Cass. soc., 9 septembre
2020, n° 18-18.810
En l’absence de précision sur le pouvoir de licencier, celui-ci
revient au conseil d’administration compétent pour effectuer les embauches aux
termes des statuts de l’association. Il en est ainsi même si, lors de
l’embauche du salarié en cause, la compétence du conseil d’administration n’a
pas été respectée.
La Cour de
cassation est dernièrement saisie coup sur coup (1) de la question du licenciement d’un salarié
au sein d’une association. Rien d’étonnant à cela, étant donné le rôle
indéniable joué par les associations et la place non négligeable occupée par
elles dans la vie économique et sociale. Les chiffres révèlent l’existence de
plus de 800 000 associations en activité, dont environ 270 000 sont inscrites au répertoire des métiers, et
emploient environ 1,3 million de salariés (2).
Il est toutefois certain que ces données chiffrées traduisent une grande
variété de situations, selon que l’on se
trouve en présence d’une association de quartier ou d’une structure qui réalise
d’importants bénéfices, ce qui est le cas des associations reconnues d’utilité
publique.
La présente
décision de justice, qui a pour cadre juridique une association, pose la
question de savoir quel organe est habilité à prononcer le licenciement d’un
salarié. Elle met en exergue la difficulté liée au fait qu’en l’absence d’un
représentant légal officiel, les pouvoirs de décision et de représentation
peuvent être dissociés. Elle émane, comme la précédente décision, de la chambre
sociale de la Cour de cassation statuant le 9 septembre 2020.
1. La lecture de l’arrêt révèle l’embauche d’une dame, le 14 mai 2001, en qualité d’adjointe administrative et assistante de direction par
l’association Service interentreprises de santé au travail BTP Savoie
(l’association). Après avoir occupé les fonctions de directrice de
l’association depuis septembre 2002, elle a été licenciée le 15 octobre 2015 par lettre signée du président de
l’association. Contestant le bien-fondé de son licenciement, l’intéressée a
saisi la juridiction prud’homale.
Déboutée par
cette dernière, elle n’obtient pas davantage gain de cause auprès de la cour
d’appel de Chambéry. Elle a alors formé un recours en cassation contre l’arrêt
rendu par cette juridiction le 24 avril 2018, à qui elle reproche de dire que la procédure de licenciement
est régulière et de la débouter en conséquence de l’ensemble de ses demandes à
ce titre. Elle estime que cette juridiction a statué par des motifs inopérants
qui ont privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 devenus l’article 1103 du Code civil depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de l’article L. 1232-6 du Code du travail.
Selon la
demanderesse, son licenciement ne peut relever que de la compétence du conseil
d’administration et non de son président, ce qui le prive d’une cause réelle et
sérieuse. L’association prétend au contraire qu’il ne peut en être ainsi ;
bien que le conseil d’administration ne soit pas intervenu dans la procédure
initiale de nomination, le prononcé du licenciement par le président est
possible.
La chambre
sociale censure ici l’arrêt d’appel au visa de l’article 1134 précité, selon lequel les contrats
légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, et de
l’article L. 1232-6 du Code du travail.
2. La Haute juridiction se trouve confrontée à la question de savoir si la
désignation d’une directrice dont la procédure de nomination sans respecter les
dispositions statutaires implique de respecter le principe du parallélisme des
formes (3), autrement dit exige que son
licenciement réponde à la même procédure que celle de la désignation, à savoir
qu’il soit prononcé par le conseil d’administration, en dehors de
l’intervention du président.
Le juge du
droit considère que la cour d’appel a porté atteinte à l’article 19 des statuts de l’association selon lequel le
conseil d’administration, sur proposition du président, nomme le directeur, ce
dont il résulte que la salariée ne peut être démise de ses fonctions que sur
décision du conseil d’administration et que le manquement à cette règle,
insusceptible de régularisation, rend le licenciement sans cause réelle et
sérieuse.
C’est
incontestablement à tort que la juridiction du second degré a jugé que la
procédure de licenciement de la salariée étant régulière, il convenait de la
débouter en conséquence de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette Cour a malencontreusement
retenu que l’intéressée ayant accédé au poste de directrice sans être nommée
par le conseil d’administration, sur proposition de son président, en
application de l’article 19 des statuts de l’association, pouvait dès lors être licenciée sans que
n’intervint une décision du conseil d’administration. Dès lors, la signature
par le président de sa lettre de licenciement privait celui-ci d’une cause
réelle et sérieuse et ne le rendait pas susceptible de régularisation a
posteriori.
Rien
d’étonnant ou de surprenant à cela. Dans une précédente affaire, le
licenciement prononcé par le président d’une association a été jugé irrégulier,
bien que le conseil d’administration compétent l’ait postérieurement confirmé (4). Au contraire, il a été jugé que le
président d’une association élu pour six ans et dont le mandat a cessé, ne
dispose pas du pouvoir de signer la lettre de licenciement mentionnant le motif
économique de la rupture. Aussi, l’inobservation de cette règle insusceptible
d’être régularisée a rendu le licenciement sans cause réelle et sérieuse (5).
En
définitive, quand les statuts ou le règlement intérieur d’une association sont
muets sur la faculté de licencier, mais qu’ils investissent un organe (conseil
d’administration, bureau,…) du pouvoir d’embaucher, celui-ci est seul habilité
à exercer le pouvoir de licencier (6). Si
les statuts donnent compétence à un organe autre que le président pour
embaucher, en particulier le conseil d’administration, la Cour de cassation
exige le respect des dispositions statutaires en refusant une régularisation a posteriori.
Les statuts retrouvent alors leur pleine force obligatoire, ce qui explique
probablement qu’elle a rendu son arrêt sous le visa de l’ancien
article 1134 du Code civil.
L’actuelle
décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence en vigueur qui, en-dehors
de stipulations statutaires particulières, reconnaît au président d’une
association une compétence de principe en matière de licenciement (7) ; encore faut-il que les statuts de l’association n’aient pas conféré compétence à un autre organe (8) tel que le conseil d’administration, lequel peut être investi d’importantes
attributions en matière de gestion et de direction (9).
Les statuts
ont également la possibilité d’accorder expressément compétence au conseil
d’administration pour nommer le directeur « sur proposition du
président », sans indiquer si cet organe est habilité à le démettre de
ses attributions. En pareilles circonstances, la juridiction suprême pose le
principe du parallélisme des pouvoirs (10),
afin de pallier le mutisme statutaire. En d’autres termes, l’organe qui nomme
est celui qui démet ou licencie (11), même
si, comme en l’espèce, les statuts ne disent mot sur la faculté de licencier,
mais qu’en revanche, le règlement intérieur investit un organe, notamment le
conseil d’administration, du pouvoir d’embauche (12).
Il n’est
cependant pas exclu que la rédaction des statuts soit imprécise. Ainsi, lorsque
ceux-ci mentionnent que le directeur est nommé par le conseil d’administration,
sans autre indication, seule une décision de ce conseil peut le démettre de ses
fonctions ; dans cette hypothèse, le licenciement notifié par le président
est dépourvu de cause réelle et sérieuse (13).
Reste à se
demander pourquoi la Cour de cassation refuse que l’organe initialement
compétent ratifie a posteriori l’acte litigieux, alors que pareille
régularisation est parfois admise en droit des sociétés. Par exemple, en-dehors
des sociétés unipersonnelles (EURL, EARL, SASU), bien que toute société doive
comporter au moins deux associés, l’article 1844-5, alinéa 1er du Code civil permet à l’associé unique
de régulariser la situation, notamment en vendant certaines de ses parts à des
tiers, faute de quoi tout intéressé (associé, créancier…) pourrait solliciter
en justice la dissolution de la société, si la situation n’était pas
régularisée dans le délai d’un an, la juridiction saisie pouvant toutefois
octroyer à la société un délai maximal de six mois pour rétablir la situation.
Autre exemple, l’article 4
de la loi n° 2019-744 de simplification, de clarification et d’actualisation du
droit des sociétés du 19 juillet 2019, publiée le 20 juillet et entrée en vigueur le 21 juillet, a créé une procédure de
régularisation applicable lorsque les associés ont omis d’effectuer les
formalités de prorogation avant la survenance du terme de la société (14).
En matière
de licenciement dans le cadre d’une association, la raison de l’impossibilité
de procéder à une régularisation tient probablement au fait qu’aucune
disposition législative ne l’autorise.
NOTES :
1) V. auparavant, Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 19-15.213.
2) C.E. : Rapport public 2000, Les associations et la loi de 1901, cent
ans après, Études et documents, n° 51, La documentation française, Paris, 2000,
p. 354. 60 000 associations se créent par an (p. 269). V. également les travaux
du 92e Congrès des notaires de France, Le monde associatif,
Deauville, 1996.
3) Pour une étude générale, Becqué-Ickowicz S., Le parallélisme
des formes en droit privé, 2004, Panthéon Assas, p. 136 et s.
4) Hiez D., Le pouvoir croissant du président d’une association en
matière de licenciement : RTD com. 2020, p. 388, citant Cass.
soc., 4 avr. 2016, n° 04-47677.
5) Cass. soc., 16 juin 2016, n° 14-29719 :
JA 2016, n° 547, p. 11, obs. Castel D.
6) Cass. soc., 2 oct. 2019, n° 17-28.940, pour qui « Selon
l’article 2.2 du règlement intérieur de l’association Maison familiale
rurale d’éducation et d’orientation de Saint-Symphorien en Hédé, le pouvoir
d’engager le directeur appartient au conseil d’administration, la cour d’appel
en a déduit à bon droit que celui-ci ne pouvait être démis de ses fonctions que
sur décision du conseil d’administration. »
7) Cass. soc., 25 nov. 2003, n° 01-42111 : BJS
mars 2004, p. 422, note
Bénard C.-M. – Cass. soc., 29 sept. 2004,
n° 02-43771 : BJS févr. 2005, p. 290 ; RJS 12/04,
n° 1255 – Cass. soc., 10 juill. 2013, n° 12-13985
: RJS 10/13, n° 659 – Cass. soc., 6 nov. 2019,
n° 18-22158 : BAF 1/20, n° 26, selon lequel « Les statuts de
l’association ne contenaient aucune disposition spécifique relative au pouvoir
de recruter ou de licencier un salarié, de sorte qu’il entrait dans les
attributions de son président de mettre en œuvre la procédure de licenciement
d’un salarié. »
8) Cass. soc., 29 sept. 2004, n° 02-43.771 : RJS 12/04, n° 1255. –
Cass. soc., 29 sept. 2016, n° 15-17.280 : inédit. – Cass. soc., 6 nov.
2019, n° 18-22.158 : préc., note 7.
9) Cass. soc., 12 janv. 2012, n° 10-23484 : BJS
mai 2012, p. 421, obs. Bénard C.-M.
10) Becqué-Ickowicz S., art. préc., note 3.
11) Cass. soc., 5 nov. 2014, n° 13-16020 :
JCP E 2015, 1147, Dondero B. – Cass. soc., 17 mars
2015, n° 13-20452 : BJS nov. 2015, p. 589, note Bénard
C.-M. - Tournaux S., La délicate question du pouvoir de licencier dans
les associations : RDT 2015, p. 325 ; Morand M., Le
pouvoir de licencier dans les associations : JCP S 2015, 1184,
n° 21.
12) Cass. soc., 2 oct. 2019, n°
17-28.940 : préc., note 6.
13) Cass. sioc., 17 mars 2015, n° 13-20.452 : RJS 6/15, n° 399. –
V. aussi, à propos d’une secrétaire générale désignée par le conseil
d’administration, Cass. soc., 5 nov. 2014, n° 13-16.020 : BAF 1/15, inf.
23.
14) Kilgus N., Proroger par-delà l’expiration de la société : propos
critiques : D. 2019, p. 1 899.
Deen Gibirila,
Professeur émérite
(Université Toulouse 1 Capitole)