La
chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu, le 31 mars
2021 (n° 19-12057), un arrêt intéressant en droit des sociétés, permettant
d’observer que la cogérance n’est pas toujours simple et qu’il peut être très
important de rédiger des statuts adaptés à la situation.
Deux
frères sont associés et co-gérants d’une SARL, établie en Guadeloupe. Le frère
A possède 50,04 % du capital, tandis que le frère B en détient 49,96 %. Le
frère A organise une assemblée générale à Paris, après avoir dûment convoqué son
frère B, en 2016. Le frère B n’étant pas en métropole, il ne peut pas se rendre
à l’assemblée générale. A tient donc seul l’assemblée générale et décide à
cette occasion de révoquer son frère des fonctions de co-gérant et de
s’octroyer une prime exceptionnelle. Mécontent, B tente d’obtenir l’annulation
de cette assemblée générale.
Il
est débouté par la cour d’appel et n’obtiendra pas non plus satisfaction devant
la Cour de cassation.
Les
trois points qui étaient en discussion dans cette affaire peuvent être analysés
tour à tour.
Dans le silence des statuts, qui décide du lieu de
réunion des assemblées générales ?
Voilà
un sujet qui n’est pas toujours abordé lors de la rédaction des statuts entre
les associés fondateurs : où doivent se tenir les assemblées générales ? La
question n’est pas nécessairement débattue entre les associés, qui pensent que
tout va généralement se dérouler au siège de la société. Mais, à défaut de
précisions dans les statuts, il appartient en fait à l’auteur de la convocation
(le plus souvent le gérant) de préciser, en plus de la date de la réunion et de
son ordre du jour, son lieu. L’assemblée générale pourra alors tout à fait se
tenir à un autre endroit que le siège social. À la vérité, il est plutôt
préférable de laisser cette marge de manœuvre dans les statuts de façon à
laisser une souplesse au gérant pour s’adapter aux circonstances. C’est bien ce
qui s’est passé en l’espèce, le co-gérant convoquant l’assemblée générale à
Paris plutôt qu’en Guadeloupe.
Toutefois,
cette liberté peut entraîner des difficultés, tout particulièrement lorsque
l’assemblée générale est organisée dans un lieu très éloigné du lieu habituel
de réunion, ou du lieu de résidence des autres associés. En l’espèce, B prétend
qu’il n’a pas pu se rendre à l’assemblée générale, faute d’avoir pu organiser
un déplacement en urgence en métropole. Il tente alors de démontrer que le seul
objectif de son frère co-gérant était d’entraver sa participation à l’assemblée
générale, violant le principe selon lequel « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives » (art.
1844 C. civ.).
Il
n’est toutefois pas suivi par la cour d’appel, ni par la Cour de cassation, qui
rappellent que, dans le silence des statuts, le lieu de réunion est librement
fixé par l’auteur de la convocation. Ce n’est alors que dans l’hypothèse d’un
abus dans la fixation du lieu de réunion que l’assemblée générale pourrait
encourir la nullité. Or, en l’espèce, B n’est pas parvenu à mettre en évidence
l’existence d’un abus : d’une part, il avait été mis au courant de la présence
de son frère A en métropole pendant la semaine en question. D’autre part, il ne
démontre pas qu’il était indisponible le jour de la réunion, et ne démontre pas
non plus que son frère A avait sciemment voulu l’empêcher d’assister à cette
assemblée.
Une
rédaction plus minutieuse des statuts aurait peut-être permis d’échapper à
cette difficulté et garantir la présence de tous les associés malgré leur
éloignement. En effet, de nombreuses alternatives existent à la tenue physique
des assemblées générales physiques, dont notamment la visioconférence (C. com.,
art. L. 223-27).
Le
co-gérant, associé majoritaire, peut-il librement révoquer l’autre
co-gérant ?
Sur
le même fondement du droit de participer aux décisions collectives, B tente
d’obtenir l’annulation de la décision de révocation dont il a fait l’objet. Il
s’appuie pour cela sur la rédaction des statuts qui indiquent que les décisions
de révocation doivent être prises par « des
associés représentant plus de la moitié des parts sociales » sans pouvoir
faire l’objet d’une seconde discussion si cette majorité n’est pas réunie. Il
prétend ici que cette rédaction évoquant « des
associés » interdirait qu’un associé puisse prendre seul la décision de
révoquer un gérant, et qu’il faudrait que deux associés au moins soient
présents, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Cet
argument est sèchement balayé par la Cour de cassation, qui valide totalement
l’analyse de la cour d’appel. Celle-ci a en en effet, après avoir rappelé les
textes applicables (C. com., art. L. 223-25 et L.
223-29), considéré que la formule « des
associés représentant plus de » utilisée dans les statuts devait être
comprise comme faisant référence à l’idée de « un ou plusieurs associés ». C’est en effet le sens de l’article
L.
223-29 qui prévoit que les décisions prises en assemblée générale sont adoptées
« par un ou plusieurs associés » représentant plus de la moitié des parts
sociales.
Seule
compte ici la part dans le capital du ou des associés qui votent et non le
nombre d’associés. Par conséquent, l’associé cogérant disposant de 50,04 %
pouvait à loisir décider seul de révoquer son co-gérant. Le co-gérant révoqué
ne dispose plus alors que de la possibilité de chercher à obtenir des dommages
et intérêts s’il peut mettre en évidence que la révocation a été prononcée sans
justes motifs (C. com., art. L. 223-25 al. 1).
On
se rend bien compte de la difficulté de ce genre de situation, qui place l’un
des co-gérants à la merci de l’autre, associé majoritaire. Mais il n’est pas
pour autant souhaitable d’organiser une égalité parfaite, qui serait source de
blocage des décisions sociales. C’est la raison pour laquelle il est utile d’évoquer
ces questions lors de la rédaction des statuts en réfléchissant à la mise en
place de dispositifs protecteurs (majorités plus fortes, respect d’un préavis,
etc.).
Un
co-gérant peut-il voter sur l’allocation d’une prime
exceptionnelle lui profitant ?
Enfin, le dernier point en
discussion concernait l’octroi par A d’une prime exceptionnelle à son profit en
qualité de co-gérant. B prétendait que le versement de cette prime
exceptionnelle était ce qu’on appelle une «
convention réglementée ». On vise ici notamment les conventions conclues
entre la société et ses gérants associés lorsqu’elles ne sont ni courantes ni
conclues à des conditions normales. Afin de prévenir les conflits d’intérêts,
le législateur prévoit dans ce cas que celui qui profite de la convention ne
peut pas prendre part au vote.
La cour d’appel et la Cour de
cassation rappellent toutefois que le versement de primes exceptionnelles à un
co-gérant n’entre pas dans cette catégorie car il s’agit d’un élément de
rémunération (Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-13205), même s’il est majoritaire
(Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-23398). Par conséquent, en l’espèce, le
co-gérant associé pouvait librement s’octroyer une prime.
En définitive, on rappellera
que l’organisation d’une cogérance est toujours une situation délicate. La
rédaction des statuts de la société constitue alors un exercice
particulièrement important, qui permet d’anticiper ce type de difficultés, et
d’éviter des contentieux.
Tanguy Allain,
Avocat au barreau de Nantes (tnjlex-avocat.fr),
Maître de conférences en droit privé, université de
Rennes 1