Le 27 mai 1234, le roi
Louis IX, âgé de 20 ans, se marie à Sens avec la fille aînée du comte
Raimond-Bérenger IV de Provence, Marguerite, âgée de 14 ans. La cérémonie,
organisée par l’évêque Gautier Cornu, qui donne la bénédiction nuptiale, se déroule
dans la cathédrale sénonaise. Il est prévu que les jeunes époux doivent passer
leur nuit de noces dans le palais royal local, qui accueille depuis 1190 le
bailliage mis en place en 1184 par Philippe Auguste, grand-père du roi. Le
bailliage de Sens, ayant autorité sur la prévôté, est le plus ancien de France.
À l’époque, l’Église recommande
de respecter « les nuits de Tobie ». L’épisode des « nuits de
Tobie » figure dans la Bible, dans le livre de Tobie qui narre le décès de
jeunes mariés qui meurent lors de la nuit de noces avec Sara car ils
s’intéressent plus à la sensualité et au désir physique qu’au désir d’avoir des
enfants dans le respect de Dieu. Dans ce livre de l’Ancien Testament, un ange
suggère à Tobie d’épouser Sara. Mais Tobie répond à l’ange (Tob. 6-14) :
« J’ai ouï dire qu’elle avait déjà
épousé sept maris, et qu’ils sont tous morts et l’on m’a dit encore qu’un démon
les avait tués ». L’ange réplique (Tob. 6-18) : « Lorsque tu l’auras épousée, étant entré dans
la chambre, vis avec elle en continence pendant trois jours, et ne songe à
autre chose qu’à prier Dieu avec elle ». Tobie s’adresse ensuite à sa
jeune épousée (Tob. 8-4) : « Sara,
lève-toi, et prions Dieu aujourd’hui, demain et après-demain ; durant ces
trois nuits nous serons unis à Dieu, et, après la troisième nuit, nous vivrons
dans notre mariage ».
Louis IX et Marguerite, à
l’issue des festivités, rejoignent le palais de Sens et la chambre nuptiale.
Mais ils respectent les « nuits de Tobie » et passent donc les trois
premières nuits en prière sans se coudoyer et sans consommer le mariage. Leur
véritable nuit de noces se déroule au soir du quatrième jour. L’anecdote est
connue grâce à Guillaume de Saint-Pathus, confesseur de la reine Marguerite
pendant 18 ans, qui rapporte la scène au seizième chapitre de sa
chronique : « il prist femme
l’aisnee fille au conte de Prouvence, c’est a savoir ma dame Marguerite. Et
quand li benoiez rois fu sacreement avecque li, cil qui fu enseignié du conseil
du grant ange du conseil, c’est du benoiet Filz Dieu, et fu enfourmé de
l’essample de Thobie, avant que il atochast a li, il se mist a ouroison iij
nuiz et li enseigna a fere aussi en oroisons ainçois que il aprochast, si comme
la dite dame recorda après ».
Démembré au fil du temps par la
création d’autres juridictions (Troyes par exemple), le bailliage de Sens
connaît, au titre de « l’Ordinaire », les affaires d’une centaine de
prévôtés, de 24 bailliages, de 289 justices seigneuriales. Le palais
du bailliage sénonais est agrandi à la Renaissance afin d’accueillir en outre
le Présidial créé par Henri II en 1551.
Ce palais existe toujours.
C’est l’actuel palais de justice de Sens (Yonne), ayant plus de 400 ans
dans sa configuration visible, qui héberge le tribunal judiciaire. La légende
veut que le bureau de la présidente ou du président du tribunal se trouve à
l’emplacement de la chambre nuptiale de Saint Louis. En tout cas, ce bureau,
désormais occupé par deux magistrats, est souvent présenté aux visiteurs comme
la chambre à coucher du Saint roi. Il est fort possible, voire probable, que
cette pièce principale ait été aménagée au XVIe siècle à cet endroit
précis fort symbolique.
En 1770, la jeune princesse
d’Autriche, l’archiduchesse Marie-Antoinette, âgée de 14 ans, quitte le
palais autrichien de la Hofburg à Vienne et rejoint la France afin d’épouser le
dauphin. Le duc de Berry, futur Louis XVI, est âgé de 16 ans ; elle
l’a déjà épousé par procuration le 19 avril. Elle doit retrouver la
famille royale à Compiègne le 14 mai et se marier dans la chapelle royale
du château de Versailles le 16 mai.
Accompagnée par la comtesse de
Noailles qui l’a prise en charge à Strasbourg, elle fait étape à Bar-le-Duc le
10 mai 1770. Le duché de Bar et celui de Lorraine sont définitivement
rattachés à la France depuis la mort de Stanislas Leszczynski en 1766. Les
édiles barrois accueillent la princesse dans leur Hôtel de ville et lui
réservent la plus belle chambre, donnant sur la place Saint-Pierre, disposant
d’un balcon aux ferronneries forgées par Jean Lamour, concepteur en 1751 des
célèbres grilles de la place Stanislas à Nancy.
Cet Hôtel de ville est en
réalité l’Hôtel de Florainville, un joli bâtiment de la Renaissance construit
vers 1560, occupé par la famille de Florainville, originaire de Luxembourg et
proche des ducs de Bar, puis par le baron de Meuse. La Ville de Bar l’a acquis
en 1752. Il accueille la municipalité jusqu’à la Révolution et sera ensuite
transformé en musée.
En 1949, le tribunal de grande
instance et la Cour d’assises sont transférés dans cet édifice, qui devient et
est toujours le Palais de Justice de Bar-le-Duc. Le bureau du président du
tribunal est aménagé dans la pièce ayant servi de chambre à coucher princière
lors du passage de Marie-Antoinette. Un portrait de l’archiduchesse accroché au
mur du bureau rappelle cet épisode.
Dans certains Palais de Justice
français où siègent des chambres civiles et des chambres correctionnelles,
l’institution judiciaire républicaine, le patrimoine et l’histoire de la
monarchie française se conjuguent parfois dans des chambres… à coucher,
occupées par des magistrats assis.
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire