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Quel vigneron champenois du XIe siècle, connu pour ses gloses et père des tossafistes, est probablement l’auteur français le plus publié dans le monde ?

Quel vigneron champenois du XIe siècle, connu pour ses gloses et père des tossafistes, est probablement l’auteur français le plus publié dans le monde ?
Publié le 24/05/2020 à 11:00

Il est champenois, né en 1040 à Troyes, au cœur d’une vaste plaine où l’économie est en pleine expansion avec l’arrivée des aubains, ces étrangers venus des régions limitrophes. Il est érudit, parle français mais écrit en hébreu. Il est rabbin et… grammairien, pédagogue et poète. Il a une mémoire exceptionnelle. Fin connaisseur des techniques de viticulture et de vinification, il cultive la vigne et en vit.


Il est mondialement connu des linguistes et des exégètes des textes sacrés sous le nom de Rachi.


En fait, Rachi est un acronyme : Ra-ch-i. « Ra » est le début de « Rabbenou » (« notre maître »), « ch » est le début de « Chlomo » (Salomon), « i » est la première lettre de « Itshaki » (« ben Itshaki », fils d’Isaac). À Troyes (Aube), un Institut, une synagogue et une rue portent son nom.


Après avoir étudié à Mayence et à Worms auprès des meilleurs connaisseurs germaniques du judaïsme, il revient à Troyes vers l’âge de 25 ans et s’y installe durablement.


Il consacre dès lors son existence à l’étude de la Bible et du Talmud, qu’il va commenter et annoter, cherchant à fournir des explications simples permettant au plus grand nombre de comprendre le sens pratique et logique des textes fondamentaux.


Le Talmud enseigne qu’il y a 613 commandements dans la Torah : 248 commandements positifs (faire), et 365 commandements négatifs (ne pas faire). Rachi explique que le nombre de 365 correspond au nombre de jours du cycle annuel et que chacun de ces jours doit amener une mesure de vigilance dans le respect des 365 prohibitions ou interdictions.


Les écrits du rabbin Salomon fils d’Isaac passionnent les linguistes, car sa maîtrise du français champenois dans sa diversité donne un aperçu de la langue vernaculaire du XIe siècle. On retrouve à travers les mots utilisés par Rachi des racines, des expressions, des termes techniques parfois méconnus ou dont on avait perdu la trace. Il utilise des centaines d’occurrences en français, mais les écrit en caractères hébreux, de façon phonétique. On nomme « gloses » ces commentaires. Les gloses de Rachi vont être copiées à l’infini, utilisées par des exégètes catholiques tel le moine franciscain Nicolas de Lyre au XIVe siècle, et vont influencer Luther dans son approche du texte biblique.


On peut ainsi raisonnablement penser que Rachi est l’auteur français le plus publié dans le monde, puisque, depuis le XIIe siècle, donc pendant dix siècles, ses commentaires, ses annotations, ses écrits divers sont sans cesse reproduits tant par les communautés juives que par les exégètes chrétiens et les savants de nombreux pays. On retrouve des commentaires du célèbre rabbin jusqu’en Inde ! Et son œuvre est telle que le grand linguiste français Claude Hagège la considère comme d’une importance capitale pour la connaissance de l’histoire de la langue française.


Dans les écrits de Rachi, « faveler » est bavarder, la « jotize » est une peine, le « dromon » est une grande embarcation, « adorser » signifie laisser brûler. Le « bevron » est un castor, qui deviendra par la suite le beuvron, avec pour autre signification « la rivière aux castors » (La ville de Lamotte-Beuvron était autrefois La Mothe-Beuvron, établie près de la rivière aux castors). La « mosteille » (plus tard « mostoile » puis « mustele », du latin « mustela ») est la belette. C’est le plus petit mammifère de la famille des mustélidés dans laquelle on trouve le putois, le vison, la loutre, la martre. On se demande bien pourquoi on nomma par la suite « belette », c’est-à-dire « petite belle », ce petit animal carnassier de couleur fauve, véritable prédateur s’attaquant aux lapins, aux oiseaux, aux grenouilles, aux mulots et même aux poules ! Le vocable « faldestole », siège pliant, est intéressant, car il donnera le mot « faldistoire », toujours en usage dans la liturgie catholique (en latin médiéval « faldistolium » ou « faldistorium », à l’origine de « fauteuil »), pour désigner un siège à accoudoirs, sans dossier, parfois pliant, réservé aux évêques.


De nombreux continuateurs perpétuent son œuvre, à commencer par ses propres descendants, qui vont apporter dans les textes des ajouts, les « tossafot ». Tandis qu’il insérait ses commentaires dans les marges intérieures du Talmud, les tossafistes vont insérer leurs « tossafot » dans les marges extérieures.


Le rabbin de Troyes meurt en 1105, dans une période de relative et précaire liberté pour la communauté juive, plus d’un siècle avant le concile de Latran IV convoqué par le pape Innocent III en novembre 1215, qui impose aux Juifs le port d’un signe distinctif, qui sera la rouelle rendue obligatoire par Louis IX par l’ordonnance de 1269, et deux siècles avant l’Édit de 1306 de Philippe le Bel confirmé par l’Édit de 1394 de Charles VI considéré comme la décision définitive d’expulsion des Juifs du Royaume de France, énonçant : « … et par ces présentes déliberons, voulons, concluons et déterminons par manière d’établissement ou constitution irrévocable, que doresnavant nul juif ou juifve ne habitent, demeurent ou conversent en nostredit royaume ne en aucune partie d’iceluy, tant en Languedoyl comme en Languedoc… ».


Le grand Rachi ? Un savant sous la médiévale monarchie… un sage sachant expliquer avec simplicité l’entéléchie… initiateur d’une science du commentaire qu’il rafraîchit… intelligemment affranchi des règles de lecture des textes sacrés qu’en auteur réfléchi, pour des siècles il enrichit !

 

 

Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Chronique n° 151

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