SOCIÉTÉ

Signalement des violences sur mineurs : une tribune dénonce les risques qui pèsent sur les médecins, et par ricochet sur les enfants

Signalement des violences sur mineurs : une tribune dénonce les risques qui pèsent sur les médecins, et par ricochet sur les enfants
Publié le 31/12/2024 à 15:54

« Ces professionnels s’exposent à des procédures disciplinaires et/ou en diffamation qui visent à les dissuader de remplir leur rôle », dénonce l’article d’un mouvement citoyen. Cosigné par plusieurs médecins et collectifs, le texte réclame l’adoption d’un « protocole national garantissant l’anonymat des lanceurs d'alerte » dans le domaine de la protection des enfants.

« Face à la montée des violences, qui protège ceux qui défendent nos enfants ? » Une tribune du mouvement citoyen Les Voies, cosignée par une soixantaine de médecins et de collectifs, publiée le 20 décembre dans Le Quotidien du médecin, tape du poing sur la table.

Alors qu’en 2023, les violences contre les médecins ont augmenté de 27 %, et en particulier les femmes (56 %), selon le Conseil national de l’Ordre des médecins, « la recrudescence des agressions physiques et verbales, notamment à la suite de signalements de maltraitance, met en lumière le manque de protection dont bénéficient les professionnels de santé et de l’enfance qui sont en première ligne pour défendre l'intérêt des enfants en danger », affirment les signataires, qui ajoutent : « Ces professionnels s’exposent à des procédures disciplinaires et/ou en diffamation qui visent à les dissuader de remplir leur rôle ».

Un risque également mis en avant par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ainsi que par Médecins Stop Violences. « Des médecins soucieux de protéger leurs jeunes patients se retrouvent poursuivis par l’agresseur présumé de l’enfant devant le Conseil de l’Ordre sur le fondement de quatre articles du code de déontologie médicale : violation du secret médical, immixtion dans les affaires de famille, non-respect de l’autorité parentale conjointe et certificat tendancieux ou de complaisance », dénonçait déjà le collectif à travers une pétition lancée en juin 2022, qui a récolté à ce jour 7 100 signatures.

20 % de soupçons non signalés 

Ainsi, « 20 % des professionnels de santé pourraient avoir déjà soupçonné des cas de maltraitance sans les signaler », souligne la tribune du mouvement Les Voies. Le problème n’est pas nouveau. En 2014, la Haute Autorité de Santé, HAS, rapportait que moins de 5 % des signalements provenaient du secteur médical. Pourtant, dans une recommandation de mai 2011, elle relevait que les médecins « font partie des acteurs de proximité les plus à même de reconnaître les signes évocateurs d’une maltraitance sexuelle ainsi que les situations à risque. »

Le différentiel s’expliquerait par un cadre juridique confus, voire incohérent, selon certains médecins. D’un côté, l’article 434-3 du Code pénal prévoit bien une obligation « pour quiconque » de dénoncer les mauvais traitements ou agressions infligés à un mineur, mais les « personnes astreintes au secret [professionnel] » - et donc notamment les médecins - sont expressément exclues.

En parallèle, le Code de la santé publique affirme, à son article R. 4127-43, que « le médecin doit être le défenseur de l'enfant (…) » et, à son article R.?4127-44, que « lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. Lorsqu'il s'agit d'un mineur (…), il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience. ».

Pour Médecins Stop Violences, imposer au médecin  « prudence » et  « circonspection » et évoquer la possibilité de ne pas signaler des sévices en fonction de « circonstances particulières » vient contredire l’obligation d’être un défenseur de l’enfant. Le collectif juge dans sa pétition de 2022 que « ce flou rédactionnel laisse la porte ouverte à toutes les dérives, craintes et abstentions empêchant le signalement des enfants en danger et leur protection effective ».

Le « piège » de l’absence d’anonymat

Par ailleurs, la loi prévoit certes que le signalement ne peut pas engager la responsabilité de son auteur quand celui-ci a agi de bonne foi. Mais le Code de l’action sociale et des familles, qui fixe le cadre entourant la transmission des « informations préoccupantes » destinées à alerter le président du conseil départemental sur la situation d'un mineur, ne consacre pas l’anonymat des transmetteurs. « Or, cette transparence, conçue pour assurer la traçabilité des signalements, devient un piège lorsque les médecins sont menacés », fait valoir le mouvement citoyen Les Voies.

Visant à renforcer les systèmes nationaux de signalement des cas de violence à l’égard des enfants, une recommandation du Conseil de l’Europe, adoptée en septembre 2023, souligne que « Les États membres devraient encourager et aider les professionnels à signaler les cas de violence (…). [Ils] devraient, en cas de risque grave pour l’enfant ou le professionnel, envisager que les dispositions légales et politiques permettent aux professionnels qui signalent un cas de violence à l’égard d’un enfant de garder l’anonymat vis-à-vis des tiers autres que les autorités publiques ».

Dans la foulée, en novembre 2023, la Première ministre Elisabeth Borne a présenté le Plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2023-2027, qui part notamment du constat que chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles, dont 77 % au sein de la famille. Sa mesure 19 promet particulièrement de « garantir l’obligation de protection des professionnels de la santé signalant des situations de violences faites aux enfants ».

« Et depuis ? Rien n’a véritablement avancé », déplorent les professionnels associés à la tribune du 20 décembre. « Nous demandons aujourd’hui l’adoption d’un protocole national garantissant l’anonymat des lanceurs d'alerte dans le domaine de la protection des enfants [qui] permettrait de protéger à la fois les mineurs et les professionnels qui veillent sur eux », réclament-ils.

« C’est tout le système qui vacille »

« Protéger les enfants et ceux qui veillent sur eux est un impératif moral et sociétal, ajoutent les signataires. Sans cette protection, c’est tout le système de signalement qui vacille, et ce sont les mineurs et les personnes vulnérables qui en paient le prix fort ».

Ce signal d’alarme suffira-t-il pour faire bouger les lignes ? Rien de moins sûr, la Commission des affaires sociales et la Commission des lois du Sénat ayant affirmé, au sein d’un rapport intitulé « Articuler secret professionnel et devoir de signalement pour protéger les mineurs en danger », que « le cadre législatif actuel est correctement conçu ».

En mars 2022, la Ciivise a préconisé, elle, une obligation de signalement pour les médecins soupçonnant des violences sexuelles sur des enfants. De quoi mettre les feux aux poudres du côté de l’Ordre des médecins, de certains praticiens mais aussi d’avocats. « Signaler un cas de maltraitance sur un enfant résulte de la liberté de conscience des médecins, pas de leur obligation, indique un collectif porté par l’avocat Clément Bossis dans une tribune au Monde. La protection de l’enfance ne doit pas sacrifier le secret médical et la préservation de nos intimités ».

L’élan pourrait en revanche venir de la jurisprudence. Une décision rendue le 15 octobre dernier par le Conseil d’État semble ainsi pousser les médecins à signaler les cas de maltraitance qu’ils rencontrent en leur facilitant la tâche. La juridiction, qui donne une définition large du signalement, considère que celui-ci peut être adressé à un juge déjà saisi de l’affaire. De quoi relancer le débat sur l’obligation de signaler.

Bérengère Margaritelli

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