Il est manchois et parisien. Dandy et romanesque. Buveur et
séducteur. Ultramontain et ultra mondain. Catholique et, dans ses écrits, pas
toujours très catholique.
Jules Barbey d’Aurevilly naît en 1808?à
Saint-Sauveur-le-Vicomte (Manche). Sa mère est la fille du dernier bailli de
Saint-Sauveur. Un avocat et un procureur figurent parmi ses aïeux.
Il fait des études de droit et choisit comme sujet de
thèse « Des causes qui suspendent le cours de la prescription ».
Il écrit à un ami : « Je m’appelle Barbey,
non le chien mais le Poisson, et je le porte dans mes armes ». On
trouve en effet sur son blason, outre trois besants d’or, deux barbeaux.
Porteur d’une redingote cintrée, il entreprend une vie
parisienne mondaine et fréquente les salons. Ses costumes interpellent.
Charles-Augustin Sainte-Beuve écrit : « Dans un temps où rien ne
paraît plus ridicule, il a trouvé moyen de le redevenir. Un homme sensé
rougirait de traverser Paris avec lui, même au temps du carnaval ».
Contempteur de la République en laquelle il voit « le
triomphe du tas, en proie à la vermine de la démocratie », il déteste
le suffrage universel, « une aberration ». Il déteste la
Révolution de 1789?et admire les chouans.
Lorsqu’il publie Une vieille maîtresse, il est taxé
d’immoralité. Il s’en défend, affirmant que peindre les passions et le vice est
parfaitement compatible avec le catholicisme, et dénonçant « les pédants
de moralité bêtes qui ne veulent pas qu’on touche bravement aux choses du cœur ».
Il se découvre journaliste, collaborant à une trentaine de
journaux et écrivant 1 300?articles consacrés à l’actualité littéraire, souvent
polémiques, parfois violents, toujours impertinents. Sommités littéraires et
« gloires usurpées » sont égratignées voire éreintées par sa
plume acerbe.
Il combat les lois d’amnistie visant les communards,
appelant à la répression et à la punition.
Il méprise les membres de l’Académie française, y compris
Victor Hugo dont il fustige Les Misérables qui « ne sont pas
un beau livre mais une mauvaise action ». Hugo réplique par des
vers : « Et l’ombre sera tiède, et nous mépriserons / Ensemble, au
fond des bois, ô nymphes de Sicile / Barbey d’Aurevilly, formidable imbécile ».
Il déteste le peintre Gustave Courbet mais apprécie
Jean-François Millet, dont la peinture fait « sortir l’idéal de la
réalité ».
Il admire Honoré de Balzac et sa Comédie humaine,
Charles Baudelaire et ses Fleurs du mal, Walter Scott et son Ivanhoé,
mais déteste Émile Zola, dénonçant son absence de moralité littéraire dans sa
description des milieux populaires. L’auteur de Nana et de l’Assommoir
le lui rend bien en le traitant de « catholique hystérique ».
Parfois diabolique, il écrit Les Diaboliques. Se
croyant ensorceleur, il écrit L’Ensorcelée. Jugé ridicule un temps, il
écrit Les Ridicules du Temps. Touché par les exploits de la chouannerie,
il écrit Le Chevalier des Touches.
Il dénonce « le siècle du scepticisme absolu, du
touche-à-tout philosophique et de l’écroulement de tout ».
Partageant son temps entre Paris et la Normandie, il fait
confectionner par une couturière de Valognes (Manche) une veste rouge à
brandebourgs (illustration) qu’il porte avec un bonnet phrygien sur la tête,
n’hésitant pas à étonner ou choquer ses visiteurs.
Jules Barbey d’Aurevilly, son
buste sculpté par Rodin devant le château de Saint-Sauveur-le-Vicomte (Manche),
en bas à droite sa maison familiale à Saint-Sauveur-le-Vicomte transformée en
musée qui lui est consacré, dans lequel on trouve sa célèbre veste rouge à
brandebourgs, l’un de ses romans, une caricature,
et le courrier qu’il a
adressé à son éditeur Édouard Dentu l’informant de son accord pour la saisie et
la destruction par le parquet des exemplaires de son ouvrage Les Diaboliques afin d’éviter un
procès
Il consacre une bonne partie de son énergie à combattre
les bas-bleus et le bas-bleuisme. Le TLF (Trésor de la Langue Française) donne
la définition suivante du bas-bleu : « femme savante, d’une
pédanterie ridicule… pérorer comme un bas-bleu… ». Et il définit ainsi
le bas-bleuisme : « pédanterie ridicule de femmes de lettres sans
talent ». Le TLF cite Barbey : « Plus il y a de talent
dans une femme, quand par rareté il y en a, moins il y a de bas-bleuisme ».
Le bas-bleuisme est en réalité une forme de mépris
machiste d’auteurs masculins à l’égard de femmes de lettres talentueuses. Sa
connotation péjorative est tardive. À l’origine, au XVIIIe siècle,
l’expression était sympathique : il était simplement fait allusion aux bas
en soie bleue d’un lord anglais qui fréquentait à Londres un salon littéraire
présidé par une femme d’esprit fortunée, Elizabeth Montagu, admiratrice de
Shakespeare.
Jules aime les femmes…mais pas celles qui écrivent, qu’il
traite donc de bas-bleus. Il s’en prend à plusieurs écrivaines. Il attaque avec
virulence la féministe Juliette Adam qui publie un essai intitulé Idées anti-proudhoniennes
sur l’amour, la femme et le mariage. Il dirige ses flèches contre la
féministe Olympe Audouard qui publie Guerre aux hommes et milite pour le
droit de vote des femmes.
George Sand, au prénom masculin, à la tenue masculine, aux
nombreux amants, ne trouve pas grâce à ses yeux et est vilipendée par le natif
du Cotentin qui la considère comme « une femme qui n’eut pour tout
génie d’invention que d’être mal mariée, bohême et démocrate ».
En
1885, 135?ans avant la crise sanitaire qui secoue
et qui masque la France, Barbey d’Aurevilly écrit à sa secrétaire et
amie : « Je me soucie peu des biographies. La mienne est dans
l’obscurité de ma vie. Qu’on devine l’homme à travers les œuvres si on peut.
J’ai toujours vécu dans le centre des calomnies et des inexactitudes
biographiques de toute sorte, et j’y reste avec le plaisir d’être très déguisé
au bal masqué. C’est le bonheur du masque, qu’on n’ôte qu’avec les gens qu’on
aime ».
Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire