Le sport est un secteur économique
à part entière. Si cette affirmation a longtemps été considérée comme non légitime,
plusieurs chiffres viennent mettre en avant ce constat implacable. Le groupe
BPCE publiait notamment en 2020 l’étude « La filière sport prend ses
marques », où l’on apprenait que le poids économique du sport en
France était de 91 milliards d’euros (50 % de plus
que le chiffre d’affaires du secteur du tourisme en France) pour 448 000 emplois. De
plus, ces chiffres n’intègrent pas les sources importantes de revenus au
fondement du modèle économique du sport, telles que les dépenses de sponsoring,
la billetterie et les hospitalités, ou encore les revenus tirés des droits TV.
Les grands piliers du modèle économique du sport :
droits tv, billetterie et partenariats
Les droits médias en phase de
transition
Ces derniers
font face aujourd’hui à un enjeu très complexe, suite à la défaillance de
Mediapro dans le football français. Alors que les droits TV irriguent
l’ensemble du sport en France via la taxe Buffet, qui depuis 2000 a instauré un mécanisme de solidarité entre le
sport professionnel et le sport amateur, le manque à gagner est conséquent. De
plus, cette source de revenus est dans une vraie phase de transition avec
l’arrivée de nouveaux acteurs que sont les plateformes OTT (Over The Top).
Dernier exemple en date, l’acquisition par Amazon des droits de diffusion de 80 % des matchs de Ligue 1 pour 259 millions d’euros par an jusqu’en 2024, après avoir obtenu les droits pour
diffuser Roland-Garros pour la première fois cette année. Une arrivée
potentiellement source de conflits avec les diffuseurs historiques puisque
Canal+ a réagi à l’arrivée d’Amazon en Ligue 1 en menaçant de se retirer du marché.
L’évolution de ces sujets sera très importante pour la pérennité du modèle
économique du sport. En ce sens d’ailleurs, une mission d’information
parlementaire est actuellement menée à l’Assemblée nationale sur les droits de
diffusion audiovisuelle des manifestations sportives.
La
billetterie et les hospitalités, source essentielle de revenus inexistante
pendant la période
de pandémie
Autre source de revenus essentielle
pour le sport, la billetterie et notamment les hospitalités. L’année écoulée
avec des manifestations sportives à huis clos ou aux jauges extrêmement faibles
a mis à mal cette prestation d’accueil qui permet d’accéder à un événement
sportif dans des conditions privilégiées et différentes de celles du grand
public. Les hospitalités représentent souvent une prestation à destination des
partenaires des clubs et peuvent constituer 20 % de leurs
revenus. La mobilisation de nombreux acteurs du sport à l’occasion de la
publication du guide de l’Agence Française Anticorruption (AFA) en 2020 sur les
politiques cadeaux et invitations en entreprise a montré l’importance de cette
source de revenus. La concertation avec les acteurs du sport a permis d’obtenir
une rédaction séparant clairement les notions de corruption et de relations
professionnelles normales permettant d’accepter ce type d’invitations lors
d’événements sportifs.
La billetterie grand public est
quant à elle bien évidemment une nécessité pour les clubs. À l’instar de la
mobilisation sur la thématique des hospitalités, les acteurs du sport ont
exercé un intense lobbying tout au long de l’année pour s’accorder avec les
pouvoirs publics sur des conditions d’accueil permettant d’adopter des jauges proportionnelles
afin de pouvoir accueillir du public de manière sécurisée. Le calendrier de
déconfinement progressif annoncé par le gouvernement en mai devrait permettre
de pouvoir de nouveau accueillir des spectateurs dans des conditions
quasi-normales à partir de la saison prochaine. L’importance de cette manne
financière a notamment été symbolisée par le dispositif de compensation des
pertes de billetterie à hauteur de 107 millions
d’euros par l’État, fin 2020. Le dispositif a d’ailleurs été prolongé pour le
premier semestre 2021.
Au-delà de la simple billetterie,
ce sont tous les revenus « jour de match » (restauration, buvette,
merchandising …) qui ont par conséquent été affectés.
Focus
sur les partenariats
Enfin, et c’est ce qui retiendra
notre attention par la suite, le sponsoring est une composante essentielle du
modèle économique du sport. En France, les droits de sponsoring sportif pèsent
2,5 milliards
d’euros (étude SPORSORA sur le marché du sponsoring sportif, 2021) et les
dépenses en sponsoring représentent entre 15 % et 50 % des
revenus des clubs et détenteurs de droits de manière générale, en fonction des
différents sports. Comme les autres sources de revenus du sport, le sponsoring
a été très négativement affecté par la crise. Alors que les dépenses en
communication et partenariats sont souvent les premières sacrifiées dans les
budgets des entreprises, la baisse de dépenses en sponsoring en Europe (tous
secteurs d’activités confondus, y compris le sport) est de 23 % en 2020 comparé à
2019 (étude
Nielsen et de l’European Sponsorship Association, 2021), avec le plus bas
niveau d’investissements atteint depuis 2010. En France, une diminution de 32 % des
investissements a été constatée (et 20 % pour le
sport). Une baisse dramatique pour le sport concernant cette source de revenus
qui irrigue l’ensemble du secteur à travers les territoires et qui a passé un
vrai cap dans l’opinion et en termes d’acceptabilité.
En effet, les Français ont pris
conscience de l’utilité des investissements privés pour permettre le
développement du sport. Ils sont 74 % à juger le
sponsoring utile au sport et 81 % à penser qu’il rend les marques partenaires
plus sympathiques (étude du cabinet Occurrence pour SPORSORA, 2019). Un constat
encore plus prononcé pour la GEN Z (18-24 ans) qui
sont 78 % à
considérer le sponsoring utile au sport et 88 % estiment
qu’il donne envie de se renseigner sur les marques. Un contenu très engageant
pour les partenaires donc. Des partenaires et des revenus qui, par ailleurs,
couvrent des champs bien plus élargis que les grandes entreprises et les clubs
professionnels les plus populaires. L’étude SPORSORA sur le marché du
sponsoring sportif présentée en mars 2021 a
effectivement permis de mettre en valeur certaines tendances : ce sont les
clubs amateurs qui captent la majorité des investissements en sponsoring (40 %, contre 36 % pour les
clubs professionnels, 9 % pour les fédérations et 7 % pour les
événements sportifs récurrents). Par ailleurs, la plupart des partenaires des
clubs sont des TPE et PME locales. 89 % des
contrats de sponsoring concernent ainsi des PME et 92 % de ces
contrats portent sur des sommes inférieures à 100 000 euros. Bien
loin de certaines idées reçues.
Les
grandes tendances du marketing sportif
La place de la RSE
Comme les
organisateurs d’événements et les fédérations sportives, les sponsors ont une
responsabilité sociétale. Le sport peut constituer un vrai levier pour
implémenter de telles politiques au sein d’une entreprise en faisant bénéficier
des valeurs comme l’esprit d’équipe, la bienveillance, la diversité ou encore
l’inclusion. Le sport peut aussi permettre à un partenaire d’illustrer et
renforcer ses engagements en matière de RSE et de développement durable en
faisant par exemple passer les messages sur les engagements RSE dans les
activations des marques (exemple de la marque Vittel dans la caravane du Tour
de France qui communique sur le recyclage).
Le sport féminin
Ce dernier
fait l’objet d’un véritable engouement ces dernières années. Les femmes sont désormais
considérées comme de vraies cibles et les sponsors commencent à capitaliser sur
des événements, des équipes de sport féminin [lire JSS n° 51 du 10
juillet 2021]. Par ailleurs, alors que les marques cherchent à donner du sens à
leurs actions commerciales, elles n’hésitent pas à engager des moyens
importants pour activer leurs partenariats et raconter des histoires pour faire
évoluer les pratiques et les mentalités (la Française des Jeux est très
impliquée avec son programme « Sport pour elles » et vient d’annoncer
son partenariat avec le Tour de France femmes avec Zwift 2022).
Le lien
naturel entre sport et divertissement
Les
manifestations sportives sont de plus en plus l’occasion d’assister à des
performances... au-delà du sport. Prestations musicales, projections numériques
et animations diverses font de plus en plus partie des programmes des
événements sportifs. Ces propositions destinées à attirer de nouveaux publics
s’inscrivent dans le paysage du sport business. Un point de vigilance tout de même
ici ; potentiellement reléguer l’enjeu sportif et la tradition au second
plan pourrait risquer de ne pas atteindre la cible convoitée. Il faut continuer
à se poser la question du lien entre l’expérience proposée et les valeurs que
l’on souhaite véhiculer.
Le développement du naming
Cette tendance a connu un essor
considérable en France ces derniers temps. Si le naming est souvent associé aux
enceintes sportives, il profite également aux compétitions professionnelles ou
encore aux équipes (cyclisme, voile...) et fait désormais partie intégrante du
modèle économique de ces disciplines, ainsi identifiées à leur partenaire
« namer ». Le naming permet notamment de favoriser le financement du
sport, développer les revenus des détenteurs de droits, diminuer les coûts
d’exploitation, améliorer l’image et la notoriété des marques ou encore nourrir
leur stratégie en multipliant les points de contact avec leurs cibles. En
effet, les marques recherchent aujourd’hui davantage de proximité avec leur
public, mais également plus de réciprocité dans leurs actions. En conséquence,
le naming est en train de passer d’une logique de visibilité pure à une logique
d’engagement plus porteuse de sens avec plus d’humain entre les parties
prenantes. On note aussi le développement de co-naming (les équipes cyclistes
Groupama-FDJ et AG2R-Citroën) et de naming « responsable » (avec par
exemple le cas d’Advens et de son bateau LinkedOut sur le dernier Vendée
Globe).
L’ouverture à l’international
Comme les autres secteurs, le
sport est très mondialisé et constitue un marché hyper concurrentiel. La France
a démontré et continuera à le faire ces prochaines années, sa capacité à
accueillir les grands événements sportifs internationaux (Coupe du Monde de
Rugby France 2023, Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024, entre
autres). Elle capitalise désormais sur cette expertise et s’organise pour
exporter son savoir-faire. En parallèle, des acteurs étrangers prennent
position. Pas moins d’une dizaine de clubs français ont des actionnaires étrangers.
À ce titre, il faut noter que ce sont surtout des acteurs aux objectifs
financiers qui investissent, démontrant l’attractivité du sport français et
permettant au secteur de bénéficier de nouvelles ressources.
L’UEFA
EURO 2020 : une typologie des marques qui préfigure l’avenir du
sponsoring ?
Dans le cadre de la compétition
européenne, SPORSORA a réalisé une infographie recoupant l’histoire de la
compétition, les dotations financières, les droits médias ou encore les
partenaires de cette édition. Si l’on s’attarde sur les six sponsors officiels
de l’UEFA puis ceux de l’Euro, on tombe sur le même schéma. Deux partenaires
« classiques » (Volkswagen et FedEx pour l’UEFA, Coca-Cola et
Heineken pour l’Euro), un partenaire « soft-power » (Gazprom pour l’UEFA
et Qatar Airways pour l’Euro), un partenaire « électronique chinois »
(Hisense pour l’UEFA et Vivo pour l’Euro) et enfin deux acteurs de l’économie
numérique (Alipay et Booking pour l’UEFA et Takeaway et Tik Tok pour l’Euro).
Cela démontre notamment l’arrivée de nouvelles marques, de nouveaux secteurs
d’activité, mais aussi de nouveaux territoires. On a pu constater la même chose
à l’occasion de l’EuroBasket féminin organisé en France et en Espagne en juin
avec des partenaires asiatiques pour la plupart, nouveaux entrants, face à des
partenaires historiques qui restent fidèles. Ainsi, des positions fortes sont
prises en matière de sponsoring et ce sera probablement le cas sur le marché du
sport français rapidement, notamment dans l’optique des Jeux olympiques et
paralympiques 2024.
Il faudra retenir que le sport et
les partenariats sportifs sont des véhicules extrêmement puissants pour les
marques et les entreprises qui peuvent habilement les utiliser à des fins
stratégiques de notoriété, image de marque, business, motivation des
collaborateurs, attraction des talents, responsabilité d’entreprise avec des
taux d’engagement très élevés. Le sport est lié à la passion, l’émotion, la
santé, l’inclusion, l’intégration, l’éducation autant d’enjeux auxquels notre
société est confrontée, c’est ce qui en fait sa force.
Magali Tézenas Du Montcel,
Déléguée générale,
SPORSORA