|
|
|
|
Où il est question d'un président à mortier du Parlement de Bordeaux en sa robe pourpre, nommé Montesquieu |
|
|
|
|
|
|
Charles le Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu (1689 - 1755) |
|
|
Publié le 03/11/2024 à 07:00 |
|
|
|
|
|
Dans un
mémorable discours de rentrée judiciaire prononcé il y a 300 ans, le président
de Chambre, Yves Benhamou, relève les principes fondamentaux d’une parfaite
modernité, qui doivent guider la justice et ses officiants ; principes auxquels
il adhère totalement.
Un président à mortier de cette cour souveraine, vêtu de sa
majestueuse robe pourpre (1), Charles Louis Secondat de Montesquieu, prononce
le discours de rentrée. Car cet illustre philosophe des Lumières, tout
comme un autre homme de lettres aquitain, Michel de Montaigne, a aussi été un
magistrat. À partir de 1714 Montesquieu a été conseiller au Parlement de
Bordeaux puis, en 1716, Président à mortier de ce même Parlement – charge de
judicature qu’il résiliera en juin 1726 – année qui marque son départ de la
magistrature (2).
On
imagine volontiers cette société parlementaire de l’ancienne France, cette « caste
» de magistrats si assurée de son prestige et de son influence. En Aquitaine,
elle occupe la toute première place, possédant d’immenses terres, des hôtels
particuliers, vivant dans l’opulence. L’historien Fernand Braudel l’a décrite
avec une plume étincelante : « À Bordeaux, le puissant, l’orgueilleux
Parlement réunit une société somptueuse, richissime, maîtresse d’une très
ancienne source de revenus : le vignoble bordelais (3) ». Certes, ce
Parlement de province n’a pas les pouvoirs considérables du Parlement de Paris
qui n’aspirait à rien moins qu’à tenir la dragée haute au pouvoir monarchique
et à diriger l’État. Mais comme tous les magistrats des autres parlements de
l’ancienne France, cette société parlementaire bordelaise possède, avec ses
charges de judicature, de redoutables prérogatives, car elle ne rend pas
seulement la justice. Elle a aussi un pouvoir d’enregistrement de la
législation royale, et peut même adresser au roi des « remontrances ». Cette
magistrature incarne aux yeux de beaucoup de ses contemporains, dans sa forme
la plus pure, le corporatisme judiciaire.
Or,
Montesquieu est à rebours de tout sentiment corporatiste. Car dans ce fameux
discours de rentrée, il témoigne d’une haute conception de la justice,
empreinte d’une belle humanité, et brosse avec humilité les devoirs du
magistrat qui conditionnent sa légitimité.
Avec un
verbe limpide et parfois féroce sur la justice de son temps, il y affirme que
l’humanité doit être au cœur de la justice. Il plaide aussi avec éloquence pour
une justice prompte et éclairée.
L’humanité
au cœur de la justice.
Montesquieu
souligne avec force que le juge doit témoigner, vis-à-vis des hommes et femmes
confrontés à la justice, d’une indispensable humanité, d’une attention sans
faille à leur douleur et leur chagrin. Ainsi, il affirme à leur propos avec des
mots très émouvants et lucides : « Leur condition est toujours malheureuse,
parce qu’il leur manque quelque sûreté du côté de leurs biens, de leur fortune
et de leur vie. – Cette même considération doit inspirer à un magistrat juste
une grande affabilité, puisqu’il a toujours affaire à des gens malheureux. Il
faut que le peuple soit toujours présent à ses inquiétudes ; semblable à ces
bornes que les voyageurs trouvent dans les grands chemins, sur lesquels ils
reposent leur fardeau. Cependant, on a vu des juges qui, refusant à leurs parties
tous les égards, pour conserver, disaient-ils, la neutralité, tombaient dans
une rudesse qui les en faisait plus sûrement sortir » [...] « indépendamment de
l’humanité, la bienséance et l’affabilité, chez un peuple poli, deviennent une
partie de la justice (4) ».
Montesquieu
pense ainsi qu’il ne faut pas confondre impartialité et froideur ou
indifférence à la souffrance des hommes. Il a la sereine conviction que
l’humanité doit être consubstantielle à l’acte de juger et qu’elle conditionne
la légitimité du juge. Profondément attaché à cette exigence d’humanité,
Montesquieu stigmatise avec une plume féroce et indignée les hommes qui
instrumentalisent la justice avec de noirs desseins : « Autrefois les gens
de bien menaient devant les tribunaux les hommes injustes ; aujourd’hui ce sont
les hommes injustes qui y traduisent les gens de bien. Le dépositaire a osé
nier le dépôt, parce qu’il a espéré que la bonne foi craintive se lasserait bientôt
de le demander en justice ; et le ravisseur a fait connaître à celui qu’il
opprimait qu’il n’était point de sa prudence de continuer à lui demander raison
des violences. — On a vu (ô siècle malheureux !) des hommes iniques menacer de
la justice ceux à qui ils enlevaient leurs biens... (5) ».
Mais
pour Montesquieu, il ne faut pas seulement que l’humanité soit au cœur de la
justice, il est également nécessaire que le juge rende une justice prompte et
éclairée.
Château de la Brède, domaine de Montesquieu
L’exigence
d’une justice prompte et éclairée.
Montesquieu
n’hésite pas à fustiger d'une plume acerbe, avec des formules ciselées comme
des maximes, la lenteur de la justice et ses conséquences malheureuses : « Il
faut... que la justice soit prompte. Souvent l’injustice n’est pas dans le
jugement, elle est dans les délais ; souvent l’examen a fait plus de tort
qu’une décision contraire (6) ».
Il
évoque aussi, en les déplorant, ces procédures contentieuses complexes et
interminables qui au XVIII ème siècle occupaient des plaideurs sur
plusieurs générations : « ... c'est un état que d’être plaideur. On porte ce
titre jusqu’à son dernier âge : il va à la postérité ; il passe de neveux en
neveux, jusqu’à la fin d’une malheureuse famille (7) ».
Mais la
justice pour Montesquieu ne doit pas être seulement prompte, il lui faut aussi
être « éclairée » c'est-à-dire que le juge est tenu de témoigner d’un culte
exigeant de la vérité pour, dans chaque dossier, démêler le vrai du faux et
rendre une bonne justice.
Cela est
d’autant plus nécessaire que, pour l’auteur de L’esprit des lois, ceux qui
agissent en justice, déploient quelquefois des trésors d’ingéniosité pour
rendre les dossiers plus obscurs et tenter d’éviter que la vérité soit
dévoilée, ou retarder sa révélation : « Les juges se sont toujours trouvés
au milieu des pièges et des surprises, et la vérité a laissé dans leur esprit
les mêmes méfiances que l’erreur. – L’obscurité du fond a fait naître la forme.
Les fourbes qui ont espéré de pouvoir cacher leur malice, s’en sont faits une
espèce d’art : des professions entières se sont établies, les unes pour
obscurcir, les autres pour allonger les affaires ; et le juge a eu moins de
peine à se défendre de la mauvaise foi du plaideur, que de l’artifice de celui
à qui il confiait ses intérêts (8) ». Comme le moraliste Vauvenargues, le
magistrat et philosophe aquitain pense que « La vérité est le soleil des
intelligences » et qu’elle doit sans cesse guider l’action des juges.
Pour
conclure
Bien qu’il
porte la robe pourpre, couleur qui dans la monarchie de l’ancienne France est
le symbole du pouvoir, Montesquieu ne cède jamais aux sirènes du corporatisme
et aux délices de la puissance (9). Dans ce très beau discours, d’un verbe
étincelant et précis, il entend résolument tordre le cou à bien des idées
reçues qui dépeignent les juges des anciens parlements comme animés par un fort
sentiment corporatiste qui les rendraient surtout soucieux de conforter leurs
pouvoirs et leur influence. Bien au contraire mon illustre collègue dans cette
profession de foi qui n’a pas pris une ride et porte une lumière vive et d’une
rare intelligence sur la mission du juge, affirme de manière émouvante que
l’humanité doit être au cœur de la justice, et souligne que le juge perd toute
légitimité quand il ne témoigne pas de compassion pour les hommes et les femmes
qui sont confrontés à la justice et sont si souvent dans le malheur. Il plaide
aussi pour une justice prompte alors même que les plaideurs dans ces
juridictions de l’ancienne France, comparables à des labyrinthes, voyaient
parfois leurs procès se prolonger sur plusieurs générations. Il affirme aussi
l’exigence d’une justice éclairée qui voue un culte exigeant à la vérité. Il
est vrai que cette recherche difficile et belle de la vérité qui est au cœur de
l’acte de juger, conditionne l’impartialité des juges et leur légitimité.
Alors
très souvent quand j’ai revêtu ma robe pourpre avant d’aller à l’audience pour
rendre la justice, j’ai pensé aux sages conseils de mon illustre collègue
Montesquieu qui, récusant tout sentiment corporatiste, plaidait avec éloquence
et humilité pour une justice plus humaine, prompte et éclairée. Son propos est
plus que jamais actuel et résume admirablement ce que doit être la belle
mission du juge.
Yves Benhamou Président de chambre à la cour d’appel de Douai Historien de la justice
1/ Voir
à ce sujet Y. Benhamou, la robe pourpre, Journal Spécial des Sociétés, 2017.
2/ On se référera utilement à la biographie très complète écrite par C.
Volpilhac-Auger, Montesquieu, Folio biographies, éd. Gallimard, 2017, p 119.
3/ F. Braudel, L’identité de la France, coll. Mille & une pages, éd.
Flammarion, 1990, p 79.
4/ Montesquieu, Discours prononcé à la rentrée du Parlement de Bordeaux, 1725,
in Œuvres complètes, tome 1, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1949, p 47.
5/ Montesquieu, Discours prononcé à la rentrée du Parlement de Bordeaux,
op.cit, p 46.
6/ Montesquieu, Discours prononcé à la rentrée du Parlement de Bordeaux,
op.cit, p 46.
7/ Montesquieu, Discours prononcé à la rentrée du Parlement de Bordeaux,
op.cit, p 46.
8/ Montesquieu, Discours prononcé à la rentrée du Parlement de Bordeaux,
op.cit, p 45.
9/ Voir sur ce point Y. Benhamou, Brèves remarques sur l’origine de la couleur
rouge de la robe que portent divers magistrats de l’ordre judiciaire, in
Journal Spécial des Sociétés, n°33, 8 mai 2018, p 19. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Des hauts et des bas semblent toujours avoir existé en matière de Justice, et c'est encore très souvent le cas de nos jours ! C'est donc à douter de la capacité des Humains à rendre une justice juste. Et ce ne sont pas les temps qui courent qui vont permettre d'améliorer la situation !! Cependant gardons l'espoir, lequel aide à vivre.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|