La filiale française de
Philip Morris a été condamnée, pour la seconde fois en quatre ans, à une lourde
amende pour la promotion illégale de ses produits de tabac. Quelques jours
après cette décision du tribunal judiciaire de Paris, le Comité national contre
le tabagisme publiait un rapport sur les fréquents contournements de la
législation opérés par de nombreuses marques de produits de tabac et de
nicotine. L’association en appelle au renforcement des contrôles et au
durcissement des sanctions.
Le Comité national contre le
tabagisme (CNCT) poursuivait devant le tribunal judiciaire de Paris la filiale
française de Philip Morris. L’association accusait le groupe d’avoir violé l’interdiction
de diffuser des publicités en faveur des produits de tabac et de vapotage. Une
interdiction prévue par l’historique loi Évin, en date du mois de janvier 1991,
selon laquelle « la propagande ou la publicité, directe ou indirecte,
en faveur du tabac, des produits du tabac, des ingrédients définis à l’article
L. 3512-2 », tels que les additifs ou encore les filtres, est
interdite. Pour le CNCT, qui est la plus ancienne association de prévention du
tabagisme en France, les infractions de Philip Morris s’inscrivent dans une « stratégie
plus globale […], qui cherche à
redorer son image et à promouvoir ses nouveaux produits à forte marge
bénéficiaire ».
Le produit particulièrement
mis en cause dans cette affaire est le dispositif IQOS, commercialisé par
le groupe depuis 2017. Présenté par Philip Morris comme « une
alternative à la cigarette », ce produit détient l’allure d’une
cigarette électronique, sans en être une. Il s’agit d’un mécanisme capable de chauffer
le tabac jusqu’à 350 degrés, sans générer de fumée, de cendre ou d’odeur
persistante, selon la marque. Mais dans sa décision du 20 février dernier, le Tribunal
judiciaire de Paris a détaillé les infractions de la filiale française, telles
que la diffusion de publicités pour le dispositif IQOS. Des publicités que les
juges ont décrites comme détenant un « caractère laudatif » et
« qui excèdent les informations objectives sur le produit ». Le
Tribunal a, par exemple, relevé que certaines publicités mentionnaient le fait
que les feuilles de tabac utilisées par le dispositif étaient « dépourvues
d’agents de saveur », ou encore que cette cigarette était équipée « d’un
filtre minéral », en vente dans un « éco-emballage ».
Pour de nombreuses
associations de lutte contre le tabagisme, les cigarettiers historiques tentent
de nouvelles approches publicitaires de produits présentés en alternatives au
tabac afin d’endiguer la perte de vitesse du marché de la cigarette. En effet, la
consommation générale de tabac poursuit inexorablement sa décroissance, en
France : 45 milliards de cigarettes étaient vendues en 2016, contre 26
milliards en 2024, selon l’association Demain sera non-fumeur. Ces chiffres restent,
en revanche, à nuancer, car selon les données des douanes du mois de juin 2024,
le volume de cigarettes vendues par les buralistes en France a baissé de 23%
par rapport à 2023. Une baisse qui pourrait également s’expliquer par le
recours croissant aux cigarettes de contrebande, encouragé par la hausse de la
fiscalité sur le prix du paquet de cigarettes. Quoi qu’il en soit, le tabac et
la nicotine demeurent un fructueux marché puisqu’en 2023, le chiffre d’affaires
global du secteur atteignait les 20 milliards d’euros, en France continentale.
Il s’agit d’un chiffre en augmentation de 10% sur l’ensemble de la période,
depuis 2017, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances
addictives (OFDT).
IQOS épinglé
une première fois par la justice en 2021
Déjà, en décembre 2021, la 31ème
Chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris condamnait Philip
Morris France et Philip Morris Products pour « propagande et publicité
en faveur du tabac » dans le cadre de son dispositif IQOS. Le CNCT
accusait, à cette époque, la filiale d’organiser une « offensive en
ligne et sur les lieux de vente ». L’association estimait par ailleurs
que le fabricant tentait de « se positionner comme une solution à
l’épidémie tabagique », à l’aide de sa machine à chauffer du tabac. Dans
le cadre de cette affaire, le CNCT avait collecté plusieurs éléments de preuves
incriminant la filiale française, tels que son usage d’un site internet
spécifique pour IQOS, le recrutement d’ambassadeurs chargés de promouvoir le
produit dans le cadre de soirées ou sur des lieux de vente, l’organisation de campagnes
d’affichages visibles depuis la rue ou encore la diffusion, en 2017, d’un publi-reportage
diffusé sur BFM Business.
En réalité, l’enjeu de cette
affaire se cristallise autour du statut du tabac à chauffer : doit-il être
considéré comme un produit de tabac ou non (comme s’en défend Philip
Morris) ? Selon la directive européenne 2014/40/UE du Parlement européen
et du Conseil, le tabac à chauffer était d’abord considéré comme un « produit
autre que les cigarettes et le tabac à rouler », lui permettant ainsi
d’échapper à la loi Évin et aux interdictions relatives à la publicité. Mais
alors que la consommation de tabac à chauffer avait considérablement augmenté,
l’Union européenne était finalement revenue sur sa précédente décision, en
adoptant la directive déléguée 2022/2100 de la Commission du 29 juin 2022. Ce
texte permettait l’élargissement de la liste des « produits du
tabac », avec l’inclusion du tabac à chauffer dans cette catégorie. Afin
de transposer cette nouvelle directive au droit national français, la loi
n°2023-171 a été promulguée en mars 2023. Le texte prévoit, dans son article
29, l’insertion du terme « tabac à chauffer » dans la liste
des « produits du tabac » qui tombent sous le coup de la loi
Évin.
Les juges du Tribunal
judiciaire de Paris avaient donc un temps d’avance sur la législation
européenne, puisque dès 2021 ces derniers avaient confirmé l’illégalité du
publi-reportage sur BFM Business, avant de se prononcer sur le statut du
dispositif IQOS, en considérant qu’il appartenait à la catégorie des « produits
du tabac ». Ainsi, pour le Tribunal, IQOS tombait bel et bien sous le
coup de l’interdiction de publicité directe ou indirecte prévue par la loi Évin.
De plus, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) écrivait au sujet du tabac à
chauffer, en 2020 : « La réduction de l’exposition à des produits
chimiques nocifs contenus dans les produits du tabac chauffé ne les rend pas
sans danger et ne se traduit pas non plus par une diminution des risques pour
la santé humaine ». Aussi, des recherches indépendantes ont conclu que
des produits toxiques semblables à ceux émis par les cigarettes classiques se
dégagent du tabac à chauffer. Philip Morris France avait donc été condamné par
les juges du Tribunal judiciaire de Paris à une amende de 50 000 euros, avant
de faire appel de cette décision. C’est finalement en juin 2024 que la Cour
d’appel de Paris a infligé à la filiale française une amende historique de 900
000 euros pour la promotion illégale du dispositif IQOS, soit une condamnation 18
fois plus importante qu’en première instance. Philip Morris France a ensuite
déposé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Une nouvelle amende
historique pour Philip Morris France
Ce sont donc pour les mêmes
faits, cette fois-ci survenus entre 2022 et 2023, que le CNCT a saisi une
nouvelle fois la justice. Dans un communiqué publié le 21 février dernier, l’association
écrit que Philip Morris opérait une stratégie marketing pour son dispositif
IQOS à travers de multiples supports : sites internet, réseaux sociaux ou
encore « organisation de campagnes de communication et de lobbying avec
la mobilisation directe de consommateurs ». Pour le comité, les
procédés publicitaires de Philip Morris s’apparentaient « à une forme
de propagande illicite, à savoir au fait de tout mettre en œuvre pour propager une doctrine, créer un
mouvement d’opinion et susciter une décision ». Le Tribunal judiciaire de
Paris a finalement considéré que la mise en avant des « avantages du
dispositif IQOS, notamment par rapport à la cigarette, est une publicité
directe pour ce dispositif qui renvoie immanquablement au produit du tabac
qu’il permet de consommer ». Les juges réitèrent leur remarque quant
aux publicités émises par Philip Morris France pour des produits de vapotage.
De façon inédite, la représentante
de la firme de Philip Morris France, Jeanne Pollès, a été condamnée par le Tribunal
puisqu’il considérait que cette dernière avait « agi dans le cadre de
ses fonctions de présidente et dans l’intérêt de la société Philip Morris France »,
tout en ayant « tiré un bénéfice financier des infractions commises ».
Les juges ont par ailleurs fait remarquer que Jeanne Pollès et Philip Morris
France « ont consacré des investissements majeurs pour tenter de
contourner la législation en vigueur ». La filiale française a donc été condamnée
à 500 000 euros d’amende, tandis que son ancienne présidente a été condamnée à
50 000 euros d’amende, ainsi qu’à l’inscription au bulletin n°2 du casier
judiciaire.
Philip Morris France a réagi
quelques jours après le jugement. « Nous prenons acte de la décision du
tribunal judiciaire de Paris et nous nous réservons le droit de faire appel.
Les allégations du CNCT sont infondées. Nous avons respecté et continuons de
respecter les lois en vigueur », a déclaré le groupe dans un
communiqué de presse. Le CNCT s’est, quant à lui, félicité de cette décision « qui
renforce la jurisprudence par l’inclusion de la dimension publicitaire en
dehors des modalités et supports classiques associés ».
Une « stratégie de
contournements massive en ligne »
Quelques jours après la
décision du Tribunal judiciaire de Paris, le CNCT publiait les résultats de son
étude, menée en partenariat avec le Fonds de lutte contre les addictions, sur
les « nouveaux produits du tabac et de la nicotine ». Cette
étude entend alerter « sur une stratégie de contournements massive en
ligne » des publicités des produits du tabac. L’association espère
ainsi « documenter la persistance des niveaux de publicités illégales
en faveur des produits du tabac et de la nicotine, sur les réseaux sociaux et
les sites internet des fabricants ». Pour mener à bien cette étude, le
CNCT a opéré une veille, tout au long de l’année 2024, des activités en ligne
de 20 marques de produits du tabac et de nicotine, tels que le tabac à
chauffer, le vapotage ou encore les sachets de nicotine. De multiples canaux de
communication digitaux ont été analysés : les réseaux sociaux, les newsletters,
les sites internet et les SMS envoyés aux consommateurs.
Au total, l’association dénombre
668 insertions publicitaires illégales sur les réseaux sociaux de la part de
fabricants de produits du tabac. Il s’agit-là d’un nombre élevé d’infractions,
mais en décroissance par rapport à 2023, avec un recul de 37%. Selon le CNCT, cette
baisse s’explique par la récente interdiction des cigarettes électroniques
jetables et les différentes actions en justice qui se sont soldées « par
la suspension des activités publicitaires de plusieurs fabricants ». En
revanche, l’observatoire remarque un « transfert de l’effort
publicitaire » en direction des sachets de nicotine (des petits
sachets circulaires, sans tabac, mais contenant de la nicotine et à placer dans
la bouche). Plus de 40% des insertions publicitaires illégales identifiées l’ont
été pour des sachets de nicotine, aussi appelés « pouches »,
tandis que moins d’un tiers des sites de revente de ces sachets « affichent
un avertissement conforme et visible sur le caractère addictif de la nicotine,
tel que défini par le Code de la santé publique », selon le CNCT. Face
à la montée en puissance de ce nouveau produit nicotinique, Geneviève
Darrieussecq, la ministre de la Santé de l’époque, annonçait en octobre 2024
leur prochaine interdiction. Elle avait motivé cette annonce dans les colonnes
du Parisien, en expliquant que « le marketing de ces produits est
directement ciblé vers les jeunes ».
En conclusion de ces résultats,
le CNCT formule quatre recommandations. Il préconise, d’une part, que soit
étendue l’interdiction de vente en ligne des produits du tabac aux produits du
vapotage (en considérant que la vérification de l’âge des acheteurs n’est pas
possible en ligne), et d’autre part, que soit restreinte la distribution de ces
produits à des lieux de vente physiques « strictement encadrés et en
nombre restreint ». Le CNCT recommande par ailleurs de faire appliquer
l’interdiction de commercialisation et de publicité des sachets de nicotine,
mais aussi de renforcer les contrôles et les sanctions afin de rendre ces
dernières plus dissuasives et préventives.
Inès
Guiza