Energie, déchets, mobilité… Dans
l’industrie, de nombreux chantiers sont en cours pour des alternatives plus
respectueuses de l’environnement. À l’occasion d’une conférence organisée par
Origine France Garantie, Arnaud Leroy, président de l’ADEME, en a dressé un
panorama, tout en soulignant les paradoxes liés à l’empreinte carbone.
Modalités de production, règles et fonctionnement de la
distribution, remontée des circuits courts, enjeux de la compensation carbone…
Ces dernières années, les enjeux écologiques viennent percuter l’économie. Pour
en parler, Yves Jégo, fondateur de la certification Origine France Garantie, a
convié, le 12 mars
dernier à Paris, Arnaud Leroy, président de l’ADEME (Agence de l’Environnement
et de la Maîtrise de l’Énergie), autour du thème « Réconcilier
environnement et industrie ». L’établissement public, placé sous la
tutelle du ministère de la Transition écologique et solidaire et du ministère
de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, se dit en
effet « engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique et la
dégradation des ressources ». Disposant d’un budget de 800 millions d’euros et de plus de
900 personnes sur
l’ensemble du territoire, y compris les Outre-Mer, l’ADEME « conseille,
facilite et aide au financement de projets » dans de nombreux domaines.
Améliorer la performance énergétique dans l’industrie
Historiquement, l’ADEME s’intéresse entre autres aux
différentes façons d’améliorer la performance énergétique dans l’industrie.
Arnaud Leroy a ainsi évoqué le Fonds Chaleur, dispositif de soutien financier
au développement de la production renouvelable de chaleur.
À ce titre, l’EPIC finance notamment de grandes
chaufferies biomasse, aussi bien dans l’industrie que pour les collectivités.
« On s’intéresse au devenir de la ressource forestière dans le pays,
qui n’est pas en danger, malgré tout ce qu’on peut lire. On coupe moins de bois
dans notre pays ne serait-ce qu’il y a 2-3 ans !
Mais la loupe médiatique donne l’impression que l’Hexagone est l’Amazonie
bis », a déploré Arnaud Leroy.
Par ailleurs, ce dernier a constaté de la part des
entreprises une demande croissante d’énergies vertes, mais aussi locales – que
ce soit du bois, de l’énergie solaire ou éolienne, « qui permet
d’accélérer le sujet de l’acceptabilité »,
a remarqué le président de l’ADEME. « On milite pour les ouvertures
d’une partie du capital aux acteurs locaux. Sur les parcs éoliens, cela
fonctionne bien. » L’éolien, c’est pourtant le sujet irritant du pays,
a reconnu Arnaud Leroy. « On a pu dire que ce n’était pas recyclable.
Or, 92 % d’une
éolienne est recyclable ou revalorisable », a-t-il martelé.
« La France doit mettre les moyens pour financer
la transition, et rendre compétitives les énergies renouvelables. Il faut aussi
trouver une coercition réglementaire, pour arrêter le discount de
l’énergie », a par ailleurs estimé le président de l’ADEME. Une
transition toutefois rendue difficile par l’arrivée du coronavirus et son
impact sur le cours du pétrole, s’est-il inquiété. Le gaz étant lui aussi très
bon marché depuis quelques mois, cela ne manque pas d’influencer largement les
choix économiques de nombreuses sociétés, qui préfèrent attendre quelques
années pour amorcer leur transformation, malgré les ambitions qu’elles
affichent.
Economie circulaire : une « vraie tentative de
changement économique »
Autre grand axe d’intervention de l’ADEME :
l’économie circulaire. Arnaud Leroy n’a bien sûr pas manqué de faire référence
à l’adoption de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie
circulaire, promulguée le 10 février
2020 : loi « très ambitieuse », a jugé le président de
l’ADEME, qui dispose d’une feuille de route pour la mettre en œuvre. « C’est
délicat, car on vise un changement qui se compte en décennies ; une vraie
tentative de changement de modèle économique, pour passer du linéaire au
circulaire. »
L’ADEME agit notamment au travers du Fonds Déchets, qui
soutient depuis 2009 les
investissements de tri, de recyclage, de valorisation organique et
énergétique : en la matière, l’objectif défendu par la loi relative à
l’économie circulaire est d’atteindre 100 %
de collecte des déchets recyclables d’ici 2025, et de rendre le tri plus
simple.
L’EPIC se préoccupe également du gaspillage alimentaire,
autre volet de la loi. « Les pertes sont énormes et entraînent des
conséquences : on parle de plusieurs pourcentages d’émissions de gaz à
effet de serre qui pourraient être évitées si on réduisait les pertes et le
gaspillage alimentaire. Il faut y travailler sérieusement », a appuyé
Arnaud Leroy.
Sur ce point, celui-ci a précisé que l’Agence
accompagnait notamment les entreprises dans leur processus industriel. « On
a travaillé avec des groupes alimentaires sur la question des pertes
alimentaires dans le processus industriel, comme Delpeyrat, qui a d’ailleurs
réussi à gagner des pourcentages de chiffre d’affaires de manière
conséquente : entre 3 et
6 % »,
a-t-il illustré.
« Il s’avère que la loi relative à l’économie
circulaire, pour la première fois dans le monde, interdit la destruction des
invendus », s’est par ailleurs réjoui le président de l’ADEME.
Pour mieux expliquer ce dont il est question, Arnaud
Leroy a fait référence à deux grands acteurs de la vente sur Internet : Amazon
et Cdiscount. Ces derniers achètent en effet des millions de produits non
alimentaires qu’ils stockent dans de grands entrepôts logistiques, avant de les
vendre sur Internet. Enfin, une partie. Ainsi, Amazon va par exemple acheter 46 millions de carafes mais ne va
en vendre que 19 millions.
Le reste étant détruit, car le renvoyer au producteur n’est pas une opération
suffisamment rentable. « Il fut un temps où le stock restant était soit
concassé pour être envoyé en décharge, soit enfoui, soit était destiné à des
fours industriels. Aujourd’hui, tout cela va donc être interdit », a
indiqué Arnaud Leroy. Ce dernier a toutefois précisé que des discussions
sémantiques étaient toujours en cours, en vue d’un futur décret, concernant le
sens du mot « destruction ».
« Sur ce sujet, la loi est là encore une vraie
révolution, car Amazon devra peut-être revoir son business model,
recourir à des producteurs plus locaux. On va voir ce que cela donne en termes
d’impulsion pour un changement de modèle. »
Le président de l’ADEME a rapporté que l’Agence était
« très satisfaite » d’une telle interdiction. « La
destruction des invendus non alimentaires est notamment absurde pour les
vêtements. C’est fou de voir ce que cela coûte, et de constater qu’une partie
non négligeable de la production est brûlée car les modèles économiques font
qu’il n’est pas suffisamment rentable d’acheter 5 000 pièces.
Donc on en achète 15 000,
en sachant pertinemment qu’on ne peut pas en vendre plus de 5 000. Ce sont des logiques
complètement délirantes », a dénoncé Arnaud Leroy. « Le déchet
et la destruction font partie du modèle économique. Il faut à tout prix qu’on
sorte de ce schéma. »
D’autant qu’au niveau européen, la loi relative à
l’économie circulaire a eu un certain écho, a-t-il souligné. L’Europe pourrait
ainsi être « bientôt dotée d’un “paquet” économie circulaire qui
reprendrait pour partie les dispositions et l’esprit de la loi », à
l’instar de l’étiquetage environnemental – qui va désormais imposer en France –
sur le modèle du NutriScore, de noter les vêtements en fonction de leur impact
sur l’environnement.
« Depuis quelque temps, on se rend compte qu’on
est happés par l’interdépendance des sujets liés à la transition écologique, on
a donc adopté une nouvelle signature, Agence de la transition écologique »,
a informé Arnaud Leroy.
« Nous poussons pour les mobilités alternatives »
Un chantier important de l’ADEME concerne par ailleurs
la mise en application par l’ensemble des filières de l’objectif « 2 degrés » contenu dans
l’Accord de Paris, qui vise à limiter le réchauffement climatique. « La
mise en œuvre est plus compliquée que de signer un bout de papier »,
a admis Arnaud Leroy. En matière de mobilité, par exemple, l’EPIC travaille
avec des transporteurs, des constructeurs automobiles, en proposant des plans
au secteur industriel.
« Nous poussons pour les mobilités alternatives,
a assuré le président de l’ADEME. Avancer sur ces sujets, c’est la clef de la
prochaine décennie en termes de réduction de gaz à effet de serre. »
Dans ce domaine, le président de l’EPIC a estimé que le
gaz vert était « une réelle opportunité, malgré le surcoût par rapport
au gaz qatari, russe ou américain. Ainsi, première région agricole d’Europe, la
Nouvelle-Aquitaine a réalisé qu’elle pouvait être autonome en gaz d’ici 2050,
faire rouler les 5 000 bus de la région au gaz vert,
tout cela avec du gaz aquitain. »
L’Agence réfléchit aussi, avec plusieurs acteurs, aux
vecteurs énergétiques alternatifs comme l’hydrogène. « À ce titre, nous
avons financé une vingtaine de projets à l’échelle pays. On voit que cela
fonctionne bien. Tout une filière française est en train de se mettre en
place ! » Ainsi, la PME Safra est devenue le premier constructeur
de bus à hydrogène, à fabrication 100 %
française.
Par ailleurs, l’ADEME a lancé en 2018 un appel à projet intitulé
« vélo et territoires ». « On a eu un succès au-delà de nos
espérances, avec 300 dépôts
de dossiers. Et pas forcément de la part de grandes villes comme Rennes, Nantes
ou Strasbourg, mais parfois de petites villes qui voulaient rouvrir leurs
chemins de campagne pour pouvoir mieux se déplacer. On sent une vraie bascule »,
a témoigné Arnaud Leroy.
Les paradoxes de l’empreinte carbone
Le président de l’ADEME s’est également attardé sur la
question de l’empreinte carbone, soit l’ensemble des émissions imputables à une
activité ou une entité. « On parle beaucoup du transport, mais sur la
problématique du CO2, le transport mondial représente assez peu d’émissions, ce
qui rend les choses compliquées », a avoué Arnaud Leroy.
Ainsi, l’analyse des cycles de vie des produits montre
que c’est en matière de production agroalimentaire que les impacts sont les
plus importants. Une grande partie de notre empreinte carbone provient donc de
notre alimentation. À ce titre, l’élevage est particulièrement émetteur de gaz
à effet de serre, et l’agriculture extensive, mise en valeur pour ses nombreux
avantages, n’est, en la matière, malheureusement pas plus vertueuse. « On
s’aperçoit qu’une viande produite intensivement en Nouvelle-Zélande aura moins
d’impact, en termes carbones purs, que l’agneau du Quercy. Le bœuf brésilien
est meilleur en termes carbone qu’un bœuf de chez nous, du fait d’une
concentration massive de la production. »
Autre paradoxe montrant toute la complexité de la
transition, Arnaud Leroy a fait référence au débat actuel sur le verre : en
vue de la fin du plastique, aura-t-on plus de bouteilles en verre ? Et,
écologiquement, sera-t-il plus intéressant de faire circuler des bouteilles de
verre depuis l’usine d’Evian jusqu’à Dunkerque où elles seront consommées,
plutôt que des bouteilles en PET plus légères et plus simples en termes
transports ?
« Ces paradoxes, nous y sommes confrontés dans
chaque secteur »,
a souligné Arnaud Leroy. Autre exemple : les fibres recyclées. Bien qu’il
y ait très peu de données disponibles sur ce sujet pour l’instant, un problème
a été soulevé : on retrouverait des fibres de vêtements construits à base
de fibres recyclées (polaires, sweat-shirts) dans l’eau de lavage issue des
machines à laver. « Des personnes ont développé leur activité depuis 10 ans, fortes d’être à
l’avant-poste de cette nouvelle fibre, en utilisant du plastique pour le
recycler et en lui donnant une vraie plus-value technologique en combinant cela
avec des fibres de coton naturel, etc. Si demain on arrive à la conclusion que
ces fibres ont un impact négatif sur l’eau et donc sur la pollution par
micro-plastiques dans l’océan, alors qu’il y a quelques années, on pensait que
c’était la solution, c’est très compliqué, et la question se pose pour
plusieurs marques qui ont fait ce choix »,
a regretté le président de l’ADEME.
Dans la même veine, quid de la signature carbone
d’un bâtiment neuf par rapport à un bâtiment rénové ? En effet, même en
construisant un bâtiment neuf, le plus moderne qui soit, avec toutes les
technologies de réduction et d’efficacité énergétique, la mobilisation de la
ressource de base, pour construire les arêtes du bâtiment, fait que le poids
carbone est important, a indiqué Arnaud Leroy. Ce dernier a notamment cité une
étude récente de l’ADEME : la construction, par rapport à une rénovation
complète de bonne facture, serait… 70 à
80 fois plus émettrice en
termes de gaz à effet de serre. Encore une preuve, s’il en fallait, qu’en la
matière, même en se prévalant des meilleures intentions, les résultats ne sont
pas dépourvus de biais.
Bérengère
Margaritelli