Dans
un rapport, la haute juridiction financière salue un dispositif « simple »
et « compréhensible », dont l’effet a été « très positif »
sur la trésorerie des entreprises, les liquidités ayant permis de faire face à
la crise. Toutefois, le retour à la croissance lui semble « contrasté ».
Un quart des entreprises ayant opté pour un remboursement long craignent de ne
pas pouvoir rembourser leur PGE, et la Cour pointe la situation financière
« extrêmement fragile » de certains entrepreneurs individuels.
Le 25 juillet, la Cour des
comptes a publié un rapport sur les
prêts garantis par l’État. Principal dispositif de soutien aux entreprises
pour faire face à la crise sanitaire, les PGE ont été accordés par les banques
jusqu’au 30 juin 2022, garantis entre 70 % et 90 % par l’État, et plafonnés à 25 % du chiffre
d’affaires annuel. Dans son étude, la haute juridiction financière, qui se donne
pour objectif d’évaluer la mise en œuvre et le bilan de cette politique
publique, reconnaît en premier lieu que les PGE « se sont déployés particulièrement rapidement en France », « plus que dans d’autres
pays », ce qu’elle
qualifie de « réussite indéniable ». En effet, si
les processus internes de certaines banques ont été jugés parfois « un peu lents », surtout dans
les premiers jours de la pandémie, sur les 137 milliards d’euros accordés à plus de 660 000 entreprises
en décembre 2021, 70 % ont été
octroyés dès juin 2020.
Un dispositif « simple
» doublé d’un processus jugé « fluide »
Cette efficacité, la Cour la met notamment sur le compte
d’un dispositif « simple et aisément compréhensible », ce qui
a facilité « la communication massive » à son sujet, lui
permettant de s’imposer facilement. La haute juridiction financière juge par
ailleurs « pertinent » le choix de distribution par les
banques, « très proactives » Bien que les conseillers bancaires,
formés alors qu’ils étaient en télétravail, avaient parfois une connaissance « encore
imparfaite » du dispositif au début de la crise sanitaire, ils ont,
d’une façon générale, réussi à traiter les sollicitations « comme des
prêts classiques ». En outre, la Cour affirme que le processus de
demande en ligne d’attestation de garantie auprès de Bpifrance s’est avéré « fluide »,
comme l’ont rapporté les entreprises sondées. L’intervention de la banque
publique d’investissement, intermédiaire capable de traiter des garanties à
grande échelle, a été un « facteur de sécurisation » - bien
que les systèmes d’information de Bpifrance permettant de gérer les garanties doivent
« continuer à être améliorés », estiment les rapporteurs. Ces
derniers recommandent ainsi que soient menées à leur terme les évolutions des
systèmes d’information de l’organisme de financement, afin « d’automatiser
le contrôle des garanties, respecter le délai de versement aux banques et
accélérer l’actualisation des données dans la base des PGE ».
La haute juridiction financière souligne en outre que la
France propose l’un des systèmes « les plus avantageux d’Europe » pour
les entreprises, avec un taux d’intérêt incluant la prime de garantie de
0,25 % la première
année, et de 1 % à 2,5 % les années suivantes. Elle met aussi en avant un taux
d’obtention des prêts garantis par l’État nettement
supérieur à ceux habituellement constatés pour les crédits de trésorerie : 97 % contre 71 % usuellement. Les rares refus ont été généralement motivés par
un endettement préalable important. Toutefois, certaines entreprises
interrogées ont fait part de la « frilosité des banques » à
accorder des crédits à des entreprises jeunes, de difficultés rencontrées quand
plusieurs banques intervenaient dans le PGE, ou encore de désaccords sur les
modalités.
La Cour des comptes note encore que le prêt garanti par
l’État
est un dispositif souple : les
entreprises ont bénéficié automatiquement d’un différé d’un an, puis, au
printemps 2021, ont pu choisir entre un an de différé supplémentaire ou
démarrer les remboursements. Problème, indique-t-elle, cela s’est fait au
détriment de la visibilité, pour les entreprises, sur le montant réel qu’elles
devaient rembourser. « La plupart d’entre elles ont en effet reçu
les sommes prêtées au printemps 2020, sans connaître les taux auxquels elles
devraient les rembourser. Les taux d’intérêts pratiqués par les banques n’ont
été en effet définis qu’au printemps 2021. Par ailleurs, l’augmentation dans le
temps du coût de la garantie n’a pas toujours été explicitée au moment de la
souscription des prêts ».
Un impact sur la situation des entreprises
positif, à court terme
La Cour des comptes le note, fin mars 2021, 3,5 millions d’entreprises sur 6,6 millions avaient bénéficié d’au moins une des quatre
mesures de soutien financier mises en œuvre par le Gouvernement – activité
partielle, reports de cotisations sociales, fonds de solidarité et prêts
garantis par l’État. Si le PGE constitue un dispositif un peu moins utilisé
(contrairement à l’activité partielle et au fonds de solidarité qui sont des
dispositifs de subvention, il engendre une dette pour l’entreprise qui devra
être remboursée), le soutien en trésorerie qu’il apporte est « nettement
supérieur à celui des autres aides », observe la juridiction
financière.
Alors, à qui a-t-il bénéficié ? Selon les
rapporteurs, les TPE et les PME représentent respectivement 88 % et 6 % des
bénéficiaires de prêts garantis par l’État, en majorité
dans les secteurs du commerce, des activités spécialisées, scientifiques et
techniques, de construction et d’hébergement-restauration, et concentrent 75 % des montants de prêts octroyés. Il s’agit d’entreprises qui
ont subi une baisse de leur chiffre d’affaires « très marquée » :
13% en moyenne, notamment pour les sociétés de moins de cinq salariés et de
plus de 250 salariés. « Pour un peu plus d’un quart des
entreprises interrogées dans le cadre de l’enquête quantitative, le PGE a été
un moyen de faire face à d’importants problèmes financiers liés à la crise
(manque de clients, difficultés de financement…). Les fonds ont été
essentiellement consommés pendant les périodes de fortes baisses de chiffre
d’affaires, plutôt que de manière continue », recense la Cour. Le
rapport établit effectivement un « effet massif et très positif sur la
trésorerie des entreprises », avec « des liquidités qui ont permis de
faire face à la crise » .
Ces dernières ont permis de couvrir les pertes des
entreprises et donc de leur éviter d’être à court de liquidités. « A
aucun moment,
depuis le début de la crise sanitaire, n’ont été observés une baisse et un essoufflement de la trésorerie des
entreprises, qui s’est même très fortement accrue pendant le deuxième trimestre 2020?sous l’effet de
la distribution des PGE et du report de certaines charges », avance la haute juridiction financière. 78 % des
bénéficiaires ont ainsi vu leur trésorerie s’accroître en 2020. Une grande
majorité des interrogés admettent que le prêt garanti par l’État
a permis d’assurer une trésorerie de précaution. De nombreuses entreprises
indiquent avoir utilisé leur prêt pour faire face aux dépenses courantes
urgentes – paiement des salaires, des loyers, des emprunts et une partie des
entreprises a choisi de garder le prêt en trésorerie.
La Cour des comptes salue donc un « soutien
efficace du financement de l’économie » : le « credit crunch » a été évité, les
liquidités sont abondantes. Leur ampleur a
permis de « maintenir un
climat de confiance et, malgré la contraction de l’activité économique en 2020,
il n’y a pas eu en France de restriction de l’offre de crédit ».
À moyen terme, des difficultés pour certaines
entreprises
Fin
2021, toutefois, le retour à la croissance semble « contrasté ».
D’après le sondage réalisé par la Cour à l’automne 2021, 56 %
des entreprises bénéficiaires ont déclaré avoir retrouvé leur niveau d’activité
d’avant crise. Près d’un quart d’entre elles ont même indiqué avoir un niveau
d’activité supérieur, et 88 %
ont déclaré des effectifs proches de 2019. Néanmoins, selon la haute
juridiction financière, « ces constats globalement positifs masquent
une importante hétérogénéité des situations », avec des difficultés
concentrées en Île-de-France, où 54 %
des entreprises n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant crise, mais encore plus
pour les gérants sans salariés et dans le secteur de l’hébergement et de la
restauration. La crise a également accru les fragilités des entreprises qui
étaient en mauvaise situation financière :
55 % d’entre elles
n’avaient pas retrouvé mi-2021 leur activité de 2019.
Autre
point de préoccupation : l’étalement des remboursements, qui pourrait
apporter son lot de difficultés. En effet, plus de 50 %
des entreprises ayant eu recours aux prêts garantis par l’État ont opté pour
une année de différé supplémentaire, et plus des deux tiers ont choisi d’étaler
leurs remboursements jusqu’en 2026. Or, une grande partie des entreprises qui
ont choisi de repousser le remboursement de leur prêt jusqu’en 2026?sont celles
qui, avant la crise, étaient financièrement les plus fragiles. « Parmi
les entreprises qui ont opté pour un remboursement en 2026, 22 %
d’entre elles craignent ne pas pouvoir rembourser leur PGE », s’inquiète
la Cour des comptes. Plusieurs « n’envisagent pas de retrouver leur
niveau d’avant crise avant 2022 au mieux, et paraissent parfois peu préparées à
faire face à la charge de l’encours de dette ». Même si les entreprises
qui ont choisi d’amortir leur prêt garanti par l’État avec des dates
d’échéances longues ont opéré « des choix globalement cohérents »
avec leur capacité de remboursement, les rapporteurs pintent « des
incertitudes » concernant leur sort futur.
En
outre, la Cour tire la sonnette d’alarme : la situation pourrait s’avérer
compliquée pour les entreprises les plus en difficulté avant la crise, qui
présentent des mensualités élevées en comparaison de leur chiffre d’affaires.
Ces bénéficiaires peuvent cumuler, avec l’apurement des dettes sociales, des
charges représentant « près de 9 %
de leur chiffre d’affaires de 2019 ».
La
juridiction pointe par ailleurs un risque d’émergence de situations
individuelles problématiques. Son enquête a révélé la situation financière « extrêmement
fragile » de certains entrepreneurs individuels, exposés à « de
graves difficultés », en particulier la mise en jeu de leur patrimoine
personnel sur leurs autres lignes de crédits bancaires. Parmi les bénéficiaires
des prêts garantis par l’État, 19 %
sont ainsi des EI qui représentent 3 %
des prêts en valeur. Même si le Gouvernement a pris plusieurs dispositions pour
améliorer leur protection, « dans l’état actuel du droit, certains
entrepreneurs individuels risquent la saisie de leurs biens personnels voire de
leur patrimoine immobilier ».
Dernière
chose : certains bénéficiaires seraient « insuffisamment préparés
au remboursement de leur PGE », tique la Cour. Les entreprises lui
paraissent parfois « peu préparées à faire face à la charge de
l’encours de dette ». Parmi les entreprises qui ne savent pas si elles
auront des difficultés pour rembourser le PGE, plus de la moitié ne prévoient
pas de plan de financement prévisionnel.
Bérengère Margaritelli