Faire des rencontres qui
suscitent de l’empathie, participer à la justice restaurative, recourir au TIG…
Interrogé par l’Association nationale des médiateurs jeudi 17 octobre dans le
cadre de la semaine de la médiation, l’inspecteur général de la justice Jean-Louis
Daumas livre ses clés pour que les auteurs de délits évitent la récidive et réussissent leur réinsertion une fois sortis de prison. En toile de fond, il
s’agit de ne pas « griller les étapes ».
« Au jeu de l'oie de la
vie, comment sortir de la case prison ? » Telle était la question
posée par l’Association nationale des médiateurs (ANM) lors d’un webinaire
organisé jeudi 17 octobre. « En prison, on veut souvent aller trop vite »,
regrette Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice et invité de
l'événement, qui s’est tenu dans le cadre de la semaine de la médiation – une
opération de promotion auprès du grand public conduite à l’échelle nationale
comme internationale. « Généralement, on dit vite à une personne tout juste
écrouée pour du correctionnel que si son comportement est satisfaisant, elle ne
fera pas l'intégralité de la peine prononcée par le juge », illustre
l’ancien éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse.
Concrètement, il est question
d’annoncer au détenu qu’il bénéficiera d'une réduction de peine et qu’il
sortira un quart - voire un tiers - de temps plus tôt que la date fixée par le
tribunal. « Je trouve cela regrettable, je pense qu'on grille des étapes,
reprend Jean-Louis Daumas. Quand quelqu’un arrive en prison pour un délit,
il ne faut pas tout de suite s'occuper de sa sortie : une chose après l'autre.
» Retrouver un emploi, un logement, maintenir ou rétablir des liens avec
les proches… « Il s’agit d'abord de favoriser le retour sur soi, d'inviter
la personne à faire un travail de révision de vie, à être réflexive, à
comprendre pourquoi elle a commis tel ou tel acte », développe
l’auteur du livre La zonzon de Fleury. J’y crois beaucoup.
Des « belles rencontres »
pour donner un sens à la peine
Un cheminement parfois
laborieux, pour lequel il est nécessaire de parler des faits et d’interroger le
détenu sur sa responsabilité dans son passage à l'acte ainsi que dans les
dommages qu'il a commis. Pour Jean-Louis Daumas, il revient au personnel pénitentiaire
d'utiliser toutes les possibilités offertes par la vie quotidienne de la
prison, des activités culturelles au travail en passant par la formation. Autre
outil : l'entretien avec un officier ou un conseiller d'insertion et de
probation, voire un personnel de direction, pour travailler sur les faits
commis. « Donner du sens à la peine passe aussi par des belles rencontres,
poursuit le chevalier de la Légion d'Honneur et de l'ordre national du Mérite. J’en
ai été témoin quand j'étais chef d'établissement pénitentiaire. »
Visiteurs de prison,
aumôniers, enseignants… Autant de femmes et d’hommes qui peuvent cultiver une
relation qui permettra à la personne de « redevenir debout », comme aime
à dire Jean-Louis Daumas. Objectif : faire naître de l’empathie chez les
détenus. « La manière de les ramener vers nous, dans la société,
c'est d'abord de les amener, eux, à se faire du souci ou à manifester de
l'intérêt pour les gens qui ont été victimes de leurs actes, défend
l’inspecteur général de la justice. Il ne peut pas y avoir de réinsertion si
l’on passe à côté de cet exercice. »
La nécessité de développer
une justice restaurative
C’est pourquoi l’expert ne
pense « que du bien » de la justice restaurative, qu’il décrit comme «
adolescente » en France, où cette pratique para-judiciaire gagne peu à peu
en ampleur depuis une vingtaine d’années. Le principe : des auteurs
d’infractions pénales et des victimes se rencontrent dans le cadre de groupes
de parole, sur la base du volontariat et avec l’encadrement de médiateurs. «
Il faut marcher sur deux jambes, martèle Jean-Louis Daumas. On ne peut
pas éviter la fonction rétributive de la justice ; mais il devrait aussi
exister une fonction restaurative, évidemment. »
Entre 1978 et 1985, lorsqu’il
était éducateur auprès de mineurs, l’invité de l’ANM a contribué
à une forme de justice restaurative « sans le savoir ». « Écrire
une lettre d'excuse, effacer des tags, ou encore nettoyer des transports en
commun qui ont été vandalisés y participe, assure-t-il. Une fois qu’on
accompagne un adolescent dans ces démarches, il devrait grandir différemment.
Et, pour les adultes en détention, ce devrait être la même chose. » Une
vision que Jean-Louis Daumas affirme avoir continué d’appliquer lorsqu'il était
directeur du centre de jeunes détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis,
de 1989 à 1994.
« Et si on allait
escalader la plus haute montagne de France ? »
Confronté à des toxicomanes,
consommateurs d'héroïne, de cocaïne ou de produits solvants, il a cherché avec
l'équipe médicale des moyens de reconstruire ces adolescents, qui se trouvaient
dans « des états de santé très délabrés ». « On avait le sentiment
que tout ne passait pas par le verbe, par l'entretien, explique l’expert.
Il fallait intégrer le corps ». Main dans la main, soignants et éducateurs
ont proposé aux détenus de pratiquer des sports dans lesquels il fallait
s'engager, prendre des risques – mais sans danger, si les règles étaient
respectées – comme l'escalade et le canyoning.
Pour y participer, les jeunes
devaient avoir purgé au moins la moitié de leur peine, et se comporter «
correctement » en prison. En plus du personnel pénitentiaire, ils
étaient systématiquement accompagnés par des moniteurs de sport. « On est
allés dans les gorges de l'Hérault, dans le Verdon… Un peu partout », se
remémore Jean-Louis Daumas. Un jour, un adolescent lui a dit : « C’est bien
beau, tout ça, mais ce n'est pas assez haut. Et si on allait escalader la plus
haute montagne de France ? » Le 15 septembre 1991, 12 détenus ont
atteint le sommet du Mont Blanc avec des moniteurs de sport, des guides de
haute montagne et des surveillants de prison, parmi lesquels figurait l’actuel
inspecteur général de la justice.
« Les jeunes ont surmonté
leur rapport à la toxicomanie ; en tant qu’équipe pluridisciplinaire, on a été
témoin d’effets favorables chez des adolescents difficiles »,
raconte-t-il, en nuançant : « Pour autant, je ne pourrais pas dire si
le fait de gravir le Mont Blanc à 16 ans évite que l’on récidive ou que l’on
reste délinquant. » Sur les 12 détenus de l'expédition, Jean-Louis Daumas
en a perdu 10 de vue. « 40 ans après, je suis toujours en lien avec les deux
autres, reprend-il. Ce sont des citoyens insérés, ils travaillent et
l’un d’eux a fondé une famille. » Car, au jeu de l’oie de la vie, il faut
se réinsérer pour sortir de la case prison ; c’est-à-dire (re)devenir un membre
actif et positif de la société.
Travailler pour se sentir «
utile » à la société
Repeindre « gratuitement »
du mobilier urbain, restaurer des locaux de la commune ou des bâtiments
historiques, faire du jardinage… Le travail d’intérêt général (TIG) peut
constituer ce pas supplémentaire vers l’extérieur. « Beaucoup des personnes
condamnées qui ont effectué cette peine m'ont dit, avec leurs mots, qu’elles se
sentaient ‘utiles’, qu’elles avaient ‘payé leur dette à la société’ »,
relate Jean-Louis Daumas. L’ancien éducateur de la protection judiciaire de la
jeunesse va plus loin : pour lui, le travail rémunéré donne du sens à la
vie.
« Cela permet de donner un
sens à son existence, d'indemniser les victimes, puisqu’une part des salaires
que l'on reçoit est prélevée », défend-il. Néanmoins, dans
les faits, peu d’entreprises proposent du travail aux détenus. Routes à
construire, plages à nettoyer : les besoins ne manquent pourtant pas. « En
même temps, la société y est-elle disposée ? », interroge
l’inspecteur général de la justice, en évoquant les craintes liées à
l’insécurité. En cause : le « danger » que représenterait une
personne incarcérée en permission de sortir.
« Si un détenu en profite
pour s’évader, souvent, il ne se contente pas de ne pas rentrer à la prison,
concède Jean-Louis Daumas. Il commet un délit ou un crime, ce qui est
évidemment très grave. » Des faits généralement relatés par les médias. «
Je ne dis pas qu'il ne faut pas en parler, assure l’invité de l’ANM. Or,
sur 100 permissions de sortir octroyées par un juge de l'application des
peines, moins de deux donnent lieu à une évasion. Je veux qu'on se préoccupe
des victimes causées par les 2 % qui s’enfuient ; mais je voudrais qu'on nous
parle aussi beaucoup des 98 % qui rentrent. »
Floriane
Valdayron