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Quel facteur belge proposant un cornet pistonné par un empereur français a inventé l’instrument à vent préféré des musiciens de jazz ?

Quel facteur belge proposant un cornet pistonné par un empereur français a inventé l’instrument à vent préféré des musiciens de jazz ?
Publié le 31/05/2020 à 11:00


Son père est facteur. Un facteur réputé, qui gère une manufacture bruxelloise. Il devient donc facteur. Un facteur inventif ! D’instruments à vent, de cornets à piston, de timbales. Et de sifflets de locomotives ! Et même d’une goudronnière dite hygiénique, un appareil destiné à soigner certains malades phtisiques par l’inhalation d’émanations résineuses de pin. Un créatif aux multiples talents, donc.

 

Le compositeur Hector Berlioz dit de lui en 1842 : « C’est un homme d’un esprit pénétrant, lucide, obstiné, d’une persévérance à toute épreuve, d’une grande adresse, à la fois calculateur, acousticien, et au besoin fondeur, tourneur et ciseleur. Il sait agir et penser ; il invente et il exécute. »

 

Il s’appelle Antoine-Joseph Sax, mais est plus connu sous le nom d’Adolphe Sax. Il est né en 1814 à Dinant, en Belgique. Dinant, dont la citadelle domine la rive droite de la Meuse, a donné son nom à la dinanderie (travail du cuivre et du laiton), jadis spécialité du pays mosan.

 

Adolphe Sax, c’est un Belge, virtuose de la clarinette en buis, spécialiste des pistons et des pavillons, fin connaisseur de la gamme chromatique, génie de l’acoustique, qui se met au service de la musique par la création de multiples instruments à vent, tels les saxhorns ou les saxotrombas. Un inventeur wallon qui fait le bonheur des fanfares, des harmonies, et de tous les ensembles orphéoniques. Un Belge qui se met aussi au service de la France en s’installant très tôt définitivement à Paris, à l’âge de 28 ans. Sous Louis-Philippe d’abord, qui impose ses instruments dans les musiques militaires et le nomme chef de la fanfare de l’Opéra en 1847. Sous Napoléon III ensuite, qui lui confie une importante responsabilité au sein de sa Maison militaire et qui impose définitivement ses instruments dans les musiques de l’armée.

Un Belge qui devient ainsi un industriel français.

 

S’il pratique le chant, le ténor est pour lui une trompette, la trompette-ténor ! Et le baryton et le soprano sont des saxophones. C’est en 1846 qu’il dépose son brevet d’invention du saxophone. Et c’est le « ministre secrétaire d’État au Département de l’Agriculture et du Commerce » qui lui délivre ce « Brevet d’invention sans garantie du Gouvernement », dont l’article 1er énonce : « Il est délivré au sieur Sax, Antoine Joseph dit Adolphe, fabricant d’instruments de musique à Paris, rue Neuve Saint Georges n° 10, à ses risques et périls, sans examen préalable, et sans garantie, soit de la réalité, de la nouveauté ou du mérite de l’invention, soit de la fidélité ou de l’exactitude de la description, un brevet d’invention de quinze années, qui ont commencé à courir le 21 mars 1846 pour un système d’instruments à vent dits saxophones ».

 

Adolphe Sax, c’est une vie menée au clairon, une suite d’événements romanesques, des coups d’éclat, des brevets qui s’accumulent, une grave maladie puis une guérison inespérée, un poste de professeur au Conservatoire, des procès. Des inventions tantôt considérées comme géniales, tantôt décrites comme loufoques. Un sorte de révolutionnaire du vent dans l’instrument. Une imagination percutante pour améliorer les percussions, comme le triangle. Mais aussi des faillites et des saisies, car Sax a parfois du mal à payer ses loyers, ses charges et ses taxes. Ou encore la création d’un tuba particulier à la demande de Richard Wagner pour son « Anneau du Nibelung ». Et, malgré les succès et la reconnaissance des autorités et de grands musiciens de son époque, une fin de vie en 1894 dans une quasi-misère.

 

Lorsqu’il est nommé en 1845 « fournisseur officiel de l’armée » (formule qu’il grave sur les milliers d’instruments qu’il fabrique), Sax devient l’objet d’une véritable guérilla commerciale, juridique et judiciaire orchestrée par ses concurrents qui perdent un marché important dans l’infanterie comme dans la cavalerie. D’autant qu’il a singulièrement amélioré de nombreux instruments existants, fabriqués par d’autres, figés dans un immobilisme confortable. Les contrefaçons se multiplient. Les procès s’enchaînent. Ses adversaires l’assignent en nullité et déchéance de ses brevets. Sax résiste. Le 24 juin 1854, la cour d’appel de Rouen lui donne raison et déboute ses contradicteurs, en utilisant un raisonnement selon lequel l’explication fournie par un dessin, à défaut d’un texte suffisant, est valable si ce dessin peut, à lui seul, suffire pour l’intelligence et la reproduction des objets brevetés.

Cet arrêt lui permet d’attaquer à son tour ses contradicteurs en contrefaçon. Il obtient en outre une prolongation du délai de validité de ses brevets.

 

Au XXe siècle, la Belgique le met à l’honneur par l’émission d’un billet de banque de 200 francs belges à son effigie. Dinant lui rend hommage par un rassemblement international de musiciens, « la mise à Sax de Dinant », la création d’un musée, et la mise en place d’un décor très « saxophonique » par l’implantation en ville de multiples sculptures de saxophones (illustration).

 

Et le monde entier l’honore par la généralisation du saxophone, qui devient l’instrument phare des musiciens de jazz.

 

Adolphe Sax… une vie d’une exceptionnelle musicalité, un génie souvent convoité, une créativité rarement imitée… un facteur dinantais qui, à Paris, a su dompter l’air dans le cuivre pour donner au vent de merveilleuses sonorités.

 

Etienne Madranges,

Avocat à la cour

 

Légende photo : On trouve à Dinant (Belgique, Wallonie), ville de naissance d’Adolphe Sax, de nombreux saxophones, dont ces sculptures géantes associées à divers pays sur le pont enjambant la Meuse… mais aussi une statue du Général de Gaulle.

 

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