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Maître Serge Pautot vous raconte… Du sokol de gymnaste à la robe d’avocat, plaidoyer d’un avocat passionné de sport

Maître Serge Pautot vous raconte… Du sokol de gymnaste à la robe d’avocat, plaidoyer d’un avocat passionné de sport
Publié le 14/04/2021 à 12:00

À travers notre rubrique Chronique de robe, avocats et magistrats se livrent sur les grands moments ayant marqué leur carrière. Dans cet épisode, l’avocat Serge Pautot revient sur son parcours, guidé par son goût du sport et par celui d’un droit « à la croisée des chemins », qu’il se bat pour faire évoluer.

 

C’est à l’université d’Alger que j’ai commencé mes études de droit, en 1964. Nous étions quelques coopérants, instituteurs, porteurs d’un espoir de réconciliation. Alger était également à cette époque la « Mecque » des luttes révolutionnaires, et nous étions dans une ambiance de lutte anti-impérialisme. Le coup d’État du colonel Houari Boumediene, en 1965, a mis un terme à la présidence d’Ahmed Ben Bella – qui avait réussi l’exploit de jouer à l’Olympique de Marseille, et, le 29 avril 1940, de marquer un but contre le FC Antibes, dans la compétition de la Coupe de France. J’assistais aux matchs du Mouloudia contre l’Usma, le JS Kabylie...

 

J’oublie de préciser que deux ans avant l’Algérie, et comme j’avais été gymnaste au club « La Française » de ma ville natale de Besançon, je m’étais porté volontaire au service militaire pour servir au 1er Régiment de parachutistes d’infanterie de marine, le 1er RPIMa, caserné dans la citadelle de Bayonne, et qui a intégré depuis les forces spéciales. Breveté parachutiste, j’avais été muté au 7e RPIMa à Dakar, régiment opérationnel sur l’Afrique. J’étais très à l’aise avec ma petite taille et mon poids léger, je faisais un excellent fantassin, mais surtout, nous sautions beaucoup, des sauts dans les déserts du Sénégal jusqu’aux sauts en mer au large de Dakar.

 

J’ai ensuite obtenu mon diplôme à la Faculté de droit d’Alger puis à celle de Paris, où j’ai préparé et réussi un diplôme de droit et d’économie des pays d’Afrique, dirigé par le professeur Michel Alliot. Une de mes condisciples deviendrait d’ailleurs par la suite Michèle Alliot-Marie, ministre de divers « portefeuilles »… dont celui des sports.

 


Du droit africain au droit du sport

J’ai souhaité entamer une carrière de journaliste spécialiste du tiers monde qui n’a pas abouti. À la faveur d’une opportunité, je me suis installé à Marseille, et, après avoir travaillé à la Fédération régionale des travaux publics, je suis devenu avocat, répondant à la demande de ces professionnels en raison des fonctions que j’exerçais. Ma passion du sport ne m’a jamais quitté, et je suis devenu bénévole au sein d’un club de boxe.

 

Lors d’un gala, au bord du ring, je rencontrai un jour un journaliste sportif originaire du Sénégal, un certain Pape Diouf, avec qui j’évoquais son pays où j’avais passé de si bons moments. Il me proposa de défendre un joueur africain : Joseph-Antoine Bell, capitaine de l’Olympique de Marseille ; une véritable star dans la ville. Une nouvelle aventure commençait. Nous allions croiser le fer avec Joseph Antoine-Bell contre Bernard Tapie. Nous allions également nous battre contre des règlements de la Fédération de football, qui voulait instaurer un règlement discriminatoire entre les joueurs africains naturalisés et les natifs français. 

 


« Dès qu'un litige naissait, Pape Diouf m'appelait pour aller
plaider au tribunal »

 


Pape voulait préparer son examen d’agent sportif, et tous les dimanches soirs, à mon cabinet, il révisait son examen avec mon fils Michel, qui révisait aussi ses cours de droit pour devenir avocat. Nous sommes entrés dans l’arène du sport tous ensemble. Entraîné sur cette voie nouvelle, mes activités n’ont cessé de s’étendre. Dès qu’un litige naissait, Pape Diouf m’appelait pour résoudre des difficultés ou aller plaider au tribunal, ou pour un prud’homme, un contrat de sponsoring, un litige contre un agent...

 

À côté, je continuais de m’investir dans le mouvement associatif, et j’ai pris des responsabilités électives pour être président de la Ligue régionale de Boxe et vice-président de la Fédération française de Boxe.

 


Une discipline moderne et mondialisée

La place que tient le sport aujourd’hui dans notre vie est de plus en plus grande. Phénomène social, le sport apporte une véritable révolution culturelle. Il contribue à la création d’un nouvel art de vivre. Le sport est devenu un substitut aux aspirations religieuses, politiques ou philosophiques. Chaque événement, chaque litige sportif a été pour moi le point de départ d’une réflexion, d’une recherche, d’une réinvention du droit, poussé par cette veille maxime latine, « ubi societas, ibi jus », qui signifie « que dans toutes les activités humaines, le droit est indispensable ».

De même, les sportifs, les champions, ont pris une grande importance, un peu comme des monuments nationaux. Lorsqu’Eric Tabarly  avait gagné la première course transatlantique en 1964, il avait été reçu par le Général de Gaulle... Et puis il y a eu tous ces champions qui ont fait rêver et font rêver, des plus jeunes aux plus vieux : en boxe, Marcel Cerdan, en cyclisme, Jacques Anquetil et Bernard Hinault, en football, Raymond Kopa, Justo Fontaine, Michel Platini ou Zinedine Zidane, en Formule 1, Alain Prost... La liste est longue de tous ces « sauveurs de la France ».

 

Le sport, école de respect mais aussi du dépassement où se croisent des jeunes venus de tous les horizons, de toutes les couches de la société, ne constitue-t-il pas, de fait, une école de civisme, de préparation à la vie en société et de promotion humaine ? Devenu une composante de la vie sociale et culturelle avec les loisirs et le sport amateur, une dimension économique est apparue avec le développement du sport professionnel. Il était donc logique que le sport se projette sur le plan juridique.

 

Le regretté Jean-Gaston Moore, ancien directeur de la Gazette du Palais, m’avait invité à écrire des chroniques sur le droit du sport. Pour moi, c’est un droit transversal, qui impacte tous les autres droits, toutes les matières. Du droit des affaires au droit de la famille, des droits réels aux droits personnels, sans oublier le volet pénal, dès lors qu’une infraction assez importante porte atteinte à autrui ou encore cause un trouble à l’ordre public. Il est donc à la croisée des chemins, comme le sont souvent les matières perçues comme spécifiques, tout en s’appuyant particulièrement sur le droit commun, à l’instar de celui des contrats ou des règles de la responsabilité, malgré une spécificité, dans certaines conditions, de l’acceptation des risques en cas d’accident corporel. Le droit du sport est devenu une discipline authentique mais aussi moderne, parce qu’il a vocation à la mondialisation : transferts d’un joueur du Brésil vers Paris, négociations entre chaînes de télévision pour la retransmission événements mondiaux… Le sport a intégré le libre-échange, d’abord avec l’Europe, puis le reste du monde, ce qui montre son universalité. La Charte Olympique prône le respect des droits de l’individu, le respect de la règle ; en quelque sorte, un univers de droits, de règles, de protection contre les dérives, les excès de la loi du marché…

 


Faire progresser la matière juridique liée au sport

Le droit du sport est aussi un droit vivant. Chaque jour, chaque semaine, il y a une actualité, une jurisprudence nouvelle, des droits nouveaux. Le statut de l’agent sportif, les paris sportifs, les droits TV, l’Internet, les blogs… Il fallait donc bien que la profession d’avocat s’adapte à ce nouveau  « marché » et à son développement.

 

C’est aussi la raison pour laquelle, en 1991, afin de faire avancer des idées, faire progresser la matière juridique liée à l’activité sportive, mon fils Michel et moi avons créé l’association Légisport, dont le but est de développer le droit du sport. Nous avons tenu « salon » en organisant divers colloques avec des acteurs du sport, à Marseille, Montpellier, Lyon, Paris ou encore à l’étranger, sur des sujets aussi divers que la protection des sportifs, le contentieux sportif, les responsabilités civiles et pénales, le dopage, les contrats, le sport féminin, le règlement des litiges, la protection de l’enfant sportif…

 

Au cours de ces colloques étaient abordées, au-delà de la passion de ceux qui le pratiquent, l’enseignent, et le vivent, les réalités du sport, pour réfléchir, trouver des solutions juridiques. Nous avons accueilli Cyrille Guimard, ancien champion cycliste, Colette Besson, médaillée olympique, Jean-Marc Bosman, footballeur belge, André Giraud, fondateur avec son épouse de la course Marseille-Cassis, et aujourd’hui président de la Fédération d’athlétisme.

 

En outre, pour un sport plus citoyen, nous avons organisé la campagne « Mettre KO la violence et le racisme dans le sport ». J’ai ressenti beaucoup de plaisir et de fierté à organiser ces événements, et je constate que le sport et le droit ne sont plus aussi éloignés l’un de l’autre.

 

Mon fils et moi avons également créé, en 1996, un bulletin d’informations juridiques sportives destiné à informer les sportifs et les dirigeants de leurs droits et obligations, et à faire connaître les nombreuses évolutions ayant touché cette matière ces dernières années.

 

Ces travaux et ouvrages nous ont valu d’être sollicités par le ministre des Sports algérien pour sa nouvelle loi sur le sport ; par son homologue tunisien sur la réglementation des commissions de discipline ; au Maroc, pour les statuts d’une fédération internationale, des conseils et même des leçons de droit ! En France, Sophie Dion, avocate, ancienne députée de la Savoie et ancienne conseillère Sport du président Nicolas Sarkozy, a créé un master de Droit du sport à la prestigieuse université Panthéon Sorbonne, master dans lequel mon fils et moi dispensons divers enseignements. Cerise sur le gâteau, nous avons eu l’honneur de rencontrer la reine des jeux de Montréal, Nadia Commaneci, et le président d’alors de la FIFA, Joao Havelange !

 


Des procès entre joies, déceptions et incompréhensions

J’ai connu des joies et des succès dans les procès que j’ai menés (souvent aux côtés de mon fils). Parfois, en revanche, la justice est restée frileuse. J’ai espéré très fort des décisions après des drames humains, des accidents handicapants, cependant la justice des hommes n’est pas la justice du cœur. J’ai plaidé devant des juges très intelligents, connaissant extrêmement bien le droit, mais lorsqu’une adolescente, par maladresse, se blesse dans une épreuve sportive, sans qu’aucune faute ne puisse lui être reprochée, et reste infirme à vie, des hommes de loi peuvent ne pas avoir la même appréciation que l’avocat.

 

En droit du sport, il y a aussi des affaires dont l’enjeu pécuniaire est fort, d’où l’importance de l’appel.

 

J’ai également été amené, lors de ma carrière, à tester les limites du principe de la neutralité du juge. Neutralité que je n’ai pas ressentie dans la procédure Joseph Antoine Bell, sur plainte de l’OM initiée par Bernard Tapie, qui, à l’époque, était très puissant à Marseille. J.A. Bell l’a lui aussi ressenti, à ses dépens. Pourtant, à la faveur d’un changement politique, Bernard Tapie s’est, par la suite, retrouvé étroitement surveillé et dans le collimateur des juges.

 

J’ai en outre connu des renversements de situations. Un juge dispose toujours, au cours d’une instruction, d’une réquisition, de la possibilité de soulever d’office un moyen de droit non évoqué par les parties. À l’inverse, le juge peut dire aux parties au procès que ce sont elles qui fixent l’objet du litige. Dans une affaire, le juge va rejeter les demandes faute de preuves, dans une autre, il ordonne d’office toutes les mesures d’instruction qu’il juge utiles (expertise, audition des parties)… à son gré pour avoir des preuves. J’ai aussi pu me rendre compte de la portée du principe de l’opportunité des poursuites, selon lequel le Ministère public procède au classement sans suite de l’affaire toutes les fois qu’il estime le procès inopportun.

 

Ce fut le cas dans l’affaire de l’abbé Simon, aussi appelé « l’Abbé volant ». Ce curé était réputé pour avoir réalisé une centaine de plongeons spectaculaires de plus de 30 mètres de haut, au risque de sa vie et devant un public nombreux, afin de récolter des fonds pour les plus démunis. Il avait cependant eu la malencontreuse idée, sous la pression de promoteurs, d’acheter un terrain et de faire construire un lotissement en faveur de ses paroissiens ; mais ceux-ci, constatant que tous les travaux n’avaient pas été réalisés, avaient décidé de déposer plainte contre lui. L’honorabilité du délinquant et la médiocrité du préjudice avaient heureusement eu raison de la plainte, qui avait été classée sans suite.

 

 

« Plus encore que le technicien du droit et de la procédure, 
l’avocat est le conseil, le confident »

 

 

Il ne faut pas oublier non plus notre serment d’avocat : celui d’exercer notre fonction avec dignité, indépendance, conscience, probité, humanité, mais aussi d’autres qualités indispensables : le courage, la distance, la loyauté, la sincérité, la sensibilité, la délicatesse, la modération, la réserve, la sagesse… c’est une longue énumération que les qualités requises pour notre activité.

 

Mon regretté confrère Jean-Claude Woog  décrivait, dans son ouvrage Pratique professionnelle de l’avocat , ses missions, dont son rôle social. « Pour tous, c’est celui qui incarne la défense, symbolise la liberté, représente un contre-pouvoir, affirmé par son courage et son indépendance. »

 

Plus encore que le technicien du droit et de la procédure, l’avocat est le conseil, le confident, parfois l’ami, et celui qui porte secours à des sportifs en difficulté – par exemple, le joueur « jeté », non embauché, pas payé – mais aussi à ses proches. Je pense ici aux accidents qui ont lieu à l’occasion de la pratique sportive. Lors de ces moments tragiques, j’ai pu sentir à plusieurs reprises combien le rôle d’avocat était important, en tant que soutien des parents dont l’enfant était blessé, voire décédé. Je me souviens de cette phrase : « Pourquoi le Bon Dieu nous a fait ça ! » ; c’est la question que m’ont posé, en pleurs, des parents dont le fils, sprinteur, venait de s’écrouler sur la ligne d’arrivée, victime d’un malaise cardiaque.

 

L’avocat contribue également, dans certaines causes, à défendre, à favoriser l’évolution du droit. J’évoquerai tout simplement l’affaire Élodie Lussac, à l’issue de laquelle la Fédération de Gymnastique a été condamnée pour souffrances inutiles infligées à une athlète. Aucune médaille ne vaut la préservation de la santé ! Nous avons combattu pour les droits à l’égalité des femmes avec l’affaire Sophie Girard, confrontée à la misogynie de dirigeants fédéraux. Oui, dans le sport, nous sommes au cœur de la défense de la personne humaine. Avec Lilia Malaja, pour le droit au travail et la liberté de circulation. La jurisprudence, la loi avancent lentement.

 

Aujourd’hui, une convention collective du sport a été négociée et est applicable… Il est loin, le temps où Raymond Kopa était sanctionné pour s’être exclamé dans France Dimanche, en juin 1963, que les « joueurs sont des esclaves » ! Une petite phrase qui a joué un rôle immense dans l’évolution du statut du footballeur professionnel.

 

Serge Pautot,

Avocat au barreau de Marseille

 

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