Le 21 octobre, la commission mixte
paritaire sur le projet de loi confiance dans l'institution judiciaire a permis
de conclure à un accord sur le secret professionnel des avocats ; un
compromis qui n’a pas manqué de faire réagir la profession. Cette dernière
fustige un secret « dénaturé »,
« inacceptable » dans un État de droit. Les robes noires demandent ainsi au
gouvernement de revenir sur ce texte, lors de la lecture de la CMP qui aura
lieu la semaine du 15 novembre à l’Assemblée nationale.
« Un compromis
totalement inacceptable » pour le CNB, « un secret
professionnel finalement dénaturé », pour le barreau de Paris, et même
une « aberration juridique » pour la Conférence des
bâtonniers. Au lendemain d’un accord conclu par la commission mixte paritaire
(CMP) relatif au secret professionnel des avocats en marge des débats sur le
projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, la profession
voit rouge. Elle s’insurge en effet contre un secret professionnel déformé,
ébranlé par le poids des restrictions.
La
profession vent debout
Le 21 octobre, face
au désaccord entre les deux chambres du Parlement, la CMP, composée de sept
députés et sept sénateurs, était en charge de trouver un compromis. « Fière »
de cet accord, la députée LaRem et ancienne avocate Laetitia Avia se
réjouissait pourtant : « Nous avons notamment garanti la
protection du secret de l’avocat dans la défense comme le conseil »,
déclarait-elle sur Twitter à la sortie de la commission.
Un accord qui ne semble pourtant pas au goût des avocats. En effet, la
CMP introduit un alinéa à l’article 3 du Code de procédure pénale ; des
exceptions qui rendraient, – en matière de conseil, le secret inopposable aux
mesures d’enquête, notamment en cas de soupçons d’infractions de nature
financière (fraude fiscale, financement du terrorisme, corruption…). « Pire
encore, les parlementaires introduisent une présomption d’instrumentalisation
de l’avocat par son client qui remet en cause tout le secret
professionnel », dénonce le CNB. Une exception intolérable pour la
profession, qui ouvrirait une brèche dangereuse.
« Bien que la CMP pose le principe général d’une protection
“unifiée” du secret professionnel, défense comme conseil, dans le Code de
procédure pénale », reconnaît le CNB, le compromis crée, selon
lui, un « état d’insécurité juridique permanent préjudiciable aux
citoyens, aux entreprises, aux avocats et à l’État de droit ! ».
Il le juge ainsi « incompréhensible, dangereux, inacceptable ». Des
mots forts qui résonnent auprès du barreau de Paris, lequel de son côté, juge
cette disposition « particulièrement préoccupante concernant la
protection du secret professionnel », et parle même de « compromis
politiques ». « Alors que le texte issu de l’Assemblée
nationale était porteur d’un grand espoir pour toute la profession d’avocat,
les débats parlementaires qui ont suivi l’ont dénaturé et même dévitalisé »,
résume-t-il.
Un avis largement partagé par la Conférence des bâtonniers, qui détaille
précisément sa crainte : « les autorités de poursuites pourront,
sur la seule existence d’une enquête en matière fiscale ou en matière de délit
financier, saisir, à l’occasion de perquisition, la totalité des pièces de son
dossier et, sur la seule allégation de l’existence de ces mêmes
délits, procéder à l’écoute téléphonique du cabinet d’avocat, et, à la saisie
de tous ses outils numériques, sans que pour autant il puisse être fait grief à
l’avocat d’une quelconque participation aux faits reprochés ». La
Conférence défend bien au contraire un « secret professionnel plein et
entier », « le seul possible dans une démocratie »,
considère-t-elle.
Des motions
en chaîne
Les barreaux de France prennent eux aussi la parole, et adoptent, les uns
après les autres, des motions contre ce texte. Dans un communiqué commun, le
barreau de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne parlent notamment de l’ « atteinte
intolérable portée par ce texte », et défendent un « secret
absolu, [qui] ne saurait comporter de limites ou de restrictions, quelle que
soit la nature de l’activité de l’avocat ». « Ce projet d’acte
est un véritable recul », déplorent-ils.
Même son de cloche du côté des syndicats de la profession (Avenir des
barreaux de France, FNUJA, SAF, CNA et l’ACE) qui réagissent fortement à cette
« remise en cause du secret », et parlent d’ « un
renoncement sans précédent à un principe fondamental dans un État de droit et
garant des droits de la défense. »
Dans une
lettre ouverte au garde des Sceaux enfin, la Confédération nationale des
Avocats ne mâche pas non plus ses mots : « Porter atteinte au
secret professionnel de l’avocat, c’est porter atteinte à la présomption
d’innocence », s’insurge-t-elle, avant de préciser :
« Notre démarche n’est pas corporatiste mais universaliste. Ce n’est pas
notre profession que nous défendons, mais la Démocratie toute entière ».
En plus du fond du texte, les avocats sont également nombreux à en
déplorer la forme. Le barreau de Paris considère les dispositions définitives
sur le secret professionnel « mal rédigées et imprécises » quand
les syndicats de la profession évoquent, dans un communiqué commun, la « mauvaise
qualité rédactionnelle » de ce texte. Ils considèrent en outre qu’il « soumet
en pratique [les exceptions possibles] à l'interprétation des juges dans un
grand nombre de cas qu'il est encore difficile de déterminer ».
Les avocats
restent mobilisés
Déterminé,
le barreau de Paris demeure mobilisé et « ne se résigne pas face à ce
texte et aux risques de dérives dangereuses qu’il peut engendrer »,
assure-t-il dans un communiqué. Jugeant que le texte porte une « atteinte
directe et inconstitutionnelle au secret professionnel et donc aux droits de la
défense », il assure d’ores et déjà travailler « à toute voie
de recours possible et appelle les parlementaires qui avaient défendu le secret
professionnel, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, à saisir le Conseil
constitutionnel ».
De son côté,
le CNB n’aura « de cesse de [se] battre pour la préservation du secret
professionnel », assure-t-il, et demande au gouvernement (comme l’ont
également fait les syndicats) de déposer un amendement pour revenir sur ce
texte, lors de la lecture de la CMP qui aura lieu la semaine du
15 novembre à l’Assemblée nationale.
Constance Périn