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Publicité des procès : le prisme international

Publicité des procès : le prisme international
Publié le 12/05/2021 à 11:12

Alors que le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire fait débat en France, et surtout son article 1er consacré à la diffusion des procès, un colloque proposait, le mois dernier, de porter son regard à l’international. Entre le modèle américain et la justice pénale internationale, la publicité des procès s’affirme comme une garantie de transparence… sous réserve de ne pas être instrumentalisée. Compte rendu.

 


Depuis une semaine, la commission des lois de l’Assemblée nationale examine le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Le texte comprend une mesure phare : l'enregistrement vidéo des procès à des fins pédagogiques. Selon le garde des Sceaux, tous les procès pourraient être visés, que ce soit « les audiences de la Cour de cassation, du Conseil d'État, des juridictions administratives, les audiences pénales ou civiles, mais aussi les audiences qui ne sont aujourd'hui pas ouvertes au public et pour lesquelles il faudra demander l'autorisation. » éric Dupond-Moretti l’a assuré : ces procès ne seront diffusés que lorsqu'ils « auront connu leur épilogue définitif », et avec l’accord des parties. Ce dans une « visée pédagogique », « face à une vraie méconnaissance du fonctionnement de la justice » et afin de « rétablir la confiance des Français ».

Si la mesure, en rupture avec la tradition française, fait débat dans le monde juridique, le 2 avril, un colloque organisé par l’École de droit de l’université Clermont Auvergne s’est intéressé de près au sujet de la publicité des procès, notamment à travers un prisme international.

 

 

Aux USA, des affaires très médiatisées

Pour la professeure de droit public Marie-élisabeth Baudoin, les projets en cours en France amènent naturellement à tourner le regard outre-Atlantique. Elle prévient toutefois que « comparaison n’est pas raison, d’autant plus du fait des spécificités liées au système américain et au fédéralisme ». Aux USA, le champ d’étude est vaste, notamment car les réglementations diffèrent au niveau des États fédérés et de l’État fédéral.

Marie-élisabeth Baudoin rappelle que l’Histoire américaine s’est fait l’écho de nombreuses affaires très médiatisées. Est notamment resté « gravé dans les mémoires » le retentissant procès d’OJ Simpson, célèbre joueur de football soupçonné du meurtre de son ex-femme. En 1995, ce procès a tenu l’Amérique en haleine durant neuf mois, « principalement en raison de la couverture médiatique qui en a été faite et de la présence de caméras à l’intérieur de la salle d’audience », résume la professeure de droit. Celle-ci estime que sa retransmission télévisée a donné l’image « d’une justice-divertissement ». Pourtant, avant cela, filmer les procès était un phénomène assez récent aux États-Unis, puisque la Cour suprême avait seulement statué quelques années plus tôt, dans une décision du 26 janvier 1980, Chandler v. Florida, que les États pouvaient adopter des lois autorisant les caméras dans les tribunaux.

 

 

La publicité des procès, un droit historiqueoutre-Atlantique

Marie-élisabeth Baudoin explique que la publicité des procès a été garantie par la Constitution américaine dès 1791 : le 6e amendement prévoit entre autres que dans toute poursuite criminelle, l’accusé a le droit d’être jugé « promptement et publiquement ».

Historiquement, la consécration de ce droit à un procès public s’explique par la méfiance traditionnelle des Anglo-Américains à l’égard des procès secrets. Avec sa « chambre étoilée » (tribunal institué sous la dynastie Tudor, qui refusait les témoignages favorables aux accusés et avait recours à la torture pour extorquer des aveux), l’Angleterre, aux 15e et 16e siècles, a laissé l’image « d’une justice arbitraire, instrument aux mains d’un pouvoir politique contre ses opposants », souligne la professeure. Autre exemple : les lettres de cachet, ordres particuliers intimés par le roi sous la monarchie française. « Ces institutions symbolisaient une menace pour la liberté, et la première raison d’être d’un procès public est de protéger contre toute tentative d’utiliser les tribunaux comme des instruments de persécution, ajoute Marie-élisabeth Baudoin. C’est ce que va dire la Cour suprême dans une décision de 1948. »

Le principe de publicité s’est vu par ailleurs paré de différentes finalités, notamment énoncées dans une décision de 1980, Richmond newspapers v. Virginia. Certaines sont liées à la justice et au procès, d’autres s’adressent plus largement à la société. Marie-élisabeth Baudoin énumère : il s’agit ainsi de garantir au défendeur un jugement équitable et précis de sa culpabilité ou de son innocence, d’apporter une démonstration publique de l’équité, de décourager le parjure et les décisions fondées sur un parti pris, mais aussi d’éduquer le public à propos du système de justice pénale, de conforter la légitimité de ce dernier, et d’avoir un effet prophylactique.

Mais la plus haute juridiction américaine n’en est pas restée là, puisqu’elle a également jugé que le droit à un procès public était si fondamental pour l’équité du système contradictoire qu’il était protégé de manière indépendante contre toute privation par l’État, en vertu de la clause de procédure régulière (« due process clause ») du 14e amendement. Elle n’a pas manqué non plus, à une autre occasion, d’opérer une certaine interprétation du 1er amendement, consacré entre autres à la liberté de parole et de la presse, considérant que le droit d’accès du public aux procès pénaux et aux dossiers était implicite à la liberté d’expression et avait une fonction essentielle dans une société démocratique. Il était question ici d’une affaire de meurtre. La Cour de Virginie avait décidé que le procès se déroulerait à huis clos, mais la Cour suprême a estimé que dans le cadre des procès, les garanties apportées à la liberté d’expression et à la liberté de la presse interdisaient au gouvernement de fermer les portes des salles d’audience. En 1984 et 1986, c’est sur ce même fondement que la Cour a consacré le droit d’accès à la section des jurés et aux procédures préliminaires. 

 

 

La Cour suprême pose des limites

Marie-élisabeth Baudoin tempère : cette protection constitutionnelle « ne signifie pas un droit absolu ». « Il y a des limites au droit à un procès public, qui sont la condition de la garantie d’un procès équitable », poursuit la professeure. En vertu de la jurisprudence de la Cour suprême, dans certaines circonstances, la publicité peut être injustement préjudiciable à l’accusé, et dans ces cas, le huis clos est alors possible pour protéger la confidentialité, la dignité ou encore la sécurité – par exemple dans des affaires de terrorisme ou de gangs. Ces hypothèses sont toutefois restreintes, puisque selon les termes mêmes de la Cour, la présomption de publicité ne peut être levée que par un intérêt prépondérant fondé sur la constatation que le huis clos est essentiel pour préserver des valeurs supérieures, et adapté pour servir cet intérêt. La plus haute juridiction a par exemple considéré, notamment en 1965 et 1966, qu’une couverture médiatique était si perturbatrice qu’elle portait atteinte à l’intégrité, à l’ordre et à la fiabilité de la procédure judiciaire. 

En outre, « le droit d’accès du public ne couvre pas les procédures devant le grand jury – dont le bon déroulement dépend précisément de sa procédure secrète – et n’a jamais été reconnu par la Cour suprême pour les procès civils ou les procès des mineurs », indique Marie-élisabeth Baudoin. 

 

 





Au final, une « liberté illimitée » des médias ?

Des principes que les spécificités du système américain viennent cependant largement nuancer. La professeure rapporte en effet que dans le cadre du fédéralisme, certains États fédérés et leurs cours « ont pu faire des choix différents et reconnaître l’accès du public aux procès civils ou des mineurs ». Pour Marie-élisabeth Baudoin, les limites à la publicité des procès sont donc assez ténues. D’autant que la Cour suprême semble avoir du mal à consentir des restrictions à la liberté d’expression reconnue à la presse.

La professeure prend pour exemple la célèbre décision de 1965 Estes v. Texas. Dans cette affaire, la Cour a certes considéré que le droit à un procès équitable figurait parmi les plus fondamentaux de tous les droits, et que la vie ou la liberté de tout individu ne devrait pas être mise en danger par les actions d’un média d’information. Mais en s’appuyant sur le 1er amendement, elle a, dans le même temps, annulé l’injonction du tribunal qui interdisait la publication d’informations susceptibles de porter préjudice à un procès ultérieur. La haute juridiction a donc « confirmé la doctrine américaine du “prior restraint”, c’est-à-dire la présomption d’inconstitutionnalité d’une restriction préventive à la liberté d’expression », relate Marie-élisabeth Baudoin. 

Cette « primauté » dont paraît bénéficier la liberté de la presse au détriment du droit à un procès équitable inquiète certains juristes américains, comme Gavin Phillipson, qui refuse une « liberté illimitée des médias », et selon lequel la couverture médiatique d’un procès conduit à trahir l’objectif du 1er amendement et, par ricochet, à sacrifier le 6e amendement. 

 


Surmédiatisation : le « rule of law » en danger

Gavin Phillipson parle d’ailleurs de « trial by media » : pour lui, les procès ne sont plus faits par la justice, mais par les médias, rapporte Marie-élisabeth Baudoin. Un point de vue partagé par la professeure, qui pointe leur influence sur le cours des procès.

Plusieurs études sociologiques montrent notamment que la publicité avant un procès influence les jurés contre les défendeurs : le pourcentage d’accusés reconnus coupables est, dans cette hypothèse, beaucoup plus élevé. De même, des sondages et enquêtes montrent que la présence des caméras « rend les témoins nerveux, les jurés moins attentifs. Les juges et avocats peuvent être tentés de “paraître” plus que de juger et plaider, et enfin, l’autorisation de filmer étant accordée par le président du tribunal, elle est liée à sa volonté de se montrer, d’avoir un rôle politique, une tribune à sa disposition », reprend Marie-élisabeth Baudoin.

Elle alerte : l’excès de médiatisation pourrait mettre en danger le « rule of law » (l’État de droit). La professeure souligne que la controverse autour du rôle des médias dans les tribunaux n’est certes pas nouvelle, mais elle a pris une ampleur avec l’évolution des technologies : « Le droit à un procès public a été consacré très tôt, mais depuis, la société a évolué, les médias ont évolué, ce qui a fait naître des dangers pour la justice », affirme-t-elle.

Si, au niveau fédéral, l’article 53 des règles fédérales sur la procédure pénale interdit les caméras dans les salles d’audience, tout comme sont interdites les photos, il y a cependant des exceptions prévues, notamment un programme pilote mis en place entre 2011 et 2014. D’autre part, certains États autorisent les chaînes de télévision à enregistrer et à filmer des procès en vertu de leur propre législation. En 1997, en Californie, les médias se sont ainsi vu accorder le droit de filmer une exécution en direct. Pour Marie-élisabeth Baudoin, c’est un risque de transformer la justice « en spectacle », « d’autant que le public a semblé apprécier », regrette-t-elle. La professeure évoque aussi la chaîne « Court TV », créée par l’avocat et journaliste Steven Brill en 1991, et sur laquelle les Américains ont ainsi pu suivre le fameux procès d’OJ Simpson. Jusqu’en 2007, la chaîne a diffusé en direct plus de 700 procès. En parallèle, « la téléréalité s’est elle aussi emparée du phénomène judiciaire », raconte Marie-élisabeth Baudoin. Dans l’émission très populaire « Judge Judy », l’ancienne magistrate Judy Sheindlin présente ainsi des affaires civiles réelles mais dans le cadre d’un tribunal simulé. « Alors que la vraie justice, rejoint le programme télé, la question de la publicité au sens de rendre public, se pose. Ici, on se trouve plutôt dans la surmédiatisation, et, dans ce cadre, il s’agit surtout d’enjeux commerciaux des chaînes télé privées », lance la professeure. Quant à savoir si une justice-spectacle serait à craindre en France, elle se veut rassurante : à ses yeux, il s’agit d’une culture judiciaire spécifique aux USA, et d’une certaine conception de la liberté d’expression propre à ce pays. 

 


Justice pénale internationale : des infractions hors du commun

Mais la publicité n’est pas l’apanage des États-Unis. Elle joue même un rôle crucial également en matière de justice pénale internationale. 

C’est Thomas Herran, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Bordeaux, qui s'attaque au sujet : « On peut même dire qu’il s’agit d’une attraction touristique : on peut visiter des Cours, assister à sa petite audience, et c’est un spectacle qui produit même parfois des images sensationnelles. » Thomas Herran fait notamment référence au suicide d’un accusé lors de l’une des dernières audiences du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) : au moment de la lecture du verdict, celui-ci avait ingéré un poison et avait trouvé la mort sur place, au vu de tous. 

Pour le maître de conférences, la question de la publicité se pose « avec une acuité particulière » s’agissant de la justice pénale internationale, car « d’autres enjeux entrent en considération ». 

D’abord, du fait de la singularité des infractions devant ces juridictions spécifiques, puisque ce sont des infractions particulièrement graves, d’une grande ampleur, et souvent commises par des personnalités qui occupent des fonctions particulières. « En découlent forcément des conséquences politiques, sociales, économiques qui dépassent largement le seul cadre de l’auteur et victimes de l’infraction », met en exergue Thomas Herran. Outre leur rôle traditionnel de juger, les juridictions pénales internationales jouent donc un rôle historique voire politique, « puisqu’elles participent à l’écriture de l’Histoire », considère-t-il.

Or, selon lui, la nature de ces infractions devrait conduire à imposer une publicité réduite alors même que la nature des faits renforce les risques et les menaces pour la vie et la sécurité des témoins et des victimes. La nature des faits conduit en effet nécessairement au traitement d’informations relatives à la sécurité nationale.

En-dehors de la singularité des infractions, le maître de conférences souligne la singularité des juridictions qui les traitent. « Juridictions hybrides qui s’inspirent de la civil law et de la common law, elles connaissent des règles relatives à la publicité elles aussi singulières », expose Thomas Herran.

 

 





Audiences, décisions et documents diffusés : une publicité singulière

S’agissant des « expressions » de la publicité, les formes qu’elle emprunte sont relativement traditionnelles, décrit le maître de conférences. En revanche, la manière dont ces formes sont mises en œuvre est un peu plus particulière.

D’abord, il y a la publicité des débats, qui existe depuis les premières expériences de la justice pénale internationale : le procès de Nuremberg, pour l’essentiel, était public. Pourtant, il ne s’agissait pas d’une règle prévue par le statut du tribunal. Elle apparaissait seulement « en creux, au détour d’une règle de procédure qui concernait le maintien de l’ordre au procès. Il était écrit que tout appelé ou toute personne pourrait être exclu(e) des audiences publiques. » Mis à part cette disposition, il n’était pas fait référence à la publicité. Toutefois, au moment de l’ouverture du procès, le président du tribunal a annoncé clairement qu’il s’agissait d’un procès public. Nuremberg a ainsi donné lieu à pas moins de 403 audiences publiques. Si elle n’était pas prévue pour Nuremberg, dans les juridictions contemporaines, la publicité est néanmoins consacrée dans l'ensemble des textes, remarque Thomas Herran. Ils prévoient que la publicité des audiences s’applique aux formations de jugement, mais également, concernant la Cour pénale internationale (CPI), la publicité des débats s’applique aux chambres préliminaires – les formations juridictionnelles chargées de rendre les décisions dans la phase d’enquête et de confirmer les charges, lors de la phase préalable au jugement. 

Si la publicité des audiences n’a rien de caractéristique, l’originalité apparaît en revanche dans le fait que les audiences sont enregistrées et diffusées, souligne le maître de conférences. D’ailleurs, dès Nuremberg, les procès étaient filmés – certains passages, en tout cas – puis diffusés. « Cette culture a été conservée et développée », observe-t-il. Ainsi, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) diffusent en direct leurs audiences sur leur site Internet. Les Chambres africaines extraordinaires (CAE) qui ont jugé Hissène Habré ont quant à elles vu leurs audiences enregistrées et diffusées à la télé sénégalaise. Concernant la CPI, différents textes prévoient que toutes les audiences sont enregistrées, et que les audiences publiques sont diffusées soit en direct, soit de manière différée. De l’avis de Thomas Herran, cette généralisation de la diffusion des débats « au-delà du prétoire » peut s’expliquer par plusieurs raisons. D’abord, pour compenser l’éloignement des juridictions pénales internationales, car l’internationalité nuit à la proximité de la justice. En effet, les personnes concernées plus ou moins directement par les procès ne se trouvent généralement pas sur place. « Cela s’explique aussi par la fonction historique et mémorielle des juridictions pénales internationales », ajoute le maître de conférences. Enfin, ces juridictions se reconnaissent elles-mêmes une fonction « éducative », comme cela a notamment été indiqué à l’occasion d’un arrêt rendu en 1995 par le tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie. 

Thomas Herran évoque un autre trait d’originalité : la publicité des décisions. Celles-ci sont non seulement publiques et publiées, « mais cela ne se limite pas aux décisions, puisque dans la plupart des formations, la publicité est élargie à l’ensemble des documents publics – communications, rapports, enquêtes, procédures de réparation... », précise-t-il. 

En cause, affirme le maître de conférences, « une volonté de transparence poussée à son paroxysme, de la pédagogie, voire une communication politique pour montrer l’utilité et le fonctionnement de la Cour ». Par cette publicité exacerbée, la Cour tente donc de promouvoir « une justice pénale internationale fortement atténuée ces dernières années ». D’autant qu’en publiant les procédures de réparation, les juridictions cherchent également à informer les victimes potentielles, mais non connues, de l’existence de ces procédures. 

 

 

Quelques problèmes d’effectivité

Cette publicité souffre cependant de « problèmes d’effectivité », note Thomas Herran. Elle se heurte à plusieurs défis. Il y a notamment la complexité de la justice pénale internationale, et le fait qu’une seule affaire puisse donner lieu à plusieurs dizaines de décisions. « Autant dire que dans cette hypothèse, trop de publicité nuit à la publicité », commente le maître de conférences, qui indique toutefois que plusieurs actions sont entreprises pour contourner cette difficulté, à l’instar du recours généralisé au communiqué de presse, ou encore la création d’une base de données des décisions et des documents publics.

Autre obstacle : la langue. Les juridictions internationales ont vocation à s’adresser à la communauté internationale. Pour autant, les documents et décisions ne sont pas systématiquement traduits dans toutes les langues, même les langues officielles de travail, rapporte Thomas Herran.

Il y a aussi des limites à la publicité prévues par les juridictions. Par exemple, l’article 79 du règlement de preuve et de procédure des tribunaux pénaux internationaux énumère comme limites l’ordre public et les bonnes mœurs, la sécurité, la protection des victimes et des témoins, ou encore l’intérêt de la justice. En revanche, la CPI ne prévoit pour sa part aucune disposition énumérant de telles exceptions à la publicité. « Pour les trouver, il faut se reporter à différents textes. On va retrouver les limites classiques, celles tenues à la protection des victimes et des témoins, qui peuvent donner lieu, selon le cas, soit à un huis clos partiel, soit à un huis clos total. Toutefois, le huis clos n’est pas de droit : c’est la Cour qui l’autorise », développe Thomas Herran. Ce dernier dresse le constat que la politique de la publicité est donc très élargie chez la Cour pénale internationale, et le huis clos plutôt relégué au second plan – à quelques exceptions près, puisqu’il est automatique, même sans demande, lorsque les audiences portent sur des éléments de preuve produits pour établir la réalité du consentement de victimes de violences sexuelles, par exemple. Ou encore lorsqu’un témoin, dans le cadre de son témoignage, est susceptible de s’auto-incriminer. Ou bien, en raison d’un motif concernant la protection des renseignements touchant à la sécurité nationale. « Mais pour compenser ces atteintes à la publicité, la Cour va essayer de limiter autant que possible l’effet de ces exceptions sur la publication des dossiers », signale Thomas Herran. La Cour fait ainsi peser sur les parties l’obligation de déposer des documents expurgés de leurs requêtes confidentielles, afin de permettre leur publication. Elle demande également aux greffes de déposer un résumé de toute décision procédurale pour disposer d’un dossier complet. « Il y a donc une vraie démarche de la CPI et des autres juridictions pour assurer une publicité augmentée », insiste-t-il. 

 

 

Une publicité à la nature « ambiguë »

Ce qui a pour conséquence, dit-il, « de faire naître une ambiguïté sur la question de la nature de la publicité ».

En effet, pour le maître de conférences, il paraît difficile d’apporter une réponse sur le point de savoir s’il s’agit d’un droit fondamental, d’un principe directeur ou d’une simple règle… Surtout qu’il existe « une certaine disparité entre juridictions », et que des évolutions ont eu lieu, spécifie Thomas Herran. « Si l’on met de côté les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, qui semblent reléguer la publicité à une simple règle de procédure, il semblerait que la publicité puisse s’apparenter à un droit fondamental chez les autres formations. » En effet, à la lecture des statuts, selon le maître de conférences, il n’y a « pas de doute possible ». Tous les statuts présentent la publicité comme un droit fondamental reconnu à l’accusé, droit autonome « bien distinct du droit au procès équitable ». Néanmoins, la jurisprudence semble nier cette autonomie et faire de la publicité davantage une garantie du procès équitable, soutient Thomas Herran. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, dans sa décision de 1995, a ainsi présenté la publicité comme composante du procès équitable. La CPI a pour sa part affirmé, dans l’une de ses décisions, que le droit à un procès équitable était un droit fondamental de chaque accusé. Dans la phrase suivante, elle précise toutefois que le fait de condamner l’accusé à un procès sur la base d’accusations dissimulées au public constituerait une violation importante de son droit au procès équitable. « En conséquence, il semblerait que la jurisprudence considère la publicité comme une garantie du procès équitable, c’est-à-dire un mécanisme permettant d’assurer son effectivité. » 

Quant au fait de savoir si la publicité constitue un principe directeur, Thomas Herran indique que cette notion n’est « pas forcément universelle ». « On peut dire que d’un point de vue formel, la CPI en tout cas reconnaît que la publicité est un principe », précise-t-il. À plusieurs reprises, elle a ainsi eu l’occasion de préciser que l’article 76  énonçait « un principe de publicité des débats ». Puis, dans sa jurisprudence ultérieure, la Cour a pu qualifier ce principe tantôt de « général » (lors d’une décision 2013) tantôt de « fondamental » (lors d’une décision 2014), et, encore plus récemment, de « primordial » (2018). « Même si elle ne le dit pas expressément, nous serions tentés de penser que ce principe de publicité coche l’ensemble des cases qui permet d’identifier un principe directeur comme on le connaît en droit français », argue Thomas Herran. 

En tout cas, aux yeux du maître de conférences, la justice pénale internationale organise une publicité augmentée qui lui semble « justifiée par rapport à la spécificité de la justice pénale internationale ». « Mais la frontière entre publicité augmentée et publicité instrumentalisée à des fins politiques est mince, et nous avons parfois l’impression que la justice pénale internationale s’adonne davantage à une apparente publicité qu’à une réelle publicité. » De quoi donner à réfléchir.

 

Bérengère Margaritelli

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