DROIT

TRIBUNE. De la sensibilité animale à la sensibilisation des enfants à l'école : l'avocat a une vraie légitimité à intervenir

TRIBUNE. De la sensibilité animale à la sensibilisation des enfants à l'école : l'avocat a une vraie légitimité à intervenir
Publié le 05/11/2024 à 08:53

L’enseignement de l’éthique animale à l’école prévu par la loi [visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes] intervient à la confluence du sujet de la protection de l’enfance mais aussi de la responsabilité des mineurs. L’avocate et responsable de la Commission ouverte Droits & Animaux au barreau de Paris Marie-Bénédicte Desvallon analyse l’effectivité de la loi de 2021 et la réponse apportée à ces enjeux « actuels et pressants »

Depuis la rentrée 2024, la « question du respect des animaux de compagnie » fait partie du programme d'enseignement moral et civique de nos générations futures sur les bancs de l’école au CP[1] selon l’arrêté du 29 mai 2024[2].

Une nouveauté qui procède de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes (loi de 2021) venue compléter l’article L.312-15 du Code de l’éducation selon lequel « l'enseignement moral et civique sensibilise également, à l'école primaire, au collège et au lycée, les élèves au respect des animaux de compagnie. Il présente les animaux de compagnie comme sensibles et contribue à prévenir tout acte de maltraitance animale ». 

Après les débats sur la restriction de la sensibilisation des élèves à la sensibilité des seuls animaux de compagnie[3], le programme d’enseignement répond-il aux enjeux et objectifs ? Quelle effectivité de la norme vis-à-vis de sa cible et des modalités de sa mise en œuvre ?

Quel programme d’enseignement sur l’éthique animale ?

Face à l’évolution de la délinquance juvénile caractérisée par une violence accrue qui dépasse les murs de l’école, le législateur envisageait un arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de l'alimentation, de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et du ministre de la défense sur le contenu et les modalités de mise en œuvre de la sensibilisation à l'éthique animale[4]. Mais c’est seul que le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse a fixé le programme relatif au respect des animaux de compagnie par les plus petits.

Concernant le retard dénoncé par les associations de protection animale dans la mise en œuvre de cette sensibilisation, rappelons que l’ article D. 311-5 du Code de l’éducation dispose que les programmes ne peuvent entrer en vigueur que douze mois au moins après leur publication, sauf décision expresse du ministre compétent et après avis du Conseil supérieur de l'éducation. Décision fut prise de déroger à ce délai minimum pour certaines classes seulement, réduisant ainsi le retard pris dans l’élaboration du programme de sensibilisation en application de la loi de 2021.

2024-2025

Classes de cours préparatoire, cours moyen 1ère année, 5ème, 2nde générale et technologique, 2nde professionnelle et 1ère année de préparation au certificat d’aptitude professionnelle

2025-2026

Classes de cours élémentaire 1ère année, cours moyen 2ème année, 4ème, 1ère des voies générale, technologique et professionnelle et 2ème année de préparation au certificat d’aptitude professionnelle

2026-2027

Classes de cours élémentaire 2ème année, 6ème, 3ème et terminale des voies générale, technologique et professionnelle.

 


                                            Calendrier de mise en œuvre du programme fixé par Arrêté du 29 mai 2024 (art 3)

Alors que la loi de 2021 visait l'école primaire, le collège mais aussi le lycée, force est de constater que « la question du respect des animaux de compagnie » n’est prévue que dans le programme des CP[5].

Quelles modalités de sensibilisation des enfants à la sensibilité animale ?

Mentionnée dans l’enseignement des règles collectives et l’autonomie, la question du respect des animaux est rattachée aux notions de droits et devoirs de l’élève, l’égalité et la responsabilité. Cependant, l’apprentissage de la sensibilité animale est inclus dans l’enseignement du respect des équipements de la collectivité, des conditions du partage des biens communs. Ainsi, ce programme d’enseignement tant attendu associe la « question » (et non le devoir) du respect des animaux au respect des équipements et des biens communs. 

Rappelons que la Loi de 2021 aborde la sensibilisation à l’éthique animale sous le prisme philosophique et scientifique. Alors bien sûr, sensibiliser les plus petits sous ce prisme est pour le moins difficile. Mais le choix d’associer les animaux de compagnie à l’enseignement tenant à des « équipements », risque d’être contreproductif, si le professeur n’est pas accompagné et guidé.

Même si l’animal approprié relève encore du régime des biens, la sensibilité des animaux n’est pas une question. Elle est reconnue depuis 1976 pour les animaux domestiques et pour l’ensemble des animaux depuis 2015. Il ne s’agit pas de faire un cours de droit à des CP. Pour autant, les modalités d’enseignement sur la « question » du respect des animaux mériteraient d’être mieux encadrées.

« Il s’agit pour les élèves de mieux appréhender l’altérité en prenant conscience des similitudes entre humains et animaux, notamment à travers la sensibilité à la douleur, aux maltraitances »

Au nom du principe de liberté pédagogique dans l’enseignement, le ministère s’interdit d’imposer aux professeurs les supports de leurs cours[6]. Dans ce contexte, nombreuses sont les associations à proposer leurs propres supports. D’autres encore dans le domaine de la médiation animale démarchent les écoles pour vendre leurs prestations. Alors que la médiation animale, dans son acception élargie, se développe dans un contexte de vide juridique, au détriment des animaux détenus par certains médiateurs plus mercantiles que vertueux, la présence des animaux dans les écoles pour aborder la question de l’éthique animale soulève de nombreuses interrogations : la question préalable des éventuelles allergies par certains enfants, la question du contact avec l’animal qui ne doit pas être là pour divertir, ou pour alimenter la sensiblerie trop humaine autour des animaux[7], mais au contraire pour apprendre à respecter l’animal en tant qu’individu à l’opposé d’un bien collectif. 

Comment ne pas déplorer l’absence d’une certaine normalisation de la qualité pédagogique du support mais surtout du défaut de contrôle de la réponse apportée à la finalité de l’enseignement : faire prendre conscience aux enfants que l’animal de compagnie est un être sensible pour mieux lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes. En d’autres termes, il s’agit pour les élèves de mieux appréhender l’altérité tout en prenant conscience des similitudes entre les humains et les animaux, notamment à travers la sensibilité à la douleur, aux maltraitances.

Des mauvais traitements sur animaux à la maltraitance humaine

Le programme d’enseignement rappelle que le CP constitue le moment charnière entre l’école maternelle et l’école élémentaire. Tout particulièrement au CP, l’école renforce une première acquisition des exigences du respect d’autrui et de la vie en société, en permettant à l’enfant de trouver sa place comme personne singulière. Chaque enfant apprend ainsi à se comporter comme un élève en développant son identité dans le respect de soi et des autres.

Face au harcèlement, aux violences domestiques, à l’exposition des enfants à toute forme de violence, à la banalisation de celle-ci sur les réseaux et jusque dans des dessins animés, aborder l’éthique animale sous le prisme de la sensibilité à la douleur[8] pourrait, sans aucunement dévier vers un anthropomorphisme, mieux faire comprendre l’atteinte à l’intégrité, aider à reconnaître la violence, et peut-être libérer la parole d’enfants témoins, voire victimes ou auteurs de maltraitance.

La récente introduction de la définition de la maltraitance dans le Code de l'action sociale et des familles [9](« CASF ») procède de la définition élaborée dans le cadre de la Commission de promotion de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance[10].

Si l’animal n’est pas reconnu en droit comme un être vulnérable[11], ni comme une victime, il n’en demeure pas moins qu’un enfant victime de maltraitance peut avoir en commun avec l’animal, l’auteur(e) des violences. La structuration de la définition donnée à l’article L119-1 identifie les différents éléments permettant de caractériser la maltraitance :

Comment

lorsqu'un geste, une parole, une action ou un défaut d'action

Impact

compromet ou porte atteinte à son développement, à ses droits, à ses besoins fondamentaux ou à sa santé et

Contexte

que cette atteinte intervient dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d'accompagnement

Dans le temps

les situations de maltraitance peuvent être ponctuelles ou durables, intentionnelles ou non 

Origine

leur origine peut être individuelle, collective ou institutionnelle. Les violences et les négligences peuvent revêtir des formes multiples et associées au sein de ces situations

De la santé mentale et de la responsabilité pénale des mineurs

En septembre 2023, le Comité des droits de l’enfant alertait sur les incidences de toute exposition à la violence, y compris celle sur les animaux. Dans son observation générale 26, en référence à l’article 19 « Droit de ne pas être soumis à une forme quelconque de violence », le texte énonce que « les enfants doivent être protégés contre toutes les formes de violence physique et psychologique et contre l’exposition à la violence, comme la violence domestique ou la violence infligée aux animaux. »

L’impact des violences auxquelles sont exposés les enfants sur leur santé mentale ne cesse d’être démontré par les professionnels de la santé. De victime à auteur de violences, il n’y a parfois qu’un pas. Se multiplient également les études statistiques sur la zoophilie pratiquée par des adolescents isolés ou/et visionnant des films pornographiques. La cruauté quotidienne des enfants à la Réunion comme à Mayotte notamment sur des chiens et contre laquelle luttent des associations de protection animale est une alerte sur la santé mentale des enfants.

Aussi, lorsque, le 10 octobre 2024, le premier ministre Michel Barnier a annoncé que la santé mentale serait la grande cause nationale pour 2025, la question des violences perpétrées envers les animaux en présence ou par des enfants ne doit pas être éludée.


Bien au-delà des associations de protection animale, le corps médical appelle aux actions pluridisciplinaires, y compris avec l’Education Nationale, pour prévenir et repérer les mineurs auteurs de violences. A cet effet, l’Article L221-1 du CASF dispose au 5ter que le service de l'aide sociale à l'enfance est chargé de « (…) veiller au repérage et à l'orientation des mineurs condamnés pour maltraitance animale ou dont les responsables ont été condamnés pour maltraitance animale. »

Depuis la réforme de la justice pénale des mineurs entrée en vigueur le 30 septembre 2021 et l’instauration du code de justice pénale des mineurs (CJPM), « lorsqu'ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l'article 388 du Code civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables. (art L11-1 CJPM).

L’article précise qu’« est capable de discernement le mineur qui a compris et voulu son acte et qui est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l'objet. » Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement tandis que les mineurs âgés d'au moins treize ans sont présumés être capables de discernement.

Dans ce nouveau cadre juridique, la sensibilisation des mineurs au collège et lycée au respect des animaux ne saurait être dissociée de la prise de conscience de la responsabilité pénale[12] qu’ils encourent. L’intervention de personnes qualifiées non seulement sur la question animale mais aussi sur le volet juridique et notamment en droit pénal s’impose.

En considération du principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel il est nécessaire de rechercher le relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à l’âge et à la personnalité[13], les avocats ont une vraie légitimité à intervenir auprès des élèves pour expliciter tant l’évolution de la protection des animaux que la notion de discernement et la responsabilité de leurs actes. 


Marie-Bénédicte Desvallon

Avocate au Barreau de Paris et Solicitor of England & Wales - WAT & LAW

Responsable de la Commission ouverte Droits & Animaux au Barreau de Paris

Directrice de session de la formation continue des magistrats sur le module l’animal et le droit

Co-auteure du manuel juridique sur les chiens de travail



[1] Cours Préparatoire à l’école élémentaire.

[2] Arrêté du 29 mai 2024 - JO du 12-6-2024 Fixant le programme d'enseignement moral et civique du cours préparatoire à la classe terminale des voies générale, technologique et professionnelle et des classes préparant au certificat d'aptitude professionnelle.

[3] Et non des animaux de rente et autres animaux domestiques ni même des animaux non domestiques à l’état de liberté.

[4] Article 25 de la Loi du 21/12/2021.

[5] Bulletin officiel n° 24 du 13 juin 2024 : Les programmes des autres classes ne visent pas la sensibilité animale ; En 3ème est prévu l’enseignement de « Prendre l’exemple de l’engagement en faveur de la cause animale » ; en 2nde, l’animal est abordé en tant qu’« objet de droit » dans le contexte d’un « respect du vivant ».

[6] Lettre du ministère de l’Education et de la Jeunesse du 23 février 2024.

[7] Le fait de laisser toucher l’animal par l’ensemble de la classe ne saurait répondre au respect de l’animal. A titre d’exemple rapporté par un intervenant en médiation animale dans les écoles avec une perruche qui, après être passée dans les mains de plusieurs enfants, fut étranglée par un autre enfant pendant la même classe.

[8] A la souffrance sous toutes ses formes.

[9] Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants

[10] Instance conjointe du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA) et du Comité National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH).

[11] On parle en revanche d’espèce vulnérable en considération d’un état de conservation d’animaux sauvages à l’état de liberté (ex à la date du présent article Le Loup gris (Canis lupus), une espèce classée “ vulnérable » (risque proche d’être menacé d’extinction).

[12] Art 122-8 du Code pénal : » Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, en tenant compte de l'atténuation de responsabilité dont ils bénéficient en raison de leur âge, dans des conditions fixées par le code de la justice pénale des mineurs.

[13] Cons. const. 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, n° 2002-461 DC.

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