Les laboratoires pharmaceutiques ont le devoir
d’assurer une permanence nationale d’approvisionnement pour certains
médicaments. Les autorités de contrôle ont dû sévir à l’encontre de ceux qui ne
respectaient pas cette mission vitale.
A la suite d'une gestion inédite du nombre de ruptures de stocks de médicaments au cours
de l’année 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits
de santé (ANSM) a infligé, en septembre dernier, 8 millions d’euros de
sanctions financières à l’encontre de 11 laboratoires pharmaceutiques qui ont
manqué à leur obligation de constituer un stock de 4 mois pour certains
médicaments destinés au marché français. L’Agence entend, en effet, enrayer la
fréquence des pénuries de médicaments, synonymes de perte de chance pour les
patients. Quitte à accentuer les sanctions qui pèsent sur les labos.
Des stocks de sécurité pour les Médicaments d’intérêt
thérapeutique majeur
Depuis
septembre 2021, la loi prévoit que les médicaments d’intérêt thérapeutique
majeur (MITM) font l’objet d’un stock de sécurité de 4 mois minimum s’ils ont
été en rupture(s) ou risqué de l’être au cours des deux années précédentes. Si
tel n’a pas été le cas, le stock est de deux mois pour les MITM. Une mesure de
précaution qui concerne 748 médicaments.
Cela
implique qu’à tout moment, un laboratoire soumis à cette contrainte doit
pouvoir justifier d’un stock de sécurité de 4 mois pour le MITM concerné. Comme
le précise l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de
santé (ANSM), « ce stock de sécurité
est vivant : sans cesse renouvelé, il peut être mobilisé à tout moment
pour couvrir les besoins des patients ».
Par
ailleurs, tous les deux ans, l’ANSM procède à un toilettage de la liste des
MITM en vue d’identifier ceux pour lesquels le seuil du stock de sécurité doit
passer à 4 mois. À chaque fois, les laboratoires pharmaceutiques concernés ont
six mois à compter de la réception de la décision pour constituer les réserves
mentionnées. On constate une augmentation significative du nombre de MITM en
raison de la progression constante, depuis 2018, des déclarations de rupture ou
de risque de rupture.
Mettre en œuvre des plans de gestion des pénuries
Par
ailleurs, toujours pour les MITM, les laboratoires pharmaceutiques sont tenus
d’élaborer et de mettre en œuvre des plans de gestion des pénuries dont l'objet
est justement de prévenir et de pallier les ruptures. Évidemment, tout risque
ou toute rupture de stock d’un MITM doit être déclaré à l’ANSM. Parallèlement,
les laboratoires pharmaceutiques doivent déployer, en accord avec l’Agence, des
actions destinées à éviter ou, à tout le moins, à réduire la période de pénurie
et ses incidences. Il s’agit notamment d’informer les professionnels de santé
et les patients, d’instaurer un contingentement quantitatif et/ou qualitatif
(priorisation de l’utilisation pour certains patients…) ou encore, d’adapter
les circuits de distribution.
Si
ces inflexions ne peuvent être mises en œuvre ou s’avèrent insuffisantes,
d’autres, complémentaires, sont envisageables après évaluation et autorisation
de l’ANSM. En particulier, l’importation ou l’adaptation des conditions de
fabrication.
A
noter que l’Agence est également habilitée à effectuer des inspections auprès
des laboratoires pharmaceutiques afin de vérifier qu’ils sont dotés de systèmes
de détection des ruptures et des risques de rupture ainsi que d’une procédure
de gestion et de suivi des stocks.
Des sanctions qui se veulent dissuasives
On
comprend aisément la finalité de cet arsenal législatif : sécuriser
l’approvisionnement des MITM et permettre aux acteurs de la chaîne du
médicament d’avoir plus de temps pour se retourner et prendre leurs dispositions
si une rupture se profile. C’est pourquoi, au regard de cet enjeu de santé
publique crucial, les laboratoires qui ne respectent pas ces injonctions
encourent des sanctions financières loin d’être marginales. Celles-ci sont
décidées et infligées par l’ANSM, laquelle exerce, en la matière, une mission
de contrôle et de police sanitaire. Elle intervient dans le cadre d’une
procédure contradictoire lors de laquelle elle interroge l’ensemble des
laboratoires concernés et vérifie l’état de leurs stocks de sécurité.
Les
montants des amendes sont proportionnels à la gravité des manquements
constatés. Depuis le 1er octobre 2022, ils ont été durcis et donc
revus à la hausse. Ainsi, actuellement, le maximum légal, spécifié dans les
articles L.5471-1 et R.5471-1 du Code de la santé publique, s’élève, selon la
nature du manquement :
- de
15 000 ou 150 000 euros pour une personne physique ;
- à 30 % du chiffre d’affaires du produit ou du groupe de produits
concernés réalisé lors du dernier exercice clos dans la limite de 1 million
d’euros pour une personne morale.
Comme
le rappelle l’ANSM, « si le prononcé
d’une sanction financière répond au double objectif d’effectivité et de
répression, ce dernier lui confère également un caractère dissuasif à la fois
individuel et général vis-à-vis de l’ensemble des opérateurs ».
Les cinq éléments du calcul de l’amende
La
fixation de la sanction se fonde d’abord sur un montant de base afin « d’assurer
la prévisibilité et la lisibilité des décisions de sanction financière, en
évitant le recours à une personnalisation excessive », justifie l’ANSM
qui a souhaité opter pour « une approche forfaitaire ». Ledit
montant de base est déterminé selon trois niveaux d’importance dont la cotation
varie de 1 à 3. Ensuite, s’ajoutent des modulations au regard de critères
formalisés :
- en
premier lieu, est prise en considération la nature intrinsèque du manquement ;
- l’agence tient également compte, d’une part, de la gravité des faits (gravité
des effets indésirables, criticité des évènements résultant de la réalisation
du manquement, report vers une autre spécialité pharmaceutique en cas de
rupture de stock, etc.) et de leur impact en termes de santé publique (lequel
est distinct de la nature et de l’étendue du préjudice qu’ont pu subir les
personnes victimes du manquement) ; d’autre part, du fait que le
manquement ait empêché ou pas la prise de mesure en temps utile par l’ANSM ;
- la sanction fait, ensuite, l’objet d’une personnalisation au regard des
éléments propres au comportement de l’entreprise. En clair, le but est de tenir
compte des circonstances atténuantes (degré de diligence et de coopération de
l’entreprise dans la détection et la cessation du manquement ainsi que dans la
mise en œuvre de mesures correctives), aggravantes (tout obstacle opposé par
l’entreprise ou son manque de diligence y compris dans la mise en œuvre de la
procédure de sanction, caractère délibéré du manquement ainsi que sa répétition
et sa fréquence) ou exceptionnelles (extérieures à l’action de l’entreprise
ainsi que les cas de force majeure). L’Agence procède à une appréciation au cas
par cas ;
- le législateur a fait d’éventuelles réitérations des manquements un critère
qui pèse lourd. En effet, l’article L.5312-4-1 du Code de la santé publique
énonce que « les montants de la sanction financière et de l'astreinte (…) tiennent
compte, le cas échéant, de la réitération des manquements sanctionnés dans un
délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de
sanction est devenue définitive ». L’importance conférée à ce facteur « vise à garantir l’effet dissuasif et répressif de la
sanction », insiste l’ANSM. Si bien qu’en cas de récidive, le montant
de la sanction peut être majoré ;
- enfin, un ajustement de la sanction est possible au regard du maximum légal
encouru et de la capacité contributive de l’entreprise. Là, les difficultés
rencontrées individuellement par cette dernière peuvent être prises en compte.
Néanmoins, la société doit en apporter la preuve par écrit et de manière
motivée au cours de la procédure contradictoire. Si les éléments qu’elle
fournit attestent de manière fiable et objective ses dires, une réduction de
l’amende peut être accordée par l’Agence.
Des sanctions financières bientôt fortement
aggravées ?
Ce
mécanisme est repris et aggravé dans le Projet de loi de financement de la
Sécurité sociale (PLFSS) 2025, actuellement débattu au Parlement. Les
parlementaires et le Gouvernement veulent en effet sévir davantage en portant
le plafond de la pénalité à 50 % du chiffre d’affaires du produit ou du
groupe de produits concernés réalisé lors du dernier exercice clos dans la
limite de 5 millions d’euros pour les laboratoires fautifs.
Sachant
que le tout est susceptible d’être assorti d’astreintes journalières pour
chaque jour de rupture d’approvisionnement constaté. Lesquelles peuvent
atteindre 20 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé, en France,
par l’entreprise au titre du dernier exercice clos pour le produit considéré,
puis 30 % (dans la limite de 1 million d’euros) en cas de récidive. Là
encore, le PLFSS suggère un sérieux tour de vis en passant à 50 % du
chiffre d’affaires journalier.
« On se focalise sur la responsabilité
industrielle des laboratoires »
« Le problème, c’est que les textes ne
contiennent pas de mesure particulière nouvelle pour améliorer la gestion des
flux et prévenir les ruptures,
déplore Maître Aude Vidal, avocate associée au sein du cabinet ELSI Avocats,
spécialisée dans le secteur de la santé humaine et vétérinaire. Encore une fois, nous ne sommes que dans le
durcissement des sanctions, ce qui pose la question de leur proportionnalité.
La coercition ne résoudra pas le problème. L’origine de l’augmentation
constante du nombre de ruptures de stocks a des causes multiples et mondiales,
qu’il s’agisse de la pénurie de matières premières ou de dysfonctionnements
dans les chaînes de production. »
Alors,
quelles seraient les pistes à exploiter ? « Instaurer une large concertation interministérielle, notamment
entre les ministères de l’Économie et de la Santé, afin de coconstruire une
logique de gestion de crise, répond Maître Aude Vidal. Se focaliser exclusivement sur la responsabilité industrielle des
laboratoires n’est pas la solution et il eut été préférable d’activer tous les
mécanismes d’incitation, en particulier de fabrication en France, de
diversification des sources, mais également d’adaptation des prix. Il
conviendrait de revaloriser celui des produits matures, de type Amoxicilline ou
Paracétamol, qui sont depuis longtemps sur le marché afin de les rendre plus
attractifs et d’éviter que des firmes privilégient l’approvisionnement de
territoires où le prix de vente des médicaments est plus élevé et permet une
rentabilité minimale. Le renforcement et l’amélioration des flux d’information
avec les autorités afin d’anticiper le plus en amont possible les risques de
rupture de stocks n’est pas non plus au programme de cette loi de
finance. »
Alexandre Terrini
Pi+