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Secret professionnel des avocats : « un compromis totalement inacceptable » pour le CNB

Secret professionnel des avocats : « un compromis totalement inacceptable » pour le CNB
Publié le 28/10/2021 à 09:30

Le 21 octobre, la commission mixte paritaire sur le projet de loi confiance dans l'institution judiciaire a permis de conclure à un accord sur le secret professionnel des avocats ; un compromis qui n’a pas manqué de faire réagir la profession. Cette dernière fustige un secret « dénaturé », « inacceptable » dans un État de droit. Les robes noires demandent ainsi au gouvernement de revenir sur ce texte, lors de la lecture de la CMP qui aura lieu la semaine du 15 novembre à l’Assemblée nationale.

 




« Un compromis totalement inacceptable » pour le CNB, « un secret professionnel finalement dénaturé », pour le barreau de Paris, et même une « aberration juridique » pour la Conférence des bâtonniers. Au lendemain d’un accord conclu par la commission mixte paritaire (CMP) relatif au secret professionnel des avocats en marge des débats sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, la profession voit rouge. Elle s’insurge en effet contre un secret professionnel déformé, ébranlé par le poids des restrictions.

 

 

La profession vent debout

Le 21 octobre, face au désaccord entre les deux chambres du Parlement, la CMP, composée de sept députés et sept sénateurs, était en charge de trouver un compromis. « Fière » de cet accord, la députée LaRem et ancienne avocate Laetitia Avia se réjouissait pourtant : « Nous avons notamment garanti la protection du secret de l’avocat dans la défense comme le conseil », déclarait-elle sur Twitter à la sortie de la commission.

Un accord qui ne semble pourtant pas au goût des avocats. En effet, la CMP introduit un alinéa à l’article 3 du Code de procédure pénale ; des exceptions qui rendraient, – en matière de conseil, le secret inopposable aux mesures d’enquête, notamment en cas de soupçons d’infractions de nature financière (fraude fiscale, financement du terrorisme, corruption…). « Pire encore, les parlementaires introduisent une présomption d’instrumentalisation de l’avocat par son client qui remet en cause tout le secret professionnel », dénonce le CNB. Une exception intolérable pour la profession, qui ouvrirait une brèche dangereuse.

« Bien que la CMP pose le principe général d’une protection “unifiée” du secret professionnel, défense comme conseil, dans le Code de procédure pénale », reconnaît le CNB, le compromis crée, selon lui, un « état d’insécurité juridique permanent préjudiciable aux citoyens, aux entreprises, aux avocats et à l’État de droit ! ». Il le juge ainsi « incompréhensible, dangereux, inacceptable ». Des mots forts qui résonnent auprès du barreau de Paris, lequel de son côté, juge cette disposition « particulièrement préoccupante concernant la protection du secret professionnel », et parle même de « compromis politiques ». « Alors que le texte issu de l’Assemblée nationale était porteur d’un grand espoir pour toute la profession d’avocat, les débats parlementaires qui ont suivi l’ont dénaturé et même dévitalisé », résume-t-il.

Un avis largement partagé par la Conférence des bâtonniers, qui détaille précisément sa crainte : « les autorités de poursuites pourront, sur la seule existence d’une enquête en matière fiscale ou en matière de délit financier, saisir, à l’occasion de perquisition, la totalité des pièces de son dossier et, sur la seule allégation de l’existence de ces mêmes délits, procéder à l’écoute téléphonique du cabinet d’avocat, et, à la saisie de tous ses outils numériques, sans que pour autant il puisse être fait grief à l’avocat d’une quelconque participation aux faits reprochés ». La Conférence défend bien au contraire un « secret professionnel plein et entier », « le seul possible dans une démocratie », considère-t-elle.

 

 

Des motions en chaîne

Les barreaux de France prennent eux aussi la parole, et adoptent, les uns après les autres, des motions contre ce texte. Dans un communiqué commun, le barreau de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne parlent notamment de l’ « atteinte intolérable portée par ce texte », et défendent un « secret absolu, [qui] ne saurait comporter de limites ou de restrictions, quelle que soit la nature de l’activité de l’avocat ». « Ce projet d’acte est un véritable recul », déplorent-ils.

Même son de cloche du côté des syndicats de la profession (Avenir des barreaux de France, FNUJA, SAF, CNA et l’ACE) qui réagissent fortement à cette « remise en cause du secret », et parlent d’ « un renoncement sans précédent à un principe fondamental dans un État de droit et garant des droits de la défense. »

Dans une lettre ouverte au garde des Sceaux enfin, la Confédération nationale des Avocats ne mâche pas non plus ses mots : « Porter atteinte au secret professionnel de l’avocat, c’est porter atteinte à la présomption d’innocence », s’insurge-t-elle, avant de préciser : « Notre démarche n’est pas corporatiste mais universaliste. Ce n’est pas notre profession que nous défendons, mais la Démocratie toute entière ».

En plus du fond du texte, les avocats sont également nombreux à en déplorer la forme. Le barreau de Paris considère les dispositions définitives sur le secret professionnel « mal rédigées et imprécises » quand les syndicats de la profession évoquent, dans un communiqué commun, la « mauvaise qualité rédactionnelle » de ce texte. Ils considèrent en outre qu’il « soumet en pratique [les exceptions possibles] à l'interprétation des juges dans un grand nombre de cas qu'il est encore difficile de déterminer ».

 

 

Les avocats restent mobilisés

Déterminé, le barreau de Paris demeure mobilisé et « ne se résigne pas face à ce texte et aux risques de dérives dangereuses qu’il peut engendrer », assure-t-il dans un communiqué. Jugeant que le texte porte une « atteinte directe et inconstitutionnelle au secret professionnel et donc aux droits de la défense », il assure d’ores et déjà travailler « à toute voie de recours possible et appelle les parlementaires qui avaient défendu le secret professionnel, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, à saisir le Conseil constitutionnel ».

De son côté, le CNB n’aura « de cesse de [se] battre pour la préservation du secret professionnel », assure-t-il, et demande au gouvernement (comme l’ont également fait les syndicats) de déposer un amendement pour revenir sur ce texte, lors de la lecture de la CMP qui aura lieu la semaine du 15 novembre à l’Assemblée nationale.

 

Constance Périn

 

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