L’influence en santé a pris d'assaut les réseaux sociaux. Pourtant, les professionnels (médecins, paramédicaux)
s’y retrouvent mêlés aux néophytes, avec les dangers que cela comporte. La
France bénéficie cependant d’un cadre juridique inédit qui vient d’ailleurs
d’évoluer avec la publication d’une ordonnance le 6 novembre dernier.
Décryptage.
Selon l’étude Reech 2024 sur
les influenceurs et les marques, la France compterait quelque 150 000 créateurs
de contenus. S’il est difficile de dénombrer le nombre exact d’influenceurs
dans le secteur de la santé (ils seraient « environ un millier » dans
le secteur du soin selon la Fédération nationale de l’information médicale), « on
peut en dresser des typologies, explique Rémy Teston, consultant digital et
e-santé, et dirigeant du média Buzz E-santé. On trouve ainsi des
professionnels médicaux et paramédicaux qui recourent aux réseaux sociaux pour
vulgariser des sujets de santé à destination du grand public et/ou de leurs
pairs ». Notons que ces influenceurs se regroupent parfois au sein de
collectifs, à la manière de Santé Organisée par exemple, afin de
diffuser du contenu vérifié et de lutter contre la désinformation à plus grande
échelle.
Autre catégorie : les
patients qui fédèrent des communautés autour de leur(s) pathologie(s) et de
leur quotidien. « De fait, dans le secteur de la santé, les patients
sont les premiers à s’être vraiment emparés des réseaux sociaux pour en faire
des espaces d’échanges et de partage avec une dimension cathartique »,
poursuit Rémy Teston. Les réseaux permettent aux patients experts de partager
leurs savoirs et offrent aux associations de patients et d’usagers un vaste
espace de communication et de sensibilisation, notamment autour des maladies
chroniques et du handicap.
« Et puis, on a un
troisième type d’influenceurs qui sont davantage dans une démarche de faire du
business même s’ils sont moins nombreux dans le très encadré secteur de la
santé que dans celui, voisin, du bien-être »,
pointe Rémy Teston.
Notons enfin qu’il existe des
agences (RCA Factory par exemple) et des plateformes (comme Findly)
spécialisées dans l’influence en santé. Qu’elles proposent un accompagnement
complet pour les premières ou un « annuaire » de créateurs de contenus
pour les secondes, elles font partie intégrante du paysage.
Le cadre juridique français,
une exception…
Lequel paysage est, en
France, exceptionnellement encadré sur le plan juridique, comme l’explique Morgane Morey, avocate spécialisée en réglementaire santé : « Nous
sommes en effet à l’avant-garde, ce qui n’est guère étonnant, car nous adoptons
souvent des réglementations hyper spécifiques en réaction à des sujets ou des
situations qui ont un impact sur la santé ».
Dans le cas de l’influence
commerciale, le cadre juridique est celui de la Loi dite Delaporte-Vojetta
votée le 9 juin 2023 après de nombreux scandales d’arnaques et de dérives sur
les réseaux sociaux : parmi eux, la promotion d’un soi-disant traitement
contre le cancer par Dylan Thiry en novembre 2022 ou celle de la chirurgie du
vagin par Maeva Ghennam en septembre 2021.
Outre une définition
juridique du statut d’influenceur (1), « la loi, dans son article 3,
dresse un listing exhaustif de ce qui est notamment applicable à l’influence
commerciale avec toutes les références s’agissant des produits de santé,
médicaments et dispositifs médicaux, au sens du Code de la santé publique, et
assimilés qui ont un impact sur la santé, comme les compléments alimentaires
par exemple, détaille l'avocate. Il y a des nuances, dans les
allégations que peut opérer l’influenceur, qu’il convient de respecter, sans
quoi le produit peut être considéré comme un médicament par présentation, alors
même qu’il n’a pas eu d’autorisation de mise sur le marché. L’influenceur peut
être sanctionné. »
Par ailleurs, l’article 4 de
la loi liste les produits, actes, procédés, techniques et méthodes dont la
promotion est interdite parmi lesquels ceux à visée esthétique pouvant
présenter des risques pour la santé, les produits de nicotine ou encore ceux non
thérapeutiques mais présentés comme comparables, préférables ou
substituables à des actes, des protocoles ou des prescriptions thérapeutiques.
… mais pas une nouveauté
« L’interdiction de
promouvoir certains actes ou procédés était déjà punie par la loi, notamment
lorsque cela s’apparente à du conseil médical réalisé par un non-médecin, rappelle
Morgane Morey. En ce sens, prendre part habituellement à l’établissement d’un
diagnostic ou au traitement de maladies – réelles ou supposées – par des
consultations verbales constitue un exercice illégal de la médecine. Par
exemple, l’influenceur qui réalise des vidéos concernant des diagnostics et/ou
traitements de maladies ou défauts de la peau par des actes à visée esthétique
notamment (comme la cryothérapie ou l'électrolyse visées dans un arrêté de 1962
(2) listant les actes relevant de l’activité d’un médecin) prodigue des
conseils médicaux. Or, procéder ainsi sans être médecin constitue un exercice
illégal de la médecine (3). »
Cela n’est donc pas nouveau
et, même s’il n’y avait pas les réseaux sociaux à l’époque de la création de
ces textes, les dispositions étaient suffisamment larges pour être
transposables à l’activité d’influenceur. « Mais la loi de 2023 a le
mérite de rappeler ces dispositions et d’aller encore plus loin, en interdisant
l’utilisation de filtres modifiant l’apparence et l’image pour affiner une
silhouette par exemple, donnant une représentation de la réalité tronquée sans
mentionner « image retouchée » afin de protéger le jeune public,
pointe l'avocate spécialisée. Elle instaure également des obligations d’information
et des sanctions pour chaque violation. »
Mise en conformité avec le
droit européen
Si la loi de 2023 poursuivait
donc, initialement, le double objectif d’éclairer un public qui ne le serait
pas par manque de maturité ou de connaissances et de préserver le jeune public
d’images modifiées dans une démarche commerciale, une ordonnance du 6 novembre
2024 est cependant venue la modifier « afin de la mettre en conformité
avec le droit européen et d’apporter des précisions sur les dispositions
encadrant l’affichage de l’intention commerciale », explique la
Direction des Affaires Juridiques dans sa lettre du 19 novembre 2024. Y sont
précisées « certaines interdictions de la publicité réalisée par les
influenceurs dans le secteur de la santé afin de respecter l'objectif de
proportionnalité de la directive e-commerce ». L’ordonnance clarifie
également la rédaction des sanctions applicables, celle de l'article 9. Elle
indique qu'il s'applique aux influenceurs résidant à l'étranger qui s’adressent
au public résidant en France et précise les dispositions sur l'affichage
de l'intention commerciale afin qu'il soit en conformité avec la directive
européenne sur les pratiques commerciales déloyales de 2005. Enfin, le texte
assouplit les conditions d’information relatives aux images retouchées et aux
images virtuelles. Selon la DAJ, un projet de loi de ratification devra être
déposé devant le Parlement d'ici au 7 février 2025.
Le concept de l’influence
responsable
Dans l’arsenal d’outils
d’encadrement de l’influence existe également la certification de l’influence
responsable mise en place par l’Autorité de régulation professionnelle de la
publicité (ARPP) « afin de promouvoir un marketing d’influence éthique
et responsable, respectueux des publics », explique l’organisme sur
son site internet.
Installé en septembre 2021,
ce certificat « exclusivement réservé aux influenceurs collaborant
avec des annonceurs en vue de publier des communications commerciales ou
institutionnelles » vient combler un manque de transparence : en
effet, selon l’Observatoire de l’influence responsable mené par l’ARPP en 2020,
plus d’un contenu sur 4 n’était pas transparent sur la collaboration
commerciale.
« Cette certification,
fondée sur un certain nombre de critères et obtenue à la suite d’une courte
formation, permet de protéger l’audience, mais aussi les
créateurs de contenus en mettant en avant leurs valeurs éthiques »,
décrypte Rémy Teston.
Des outils qui portent leurs
fruits
Et tout cet arsenal semble
porter ses fruits selon « l’étude d’impact de la loi du 9 juin 2023 : 1
an après, quel bilan ? » menée par l’ARPP sur les communications
commerciales publiées par les créateurs de contenus en 2023. Elle nous apprend
notamment que, tous créateurs confondus, 71 % des contenus étudiés sont
conformes au deuxième semestre 2023 versus 59 % au premier semestre et que
25 % sont améliorables (contre 32 % l’année précédente). Par ailleurs, au
premier semestre 2024, environ 98 % des contenus postés par les créateurs
certifiés possèdent au moins un début d'identification (dont 85 % conformes et
13 % améliorables). Chez les créateurs non certifiés, environ 92 % des contenus
ont au moins un début d'identification (dont 77 % conformes et 15 %
améliorables). Par ailleurs, au 1er janvier 2024, l’ARPP dénombrait 1 290
créateurs certifiés. À la fin du 1er semestre 2024 ce chiffre est passé à 1 700
profils, soit une augmentation de plus de 30 %.
Pour autant, « si la
législation actuelle précise ce que l’on peut dire et ne pas dire quand on
interagit avec un patient consommateur et qu’elle permet de sanctionner celui
qui fait un faux-pas, il y a tout un pan, notamment concernant les contraintes
et les réglementations additionnelles avec les recommandations très précises de
l’ANSM pour les dispositifs médicaux, qui n’est pas mentionné dans la loi,
alerte Morgane Morey. Qu’il soit professionnel de santé ou non, un
influenceur en santé ne peut pas le savoir. Ces dispositions s’appliquent à des
laboratoires ou à des entreprises qui ont des personnes dédiées aux affaires
juridiques et réglementaires et qui travaillent sur tous ces sujets ».
De la nécessité de former les
influenceurs en santé
Une simple lecture de la loi
ne suffit donc pas, il faut donner aux influenceurs et aux communicants en
santé les bons réflexes et les bonnes clés. Et de fait, de plus en plus de
formations émergent dans le domaine. « Nous dispensons des formations
pour permettre aux influenceurs de construire des messages conformes à la
réglementation lorsqu’ils communiquent sur des produits de santé ou des
assimilés tels que les cosmétiques et les compléments alimentaires »,
illustre ainsi Morgane Morey.
Autre exemple à l’Istec
Business School où « nous sommes partis du constat qu’il suffisait d’un
smartphone et d’une connexion pour produire des contenus en santé avec toutes
les dérives que cela engendre, explique Jihane Chaari, Docteur DBA en
sciences de gestion et directrice de la chaire santé Istec business
School. C’est à la fois une excellente nouvelle, car les experts
peuvent diffuser largement de la connaissance… et une mauvaise, puisqu’il n’y a
pas besoin d’être expert pour diffuser des contenus de santé.
Conséquence : une explosion de fake news et de désinformation avec des
conséquences, parfois graves, sur les comportements de santé et sur les
organisations de santé. »
Pour répondre à ces
problématiques, accentuées par le boom de l’AI, « il est essentiel
d’adopter une démarche globale, poursuit Jihane Chaari. Nous avons donc
développé un programme de savoirs et de compétences fondé sur une approche
systémique et pluridisciplinaire, pour aiguiser le sens critique et le
discernement des managers en santé de demain ». L’objectif ? Leur
donner les outils pour agir dans une organisation de santé aux multiples
domaines : marketing, pharmaceutique, hospitalier… Côté chaire de santé, « le
but est d’outiller les professionnels de santé qui peuvent être désemparés face
à ces enjeux et à cette nouvelle manière de communiquer, continue
Jihane Chaari. Ce n’est plus une option, c’est devenu une nécessité. »
Camille
Grelle
Pi+
1/ « Les personnes
physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de
leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus
visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de
services ou d'une cause quelconque exercent l'activité d'influence commerciale
par voie électronique. » (Article 1)
2/ Arrêté du 6 janvier 1962 fixant liste des actes médicaux ne
pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également
par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses
médicales non-médecins
3/ Art. L. 4161-1 du Code de la santé publique.