Le Festival des Alternatives
accueillait l’ancien ministre, vendredi 22 novembre à Pantin, pour une
conférence autour de l'Economie Sociale et Solidaire en Seine-Saint-Denis. L’occasion pour Benoît Hamon de revenir sur la loi
qu’il avait portée en 2014, mais également d’alerter sur la situation
actuelle de l’ESS, qu’il craint menacée par le projet de loi de finances 2025.
« Quand
on observe la France aujourd’hui, on remarque qu’il y a peu de choses qui sont
copiées ailleurs. Pourtant, la loi ESS a été adoptée comme modèle dans de
nombreux pays pour sa reconnaissance de l’économie sociale et solidaire et des
outils qu’elle a mis en place pour en favoriser le développement ». Benoît
Hamon est arrivé essoufflé et légèrement en retard, mais son introduction donnait le ton.
L'ancien ministre était particulièrement attendu, ce vendredi 22 novembre, par le public
du Festival des Alternatives, lors de sa conférence sur le
thème « Économie sociale et solidaire (ESS) en Seine-Saint-Denis : 10 ans
de soutien, et après ? », dans le cadre du mois de l’ESS.
10 ans après l’adoption
de sa loi éponyme, Benoît Hamon, aujourd'hui président d’ESS France, a livré son ressenti sur l’état de l'économie sociale et solidaire. « C’est une vraie satisfaction de voir qu’une loi
élaborée avec les acteurs de l’ESS est [toujours] reconnue comme un tournant pour la France. C’est
utile, et je dois le dire, ça me rend heureux », s'est-il réjoui devant
les commerçants solidaires et les politiciens qui composaient
son audience.
Benoît Hamon
a toutefois invité à garder un regard critique sur cette loi : « Il ne faut pas faire
preuve de fétichisme envers un texte », a-t-il affirmé, admettant que
ce dernier « n’est pas parfait ». Selon l’ancien ministre délégué
à l’Économie sociale et solidaire et à la Consommation, le manque de soutien
politique a nuancé l’impact de cette réforme : « Quand bien même les
modèles de l’ESS apparaissent particulièrement bien adaptés aux enjeux du
dérèglement climatique ou de la lutte contre les inégalités sociales, sans
volonté politique pour soutenir une loi et sans moyens budgétaires pour
accompagner cet effort, il ne se passe pas grand-chose ».
Autre
sujet de préoccupation, pour l'ancien député : le contexte politique actuel lié à l’adoption du Projet de loi de finances pour 2025. Un
budget qui pourrait fragiliser davantage les acteurs de l’ESS.
« 186 000
suppressions d’emplois l’année prochaine »
La première grande
répercussion qui inquiète Benoît Hamon serait les suppressions de postes
envisagées par le Gouvernement : « Dans de nombreux territoires, vous
trouvez des crèches associatives, une maison de retraite mutuelle, une épicerie
solidaire, un club de foot amateur, un établissement culturel non lucratif,
etc. Ce sont ces acteurs issus de l’initiative citoyenne, qui répondent à des
besoins sociaux essentiels – ce que j’appelle le dernier kilomètre de l’intérêt
général – qui sont aujourd’hui menacés par le projet de loi de finances préparé
par le gouvernement et le président de la République », a-t-il mis en garde.
Pour le conférencier, cette
menace est d’autant plus concrète que, « selon l’Union des employeurs
de l’Économie Sociale et Solidaire (UDES), cela entraînerait la suppression de
186 000 emplois dès l’année prochaine ». Une perspective alarmante que
les pouvoirs publics ignoreraient largement, contrairement aux autres secteurs
: « On parle beaucoup des plans sociaux dans l’industrie, des dizaines de
milliers de suppressions de postes, c’est spectaculaire et révoltant, mais on
passe sous silence les milliers d’autres personnes concernées par ces 186 000
suppressions ».
Avant de rappeler
l’importance de ces acteurs pour les territoires les plus fragiles : « Parmi
ce dernier kilomètre de l’intérêt général, dans quels territoires nous nous
trouvons ? Dans des endroits où le service public n’est plus qu’un souvenir et
où l’activité privée conventionnelle est quasi inexistante. Heureusement que
l’économie sociale et solidaire est encore là pour soutenir ces zones ».
Benoît
Hamon a également déploré les conséquences désastreuses qu’aurait une telle
fragilisation : « Si l’on détruit ce dernier kilomètre, les populations
vivant dans ces territoires – qu’ils soient ruraux ou urbains, peu importe –
recevront un message clair : vos conditions de vie et votre accès aux droits
fondamentaux ne nous intéressent pas. On proclame des droits fondamentaux, mais
on abandonne les moyens de les rendre accessibles. (…) Cela risque
d’entraîner de la violence, du désordre et des inégalités supplémentaires chez une
population solidaire mais que l’on fragilise ».
Michel Barnier déjà au
courant des répercussions du PLF 2025
Des conséquences ignorées par
l’exécutif ? Benoît Hamon a souligné avoir déjà alerté le Gouvernement sur
les conséquences du projet de loi de finances 2025 : « Tout ça, on
l’a dit à Michel Barnier, au ministre de l’ESS ». Mais la réponse obtenue ne
le rassure visiblement pas : « Pour tout vous dire, le budget n’est pas fait
du tout » lâche l’homme politique, haussant les épaules. Il mentionne également
que des élus de divers horizons politiques ont été sensibilisés à ce sujet : «
Nous avons été aussi entendus par des parlementaires, de gauche comme de
droite, qui ont regardé les conséquences du budget sur notre secteur et on a de
véritables inquiétudes sur ce que seront les conséquences de ce budget 2025 ».
« Des répercussions terribles ». De l'avis de l’ancien ministre de l’Éducation Nationale, le PLF 2025 provoquerait
un véritable désastre pour l’Économie sociale et solidaire s’il était adopté en
l’état. « Vous allez me dire : on pourrait dépendre plus de
l’argent public, mais dans les faits, on en profite beaucoup moins que
l’économie conventionnelle car on ne bénéficie pas de crédit d’impôt comme eux,
ou des innombrables niches fiscales qui leur profitent ». Selon lui, des mesures comme des suppressions de subventions directes de l’État aux
acteurs de l’ESS ou des aides des collectivités locales se « répercuteront
forcément sur les acteurs de l’ESS » et risquent de « fragiliser
l’ensemble des moyens qui permettent de créer des activités ».
Le 49.3, « une épée de
Damoclès »
« Désolé de plomber une
journée déjà froide, mais ça c’est aussi la réalité avec laquelle on compose,
et quand les temps sont sombres il ne faut pas faire semblant qu’il y a du
soleil », a conclu l’ancien candidat à la présidentielle 2017.
Même si le projet de loi de
finances semble encore loin d’être adopté dans sa forme actuelle, Benoît Hamon
a exprimé sa méfiance face à l’éventualité d’un recours au 49.3, qu’il perçoit
comme une épée de Damoclès. « Si
le gouvernement décide de faire passer le texte par la force, cela fera passer
ce budget qui a les conséquences que j’ai listées. Est-ce que Michel Barnier
changera d’avis ? Je ne le sais pas, mais je n’ai reçu aucun signal positif
pour l’instant ».
Romain
Tardino