DROIT

Quel cadre juridique pour les influenceurs santé ?

Quel cadre juridique pour les influenceurs santé ?
Publié le 04/12/2024 à 12:00

L’influence en santé a pris d'assaut les réseaux sociaux. Pourtant, les professionnels (médecins, paramédicaux) s’y retrouvent mêlés aux néophytes, avec les dangers que cela comporte. La France bénéficie cependant d’un cadre juridique inédit qui vient d’ailleurs d’évoluer avec la publication d’une ordonnance le 6 novembre dernier. Décryptage.

Selon l’étude Reech 2024 sur les influenceurs et les marques, la France compterait quelque 150 000 créateurs de contenus. S’il est difficile de dénombrer le nombre exact d’influenceurs dans le secteur de la santé (ils seraient « environ un millier » dans le secteur du soin selon la Fédération nationale de l’information médicale), « on peut en dresser des typologies, explique Rémy Teston, consultant digital et e-santé, et dirigeant du média Buzz E-santé. On trouve ainsi des professionnels médicaux et paramédicaux qui recourent aux réseaux sociaux pour vulgariser des sujets de santé à destination du grand public et/ou de leurs pairs ». Notons que ces influenceurs se regroupent parfois au sein de collectifs, à la manière de Santé Organisée par exemple, afin de diffuser du contenu vérifié et de lutter contre la désinformation à plus grande échelle.

Autre catégorie : les patients qui fédèrent des communautés autour de leur(s) pathologie(s) et de leur quotidien. « De fait, dans le secteur de la santé, les patients sont les premiers à s’être vraiment emparés des réseaux sociaux pour en faire des espaces d’échanges et de partage avec une dimension cathartique », poursuit Rémy Teston. Les réseaux permettent aux patients experts de partager leurs savoirs et offrent aux associations de patients et d’usagers un vaste espace de communication et de sensibilisation, notamment autour des maladies chroniques et du handicap.

« Et puis, on a un troisième type d’influenceurs qui sont davantage dans une démarche de faire du business même s’ils sont moins nombreux dans le très encadré secteur de la santé que dans celui, voisin, du bien-être », pointe Rémy Teston.

Notons enfin qu’il existe des agences (RCA Factory par exemple) et des plateformes (comme Findly) spécialisées dans l’influence en santé. Qu’elles proposent un accompagnement complet pour les premières ou un « annuaire » de créateurs de contenus pour les secondes, elles font partie intégrante du paysage.

Le cadre juridique français, une exception…

Lequel paysage est, en France, exceptionnellement encadré sur le plan juridique, comme l’explique Morgane Morey, avocate spécialisée en réglementaire santé : « Nous sommes en effet à l’avant-garde, ce qui n’est guère étonnant, car nous adoptons souvent des réglementations hyper spécifiques en réaction à des sujets ou des situations qui ont un impact sur la santé ».

Dans le cas de l’influence commerciale, le cadre juridique est celui de la Loi dite Delaporte-Vojetta votée le 9 juin 2023 après de nombreux scandales d’arnaques et de dérives sur les réseaux sociaux : parmi eux, la promotion d’un soi-disant traitement contre le cancer par Dylan Thiry en novembre 2022 ou celle de la chirurgie du vagin par Maeva Ghennam en septembre 2021.

Outre une définition juridique du statut d’influenceur (1), « la loi, dans son article 3, dresse un listing exhaustif de ce qui est notamment applicable à l’influence commerciale avec toutes les références s’agissant des produits de santé, médicaments et dispositifs médicaux, au sens du Code de la santé publique, et assimilés qui ont un impact sur la santé, comme les compléments alimentaires par exemple, détaille l'avocate. Il y a des nuances, dans les allégations que peut opérer l’influenceur, qu’il convient de respecter, sans quoi le produit peut être considéré comme un médicament par présentation, alors même qu’il n’a pas eu d’autorisation de mise sur le marché. L’influenceur peut être sanctionné. »

Par ailleurs, l’article 4 de la loi liste les produits, actes, procédés, techniques et méthodes dont la promotion est interdite parmi lesquels ceux à visée esthétique pouvant présenter des risques pour la santé, les produits de nicotine ou encore ceux non thérapeutiques mais présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, des protocoles ou des prescriptions thérapeutiques.

… mais pas une nouveauté

« L’interdiction de promouvoir certains actes ou procédés était déjà punie par la loi, notamment lorsque cela s’apparente à du conseil médical réalisé par un non-médecin, rappelle Morgane Morey. En ce sens, prendre part habituellement à l’établissement d’un diagnostic ou au traitement de maladies – réelles ou supposées – par des consultations verbales constitue un exercice illégal de la médecine. Par exemple, l’influenceur qui réalise des vidéos concernant des diagnostics et/ou traitements de maladies ou défauts de la peau par des actes à visée esthétique notamment (comme la cryothérapie ou l'électrolyse visées dans un arrêté de 1962 (2) listant les actes relevant de l’activité d’un médecin) prodigue des conseils médicaux. Or, procéder ainsi sans être médecin constitue un exercice illégal de la médecine (3). »

Cela n’est donc pas nouveau et, même s’il n’y avait pas les réseaux sociaux à l’époque de la création de ces textes, les dispositions étaient suffisamment larges pour être transposables à l’activité d’influenceur. « Mais la loi de 2023 a le mérite de rappeler ces dispositions et d’aller encore plus loin, en interdisant l’utilisation de filtres modifiant l’apparence et l’image pour affiner une silhouette par exemple, donnant une représentation de la réalité tronquée sans mentionner « image retouchée » afin de protéger le jeune public, pointe l'avocate spécialisée. Elle instaure également des obligations d’information et des sanctions pour chaque violation. »

Mise en conformité avec le droit européen

Si la loi de 2023 poursuivait donc, initialement, le double objectif d’éclairer un public qui ne le serait pas par manque de maturité ou de connaissances et de préserver le jeune public d’images modifiées dans une démarche commerciale, une ordonnance du 6 novembre 2024 est cependant venue la modifier « afin de la mettre en conformité avec le droit européen et d’apporter des précisions sur les dispositions encadrant l’affichage de l’intention commerciale », explique la Direction des Affaires Juridiques dans sa lettre du 19 novembre 2024. Y sont précisées « certaines interdictions de la publicité réalisée par les influenceurs dans le secteur de la santé afin de respecter l'objectif de proportionnalité de la directive e-commerce ». L’ordonnance clarifie également la rédaction des sanctions applicables, celle de l'article 9. Elle indique qu'il s'applique aux influenceurs résidant à l'étranger qui s’adressent au public résidant en France et précise les dispositions sur l'affichage de l'intention commerciale afin qu'il soit en conformité avec la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales de 2005. Enfin, le texte assouplit les conditions d’information relatives aux images retouchées et aux images virtuelles. Selon la DAJ, un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement d'ici au 7 février 2025.

Le concept de l’influence responsable

Dans l’arsenal d’outils d’encadrement de l’influence existe également la certification de l’influence responsable mise en place par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) « afin de promouvoir un marketing d’influence éthique et responsable, respectueux des publics », explique l’organisme sur son site internet.

Installé en septembre 2021, ce certificat « exclusivement réservé aux influenceurs collaborant avec des annonceurs en vue de publier des communications commerciales ou institutionnelles » vient combler un manque de transparence : en effet, selon l’Observatoire de l’influence responsable mené par l’ARPP en 2020, plus d’un contenu sur 4 n’était pas transparent sur la collaboration commerciale.

« Cette certification, fondée sur un certain nombre de critères et obtenue à la suite d’une courte formation, permet de protéger l’audience, mais aussi les créateurs de contenus en mettant en avant leurs valeurs éthiques », décrypte Rémy Teston.

Des outils qui portent leurs fruits

Et tout cet arsenal semble porter ses fruits selon « l’étude d’impact de la loi du 9 juin 2023 : 1 an après, quel bilan ? » menée par l’ARPP sur les communications commerciales publiées par les créateurs de contenus en 2023. Elle nous apprend notamment que, tous créateurs confondus, 71 % des contenus étudiés sont conformes au deuxième semestre 2023 versus 59 % au premier semestre et que 25 % sont améliorables (contre 32 % l’année précédente). Par ailleurs, au premier semestre 2024, environ 98 % des contenus postés par les créateurs certifiés possèdent au moins un début d'identification (dont 85 % conformes et 13 % améliorables). Chez les créateurs non certifiés, environ 92 % des contenus ont au moins un début d'identification (dont 77 % conformes et 15 % améliorables). Par ailleurs, au 1er janvier 2024, l’ARPP dénombrait 1 290 créateurs certifiés. À la fin du 1er semestre 2024 ce chiffre est passé à 1 700 profils, soit une augmentation de plus de 30 %.

Pour autant, « si la législation actuelle précise ce que l’on peut dire et ne pas dire quand on interagit avec un patient consommateur et qu’elle permet de sanctionner celui qui fait un faux-pas, il y a tout un pan, notamment concernant les contraintes et les réglementations additionnelles avec les recommandations très précises de l’ANSM pour les dispositifs médicaux, qui n’est pas mentionné dans la loi, alerte Morgane Morey. Qu’il soit professionnel de santé ou non, un influenceur en santé ne peut pas le savoir. Ces dispositions s’appliquent à des laboratoires ou à des entreprises qui ont des personnes dédiées aux affaires juridiques et réglementaires et qui travaillent sur tous ces sujets ».

De la nécessité de former les influenceurs en santé

Une simple lecture de la loi ne suffit donc pas, il faut donner aux influenceurs et aux communicants en santé les bons réflexes et les bonnes clés. Et de fait, de plus en plus de formations émergent dans le domaine. « Nous dispensons des formations pour permettre aux influenceurs de construire des messages conformes à la réglementation lorsqu’ils communiquent sur des produits de santé ou des assimilés tels que les cosmétiques et les compléments alimentaires », illustre ainsi Morgane Morey.

Autre exemple à l’Istec Business School où « nous sommes partis du constat qu’il suffisait d’un smartphone et d’une connexion pour produire des contenus en santé avec toutes les dérives que cela engendre, explique Jihane Chaari, Docteur DBA en sciences de gestion et directrice de la chaire santé Istec business School. C’est à la fois une excellente nouvelle, car les experts peuvent diffuser largement de la connaissance… et une mauvaise, puisqu’il n’y a pas besoin d’être expert pour diffuser des contenus de santé. Conséquence : une explosion de fake news et de désinformation avec des conséquences, parfois graves, sur les comportements de santé et sur les organisations de santé. »

Pour répondre à ces problématiques, accentuées par le boom de l’AI, « il est essentiel d’adopter une démarche globale, poursuit Jihane Chaari. Nous avons donc développé un programme de savoirs et de compétences fondé sur une approche systémique et pluridisciplinaire, pour aiguiser le sens critique et le discernement des managers en santé de demain ». L’objectif ? Leur donner les outils pour agir dans une organisation de santé aux multiples domaines : marketing, pharmaceutique, hospitalier… Côté chaire de santé, « le but est d’outiller les professionnels de santé qui peuvent être désemparés face à ces enjeux et à cette nouvelle manière de communiquer, continue Jihane Chaari. Ce n’est plus une option, c’est devenu une nécessité. »

Camille Grelle
Pi+

1/ « Les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d'une cause quelconque exercent l'activité d'influence commerciale par voie électronique. » (Article 1)
2/ Arrêté du 6 janvier 1962 fixant liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non-médecins
3/ Art. L. 4161-1 du Code de la santé publique.

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