Alors
que le régime de Bachar El-Assad est tombé et que le dirigeant a fui la Syrie, la Russie est au cœur des questions géopolitiques au Moyen-Orient.
Mi-décembre,
Viktoria Akchurina, chercheuse en géopolitique, était l’invité de l’association
Géostratégies 2000 pour analyser l’influence de Moscou dans le monde. « La
Russie a besoin d’une position au-delà de ses frontières pour maintenir sa
puissance », commence par affirmer l’intervenante originaire du
Kirghizistan. À travers ses menaces, la fédération de Russie garde une puissance
extérieure à son territoire. Cette dernière est dispersée sur différents
continents, particulièrement en Afrique, grâce à la milice Wagner, qui lui
permet de « se donner une image d’anti-colonisatrice alors qu’elle continue
de faire de même », dénonce la chercheuse. Créée en 2014 par un proche du
président Vladimir Poutine, l’organisation paramilitaire a longtemps nié toute
accointance entre le gouvernement et son créateur, avant de finalement reconnaître
des liens en 2022.
Que ce
soit en Libye, au Soudan ou en Centrafrique, les troupes Wagner prennent part
aux conflits internes des pays. Elles y maintiennent des bases militaires pour
imposer le Kremlin face à l’Union européenne et aux États-Unis. Néanmoins, ces
bases ne sont pas forcément stables. Par exemple au moment de la mort opportune du
fondateur de cette force mercenaire, Evgueni Prigojine, en août 2023. Depuis, le
nom des troupes a changé pour devenir Africa Corps. L’organisation descendante
est, cette fois-ci, directement liée au ministère russe de la Défense. Cette
milice est affaiblie dans plusieurs pays au cœur de tensions géopolitiques tels
que la Syrie.
Pour
rappel, les hommes de Wagner, arrivés en 2015, sont des paramilitaires qui ont
aidé l’armée syrienne. Ils ont combattu l’État islamique et sont restés dans le
pays jusqu’à début décembre 2024, moment où le chef de l’État, Bachar
El-Assad, a pris la fuite. L’ex-dirigeant syrien a rejoint sa famille à Moscou.
Vladimir Poutine a d’ailleurs affirmé dans son bilan annuel le 19 décembre
dernier qu’il avait « l’intention » de rencontrer le président syrien.
Poutine
sans la mer Méditerranée ni la mer Noire ?
Dans
cette partie du Moyen-Orient, Moscou dispose d’une base aérienne à Hmeimim et
avait un accord avec Bachar El-Assad pour accéder gratuitement pendant 49 ans à
la base navale de Tartous, ville syrienne sur la côte du croissant fertile. De
nombreux sous-marins, navires de guerre et troupes de soldats y sont
stationnés. Ce port militaire permet d’optimiser les opérations russes en
Afrique et au Moyen-Orient. D’après la BBC, certains navires ont été retirés de
Tartous ces dernières semaines. Pour conserver l’exploitation de ce quai, le
Kremlin espère pouvoir négocier avec les rebelles qui ont renversé le régime
précédent.
« À
cause de cette chute du pouvoir, la Russie perd sa puissance en Méditerranée », résume Viktoria Akchurina. Si la base de Tartous venait
à échapper à l’emprise de Vladimir Poutine, la Turquie pourrait s’imposer
davantage dans la région. Le président Erdogan se retrouverait seul dans cette
partie du bassin méditerranéen. D’après la chercheuse en géopolitique, le
contexte en Syrie « permet un rapport de force avec la Turquie ».
Par
ailleurs, les deux puissances sont déjà engagées dans un autre combat
territorial, en mer Noire. Depuis le début de l’offensive en Ukraine, le
président Poutine tente de gagner des miles sur ces eaux, comme il l’a déjà
fait avec l’annexion de la Crimée en 2014, pour contrôler des ports
stratégiques.
En
interne, la stabilité tangue
Très
concentré sur le conflit en Ukraine, le Kremlin en oublie son arbitrage entre
l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ces pays voisins qui « tentent d’imiter la
législature russe ». Le gouvernement arménien « amène des conversations
» avec le gouvernement turc, explique Viktoria Akchurina, afin de se
rapprocher des pays européens, mais sans abandonner totalement la Russie, son
allié traditionnel. Les deux pays frontaliers du Moyen-Orient se battent pour
l’enclave du Haut-Karabakh depuis des décennies. L’endroit a longtemps été
contrôlé par les militaires russes, qui se sont retirés d’avril à juin 2024. Cette
zone instable entre l’Occident et l’Orient, proche des Russes, leur permet d’y
maintenir une influence géostratégique hors de leurs frontières.
Cependant,
en interne, le pays ne semble pas si solide. La chercheuse en géopolitique
avance : « Vladimir Poutine tient son propre peuple en otage. La Russie a
des revendications civilisationnelles, mais une capacité naturelle faible. »
La population est muselée par les moyens mis en place par l’État, notamment le
service national de sécurité (FSB). Ce service de renseignements et de police
politique permet d’éviter tout « changement institutionnel » et réprime
chaque « esprit révisionniste ». La doctrine mise en œuvre par Vladimir
Poutine empêche les opposants politiques de s’exprimer et donc d’approcher le
pouvoir, à l’image de l’avocat Alexeï Navalny, sans doute le plus médiatisé des
contradicteurs du gouvernement actuel. Après avoir combattu la corruption de
son pays, après avoir fui le territoire suite à un empoisonnement imputé au
KGB, il a eu le courage d’y revenir. Très populaire, il a été rapidement
arrêté. Le 16 février 2024, Alexeï Navalny est mort subitement, à l’âge de 47
ans, au centre pénitentiaire de Kharp.
Tessa Biscarrat