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Qu’est-ce que l’immobilier durable et quelles en sont ses traductions juridiques ?

Qu’est-ce que l’immobilier durable et quelles en sont ses traductions juridiques ?
Publié le 21/02/2021 à 09:30
LE CONTEXTE  : DE LA MARGINALITÉ AU "MAINSTREAM"

La notion d’investissement durable et d’investissement socialement responsable est à l’ordre du jour, au niveau national et surtout communautaire. Il n’est donc pas surprenant que le sujet se soit emparé de l’immobilier, même si le bien immeuble est par définition considéré comme étant durable au sens de capable de durer dans le temps. Aujourd’hui toutefois, la notion de durabilité ne se limite pas à la vie du bien dans le temps, mais intègre d’autres critères comme ceux de la soutenabilité des matériaux et moyens ayant permis de produire le bien, la soutenabilité dans le temps des conditions d’entretien et de vie du bien, les conditions de vie des habitants, la participation du bien à l’effort collectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ses conditions d’adaptabilité, etc. En un mot, l’immobilier durable a pour ambition de réconcilier des sphères que la modernité a séparées : les sphères économiques, environnementales et sociales.

Si le concept emporte aujourd’hui le consensus dans les consciences, il a cependant besoin pour advenir d’un cadre juridique clair ainsi que d’un système financier incitatif de nature à encourager les initiatives souhaitant dépasser la simple conformité.

Un cadre juridique clair permet notamment la mise hors-jeu des stratégies de « green washing ». Nous avons constaté une recrudescence des initiatives de communication « verte » et des obligations de moyens, basées d’abord sur la mise en place de politiques et de procédures internes (charte environnementale, gestion des données, présence d’un responsable RSE, etc.). Les moyens c’est bien, les résultats concrets en termes de performance durable, c’est mieux.

 

LE CADRE JURIDIQUE

Tout d’abord, un certain nombre des règles par ailleurs abordées dans les articles publiés dans ce numéro s’intègrent dans la philosophie de l’immobilier durable. Qu’il s’agisse des obligations nouvelles portant sur le réemploi des matériaux de construction, des règles relatives à l’isolation et à la réduction drastique de la consommation énergétique, de l’intégration d’éléments naturels dans la construction et dans la gestion des abords, à commencer par celle des parkings, de la recherche de la qualité sanitaire des bâtiments et de la qualité de vie des habitants, tout ceci participe d’une vision générale qui conçoit l’immeuble comme un élément positif pouvant être mis au service des objectifs devenus universels que sont la lutte contre le dérèglement climatique, la préservation de ce qui reste de biodiversité et la santé environnementale. Autrement dit, les lois successives sur le climat, la biodiversité, l’économie circulaire ont toutes intégré directement ou indirectement le droit de la construction et le droit d’urbanisme.

Un nouveau pas pourrait bien être franchi avec l’application à l’immobilier des nouvelles règles de la taxonomie verte mise en place au niveau de l’Union européenne. Même si ces règles sont au départ destinées à s’appliquer aux investissements publics et aux investisseurs publics, elles visent en réalité tous les investisseurs dans la mesure où ne peuvent être qualifiés de durables que les investissements qui répondent à un certain nombre de critères examinés ci-dessous. Cela signifie que progressivement les investisseurs ne financeront plus que les projets qui répondront à ces règles, dans la mesure où ils seront eux-mêmes mis dans l’obligation de justifier de la qualité de leurs investissements au regard des règles de la taxonomie.

Comme, de surcroît, les obligations qui pèsent sur les États – à commencer par le nôtre – de respecter leurs engagements climatiques, demain leurs engagements de biodiversité et, en toute hypothèse, de faire de la santé une priorité, nul ne peut douter que par cercles concentriques, progressivement, tous les acteurs économiques ainsi que les collectivités publiques vont respecter ces nouveaux critères.

Or, quels sont ces critères (1)? Pour être durable, une activité économique doit contribuer substantiellement à au moins un des six objectifs environnementaux que sont l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique, l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et la réduction de la pollution, et enfin, la protection de la restauration de la biodiversité des écosystèmes. Mais, et c’est probablement l’élément le plus important, l’activité ne doit causer un préjudice important à aucun des objectifs environnementaux précités. Autrement dit, il ne suffit pas d’être positif sur un sujet. Par exemple, s’agissant des bâtiments, à être un bâtiment à énergie positive ; il ne faut pas, dans le même temps, porter atteinte à la biodiversité, par exemple en construisant dans un espace où il existe des espèces protégées, ou utiliser des matériaux qui oublient l’économie circulaire.

Cette nouvelle conception invite à une approche globale des questions environnementales, et non plus à une approche en silo et parcellaire. L’immeuble est un tout, conçu dans la durée, c’est-à-dire en appliquant la méthode ACV aux matériaux qui vont le composer, et sa durabilité est appréciée sur sa durée de vie.

 

LE SYSTÈME FINANCIER INCITATIF

Les nouvelles règlementations et les perspectives de règlementations futures induisent, chez les investisseurs d’abord et les financeurs ensuite, une tension vers la prise en compte des objectifs de développement durable dans les décisions relatives, cette fois, aux actifs eux-mêmes.

Nombreux sont maintenant ceux qui annoncent des objectifs ambitieux de réduction de consommation énergétique ou de gaz à effet de serre. Certains affichent même l’intention de dépasser ces obligations : l’investissement « à impact » est devenu une stratégie à part entière.

Les investisseurs à impact adoptent une approche qui a pour intention de concilier retour financier et bénéfices pour toutes les parties prenantes : la société et l’environnement. L’intention est tout à fait louable, mais le diable est dans les détails et, surtout, l’enfer est pavé de bonnes intentions : comment définir et mesurer l’impact sans sombrer dans une sorte de dogmatisme naïf qui veut le bien des gens malgré eux ?

La caractéristique distinctive de l’immobilier par rapport aux actifs traditionnels (actions et obligations) est qu’il permet aux investisseurs d’agir très directement sur l’actif dont ils ont le contrôle. Nous proposons donc de définir l’impact pour l’immobilier comme le gain net de valeur collective résultant de la transformation de l’actif immobilier lui-même et/ou de sa gestion. Pour qu’il y ait impact, il faut qu’il y ait transformation de l’actif et que les effets de celle-ci soient pérennes.

Les stratégies d’impact peuvent actionner deux types de leviers : la réduction des effets négatifs de l’immeuble ou l’accroissement de ses effets positifs.

Les effets négatifs qu’on va chercher à réduire sont par exemple, et sans soucis d’exhaustivité : la contribution au changement climatique, la création d’îlots de chaleur, l’artificialisation des sols et la réduction de biodiversité, la pollution, la consommation d’eau douce, etc.

Les effets positifs recherchés aujourd’hui sont généralement limités aux bénéfices pour les occupants. Les immeubles sont encore pensés comme des entités dont la finalité consiste à  tirer parti du tissu urbain et de ses infrastructures.

La dimension contributive de l’immeuble est encore largement ignorée. Or, celle-ci présente des gisements d’impact importants. On peut citer la contribution à la résilience de la communauté alentour : le propriétaire pourrait par exemple consacrer une partie de l’espace à l’entreposage de produits de première nécessité : masques, eau potable, aliments, médicaments, etc., en prévision de crises ou d’évènements catastrophiques. Le juridique pourrait intervenir de manière à pérenniser ces usages, de manière à les « sanctuariser ».

Mais comment mesurer la valeur collective ?

Nous proposons une approche basée sur l’intelligence collective, dans laquelle on fait émerger, des parties prenantes elles-mêmes, les facteurs déterminants et l’importance relative de ceux-ci dans la perception de valeur. Cette approche holistique concerne toutes les dimensions de l’immeuble : économiques, sociales et environnementales. Ainsi, toute action de transformation de l’immobilier pourrait être non seulement évaluée, mais aussi orientée vers des trajectoires d’accroissement de la valeur collective, c’est-à-dire vers des stratégies à impact positif. Ces dernières pourraient bénéficier d’une fiscalité ainsi que de conditions de financement avantageuses.

La règlementation constitue un cadre essentiel auquel il « suffit » de se conformer. La stratégie d’impact positif cherche à aller au-delà ; et quand le fanal de la règlementation est derrière soi, la découverte de la valeur collective permet de s’orienter dans la recherche empirique de l’intérêt général, et ainsi d’éviter les chausse-trapes de l’autoritarisme vert.

 

1) Pour une vision détaillée du sujet voir le JSS de décembre 2020 page 10 ; voir le règlement du 18 juin 2020 complétant le règlement 2019 / 2088 du 27 novembre 2019.

 

Corinne Lepage,

Avocate à la Cour,

Huglo Lepage Avocats

 

Olivier Mège,

Fondateur de RQR*

 

* les opinions exprimées ci-dessus n’engagent que son auteur à titre personnel

 

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