LE CONTEXTE : DE LA MARGINALITÉ AU "MAINSTREAM"La notion d’investissement durable et d’investissement socialement
responsable est à l’ordre du jour, au niveau national et surtout communautaire.
Il n’est donc pas surprenant que le sujet se soit emparé de l’immobilier, même si le bien immeuble est par
définition considéré comme étant durable au sens de capable de durer dans le
temps. Aujourd’hui toutefois, la notion de durabilité ne se limite pas à la vie
du bien dans le temps, mais intègre d’autres critères comme ceux de la
soutenabilité des matériaux et moyens ayant permis de produire le bien, la
soutenabilité dans le temps des conditions d’entretien et de vie du bien, les
conditions de vie des habitants, la participation du bien à l’effort collectif
de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ses conditions
d’adaptabilité, etc. En un mot, l’immobilier durable a pour ambition de
réconcilier des sphères que la modernité a séparées : les sphères économiques,
environnementales et sociales.
Si le concept emporte aujourd’hui le consensus dans les
consciences, il a cependant besoin pour advenir d’un cadre juridique clair
ainsi que d’un système financier incitatif de nature à encourager les
initiatives souhaitant dépasser la simple conformité.
Un cadre juridique clair permet notamment la mise hors-jeu des stratégies de « green washing ». Nous avons constaté une recrudescence des initiatives de
communication « verte » et des obligations de moyens, basées d’abord
sur la mise en place de politiques et de procédures internes (charte
environnementale, gestion des données, présence d’un responsable RSE, etc.).
Les moyens c’est bien, les résultats concrets en termes de performance durable,
c’est mieux.
LE
CADRE JURIDIQUE
Tout
d’abord, un certain nombre des règles par ailleurs abordées dans les articles
publiés dans ce numéro s’intègrent dans la philosophie de l’immobilier durable.
Qu’il s’agisse des obligations nouvelles portant sur le réemploi des matériaux
de construction, des règles relatives à l’isolation et à la réduction drastique
de la consommation énergétique, de l’intégration d’éléments naturels dans la
construction et dans la gestion des abords, à commencer par celle des parkings,
de la recherche de la qualité sanitaire des bâtiments et de la qualité de vie
des habitants, tout ceci participe d’une vision générale qui conçoit l’immeuble
comme un élément positif pouvant être mis au service des objectifs devenus
universels que sont la lutte contre le dérèglement climatique, la préservation
de ce qui reste de biodiversité et la santé environnementale. Autrement dit,
les lois successives sur le climat, la biodiversité, l’économie circulaire ont
toutes intégré directement ou indirectement le droit de la construction et le
droit d’urbanisme.
Un nouveau pas pourrait bien être
franchi avec l’application à l’immobilier des nouvelles règles de la taxonomie
verte mise en place au niveau de l’Union européenne. Même si ces règles sont au
départ destinées à s’appliquer aux investissements publics et aux investisseurs
publics, elles visent en réalité tous les investisseurs dans la mesure où ne
peuvent être qualifiés de durables que les investissements qui répondent à un
certain
nombre de critères examinés ci-dessous. Cela signifie que progressivement les
investisseurs ne financeront plus que les projets qui répondront à ces règles,
dans la mesure où ils seront eux-mêmes mis dans l’obligation de justifier de la
qualité de leurs investissements au regard des règles de la taxonomie.
Comme, de surcroît, les
obligations qui pèsent sur les États – à commencer par le nôtre – de respecter
leurs engagements climatiques, demain leurs engagements de biodiversité et, en
toute hypothèse, de faire de la santé une priorité, nul ne peut douter que par
cercles concentriques, progressivement, tous les acteurs économiques ainsi que
les collectivités publiques vont respecter ces nouveaux critères.
Or, quels sont ces
critères (1)? Pour être durable, une activité économique doit
contribuer substantiellement à au moins un des six objectifs environnementaux
que sont l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement
climatique, l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et
marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et la
réduction de la pollution, et enfin, la protection de la restauration de la
biodiversité des écosystèmes. Mais, et c’est probablement l’élément le plus
important, l’activité ne doit causer un préjudice important à aucun des
objectifs environnementaux précités. Autrement dit, il ne suffit pas d’être
positif sur un sujet. Par exemple, s’agissant des bâtiments, à être un bâtiment
à énergie positive ; il ne faut pas, dans le même
temps, porter atteinte à la biodiversité, par exemple en construisant dans un
espace où il existe des espèces protégées, ou utiliser des matériaux qui
oublient l’économie circulaire.
Cette
nouvelle conception invite à une approche globale des questions
environnementales, et non plus à une approche en silo et parcellaire.
L’immeuble est un tout, conçu dans la durée, c’est-à-dire en appliquant la
méthode ACV aux matériaux qui vont le composer, et sa durabilité est appréciée
sur sa durée de vie.
LE SYSTÈME FINANCIER
INCITATIF
Les nouvelles règlementations et les perspectives de règlementations
futures induisent, chez les investisseurs d’abord et les financeurs ensuite,
une tension vers la prise en compte des objectifs de développement durable dans
les décisions relatives, cette fois, aux actifs eux-mêmes.
Nombreux sont maintenant ceux qui annoncent des objectifs ambitieux de
réduction de consommation énergétique ou de gaz à effet de serre. Certains
affichent même l’intention de dépasser ces obligations :
l’investissement « à impact »
est devenu une stratégie à part entière.
Les investisseurs à impact adoptent une approche qui a pour
intention de concilier retour financier et bénéfices pour toutes les parties
prenantes : la société et l’environnement. L’intention est tout à fait louable,
mais le diable est dans les détails et, surtout, l’enfer est pavé de bonnes
intentions : comment définir et mesurer l’impact sans sombrer dans une sorte de
dogmatisme naïf qui veut le bien des gens malgré eux ?
La caractéristique distinctive de l’immobilier par rapport aux actifs
traditionnels (actions et obligations) est qu’il permet aux investisseurs
d’agir très directement sur l’actif dont ils ont le contrôle. Nous proposons
donc de définir l’impact pour l’immobilier comme le gain net de valeur
collective résultant de la transformation de l’actif immobilier lui-même et/ou
de sa gestion. Pour qu’il y ait impact, il faut qu’il y ait transformation de
l’actif et que les effets de celle-ci soient pérennes.
Les
stratégies d’impact peuvent actionner deux types de leviers : la réduction
des effets négatifs de l’immeuble ou l’accroissement de ses effets positifs.
Les effets négatifs qu’on va chercher à réduire sont par exemple, et sans
soucis d’exhaustivité : la contribution au changement climatique, la
création d’îlots de chaleur, l’artificialisation des sols et la réduction de
biodiversité, la pollution, la consommation d’eau douce, etc.
Les effets positifs recherchés aujourd’hui sont généralement limités aux
bénéfices pour les occupants. Les immeubles sont encore pensés comme des
entités dont la finalité consiste à
tirer parti du tissu urbain et de ses infrastructures.
La dimension contributive de l’immeuble est encore largement ignorée. Or,
celle-ci présente des gisements d’impact importants. On peut citer la contribution
à la résilience de la communauté alentour : le
propriétaire pourrait par exemple consacrer une partie de l’espace à
l’entreposage de produits
de première nécessité : masques, eau potable, aliments, médicaments, etc., en
prévision de crises ou d’évènements catastrophiques. Le juridique pourrait
intervenir de manière à pérenniser ces usages, de manière à les « sanctuariser
».
Mais comment mesurer la valeur collective ?
Nous proposons une approche basée sur l’intelligence collective, dans
laquelle on fait émerger, des parties prenantes elles-mêmes, les facteurs
déterminants et l’importance relative de ceux-ci dans la perception de valeur.
Cette approche holistique concerne toutes les dimensions de l’immeuble :
économiques, sociales et environnementales. Ainsi, toute action de
transformation de l’immobilier pourrait être non seulement évaluée, mais aussi
orientée vers des trajectoires d’accroissement de la valeur collective,
c’est-à-dire vers des stratégies à impact positif. Ces
dernières pourraient bénéficier d’une fiscalité ainsi que de conditions de
financement avantageuses.
La règlementation constitue un cadre essentiel auquel il « suffit » de se conformer. La stratégie d’impact positif cherche à
aller au-delà ; et quand le fanal de la règlementation est derrière soi, la
découverte de la valeur collective permet de s’orienter dans la recherche
empirique de l’intérêt général, et ainsi d’éviter les chausse-trapes de
l’autoritarisme vert.
1) Pour une
vision détaillée du sujet voir le JSS de décembre 2020 page 10 ;
voir le règlement du 18 juin 2020 complétant le règlement 2019 / 2088 du 27
novembre 2019.
Corinne
Lepage,
Avocate
à la Cour,
Huglo
Lepage Avocats
Olivier
Mège,
Fondateur
de RQR*
* les
opinions exprimées ci-dessus n’engagent que son auteur à titre personnel