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Propriété industrielle : de quoi parle-t-on ?

Propriété industrielle : de quoi parle-t-on ?
Publié le 16/04/2021 à 17:48

Si la propriété industrielle est principalement connue pour permettre de protéger plusieurs facettes d’une innovation, elle est également considérée comme un outil stratégique incontournable dans le développement des entreprises. Les titres de propriétés industrielles sont devenus des actifs immatériels clés dans une économie de plus en plus tributaire du savoir et de l’innovation. Retour sur ses fondements avec Pascal Faure, directeur général de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI).

 

La propriété industrielle est la fondation juridique cruciale sur laquelle la révolution industrielle a pu émerger et s’épanouir. Si des prémices en sont discernables dès l’Antiquité, puis au Moyen Âge avec les « patentes », elle prend sa forme actuelle à la fin du XVIIIe siècle. Un brevet est alors considéré comme un droit de propriété et non plus comme la simple attribution d’un privilège. Les industries naissantes – au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France, notamment – s’appuient ainsi sur un système de brevets. En France, la première demande de brevet est déposée le 10 juin 1791 par Louis-François Ollivier, manufacturier de faïence, pour des « procédés de fabrication de la terre noire anglaise, de la terre nommée bambou, [...] de la terre blanche, de la terre imitant le bronze antique […] ». Les deux autres principales composantes de la propriété industrielle sont les marques et les dessins et modèles. Elles s’épanouissent au XIXe siècle. La première marque a été enregistrée en France, le 17 août 1858, par un pharmacien nommé Boutigny, pour un vin antilymphatique.

 

L’expression même de « propriété industrielle » témoigne d’une caractéristique fondamentale : le droit et l’économie s’y mêlent intimement. Brevets, marques comme dessins et modèles sont des droits exclusifs accordés sur des créations intellectuelles d’application industrielle. Grâce à ces trois types de droit, un acteur économique bénéficie d’une exclusivité d’exploitation portant sur plusieurs facettes d’une innovation : le brevet pour le mode de production et l’utilisation, la marque pour le signe sous lequel s’opérera la promotion de l’innovation, et le dessin et modèle pour en protéger la forme visuelle. Ainsi, un constructeur automobile peut protéger un dispositif innovant dans un moteur par un brevet, la marque de son véhicule et la forme des pièces détachées visibles qui le composent. Depuis 2014, une nouvelle dimension peut être protégée en France : il s’agit de la relation forte entre un produit industriel et son origine géographique, dont l’exemple notoire est la porcelaine de Limoges. D’autres dimensions de la création intellectuelle n’appartiennent pas à la propriété industrielle et sont regroupées dans la propriété littéraire et artistique, dont la plus connue est le droit d’auteur.

 

L’émergence de la propriété industrielle résulte de l’identification par les pouvoirs publics de l’importance de l’innovation pour le développement industriel. En contrepartie de l’exclusivité d’exploitation temporaire accordée à son auteur, l’innovation fait l’objet d’une publication. Ce « donnant-donnant » a été mis en œuvre au travers du dispositif d’une demande déposée auprès des pouvoirs publics, représentés par un office de propriété industrielle.

 

Les demandes sont le plus souvent présentées par un conseil en propriété industrielle, une profession elle-même réglementée. Après un examen historiquement de plus en plus approfondi, l’office accorde – ou non – le droit exclusif d’exploiter, matérialisé par un titre enregistré, et arbitre, de ce fait, entre l’intérêt du demandeur et l’intérêt général, voire entre deux demandeurs. En France, ces procédures ont été confiées à l’INPI ; elles ont connu de nouveaux développements en 2019 avec la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE. Les décisions prises par l’Office de propriété industrielle – instance administrative – sont à leur tour opposables devant les juridictions civiles. Certains procès ont un fort impact pour les parties prenantes, en termes d’image ou d’affaires : chacun se souviendra de la bataille juridique autour des capsules pour machine à café en 2010.

 

En plus de protéger des actifs immatériels clés, la propriété industrielle est de plus en plus identifiée comme un sujet stratégique. Ces actifs s’exploitent et s’échangent de manière plus fluide que les actifs matériels. Si les premières révolutions industrielles, du XVIIIe siècle à la fin du XXe siècle, s’appuyaient sur un double axe capital/ travail, d’une part, et énergie/matériaux, d’autre part, la révolution industrielle actuelle met en place une économie fondée bien davantage que les précédentes sur les actifs immatériels. Un observateur attentif ne serait pas surpris de la coïncidence entre la croissance économique soutenue de la Chine et l’envolée du nombre de brevets issus de ce pays.

 

Au cours des dix dernières années, le PIB chinois a doublé. Dans le même temps, le nombre de dépôts de brevets internationaux (dits « PCT ») d’origine chinoise, signe tangible d’une économie en expansion, s’adressant à d’autres marchés qu’à son marché domestique, a presque septuplé et même dépassé celui des États-

Unis.

 

La propriété industrielle est en effet un instrument au service de la croissance d’une entreprise. En permettant la protection des actifs immatériels, elle ouvre un espace de dialogue entre deux acteurs économiques pour collaborer sereinement à une innovation, même quand leurs rapports de force sont ceux du rat au lion. Une start-up dont l’innovation fait l’objet d’un brevet peut ainsi dialoguer sur un pied d’égalité avec un grand groupe pour développer en commun cette dernière. Il n’est donc pas étonnant que les PME ayant déposé au moins une demande de titre de propriété industrielle ont 21 % de chances supplémentaires de connaître une période de croissance ultérieure, comme l’a montré une étude conjointe de l’Office européen des brevets et de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle.

 

En conséquence de son rôle direct dans le développement des activités d’une entreprise, la propriété industrielle est devenue un levier de valorisation. Pour les start-up du numérique tout particulièrement, le portefeuille de marques et de brevets constitue un actif essentiel dans leur recherche de financements.

 

L’importance pour les entreprises, comme pour les consommateurs, de la propriété industrielle et de sa protection relève aussi de leur quotidien. Un consommateur peut trouver agréable, avant d’être déçu, d’acheter un objet arborant le sigle d’une grande marque pour quelques euros. Il lui plairait beaucoup moins d’ingérer un antibiotique qui serait en réalité un faux, ou de voyager dans un avion dont l’entretien serait compromis par l’utilisation de pièces de rechange contrefaisantes.

 

À l’échelle de l’économie, la contrefaçon représente un enjeu majeur : jusqu’à 6,8 % des importations de l’UE, soit 121 milliards d’euros par an, sont des produits de contrefaçon, selon l’Observatoire européen des atteintes aux droits de propriété intellectuelle.

 

Le rôle important de la propriété industrielle dans l’économie mondiale a mené les États à déployer des dispositifs et traités internationaux de coopération. La France a ainsi joué un rôle majeur dans l’adoption, en 1883, de la Convention d’Union de Paris, qui organise les conditions d’extension internationale d’un brevet. Plusieurs traités, protocoles, arrangements ont été mis en place, dont la convention instituant, en 1970, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle en clé de voûte de ce qui est maintenant un système mondialisé de gestion de la propriété industrielle. Des offices régionaux ont également vu le jour : il en va ainsi de l’Organisation africaine et malgache de la propriété intellectuelle en 1962, devenue en 1977 l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle ; de l’Office européen des brevets, organe de l’Organisation européenne des brevets créée en 1977 ; de l’Office pour l’harmonisation dans le Marché intérieur, l’ancêtre de l’actuelle EUIPO, instauré par un règlement de 1993 et chargé des marques et dessins et modèles de l’Union européenne. Le système européen de propriété industrielle devrait être parachevé d’ici peu par la ratification d’un traité majeur sur la juridiction unifiée des brevets. Cette JUB sera la dernière brique de l’édification d’un véritable brevet de l’Union européenne, dit brevet unitaire, qui sera désormais plus que l’addition de brevets nationaux, et bénéficiera d’une jurisprudence harmonisée, apportant une véritable sécurité juridique aux entreprises européennes.

 

Le brevet unitaire verra-t-il le jour en 2021 ? Cela serait un beau clin d’oeil fait à l’INPI qui fête cette année ses 70 ans. 70 ans durant lesquels l’INPI s’est transformé, dématérialisé, internationalisé et s’est vu confier de nouvelles missions. 70 ans qui ont permis à la propriété industrielle d’affirmer son rôle d’outil stratégique au service des entreprises et de la compétitivité.

 

 

 

Pascal Faure,

Directeur général de l’INPI


Cet article a été publié pour la première fois dans le numéro de novembre 2020 de Réalités industrielles, une série des Annales des Mines.


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