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Mineurs et demande d’asile : quelle procédure ?

Mineurs et demande d’asile : quelle procédure ?
Publié le 24/11/2022 à 15:02

Le 14 novembre 2022 se tenait au centre Panthéon une conférence sur le droit d’asile appliqué aux mineurs. Cet événement intervenait deux semaines après la célébration au palais du Luxembourg du 70e anniversaire de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Nous nous arrêtons dans cette édition sur la première partie de cette matinée d’échanges, consacrée aux questions de procédure. La seconde partie sera traitée prochainement sur notre site, et dans un futur numéro du JSS au format papier.

 

En ouverture, Mathieu Hérondart, président de la CNDA depuis le 1er juillet 2022, indique que le sujet prégnant des mineurs, quoique complexe, ne représente pas un volume conséquent dans la jurisprudence du droit d’asile, car la Cour est surtout confrontée à des demandes familiales. Celles-ci englobent à la fois les parents et les mineurs. Dans la plupart des cas, les craintes invoquées sont en fait celles des adultes.

 

Le Conseil d’État a consacré (02/12/1994) la jurisprudence ancienne de la commission de recours des réfugiés et a reconnu le principe d’unité de la famille qui étend la protection de la convention de Genève aux enfants mineurs lorsque la qualité de réfugié est reconnue à l’un des parents. Cette jurisprudence d’unité de la famille a été élargie d’une certaine manière par le législateur par l’application de l’article L. 521-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), dans l’hypothèse de la protection subsidiaire. Et dans ce cas-là, la demande d’asile déposée par un demandeur accompagné d’enfants mineurs est regardée comme présentée en son nom et en celui de ses enfants. La plupart des demandes sont familiales, celles qui concernent exclusivement des mineurs sont peu nombreuses (environ 5 % des recours enregistrés en 2021). La majorité des demandes parentales introduit un recours devant l’office sans réelle crainte propre importante. Lorsque la Cour statue, sa décision, qui accorde ou rejette la protection aux parents, inclut les enfants, sauf si une demande distincte pour mineur a été déposée.

 

Les cas de mineurs non accompagnés (MNA) sont rares. Ils doivent être accompagné, par un mandataire ad hoc. Il arrive que le mineur devienne majeur en cours de procédure, ce qui en complique le traitement.

 


Delphine Burriez, Mathieu Hérondart et Jean-Louis Iten (©JSS)


Quelle procédure pour le mineur ?

 

Delphine Burriez, maître de conférences en droit public à l’université Paris Panthéon-Assas, a animé ce premier thème sur lequel se sont exprimés Léa Jardin, chercheuse en droit public à l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, Catherine Delanoë Daoud, avocate au barreau de Paris, Johan Ankri, chef de la division des affaires juridiques, européennes et internationales à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), et Fleur Michel, présidente de chambre à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

 

Le mineur non accompagné et l’accès à la procédure

Selon le régime d’asile européen commun (règlement Dublin 3), le mineur non accompagné est un mineur qui entre sur le territoire des États membres sans être accompagné d’un adulte qui, de par le droit ou par la pratique de l’État membre concerné, en a la responsabilité, tant qu’il n’est pas effectivement pris en charge par un tel adulte. La définition couvre également le mineur qui a cessé d’être accompagné après être entré sur le territoire de l’un des États membres. Ainsi, résume Léa Jardin, chercheuse en droit public à l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, la définition s’appuie sur trois éléments : la minorité, le fait d’être étranger et celui d’être sans représentant légal capable d’assurer la représentation du mineur dans tous les actes de la vie civile.

 

La demande d’asile pour les enfants est ouverte de façon générale. Le droit de demander l’asile pour les enfants est notamment protégé par l’article 22 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Néanmoins, en France, le premier moyen de protection des MNA est l’aide sociale à l’enfance (ASE). En tant qu’enfants en danger, ils peuvent être pris en charge par ses services. La demande d’asile, dans le système français, n’intervient qu’en second lieu. En 2021, un peu plus de 11 300 mineurs sont entrés dans les dispositifs de protection de l’enfance, tandis que pour la même année, 867 demandes d’asile ont été déposées pour des mineurs non accompagnés. Face à ces chiffres, la question se pose de savoir si un certain nombre de mineurs ne devraient pas recevoir un soutien par le biais du statut de réfugié ou par celui de la protection subsidiaire. Une explication de cette différence statistique est fournie par la complexité de la procédure de demande d’asile.

 

C’est quasiment la même que pour un majeur. Elle se déroule en deux étapes : accueil et préenregistrement sur la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (PADA), puis entretien au guichet unique pour demandeur d’asile (GUDA) avec les agents de la préfecture et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Longue, en partie dématérialisée, la démarche impose au candidat de la pugnacité. D’autres difficultés existent telles que la question du droit à l’information. Un mineur pris en charge par l’aide sociale n’est pas renseigné sur la procédure de demande, ni sur la protection, etc. Il faut préciser que les professionnels de l’aide sociale à l’enfance connaissent peu ou mal cette procédure. Ils lui préfèrent la demande de titre de séjour, précise Léa Jardin. De plus, les jeunes sont suivis par des éducateurs qui ne sont pas formés au droit et ne s’intéressent pas forcément à la demande d’asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a commencé à combler ce vide au moyen de formations. Un autre problème spécifique tient à l’absence d’accès aux conditions matérielles d’accueil attribuables aux demandeurs pendant toute la durée de la procédure. L’idée étant que s’ils peuvent être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, ils ne doivent pas bénéficier de ces conditions matérielles d’accueil.

 


Léa Jardin, Delphine Burriez et Catherine Delanoë Daoud (©JSS)


Il arrive que leur soit opposé un refus d’enregistrement de la demande d’asile parce qu’ils n’ont pas été préalablement évalués par le département (vérification de la minorité et de l’isolement). Pourtant, aucun texte juridique n’impose ce contrôle du département avant d’enregistrer une demande d’asile en tant que MNA.

 

La désignation d’un administrateur ad hoc pour le MNA demandeur d’asile a été introduite par la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale. Il est prévu par l’article L. 521-9 du CESEDA que lorsque le demandeur d’asile est présenté par un mineur non accompagné, le procureur de la République est immédiatement avisé par l’autorité administrative. Ce dernier désigne sans délai un administrateur ad hoc. Le texte laisse imaginer une certaine rapidité dans la procédure, et pourtant, le plus souvent, la désignation intervient après le rendez-vous PADA, voire après le rendez-vous GUDA. Cela signifie que le mineur aura enregistré sa demande sans représentant légal.

 

Par ailleurs, le texte dispose que la mission de l’administrateur prend fin lorsqu’une mesure de tutelle est prononcée, par exemple celle de l’aide sociale, dont le personnel n’est pas vraiment formé à la demande d’asile. Raison pour laquelle ce sont couramment des associations ou des avocats qui assistent les MNA dans leur démarche. D’autant que les mineurs non accompagnés sont peu confiés à l’ASE par le biais d’une tutelle, mais plutôt par celui d’une mesure d’assistance éducative. Or, dans ce cadre, le service de l’aide sociale à l’enfance ne peut pas effectuer certains actes qui relèvent de l’autorité parentale. Toutefois, le juge des enfants peut lever cet obstacle.

 

Les mineurs non accompagnés ne sont pas soumis aux règles habituelles du règlement Dublin 3. Concrètement, ils ne peuvent pas être transférés vers leur premier pays d’entrée dans l’UE, même si leurs empreintes y ont été enregistrées. Le règlement Dublin 3 prévoit qu’ils puissent être transférés vers l’État membre où se trouvent soit leurs parents, soit leurs frères et sœurs, soit éventuellement un proche, à condition que cela soit dans leur intérêt supérieur. Si le mineur n’a pas de proche au sein de l’Union européenne, sa demande d’asile doit être examinée par l’État où il se trouve, mais à l’avenir, deux propositions de la Commission européenne semblent retenir le critère du premier pays d’entrée comme lieu de traitement.

 

Quelques points de blocage de l’accès à la demande d’asile

Trop souvent, témoigne Catherine Delanoë Daoud, avocate au barreau de Paris, les éducateurs croient qu’il faut être majeur pour demander l’asile, ou bien que le MNA a intérêt à attendre d’être majeur pour le faire. Quelques-uns confondent même aide sociale à l’enfance et asile. Autre souci pratique, l’accès à la préfecture manque de constance. Les agents de police et de sécurité sur place ne connaissent pas tous le droit des mineurs non accompagnés à se présenter aux guichets de la préfecture sans convocation. Toutefois, la dématérialisation a entraîné la mise en fonction d’un formulaire de pré enregistrement qui permet de contourner ce point en évitant un déplacement physique. Normalement, suite au dépôt de la demande d’asile d’un MNA, le parquet devrait désigner sans délai un administrateur ad hoc. Mais en réalité, cela demeure très aléatoire. La durée moyenne atteint plutôt deux à trois mois après plusieurs relances.

 

L’article R. 521-18 du CESEDA dispose que lorsqu’un mineur se présente sans représentant légal pour l’enregistrement d’une demande d’asile, le préfet enregistre la demande sur la base des éléments dont il dispose, puis il convoque l’intéressé à une date ultérieure pour compléter l’enregistrement de sa demande d’asile, en présence de son représentant légal. Ça ne se passe jamais comme ça à Paris, assure Catherine Delanoë Daoud. Il est impossible d’y enregistrer une demande d’asile sans administrateur ad hoc. Les conséquences sont importantes, puisque dans la jurisprudence, c’est l’âge du mineur au moment de l’introduction de sa demande d’asile qui est retenue.

 

Par ailleurs, le droit d’asile est parfois dévoyé. Il arrive que des mineurs soient fortement incités à formuler une demande alors même que ce n’est pas dans leur intérêt ou que leur situation ne correspond pas aux critères requis. Ainsi, lors du démantèlement de campement de rues à Paris de mineurs – par ailleurs en instance de recours pour une demande de protection devant le juge des enfants –, des jeunes ont été orientés vers des centres d’hébergement. Là, certains ont été contraints par les intervenants sociaux à enregistrer des demandes d’asile en tant que majeur, faute de quoi l’accès au centre d’hébergement leur était fermé. Cette situation a été relevée à plusieurs reprises. Ceux qui ont été enregistrés et hébergés sous une date de naissance modifiée n’ont pas pu la faire rectifier par la suite.

 

En Île-de-France, les MNA pris en charge par l’aide sociale à l’enfance sont quelquefois fortement incités à déposer une demande d’asile pour basculer à la majorité dans le dispositif de prise en charge par l’OFII dès leurs 18 ans. À 18 ans, ils sortent du dispositif de l’ASE et n’ont pas droit au contrat jeune majeur, valable jusqu’à 21 ans.

 

Delanoë Daoud observe de plus en plus de réticences de la part des départements ou des juges pour enfants à accepter les décisions prises par l’OFPRA ou par la CNDA sur l’identité des jeunes. Par exemple, l’OFPRA a reconstitué l’état civil et établi un acte de naissance pour des MNA placés sous sa protection. Ils ont néanmoins été soumis à une procédure d’évaluation de leur minorité par le département en charge les d’accueillir. Ou encore, un juge des enfants de Paris à qui l’avocate avait demandé la réouverture d’un dossier de demande de prise en charge par l’ASE d’un enfant de 17 ans, après la reconnaissance par l’OFPRA de sa qualité de réfugié statutaire, a décidé d’un non-lieu d’assistance éducative au motif « qu’il convient de relever que l’acte de naissance établi par l’OFPRA n’a été réalisé uniquement que sur les déclarations du jeune ». Dans ces conditions, le document édité par l’OFPRA ne saurait revêtir une quelconque valeur probante et établir une quelconque minorité. Autrement dit, le juge des enfants remet en cause la décision de l’OFPRA !



Johan Ankri, Delphine Burriez et Fleur Michel (©JSS)

 

Le mineur accompagné et la qualification de la procédure

Le rapport d’activité 2021 de l’OFPRA relève que près de 25 % des demandeurs d’asile enregistrés cette année-là sont des mineurs accompagnés, soit environ 25 000 personnes. 35 % des personnes qui ont été protégées en première instance en 2021 sont des mineurs accompagnés, soit 13 000 enfants.

 

Johan Ankri, chef de la division des affaires juridiques, européennes et internationales de l’OFPRA, prend pour point de départ la loi dite immigration, asile et intégration du 10 septembre 2018. À l’époque, le législateur a transposé à l’article L. 741-1 du CEDESA – scindé aujourd’hui en deux articles, l’article L. 521-3 et l’article L. 531-23 – d’une disposition de la directive européenne dite procédure du 26 juin 2013. Cette loi de 2018 entrée en vigueur le 1er janvier 2019 prévoit deux points :

• lorsque la demande d’asile est présentée par un étranger qui se trouve en France accompagné de ses enfants mineurs, la demande est regardée comme présentée en son nom et en celui de ses enfants ;

• lorsqu’il est statué sur la demande de chacun des parents, la décision accordant la protection la plus étendue est réputée prise également au bénéfice des enfants.

 

Attardons-nous sur le premier point qui vise deux objectifs principaux. L’un cherche à éviter le dépôt des demandes successives et, par conséquent, à décourager l’enchainement de demandes dilatoires formées au nom d’une personne puis de chacun de ses enfants en vue de prolonger artificiellement le séjour. L’autre souhaite simplifier l’exercice de la protection juridique et administrative des enfants bénéficiaires d’une protection internationale.

 

En effet, jusqu’alors, ces enfants, pour lesquels une demande d’asile formelle n’avait pas été présentée, se voyaient délivrer des actes ou des documents d’état civil par l’OFPRA. Cependant, ils devaient, entre 16 et 18 ans, s’ils souhaitaient régulariser leur droit au séjour en tant que réfugié ou en tant que bénéficiaire de la protection subsidiaire, présenter une demande d’asile en bonne et due forme. Ils pouvaient alors obtenir une décision individuelle qui établissait, notamment aux yeux de la préfecture et des administrations, l’existence d’une protection internationale pourtant préexistante, et qui, par surcroît, ne cessait pas de plein droit à la majorité. Cette difficulté est aujourd’hui révolue. Chaque mineur fait maintenant l’objet d’un enregistrement préalable en préfecture pour être pris en compte par l’OFPRA. La démarche confirmative de l’existence d’une protection internationale entre 16 et 18 ans n’est plus nécessaire.

 

Le dispositif de la demande d’asile familiale tel qu’il était appréhendé par l’administration était articulé autour de la date de son enregistrement en préfecture. Trois situations ressortaient et donnaient lieu à des solutions assez cohérentes. La première est celle du parent demandeur d’asile accompagné à la date d’enregistrement en préfecture d’un enfant présent sur le territoire français. Là, la demande était regardée comme présentée au nom du parent et automatiquement à celui de l’enfant. La deuxième concerne l’enfant d’un demandeur qui naît ou rejoint son parent en France, postérieurement à la date d’enregistrement de la demande d’asile en préfecture, y compris pendant l’examen de la demande d’asile. Dans ce cas-là, une demande d’asile individuelle devait être présentée au nom de l’enfant. Elle était introduite en tant que première demande par l’OFPRA et instruite comme telle. La troisième situation est celle la demande d’asile faite au nom d’un enfant présent sur le territoire français présentée après la décision définitive rendue par l’OFPRA ou par la CNDA sur la demande d’asile du parent. La décision prise sur la demande du parent était réputée valoir également pour le compte de l’enfant.

 

Cette situation, déjà complexe, prévalait jusqu’en 2021. Le Conseil d’État l’a modifiée au terme de deux décisions.

 

La première décision, du 6 novembre 2019, a posé le considérant du principe suivant : lorsque l’office est saisi d’une demande émanant d’un mineur (donc, par hypothèse, déjà présent sur le territoire français), après que l’un de ses parents a déjà présenté une demande d’asile, et que ce parent a été entendu dans ce cadre, la demande émanant du mineur doit être regardée comme un réexamen. Il s’agit d’une interprétation des dispositions de la loi de 2018. Le principal apport de cette décision réside dans la rétroactivité des dispositions de la loi du 10 septembre 2018 sur la procédure d’avis des mineurs accompagnés. Le Conseil d’État, s’appuyant notamment sur le principe de l’unité familiale, est venu contredire une décision du juge de référé. Le rapporteur public a conclu que ces dispositions apparaissaient plus comme une explicitation de ce qui était auparavant implicite que comme un réel avis. En somme, ces dispositions devaient être lues comme impliquant que la demande d’asile présentée au nom des parents vaut également examen des motifs propres qui pourraient justifier que l’asile soit octroyé à leurs enfants. Juridiquement correcte, cette position ne correspondait à aucune réalité pratique pour les autorités de l’asile qui, lorsqu’elles étaient saisies pour la première fois de la demande d’asile d’un mineur accompagnée, ne tiraient aucune conséquence, notamment en matière de qualification de la demande, de l’antériorité de la naissance ou de l’arrivée en France par rapport à la demande d’asile du parent. Dès lors que l’enfant naissait ou arrivait sur le territoire postérieurement à l’enregistrement de la demande d’asile du parent en préfecture, la demande d’asile de l’enfant était une première demande.

 

La deuxième décision date du 27 janvier 2021. Elle implique que la date clé de la demande d’asile familiale ne s’appuie plus sur celle de l’enregistrement en préfecture, mais sur celle de la décision définitive rendue par l’OFPRA ou par la CNDA. Les implications sont particulièrement lourdes et nombreuses. Il a fallu à l’OFPRA plus d’un an pour mesurer tous les effets de cette jurisprudence. Au moins deux difficultés se posent suite à cette décision, détaille Johan Ankri. D’abord, le Conseil d’État a jugé qu’en cas de naissance ou d’entrée en France d’un enfant mineur entre l’enregistrement de la demande du parent et la décision définitive, le parent a obligation d’en informer l’OFPRA et la CNDA. Il est fait ici abstraction des dispositions de l’article L. 531-2 du CESEDA au terme duquel toute demande d’asile doit faire l’objet d’un enregistrement préalable par la préfecture. Cela méconnaît le fait que seul l’OFPRA peut créer une fiche de demandeur d’asile et a fortiori de bénéficiaire d’une protection dans le système informatisé. Ensuite, la deuxième difficulté touche les mineurs nés ou arrivés en France pendant l’examen du recours de leurs parents, voire même parfois pendant l’examen de la demande d’asile qui allègue pour la première fois des craintes propres devant la CNDA. La solution du Conseil d’État conduit à priver d’un examen en demande initiale le mineur.

 

La prochaine réforme de l’immigration et de l’asile est programmée pour le début de l’année 2023. Elle offre l’opportunité de repenser les divers aspects de la demande d’asile familiale.

 

La mécanique contentieuse

Eu égard aux dispositions du CESEDA en vigueur et à la jurisprudence, selon Fleur Michel, présidente de chambre à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), deux points essentiels sont à retenir sur les mineurs accompagnants. Premièrement, leurs demandes d’asile sont agrégées à celles des parents. Cela signifie concrètement un seul dossier devant la Cour. Deuxièmement, si les parents se voient accorder une protection, il y a extension de la plus importante aux mineurs. La demande d’un mineur accompagné est envisagée identique à celle de ses parents, avec les mêmes craintes : mariage forcé, conflit d’héritage, problèmes familiaux, etc. Cependant, elle peut présenter ses propres craintes : excision, naissance hors mariage, « enfant sorcier », « enfant serpent »… Dans ces cas-là, l’office va se prononcer sur la demande du mineur par une décision distincte de celle rendue le cas échéant pour les parents. Logiquement, à leur entrée à la Cour, les dossiers de cette famille se référencent sous deux numéros distincts. Toutefois, certaines affaires se situent dans une « zone grise » et il revient à la CNDA de trouver une solution juridique.

 

La CNDA a récemment clarifié un point de droit

 

Au printemps dernier, la Cour a été soumise à la question suivante : que faire dans les cas où l’enfant né postérieurement à la demande des parents, soulève des craintes qui lui sont propres, alors qu’il surgit en cours de procédures contentieuses à la Cour ? Est-ce un réexamen à l’intérieur même du recours du parent ? L’enfant survenant en cours de procédure soulève des craintes propres. Or, il n’a pas été entendu pour cela devant l’office. C’est une privation de ses droits, de la garantie d’un entretien individuel et personnel. Comment se positionner ? Ces questions étaient soumises à la Cour dans une affaire qui a fait l’objet d’un arrêt du 16 mai 2022, enregistré sous le n° 21023491.

 

Un mémoire complémentaire avait été déposé une dizaine de jours avant l’audience, donc parfaitement recevable. Il présentait des conclusions nouvelles concernant la fille de Mme B. Cette dernière faisait initialement un recours pour une question de mariage forcé mais elle avait accouché d’une petite fille après son entretien à l’OFPRA, et après la décision de l’Office. Elle avait des craintes en raison de l’excision. Comment prendre en compte les craintes de la petite fille sans entretien particulier à l’OFPRA ? Dans ce cadre particulier, la CNDA a procédé par étapes dans son raisonnement. La première idée est l’affirmation du caractère personnel des craintes de l’enfant, lesquelles sont indépendantes du récit de la mère, qui se bornait à évoquer un mariage forcé. Par conséquent, les craintes propres de l’enfant ne sauraient être assimilées à un élément nouveau du dossier de la mère – c’est une autre personne –, ou à une demande de réexamen de celui-ci. Ces craintes ne peuvent être ajoutées à une procédure déjà engagée sur un autre fondement de risque de persécution, pour un autre demandeur d’asile, sans examen individuel et personnel desdites craintes. La décision a été construite dans une zone grise sans réel repère. Le premier réflexe, explique Fleur Michel, a justement été de rechercher des repères pour écrire la décision. Ils sont venus du droit administratif classique, des règles de liaison du contentieux.

 

Le droit d’asile est du droit public. Donc le premier constat qui fonde cette construction jurisprudentielle est qu’il n’y a pas de décision prise sur la situation de l’enfant, du fait même du parcours et aussi du fait d’un refus d’enregistrement de la préfecture d’un dossier au nom de l’enfant. Le dossier produit par l’avocat montrait effectivement ce refus via un courriel de la préfecture du département de résidence de la personne. Il n’y avait pas de décision prise sur la situation de l’enfant. De plus, l’OFPRA n’a formulé aucune réponse à la communication du mémoire complémentaire qui avait été fait par les soins de la Cour lorsqu’il a été reçu. Là encore, règle classique de liaison du contentieux, si on répond au mémoire complémentaire qui contient les conclusions pour l’enfant, c’est qu’il est lu. Or, là, il n’y avait pas de réponse.

 

La Cour, dans son raisonnement, a également pris en compte l’article L. 531-22 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers. Ce dernier prévoit qu’aucune décision ne peut naître du silence gardé par l’office. Derrière toute cette logique contentieuse mise en œuvre, la réponse de la Cour a été un constat d’irrecevabilité de la demande formulée au titre de l’enfant. Elle a rappelé également, sur le fondement de l’arrêt n° 415335 du 18 juin 2018, que la compétence des juridictions administratives de droit commun s’appuie sur les refus d’enregistrement des demandes d’asile. C’est une volonté de la Cour de rendre une décision équilibrée, de dire aussi aux préfectures qu’elles ont une obligation d’enregistrement. L’originalité de cette décision est de venir clarifier un point de droit en l’absence de disposition spéciale organisant le traitement des demandes dans ce contexte, et d’opter pour une réponse claire sur le fondement du droit administratif classique.

 

C2M

 

 

Trois arrêts fondamentaux du Conseil d’État

 

Arrêt du conseil d’État 439248, du 21 janvier 2021

En application de l’article L. 521 3 du Code de l’entrée, du séjour et du droit d’asile, il prévoit que la demande d’asile présentée par un étranger qui se trouve en France accompagné de ses enfants mineurs est regardé comme présenter en son nom et en celui de ses enfants. C’est le fondement de la demande familiale. Il prévoit également l’extension aux enfants de la protection donnée.

 

Arrêt du conseil d’État 422017, du 6 novembre 2019

Cet arrêt prévoit que lorsque l’office est saisi d’une demande émanant d’un mineur après que l’un des parents l’ait fait et que celui-ci a été entendu dans ce cadre, la demande émanant du mineur doit être regardée comme une demande de réexamen, pour laquelle – conséquence administrative très importante – l’office n’a pas l’obligation de réentendre le mineur. Tout l’enjeu de déclarer une demande en réexamen ou en demande initiale, tient à la possibilité, sur le fondement de l’article L. 531 42 du CESEDA, de ne pas entendre au niveau de l’office la personne qui représente légalement le mineur.

 

Arrêt du conseil d’État 445958, du 27 janvier 2021

Si l’enfant est né ou entré en France après l’enregistrement de la demande ou du recours des parents, la décision de l’OFPRA ou de la CNDA est réputée prise à l’égard du demandeur et de ses enfants mineurs à la date de la visite.



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