de François-Henri Pinault (Kering) en hausse de 106 % même si les excellents résultats de la société sont au rendez-vous, le manque de transparence et l’absence de tous contre-pouvoirs conduit à ne pas cautionner la résolution (9). Votées sans contestation mais dans un climat houleux et avec un taux d’approbation (78,73 %) qui demeure en deçà des taux « staliniens » ; preuve s’il en était que les efforts de Proxinvest ne sont pas vains. La lutte est loin d’être terminée, alors que le CAC 40 enregistre une baisse de 11 %, la rémunération moyenne de ses dirigeants progresse de 5,8 %, à 5,5 millions d’euros, après une hausse de 13,9 % en 2017. De quoi donner du corps aux interpellations de Proxinvest sur le sujet et justifier le dispositif de la loi PACTE qui devrait limiter ces dérives (10).


Ainsi, depuis 25 ans, Proxinvest est un acteur incontournable du système, chevalier blanc qui se dresse contre les pratiques dolosives, qui contribue à l’évolution et au perfectionnement de nos pratiques de gouvernance d’entreprise, militant averti et professionnel. Entre le dialogue avec les émetteurs et autres parties prenantes, des contributions aux débats publics, la publication de sa politique de vote dans sa version détaillée (11), des prises de positions musclées, des dénonciations auprès de l’AMF(12), l’assistance directe à des assemblées générales, et des conseils bien souvent pro bono aux associations de minoritaires, les méthodes de l’agence sont diverses et novatrices et témoignent d’un investissement sans concession et d’une vraie culture de la démocratie actionnariale dans un monde très convenu. Un acteur qui est celui que notre démocratie actionnariale mérite, mais peut-être pas celui que ses cibles souhaitent voir perdurer, là est sa singularité et là justement la nécessité de le préserver. D’autant que c’est devenu un maillon important du contrôle de la bonne gouvernance à échelle européenne du fait de ses liens directs et partenariats avec plusieurs agences nationales (13) d’autres États membres partageant les mêmes valeurs. Il faut soutenir le soldat Proxinvest !


 


NOTES :

1) François Piquet, « Vers une régulation européenne des agences de conseil en vote (proxy advisor) », 2016.

2) DIRECTIVE (UE) 2017/828 du parlement européen et du conseil du 17 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX:32017L0828

3) https://www.regroupementpplocal.com/intrasense-pplocal-pose-20-questions-ecrites/

4) http://gender.vivianedebeaufort.fr/wp-content/uploads/2016/03/Etude-Proxinvest-Femmes-Dirigeantes.pdf

5) https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000023487662

6) Voir notamment le travail de l’Observatoire de la Mixité de l’Institut du Capitalisme responsable dont j’ai l’honneur d’être membre: http://www.capitalisme-responsable.com/observatoire-de-la-mixite/

7) https://sciencebasedtargets.org/

8) https://www.safran-group.com/fr/media/resultats-des-votes-des-resolutions-ag-2017-20170616

9) https://www.researchpool.com/provider/proxinvest/kering-pp-kering-assemble-gnrale-des-actionnaires-du-24-avril-2019

10) La loi prévoit notamment des critères de performance extra financier pour déterminer la part variable de la rémunération ainsi que la mention dans le rapport prévu à l’article L. 225-37 du Code de commerce du niveau de rémunération des dirigeants mis en rapport avec la rémunération médiane des salariés de la société ainsi que l’évolution de ce ratio au cours des 5 dernières années présentée d’une manière permettant la comparaison.

Voir notamment art 187 loi numéro 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=9CC17124D6B84BE3473020638E7FF8BD.tplgfr33s_1?idArticle=JORFARTI000038496260&cidTexte=JORFTEXT000038496102&dateTexte=29990101&categorieLien=id

11) http://www.proxinvest.fr/wp-content/uploads/2019/01/Politique_de_vote_Proxinvest_2019_final.pdf

12) https://www.amf-france.org/Formulaires-et-declarations/Responsables-de-la-conformite/Operations-suspectes

13) http://www.ecgs.net/partners





 


Viviane de Beaufort,

Professeure de droit européen à l’ESSEC et directrice du CEDE



Max Boire

Juriste-moniteur au CEDE-ESSEC


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