À l’occasion de la journée
internationale des droits des femmes, l’association Notaires au féminin, présidée par Barbara Thomas-David, organisait ses traditionnelles rencontres. Les présidente et anciennes
présidentes du Conseil national des barreaux, du Conseil national de l’Ordre
des experts-comptables et du Conseil national des notaires ont témoigné de
leurs expériences personnelles à la tête des institutions et des difficultés
auxquelles elles ont fait face en raison de leur genre.
C’était entre les mois de
janvier et d’octobre 2024 : le Conseil supérieur du notariat (CSN), le Conseil
national des barreaux (CNB) et le Conseil supérieur de l’Ordre des
experts-comptables (CNOEC) étaient tous les trois dirigés par une femme. Un
alignement des planètes inédit, d’autant plus lorsque l’on constate qu’il ne
s’agissait que de la première femme présidente pour le CSN et de la deuxième
pour le CNB et le CNOEC.
Pourtant, les professions de
notaire, avocat et expert-comptable se sont profondément féminisées. De 2 %
en 1980, la part de femmes notaires est passée à 15 % en 2000, puis à
35 % en 2015. Aujourd’hui, le stade de la parité a même été dépassé, avec
57 % de femmes notaires. « C’est grâce à cette féminisation de la
profession que l’on a pu avoir une femme présidente du CSN », analyse
Sophie Sabot-Barcet, élue présidente de l’instance représentative des notaires en
2022, la première après 38 hommes présidents depuis la création du CSN en 1945.
« On pouvait déjà s’étonner depuis un certain temps qu’il n’y ait pas eu
de femmes », estime-t-elle.
Sur les 77 598 avocats
au 1er janvier 2025, 60 % sont des femmes, et il y a toujours
« beaucoup plus d’entrantes que d’entrants », ce qui laisse
présager d’une féminisation qui devrait se poursuivre dans les prochaines années,
détaille Julie Couturier, présidente du CNB. La deuxième femme présidente de
l’institution créée en 1992 remarque un décalage avec l’arrivée plus discrète des
femmes dans les postes à responsabilité. « Il existe une inégalité
salariale dès l’entrée », ajoute-t-elle. Avec un grand écart de
rémunération de 12 % selon le genre à compétence égale.
« La charge mentale
de la famille repose, encore aujourd’hui, sur les femmes »
Les femmes experts-comptables
sont, elles, toujours en minorité, ne représentant que 28 % du corps de la
profession. Un paradoxe, alors que la parité est atteinte au niveau du diplôme
d’expertise-comptable. Mais les femmes ne passent pas le cap de l’inscription à
l’Ordre des experts-comptables. « Elles considèrent que le métier
d’expert-comptable est un métier trop chronophage et qu’elles ne vont pas
disposer du temps qu’il faut pour gérer leur famille », estime Cécile
de Saint Michel, présidente du CNOEC entre 2022 et 2024, qui rappelle que
« la charge mentale de la famille repose, encore aujourd’hui, sur les
femmes ».

Cécile de Saint Michel, Julie Couturier et Sophie Sabot-Barcet ont évoqué le sexisme qu'elles ont parfois subi durant leurs mandats respectifs.
Cela n’a pas empêché deux
femmes de devenir présidentes du CNOEC, avec l’élection de Cécile de Saint
Michel en 2022, 11 ans après Agnès Bricard. « J’espère que l’on n’aura
pas besoin d’attendre 10 ans pour avoir encore une femme présidente »,
souhaite-t-elle. L’ancienne numéro 1 du CNOEC assure n’avoir jamais rencontré
de méfiance dans sa qualité d’expert-comptable, est arrivée à la tête de la
profession « de façon un peu surprenante », à la suite d’une
mésentente avec la politique du président de l’époque l’ayant conduit à se
présenter face à lui aux élections intermédiaires du Conseil. « À
partir de ce moment, j’ai subi des attaques très fortes, aussi bien de la part
de mes consœurs que de mes confrères, mais très misogynes de la part des hommes,
pas forcément les plus âgés », témoigne-t-elle. Des attaques qu’elle
avait anticipé en raison du contexte de son élection.
« Je n’ai pas voulu
ressembler à ceux qui m’ont précédée »
« J’ai longtemps
considéré qu’être une femme n’était pas un sujet », raconte Julie
Couturier. Si son passage à la tête du barreau de Paris entre 2022 et 2023
s’est passé sans encombre, la présidente du CNB assure avoir eu la surprise de
faire l’objet, dans ses fonctions actuelles, de « paternalomachisme »,
avec des hommes qui « ont considéré qu’ils allaient montrer à la petite
comment il fallait qu’elle fasse ». La raison selon elle :
« Quand l’institution possède une dimension plus politique qu’un ordre
d’avocats, alors il y a peut-être plus d’enjeux, donc plus de rapports de force
et une volonté, pour certains hommes, d’exister. » Des « paternalomachistes »
qui souhaitaient garder le contrôle de l’institution : « Ils se
disaient ‘Ça va bien se passer, on a la télécommande’, mais en fait ils
ne l’ont pas. »
Sophie Sabot-Barcet n’a, pour sa part, pas ressenti de sexisme durant son mandat, bien qu’elle considère que sa
candidature pour prendre la tête du CSN ait été « un véritable challenge ».
Mais la notaire se souvient des mots récents de l’une de ses consœurs, laquelle lui
assurait que le seul reproche qui pourrait lui être fait sur sa présidence soit
d’être une femme : « J’ai d’abord été rassurée d’apprendre que ce
n’était que ça, mais je ne vois pas vraiment ce qu’elle a voulu dire. »
Si le compteur du nombre de femmes présidentes du CSN a été
débloqué, la notaire nuance : « On aura vraiment gagné lorsqu’il y en aura une deuxième, et
assez rapidement. Après cela, on ne se posera plus la question du genre ».
S’adressant aux étudiantes et futures notaires présents dans la salle, Sophie
Sabot-Barcet leur a conseillé de rester elles-mêmes : « J’ai pu
arriver là où j’en suis et faire la présidence que j’ai voulu faire car je n’ai
pas voulu ressembler à ceux qui m’ont précédée. »
Alexis
Duvauchelle
Bientôt une
interassociation pour les femmes notaires, avocates et expertes-comptables
À l’occasion de cette
soirée d’échanges, la présidente de l’association Notaires au féminin Barbara
Thomas-David a annoncé la création à venir d’une interassociation regroupant
– sans se substituer à elles – les associations de femmes des trois
professions du droit et du chiffre Notaires au féminin, Femmes et droit et
Femmes experts-comptables. Son nom est tout trouvé : Femmes du droit et
du chiffre. Son but : « Améliorer la cohésion professionnelle,
hommes et femmes confondus, car nous sommes convaincus qu’une profession ne
peut avancer qu’unie », a estimé Barbara Thomas-David.
La protection de
l’indépendance économique et financière est également avancée, alors que
celle-ci « n’existe toujours pas en 2025 » selon la notaire
parisienne, rappelant que la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer
l'égalité économique et professionnelle a intégré dans le Code du travail une
disposition obligeant les employeurs à verser le salaire de ses employés sur
un compte dont ce dernier est titulaire ou cotitulaire. Avant cette loi, plus
de 20 % des salaires étaient versés sur un compte tiers. « Ce
salaire était donc enlevé du patrimoine de la femme, qui perdait une
véritable autonomie », a-t-elle estimé.
L’annonce de cette
interassociation a lieu un an après la signature d’une charte de coopération
interprofessionnelle entre les trois associations. Le lancement officiel aura
lieu le 11 septembre prochain.
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