POLITIQUE

Mi-paria, mi-expansionniste, le Kremlin s'impose aux populations de son territoire et à l'étranger

Mi-paria, mi-expansionniste, le Kremlin s'impose aux populations de son territoire et à l'étranger
Publié le 02/01/2025 à 07:00

Alors que le régime de Bachar El-Assad est tombé et que le dirigeant a fui la Syrie, la Russie est au cœur des questions géopolitiques au Moyen-Orient.

Mi-décembre, Viktoria Akchurina, chercheuse en géopolitique, était l’invité de l’association Géostratégies 2000 pour analyser l’influence de Moscou dans le monde. « La Russie a besoin d’une position au-delà de ses frontières pour maintenir sa puissance », commence par affirmer l’intervenante originaire du Kirghizistan. À travers ses menaces, la fédération de Russie garde une puissance extérieure à son territoire. Cette dernière est dispersée sur différents continents, particulièrement en Afrique, grâce à la milice Wagner, qui lui permet de « se donner une image d’anti-colonisatrice alors qu’elle continue de faire de même », dénonce la chercheuse. Créée en 2014 par un proche du président Vladimir Poutine, l’organisation paramilitaire a longtemps nié toute accointance entre le gouvernement et son créateur, avant de finalement reconnaître des liens en 2022.

Que ce soit en Libye, au Soudan ou en Centrafrique, les troupes Wagner prennent part aux conflits internes des pays. Elles y maintiennent des bases militaires pour imposer le Kremlin face à l’Union européenne et aux États-Unis. Néanmoins, ces bases ne sont pas forcément stables. Par exemple au moment de la mort opportune du fondateur de cette force mercenaire, Evgueni Prigojine, en août 2023. Depuis, le nom des troupes a changé pour devenir Africa Corps. L’organisation descendante est, cette fois-ci, directement liée au ministère russe de la Défense. Cette milice est affaiblie dans plusieurs pays au cœur de tensions géopolitiques tels que la Syrie.

Pour rappel, les hommes de Wagner, arrivés en 2015, sont des paramilitaires qui ont aidé l’armée syrienne. Ils ont combattu l’État islamique et sont restés dans le pays jusqu’à début décembre 2024, moment où le chef de l’État, Bachar El-Assad, a pris la fuite. L’ex-dirigeant syrien a rejoint sa famille à Moscou. Vladimir Poutine a d’ailleurs affirmé dans son bilan annuel le 19 décembre dernier qu’il avait « l’intention » de rencontrer le président syrien.

Poutine sans la mer Méditerranée ni la mer Noire ?

Dans cette partie du Moyen-Orient, Moscou dispose d’une base aérienne à Hmeimim et avait un accord avec Bachar El-Assad pour accéder gratuitement pendant 49 ans à la base navale de Tartous, ville syrienne sur la côte du croissant fertile. De nombreux sous-marins, navires de guerre et troupes de soldats y sont stationnés. Ce port militaire permet d’optimiser les opérations russes en Afrique et au Moyen-Orient. D’après la BBC, certains navires ont été retirés de Tartous ces dernières semaines. Pour conserver l’exploitation de ce quai, le Kremlin espère pouvoir négocier avec les rebelles qui ont renversé le régime précédent.

« À cause de cette chute du pouvoir, la Russie perd sa puissance en Méditerranée », résume Viktoria Akchurina. Si la base de Tartous venait à échapper à l’emprise de Vladimir Poutine, la Turquie pourrait s’imposer davantage dans la région. Le président Erdogan se retrouverait seul dans cette partie du bassin méditerranéen. D’après la chercheuse en géopolitique, le contexte en Syrie « permet un rapport de force avec la Turquie ».

Par ailleurs, les deux puissances sont déjà engagées dans un autre combat territorial, en mer Noire. Depuis le début de l’offensive en Ukraine, le président Poutine tente de gagner des miles sur ces eaux, comme il l’a déjà fait avec l’annexion de la Crimée en 2014, pour contrôler des ports stratégiques.

En interne, la stabilité tangue

Très concentré sur le conflit en Ukraine, le Kremlin en oublie son arbitrage entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ces pays voisins qui « tentent d’imiter la législature russe ». Le gouvernement arménien « amène des conversations » avec le gouvernement turc, explique Viktoria Akchurina, afin de se rapprocher des pays européens, mais sans abandonner totalement la Russie, son allié traditionnel. Les deux pays frontaliers du Moyen-Orient se battent pour l’enclave du Haut-Karabakh depuis des décennies. L’endroit a longtemps été contrôlé par les militaires russes, qui se sont retirés d’avril à juin 2024. Cette zone instable entre l’Occident et l’Orient, proche des Russes, leur permet d’y maintenir une influence géostratégique hors de leurs frontières.

Cependant, en interne, le pays ne semble pas si solide. La chercheuse en géopolitique avance : « Vladimir Poutine tient son propre peuple en otage. La Russie a des revendications civilisationnelles, mais une capacité naturelle faible. » La population est muselée par les moyens mis en place par l’État, notamment le service national de sécurité (FSB). Ce service de renseignements et de police politique permet d’éviter tout « changement institutionnel » et réprime chaque « esprit révisionniste ». La doctrine mise en œuvre par Vladimir Poutine empêche les opposants politiques de s’exprimer et donc d’approcher le pouvoir, à l’image de l’avocat Alexeï Navalny, sans doute le plus médiatisé des contradicteurs du gouvernement actuel. Après avoir combattu la corruption de son pays, après avoir fui le territoire suite à un empoisonnement imputé au KGB, il a eu le courage d’y revenir. Très populaire, il a été rapidement arrêté. Le 16 février 2024, Alexeï Navalny est mort subitement, à l’âge de 47 ans, au centre pénitentiaire de Kharp.

Tessa Biscarrat

 

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