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Rentrée de la cour administrative d’appel de Paris : L’Odyssée contentieuse

Rentrée de la cour administrative d’appel de Paris : L’Odyssée contentieuse
Publié le 19/02/2020 à 12:00

Á l’occasion de la Rentrée de la cour administrative d’appel de Paris, Christelle Oriol, première conseillère à la cour administrative d’appel de Paris, et Jean-Christophe Gracia, premier conseiller au tribunal administratif, se sont livrés à une flânerie contentieuse sous la forme d’un voyage suivant les exploits du navigateur antique Ulysse. L’attention grecque des protagonistes s’adressait en premier lieu à l’invité d’honneur de cette audience, Linos-Alexandre Sicilianos, président de la Cour européenne des droits de l’homme.


Le grand juriste et philosophe du droit, François Ost, a naguère mis en lumière, dans son ouvrage Raconter la loi, les liens qu’entretient le droit avec les mythes et les grands archétypes de la littérature universelle. Le droit public n’échappe pas à la règle et donne lui-même lieu à des mythes, comme le montre, s’il le fallait, le dernier ouvrage du professeur Mathieu Touzeil-Divina, Dix mythes du droit public.


C’est une telle inspiration qui a présidé au choix de la « croisière contentieuse » à laquelle nous vous convions maintenant, puisque nous avons choisi de revisiter quelques décisions récentes à partir de L’Odyssée d’Homère dont nous étions convaincus qu’elle pouvait être un guide précieux pour les présenter.


Un tel choix s’est imposé plus fort quand a été connue la venue de l’invité d’honneur de cette année, le président de la Cour européenne des droits de l’homme, Monsieur le président Sicilianos, dont chacun connaît la nationalité grecque.


Alors, pourquoi L’Odyssée ?


Selon l’interprétation commune, le voyage d’Ulysse pour regagner son île d’Ithaque après la fin de la guerre de Troie, illustre le passage du désordre de la guerre à l’ordre du foyer, à savoir, pour le dire en grec ancien, le passage du « chaos » au « cosmos », du désordre au monde ordonné.


Or, à bien des égards, le traitement d’une affaire juridictionnelle constitue aussi une Odyssée.


En effet, une telle affaire, comme L’Odyssée, a pour point de départ une discorde, un conflit ou un désordre, et a pour fin, au moins en principe, l’harmonie retrouvée sous la forme d’une décision de justice qui tranche un litige selon le droit.


Homère a construit son Odyssée en 24 chants.


C’est donc en suivant le chemin d’Ulysse que nous vous proposons à présent d’évoquer la jurisprudence de nos juridictions de ces deux dernières années.


 


Domaine-Patrimoine


L’Odyssée commence immédiatement après le pillage de Troie par les Grecs qui lui dérobent une grande partie de ses trésors.


Nos juridictions, de leur côté, veillent à ce que nos trésors nationaux ne soient pas dispersés.


C’est ainsi que le tribunal a confirmé la légalité de la décision par laquelle le ministre de la Culture a refusé de délivrer le certificat d’exportation de cinq pièces d’or appartenant au trésor découvert à Beaurains, près d’Arras, au motif qu’elles avaient la qualité de trésor national, en raison de leur intérêt majeur pour le patrimoine, du point de vue de l’histoire et de l’art (Jugement numéro 1717928, 20 décembre 2018, Madame X et Monsieur Z).


C’est encore ainsi que la Cour a confirmé la décision par laquelle le ministre de la Culture a refusé d’accorder à une galerie d’art le certificat d’exportation d’un fragment du jubé gothique de la cathédrale de Chartres, dit fragment à l’aigle, intégré au domaine public après la Révolution et jamais déclassé depuis, en raison de son caractère de trésor national (Arrêt numéro 17PA02928, 29 janvier 2019, Galerie B., C +).


Enfin, la cour a confirmé la décision par laquelle le ministre de la Culture s’est opposé à ce que soit exporté un tableau attribué au Caravage, « Judith et Holopherne », retrouvé par hasard dans le grenier d’un particulier de la belle ville de Toulouse (Arrêt numéro 17PA02775, 26 juin 2018, Monsieur X, C +).


 


État des personnes


Dans son périple, Ulysse a d’abord abordé l’île des Lotophages, que l’on s’accorde, après l’explorateur Victor Bérard, à situer à Djerba. Selon Homère, les « Lotophages » sont des « mangeurs de lotos », fruits doux comme le miel dont la consommation suscite l’oubli de son identité.


Les questions d’identité ne sont pas inconnues de nos juridictions, quand elles concernent notamment les changements de noms et la dévolution de titres nobiliaires.


À cet égard, le tribunal, sans avoir goûté à ce fameux fruit, a considéré qu’il était possible de se prévaloir de lettres patentes de février 1718 pour revendiquer le titre de comte de Coligny (Jugement numéro 1604268/4-3, 15 juin 2017, Monsieur X, C +).


Plus spectaculaire encore, même s’il s’agit de problématiques contemporaines que n’auraient sans doute jamais pu imaginer Ulysse et ses compagnons, nos juridictions ont estimé que l’administration ne pouvait refuser de délivrer à des époux, tous deux de sexe masculin, un passeport pour leur fille prénommée – justement – Pénélope, née aux États-Unis dans le cadre d’une gestation pour autrui (Arrêt numéro 19PA01971, 19PA02140, 20 décembre 2019, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères c / MM. X et Z).


 


Contributions et taxes


L’histoire ne dit pas si, sur l’île des Lotophages, Ulysse aurait pu aussi trouver des billets de loterie.


C’est pourtant bien ce qui est arrivé à Paris à une contribuable qui a trouvé sur la voie publique un billet gagnant de plus de 163 millions d’euros à l’Euro Millions, malencontreusement égaré par son titulaire. Celle-ci a signé un protocole transactionnel avec le véritable gagnant, ce qui lui a permis de recevoir une indemnité de 12 millions d’euros. La Cour a confirmé la décharge des droits consécutifs à l’imposition de cette somme dans la catégorie des plus-values, au motif qu’elle ne procédait pas de la cession à titre onéreux d’un droit relatif à un bien meuble, ajoutant que le profit en cause, insusceptible de se renouveler régulièrement, n’entrait pas davantage dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (Arrêt numéro 18PA02470, 27 juin 2019, Monsieur et Madame X).


Après l’île des Lotophages, Ulysse a abordé l’île des Cyclopes géants. L’Odyssée est en particulier marquée par la rencontre d’Ulysse avec Polyphème, dont il creva l’œil avec un pieu en se faisant passer pour un être dénommé « Personne ».


Le tribunal et la Cour ont eux aussi dû faire face à un fameux géant, qui n’est pas moins redoutable que Polyphème. Il n’a pas un œil mais des millions, qui scrutant les faits et gestes de tous les êtres humains.


Ce géant, c’est Google.


Nos juridictions ont été d’accord pour prononcer la décharge des impositions d’impôt sur les sociétés, de TVA et de retenue à la source, pour un montant total de 1,2 milliard d’euros, mises à la charge de la filiale irlandaise de Google au titre des années 2005 à 2010, dans la mesure où cette société ne disposait pas d’établissement stable en France, toute son activité étant localisée en Irlande, pays de James Joyce, père d’un autre Ulysse (Arrêt numéro 17PA03067, 17PA03068, 17PA03069, 25 avril 2019, Minefi c / Société Google Ireland Limited, C +). Les arrêts de la Cour sont à mettre en perspective avec la récente transaction, très médiatisée, conclue entre Google et l’État français, concernant cette fois essentiellement les impôts dus par la filiale française. Dans ce cadre, le géant des temps modernes s’est engagé à verser près d’un milliard d’euros, dont une moitié au titre des sommes réclamées par le fisc, et l’autre en contrepartie de l’arrêt des poursuites pour fraude fiscale par ailleurs engagées contre lui par le parquet national financier.


Ulysse et ses compagnons abordèrent ensuite l’île d’Éole, le dieu du vent, qui accueillit les marins grecs pendant un mois dans sa magnifique demeure. Avant qu’Ulysse ne reparte, Éole lui confia une outre renfermant les précieux vents contraires pour lui permettre de rejoindre rapidement Ithaque en le prévenant bien de ne pas l’ouvrir avant d’être arrivé.


Malheureusement, Ulysse s’endormit et ses compagnons, curieux du présent fait par Éole, ouvrirent l’outre et libérèrent les vents contraires, éloignant ainsi un peu plus Ithaque.


Éole est apparu à nos juridictions sous la forme prosaïque d’éoliennes implantées en Guyane, dans lesquelles des contribuables avaient investi en espérant obtenir en retour une réduction d’impôt sur le revenu dans le cadre de la législation fiscale visant à favoriser le développement économique de l’outre-mer. Toutefois, la Cour, confirmant la position du tribunal, a jugé qu’aucune de ces éoliennes n’étant raccordée au réseau public d’électricité au 31 décembre de l’année en cause, les investissements concernés ne pouvaient ouvrir droit à la réduction d’impôt sollicitée. Décidément, pour nos contribuables aussi, les vents étaient contraires (arrêts numéros 18PA00574 et 18PA00575, 21 mars 2019, Monsieur X et Madame Z) !

 Jean-Christophe Gracia


Police


Ulysse fait partie de ces héros qui sont descendus aux enfers. Dans le monde contemporain, c’est la Terre qui menace de devenir un enfer, comme en Australie, en raison des incendies géants, mais plus largement du changement climatique ou encore de la pollution.


En cette matière souvent délicate, la Cour a confirmé l’annulation, en raison d’un vice de procédure, déjà censuré par le tribunal, d’un premier arrêté de la maire de Paris interdisant la circulation automobile sur les berges de la rive droite de la Seine. Néanmoins, saisie de la légalité d’un second arrêté, la Cour a cette fois considéré qu’il était légal de procéder à une telle interdiction, afin de protéger le site pour des motifs esthétiques et touristiques. Au regard de l’intérêt général s’attachant à sa mise en valeur, la cour, suivant le tribunal, a notamment estimé que, dès lors que la maire de Paris avait agi dans un tel but, elle n’avait pas commis de détournement de pouvoir en prenant cet arrêté immédiatement après l’annulation contentieuse du précédent (arrêt numéro 18PA03774, 21 juin 2019, R).


 


Marchés et contrats


Abordant l’île d’Aiaié, Ulysse et ses compagnons rencontrent la magicienne Circé qui les accueille avec la plus grande hospitalité, leur offrant à boire et à manger. Charmés par la beauté et l’apparente gentillesse de cette femme, les soldats acceptent sans se méfier. Alors que ceux-ci
boivent à outrance, Circé, d’un coup de baguette magique, transforme chacun d’eux en cochon. Plus largement, du banquet de l’Olympe aux festins de Poséidon en éthiopie, les repas tiennent une bonne place dans L’Odyssée.


Nos juridictions ont, elles aussi, eu à connaître des festins plus contemporains qui se tiennent à Paris, notamment à la tour Eiffel.


C’est ainsi que le juge des référés précontractuels du tribunal a rejeté le recours de la société dans laquelle officiait le chef Alain Ducasse, précédent titulaire de la concession, et confirmé l’installation de la société où les chefs Frédéric Anton et Thierry Marx exercent leur art (Jugement numéro 1813709/4, 22 août 2018, société Excelsis).


Arts et lettres


Parmi les obstacles qui se sont dressés sur le chemin d’Ulysse vers Ithaque, les sirènes n’étaient pas les moins dangereuses. Le chant de ces monstres, à la tête de femme et au corps d’oiseau, ensorcelait tellement les marins qu’ils jetaient immanquablement leurs navires sur les écueils afin de pouvoir les rejoindre. Mis en garde par la magicienne Circé, Ulysse a quand même voulu entendre leurs chants. Il s’est toutefois fait attacher au mât d’un navire pour ne pas y succomber, après avoir recouvert de cire les oreilles de ses compagnons.


De nos jours, les sirènes chantent souvent en anglais. Mais le tribunal a jugé qu’en application des dispositions de la loi « Toubon » de 1994 relative à l’emploi de la langue française, l’université de recherche Paris Sciences et Lettres ne pouvait légalement employer la marque PSL Research University sur son logo (Jugement numéro 1609169/5-1, 21 septembre 2017, Association Francophonie Avenir, C +).



Transports


Deux créatures monstrueuses et immortelles, Charybde et Scylla, attendaient Ulysse sur des écueils au niveau d’un détroit identifié aujourd’hui comme le détroit de Messine, qui sépare la Sicile du continent.


La SNCF, victime d’un cartel de fournisseurs européens indélicats, ayant surfacturé certains de ses achats peut, elle aussi, être regardée comme ayant été confrontée à de sérieux écueils.


Sur le principe, la Cour a accepté d’indemniser le préjudice subi en conséquence. Elle a néanmoins fait appel à un expert pour départager les parties sur la pertinence de la méthode et des paramètres retenus par la SNCF pour calculer son préjudice, évalué à environ 10 millons euros (Arrêt numéro 14PA02419, 14 juin 2019, SNCF Mobilités).


Homère ne dit pas si Ulysse a utilisé un vélo pendant ses aventures. Le tribunal, lui, a rejeté la requête par laquelle la société Jean-Claude Decaux France a demandé l’annulation du nouveau marché Vélib’ conclu avec le groupement Smoovengo (Jugement numéro 1711378/4-3, 12 octobre 2018, Société JC Decaux France).


Que l’on sache, Ulysse n’a pas non plus voyagé en taxi.


À ce sujet, le tribunal a considéré que les chauffeurs de taxi ne subissaient pas de préjudice spécial ouvrant droit à indemnisation à raison de la concurrence des VTC autorisée par la loi en 2009 (Jugement numéro 1707065/2-1,12 juin 2018, Monsieur X et autres).


 


Dons et legs


Après avoir affronté Charybde et Scylla, Ulysse débarqua sur l’île habitée par la nymphe Calypso. On sait qu’il y resta sept ans et que Calypso fit tout ce qu’elle put pour garder Ulysse auprès d’elle, allant jusqu’à lui promettre l’immortalité, à laquelle il renonça pourtant, refusant de céder à l’hubris.


Aussi surprenant que cela puisse paraître, nos juridictions ont elles aussi été confrontées à des questions d’immortalité, même si c’est sous l’aspect latéral de l’intervention des dons et legs consentis à un culte, dont l’administration est bien connue des lecteurs non d’Homère, mais de Courteline.


La Cour a ainsi jugé que le ministre de l’Intérieur était fondé à s’opposer à l’acceptation des legs consentis au culte du Mouvement Raëlien International, établi en Suisse, par des personnes physiques de nationalité française. En effet, les préceptes diffusés par ce mouvement, visant à promouvoir notamment le clonage humain, de même que les ouvrages de son fondateur paraissant légitimer les relations sexuelles avec des mineurs, sont susceptibles de heurter l’ordre public que le ministre se doit de protéger (Arrêt numéro 18PA01187, ministre de l’Intérieur c / Association Mouvement Raëlien International).


 


Arts et lettres


Sur l’île des Phéaciens, Ulysse rencontre la jeune Nausicaa, figure dans L’Odyssée de la femme enfant.


Le tribunal a lui aussi rencontré sa Nausicaa sous les traits d’une enfant de neuf ans, qu’une société souhaitait faire jouer dans un film risquant de l’exposer à des scènes violentes, associant sexe et crimes, et de menacer ainsi son intégrité morale et son développement psychique. Le tribunal a donc confirmé la décision par laquelle le préfet de région a rejeté la demande de la société CG Cinéma d’employer cette enfant (Jugement numéro 1708679, 14 février 2019, CG Cinéma).




Fonction publique


Les dieux grecs de l’Olympe interviennent constamment dans la vie des mortels et on peut voir leur influence tout au long de l’Odyssée : Zeus désapprouve le pillage de Troie et le massacre auquel il a donné lieu et veut punir les Grecs. C’est Poséidon qui rend le voyage d’Ulysse périlleux puisque Polyphème, dont il a crevé l’œil, est son propre fils.


L’Odyssée ne dit pas si Ulysse avait la chance de pouvoir poser des questions aux dieux.


De leur côté, nos juridictions disposent du mécanisme de la demande d’avis et, dans le champ du droit de l’Union européenne, de la question préjudicielle qui leur permettent d’interroger nos dieux, dont personne n’ignore qu’ils résident au Palais Royal, sur le plateau du Kirchberg ou encore à Strasbourg.


C’est ainsi que le tribunal a posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), aux fins de savoir si la réglementation française concernant le reclassement dans le corps des professeurs des écoles, ne portait pas atteinte à la liberté de circulation des travailleurs au sein de l’Union en ce qu’elle ne prend pas en compte les services précédemment exercés par un agent au sein de la Commission européenne ou d’une institution de l’Union (Jugement numéro 1710580/5-3, 27 mars 2019, Madame X, C +).


Malheureusement, nous ne connaîtrons jamais l’oracle que la Cour aurait dû délivrer dans cette affaire. En effet, une fois que l’administration a su qu’une question préjudicielle avait été posée à la CJUE, elle a finalement – craignant peut-être cet oracle – décidé de faire droit d’elle-même à la demande de la requérante.


 


Étrangers


Dans le monde contemporain, Ulysse apparaît comme la figure du migrant, de sorte que des psychiatres ont pu parler de « syndrome » ou de « complexe d’Ulysse » pour qualifier la nostalgie de la terre natale.


Évidemment, le contentieux des étrangers a beaucoup occupé nos juridictions et, au sein de celui-ci, le contentieux émanant des demandeurs d’asile, qu’ils contestent le refus d’entrée sur le territoire, la suspension ou le retrait de leurs conditions matérielles d’accueil ou encore le transfert vers un autre État européen, regardé par les autorités françaises comme responsable de l’examen de leur demande d’asile.


Sans trancher la question de savoir s’il existe, au sens du règlement Dublin III concernant le traitement des demandes d’asile dans l’espace européen, des défaillances systémiques dans celui des demandeurs d’asile afghans en Bulgarie, la Cour a jugé que lorsqu’il est établi qu’un tel demandeur a subi de mauvais traitements dans ce pays, il ne peut y être retransféré sans que soit méconnu l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (Arrêt numéro 18PA00145, 28 juin 2018, préfet de police c / Monsieur X, C +).


 


Christelle Oriol


Outre-Mer


Le voyage d’Ulysse est marqué par des découvertes d’îles extraordinaires.


Dans son activité juridictionnelle, la Cour connaît quant à elle du contentieux des territoires ultramarins du Pacifique. À ce titre, dans une affaire qui n’est pas sans rappeler les deux rois de Sparte, elle a jugé que le préfet, administrateur supérieur de Wallis-et-Futuna, pouvait s’opposer à la publication au Journal officiel du territoire des délibérations d’assemblées coutumières par lesquelles ont été proclamés rois d’Uvéa deux concurrents désignés par des chefferies opposées. Il n’appartient en effet pas à l’État, garant de l’ordre public, de s’affranchir de la loi statutaire de 1961, qui prévoit la désignation d’un seul roi dans chacun des trois royaumes composant ce territoire de la République (Arrêt numéro 16PA03499, 13 mars 2018, Monsieur X et autres, C +).


 


Urbanisme


Ulysse est plus connu pour ses qualités de marin que pour ses qualités de bâtisseur, mais on sait par quelques allusions de L’Odyssée que c’est lui qui eut l’idée de construire un ouvrage aussi colossal que le cheval de Troie.


De son côté, le tribunal a validé le permis de construire délivré en 2017 en vue de la construction, près de la porte de Versailles, de la Tour Triangle, immeuble pyramidal d’une hauteur d’environ 180 mètres, à vocation essentiellement économique (Jugement numéro 1715536/4-2, 6 mai 2019, Association SOS Paris, C +).


Enfin, dans une affaire faisant immanquablement penser à la roue tournant sans fin à laquelle fut attaché Ixion après avoir été foudroyé par Zeus, la Cour, confirmant le tribunal, a jugé que l’autorisation d’installation d’une grande roue à titre temporaire place de la Concorde ne portait pas atteinte à la protection du site, classé monument historique, ce qui n’a d’ailleurs pas empêché la ville de Paris, comme elle l’a fait depuis lors, de mettre fin à cette autorisation lorsqu’elle a estimé qu’Ixion avait assez tourné comme cela ! (Arrêt numéro 18PA01342, 17 octobre 2019, Association SOS Paris).


 


Sport


Ulysse, guerrier habile et valeureux, fait beaucoup de sport malgré lui lors de ses aventures, en raison notamment des intempéries et épreuves qu’il doit endurer. D’ailleurs, nos héros des temps modernes sont les héritiers des dieux de l’Olympe, où sont nés les Jeux olympiques, au 8e siècle avant J.-C., période à laquelle les historiens s’accordent à situer L’Odyssée.


Impossible, en évoquant cette question, de ne pas penser au Stade de France, qui devrait accueillir la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris en 2024. S’agissant de ce stade, la cour a jugé que la responsabilité de l’État n’était pas engagée à raison des pertes subies par le consortium qui l’exploite lorsqu’eut lieu l’Euro de football en France en 2016 (Arrêt numéro 17PA02659, 13 juin 2019, Consortium Stade de France). Par ailleurs, la Cour a exercé pour la première fois – et avec la célérité qui s’impose – la compétence de premier ressort qui lui a été spécifiquement attribuée pour connaître du contentieux relatif à l’organisation des Jeux olympiques de 2024. Elle vient ainsi de confirmer la légalité de la délibération par laquelle le Conseil de la métropole du Grand Paris a approuvé le principe du recours à une concession de service public d’exploitation du Centre Aquatique Olympique de la Plaine Saulnier à Saint-Denis (Arrêt numéro 19PA00945, 9 octobre 2019, Monsieur X et autres).


Toujours en matière de sport, nos juridictions sont sévères sur la moralité que doivent avoir ses représentants les plus éminents. La Cour a ainsi jugé que le ministre de l’Intérieur était fondé à retirer l’autorisation de monter en France d’un jockey de classe mondiale, pénalement condamné pour des faits de fraude fiscale, au motif qu’il ne présentait plus les garanties morales nécessaires pour poursuivre son activité (Arrêt numéro 17PA02197, 12 mars 2019, Monsieur X, C +).


 


Responsabilité de la puissance publique


Parmi les rencontres fabuleuses d’Ulysse dans L’Odyssée, celui-ci ne rencontre pas Europe, princesse phénicienne, qui donna trois fils à Zeus.


Au contraire d’Ulysse, nos juridictions rencontrent souvent Europe, transformée pour l’occasion en articles de Traités, en règlements, en directives ou encore en articles de la Convention européenne des droits de l’homme.


Le tribunal a ainsi rejeté la requête tendant à ce que la responsabilité de l’État soit engagée, motif pris que le Conseil d’État aurait manifestement méconnu le droit de l’Union en rendant une décision confirmant l’imposition de retenues à la source ayant grevé des dividendes versés à une société établie hors de France (Jugement numéro 1600429/1-1, 29 novembre 2017, Société Kermadec).


• De même, la cour, après le tribunal, a transposé à l’hypothèse d’inconstitutionnalité d’une loi le raisonnement du Conseil d’État qui concernait la responsabilité de l’État du fait de la méconnaissance par une loi des engagements internationaux de la France. Nos juridictions ont estimé que la responsabilité de l’État était susceptible d’être engagée pour réparer les préjudices directs et certains nés de l’application d’une disposition législative déclarée contraire à la Constitution, par une décision du Conseil constitutionnel statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité (Arrêt numéro 17PA01180, 5 octobre 2018, société Paris Clichy, R). Ce raisonnement vient d’ailleurs d’être solennellement confirmé par trois arrêts de l’assemblée du Conseil d’État (CE 24 décembre 2019, trois espèces, numéros 425981, 425983 et 428162).


 


Travail et emploi


Ulysse a regagné Ithaque seul, sans aucun compagnon. Précisons que nul d’entre eux n’avait été licencié pour faute ou pour motif économique. Tous ont péri au cours de la traversée, soit dévorés par le Cyclope, soit tués sur l’île de Circé.


Pour nos juridictions, au contraire, la question des licenciements soumis à autorisation administrative, quel que soit leur motif, constitue un contentieux sensible, notamment depuis que le législateur a confié à la juridiction administrative, en 2013, le soin de connaître des plans de sauvegarde de l’emploi, avec pour double objectif de sécuriser la procédure et de limiter le contentieux.


C’est ainsi qu’entre 2017 et 2019, le tribunal a eu à connaître six affaires concernant des plans de sauvegarde de l’emploi et la Cour, également alimentée de 12 affaires par le tribunal administratif de Melun.


Vous le savez, à la fin de L’Odyssée, Ulysse revient à Ithaque, accomplit sa vengeance et retrouve sa chère Pénélope qui l’a attendu pendant vingt ans, en tissant et retissant sa célèbre tapisserie.


Comment ne pas voir en eux des figures inspirantes pour le juge administratif, dont le travail patient et minutieux, éternellement recommencé au gré des saisines des justiciables, est l’Odyssée d’une vie professionnelle. En chacun d’entre nous, sommeille donc une petite part d’Ulysse et de Pénélope…


Pour conclure, nous espérons que vous aurez été heureux d’écouter l’Odyssée contentieuse que nous venons de vous présenter, comme nous l’avons été de la préparer, avec la fierté constante qui est la nôtre d’appartenir à nos deux belles juridictions parisiennes.

 


 


 


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