Son père est facteur. Un facteur réputé, qui gère une
manufacture bruxelloise. Il devient donc facteur. Un facteur inventif !
D’instruments à vent, de cornets à piston, de timbales. Et de sifflets de
locomotives ! Et même d’une goudronnière dite hygiénique, un appareil
destiné à soigner certains malades phtisiques par l’inhalation d’émanations
résineuses de pin. Un créatif aux multiples talents, donc.
Le compositeur Hector Berlioz dit de lui en 1842 :
« C’est un homme d’un esprit pénétrant, lucide, obstiné, d’une persévérance à
toute épreuve, d’une grande adresse, à la fois calculateur, acousticien, et au
besoin fondeur, tourneur et ciseleur. Il sait agir et penser ; il invente
et il exécute. »
Il s’appelle Antoine-Joseph Sax, mais est plus connu
sous le nom d’Adolphe Sax. Il est né en 1814 à Dinant, en Belgique. Dinant,
dont la citadelle domine la rive droite de la Meuse, a donné son nom à la
dinanderie (travail du cuivre et du laiton), jadis spécialité du pays mosan.
Adolphe Sax, c’est un Belge, virtuose de la clarinette
en buis, spécialiste des pistons et des pavillons, fin connaisseur de la gamme
chromatique, génie de l’acoustique, qui se met au service de la musique par la
création de multiples instruments à vent, tels les saxhorns ou les saxotrombas.
Un inventeur wallon qui fait le bonheur des fanfares, des harmonies, et de tous
les ensembles orphéoniques. Un Belge qui se met aussi au service de la France
en s’installant très tôt définitivement à Paris, à l’âge de 28 ans. Sous
Louis-Philippe d’abord, qui impose ses instruments dans les musiques militaires
et le nomme chef de la fanfare de l’Opéra en 1847. Sous Napoléon III ensuite,
qui lui confie une importante responsabilité au sein de sa Maison militaire et
qui impose définitivement ses instruments dans les musiques de l’armée.
Un Belge qui devient ainsi un industriel français.
S’il pratique le chant, le ténor est pour lui une
trompette, la trompette-ténor ! Et le baryton et le soprano sont des
saxophones. C’est en 1846 qu’il dépose son brevet d’invention du saxophone. Et
c’est le « ministre secrétaire d’État au Département de l’Agriculture et
du Commerce » qui lui délivre ce « Brevet d’invention sans
garantie du Gouvernement », dont l’article 1er énonce :
« Il est délivré au sieur Sax, Antoine Joseph dit Adolphe, fabricant
d’instruments de musique à Paris, rue Neuve Saint Georges n° 10, à ses
risques et périls, sans examen préalable, et sans garantie, soit de la réalité,
de la nouveauté ou du mérite de l’invention, soit de la fidélité ou de
l’exactitude de la description, un brevet d’invention de quinze années, qui ont
commencé à courir le 21 mars 1846 pour un système d’instruments à vent
dits saxophones ».
Adolphe Sax, c’est une vie menée au clairon, une suite
d’événements romanesques, des coups d’éclat, des brevets qui s’accumulent, une
grave maladie puis une guérison inespérée, un poste de professeur au
Conservatoire, des procès. Des inventions tantôt considérées comme géniales,
tantôt décrites comme loufoques. Un sorte de révolutionnaire du vent dans
l’instrument. Une imagination percutante pour améliorer les percussions, comme
le triangle. Mais aussi des faillites et des saisies, car Sax a parfois du mal
à payer ses loyers, ses charges et ses taxes. Ou encore la création d’un tuba
particulier à la demande de Richard Wagner pour son « Anneau du
Nibelung ». Et, malgré les succès et la reconnaissance des autorités
et de grands musiciens de son époque, une fin de vie en 1894 dans une
quasi-misère.
Lorsqu’il est nommé en 1845 « fournisseur officiel
de l’armée » (formule qu’il grave sur les milliers d’instruments qu’il
fabrique), Sax devient l’objet d’une véritable guérilla commerciale, juridique
et judiciaire orchestrée par ses concurrents qui perdent un marché important
dans l’infanterie comme dans la cavalerie. D’autant qu’il a singulièrement
amélioré de nombreux instruments existants, fabriqués par d’autres, figés dans
un immobilisme confortable. Les contrefaçons se multiplient. Les procès
s’enchaînent. Ses adversaires l’assignent en nullité et déchéance de ses
brevets. Sax résiste. Le 24 juin 1854, la cour d’appel de Rouen lui donne
raison et déboute ses contradicteurs, en utilisant un raisonnement selon lequel
l’explication fournie par un dessin, à défaut d’un texte suffisant, est valable
si ce dessin peut, à lui seul, suffire pour l’intelligence et la reproduction
des objets brevetés.
Cet arrêt lui permet d’attaquer à son tour ses
contradicteurs en contrefaçon. Il obtient en outre une prolongation du délai de
validité de ses brevets.
Au XXe siècle, la Belgique le met à l’honneur
par l’émission d’un billet de banque de 200 francs belges à son effigie.
Dinant lui rend hommage par un rassemblement international de musiciens,
« la mise à Sax de Dinant », la création d’un musée, et la
mise en place d’un décor très « saxophonique » par l’implantation en
ville de multiples sculptures de saxophones (illustration).
Et le monde entier l’honore par la généralisation du
saxophone, qui devient l’instrument phare des musiciens de jazz.
Adolphe Sax… une vie d’une exceptionnelle musicalité, un
génie souvent convoité, une créativité rarement imitée… un facteur dinantais
qui, à Paris, a su dompter l’air dans le cuivre pour donner au vent de
merveilleuses sonorités.
Etienne Madranges,
Avocat à la cour
Légende photo : On trouve à Dinant (Belgique,
Wallonie), ville de naissance d’Adolphe Sax, de nombreux saxophones, dont ces
sculptures géantes associées à divers pays sur le pont enjambant la Meuse… mais
aussi une statue du Général de Gaulle.