Le bâtiment doit aujourd’hui opérer une véritable transformation. En
constituant le secteur le plus gros producteur de déchets en France avec
227,5 millions de tonnes (1), et en étant responsable de 44 % de la
consommation d’énergie (2) et 20 % des émissions de gaz à effet de serre
(3), les modes de construction utilisés jusqu’alors sont devenus inadaptés aux
changements climatiques.
Par ces chiffres, le bâtiment montre que les flux de matières et les flux
énergétiques sont intrinsèquement liés. Sobriété, utilisation efficace des
ressources matières et énergétiques, écoconception… autant de principes issus
de l’économie circulaire qui s’appliquent aussi aux enjeux énergétiques.
La loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le
gaspillage et à l’économie circulaire récemment adoptée s’inscrit dans la ligne
droite de la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 et
la loi relative à l’énergie et au climat de 2019.
Ces dernières ont notamment porté à 40 % l’objectif de réduction de
la consommation d’énergie fossile d’ici 2030 (L. 100-2 du Code de
l’énergie), prévu l’arrêt de la production d’électricité à partir du charbon
d’ici 2022 (L. 311-5-3 du Code de l’énergie), inscrit l’obligation
d’installations de panneaux solaires sur les nouveaux entrepôts et bâtiments
commerciaux (L. 111-18-1 du Code de l’énergie), ou encore fixé un objectif
de rénovation des passoires énergétiques grâce à un audit énergétique
complétant le diagnostic de performance énergétique (DPE) (L. 134-3 et
L. 134-3-1 du Code de l’énergie).
Transformer nos bâtiments et nos modes de construction constitue sans
aucun doute le meilleur moyen de répondre à l’objectif de la Programmation
Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) visant à rendre la production d’énergie
« plus renouvelable et décentralisée ».
Reste à savoir comment le bâtiment peut constituer un pont entre énergie
et économie circulaire.
Si certaines dispositions de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte
contre le gaspillage et à l’économie circulaire couplent à la fois des
objectifs d’économie circulaire et des objectifs d’efficacité énergétique
favorables à la transformation énergétique du bâtiment, celle-ci ne pourra
véritablement se réaliser sans le recours massif à l’autoconsommation
collective et aux communautés d’énergie renouvelable.
Les apports de la loi relative à l’économie circulaire
favorables aux enjeux énergétiques du bâtiment
Dans un
premier temps, de nombreux dispositifs permettent aux bâtiments, neufs ou
existants, de réaliser des économies d’énergie
Comme l’a souligné l’Institut National de l’Économie Circulaire, la
logique de l’économie circulaire impose de prendre en compte « les flux
directs, liés à la production et à la consommation directe des ressources sur
le territoire national, mais aussi les flux indirects liés à l’extraction, la
transformation, le transport de produits importés puis consommés en France […].
De plus, “l’énergie grise” liée à la production des produits et des
infrastructures est souvent insuffisamment considérée, vis-à-vis d es phases de transport et
d’utilisation, alors qu’elle est fortement consommatrice d’énergie et donc
émettrice de gaz à effet de serre (4) ».
L’objectif est donc de parvenir, en réduisant la consommation énergétique
et en relocalisant la production d’énergie, à une meilleure efficacité
énergétique. Cela implique nécessairement pour le secteur du bâtiment
d’appliquer les principes de sobriété et d’utilisation plus efficaces des ressources
matières et énergétiques.
À cet égard, la loi du 10 février 2020 (art. 24) modifie l’article L.
752-2 du Code de l’éducation relatif aux écoles d’architecture, afin que
celles-ci intègrent dans leurs formations des modules sur l’écoconception afin
de leur apprendre « à privilégier les matériaux durables, naturels, biosourcés
ou recyclables, et à favoriser au maximum les économies d’énergie ». Des
modules sur l’économie circulaire doivent également être suivis par les
fonctionnaires depuis le 1er janvier 2021 (art. 124 de la loi).
Par ailleurs, le dispositif des Certificats d’économies d’énergie (CEE)
constitue sans doute l’un des principaux instruments de la politique de
maîtrise de la demande énergétique. Il a pour objet de développer les économies
d’énergie en France en imposant aux fournisseurs d’énergie et aux distributeurs
de carburant de les promouvoir activement auprès de leurs clients particuliers,
collectivités et entreprises.
Les travaux réalisés (isolation de combles, des murs, système de
management de l’énergie, installation de chaudière individuelle ou collective
HPE, etc.) permettent aux bâtiments – publics ou privés, résidentiels,
industriels ou tertiaires – de réaliser de nombreuses économies d’énergie.
Accompagné par MaPrimeRénov’ lancée le 1er janvier 2020
– remplaçant le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et les
aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) – il permet à tous les
propriétaires, quels que soient leurs revenus, qu’ils occupent leur logement ou
qu’ils le mettent en location, de bénéficier de financements pour réaliser des
travaux d’isolation, de chauffage, de ventilation ou d’audit énergétique d’une
maison individuelle ou d’un appartement en habitat collectif.
Dans un
second temps, les déchets valorisés énergétiquement pourraient bénéficier
davantage à la consommation des bâtiments
La
valorisation énergétique consiste à récupérer et valoriser l’énergie produite
lors du traitement des déchets, notamment par combustion ou méthanisation. Elle
réduit la dépendance aux énergies fossiles et les coûts liés à leur
importation, mais participe aussi à la réduction des émissions de gaz à effets
de serre liés à l’extraction de ressources.
L’article
110 de la loi relative à l’économie circulaire a fixé un objectif de
valorisation énergétique d’au moins 70 % des déchets ne pouvant faire
l’objet d’une valorisation matière d’ici 2025 (L. 541-1 du Code de
l’environnement). Par cet objectif, la hiérarchie des modes de traitement des
déchets est clairement rappelée, à savoir dans l’ordre : la préparation en
vue de la réutilisation, le recyclage, toute autre valorisation dont
énergétique, et enfin l’élimination (L. 541-1 du Code de l’environnement).
La
valorisation énergétique des déchets correspondait à 11 639 GWh de production
thermique renouvelable et de récupération en 2018 (5). Si l’incinération reste
le principal mode de production d’énergie à partir des déchets, la formation de
combustibles solides de récupération (CSR) et la valorisation énergétique du
biogaz sont en plein développement.
L’article
111 de la loi relative à l’économie circulaire met en avant le développement
des installations de valorisation énergétique de déchets de bois pour la
production de chaleur.
À cet égard,
l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a compté que
près de 1 200 000 tonnes de déchets de bois font chaque année l’objet d’un
enfouissement alors qu’ils pourraient être valorisés (6). À ce jour, le bois B
(traité par de faibles adjuvants chimiques pour la conservation) est
difficilement valorisable énergétiquement et fait l’objet soit d’un
enfouissement, soit d’une exportation vers des pays qui, eux, le valorisent
énergétiquement. Espérons que ces dispositions permettront leur valorisation en
France.
Enfin,
l’article 88 de la loi relative à l’économie circulaire oblige les personnes
qui produisent ou détiennent plus de cinq tonnes de biodéchets (déchets
organiques) de mettre en place un tri à la source et une valorisation biologique ou une collecte sélective de ce
type de déchets (L. 541-21-1 du Code de l’environnement). Ces biodéchets
font partie le plus souvent l’objet d’une valorisation énergétique grâce à des
unités de méthanisation.
Les
bâtiments, qu’ils soient producteurs de ces biodéchets ou qu’ils bénéficient de
l’énergie produite par ces installations, doivent pouvoir permettre la
consommation d’énergie renouvelable (issue de ces déchets). La création de
boucles locales énergétiques locales grâce à l’autoconsommation collective et
aux communautés d’énergie renouvelable constitue une solution intéressante.
Du bâtiment aux bâtiments : le recours à
l’autoconsommation collective et aux communautés d’énergie renouvelable
L’UE a
consacré un véritable droit à l’autoconsommation par l’adoption de la directive
2018/2001 du 11 décembre 2018
L’autoconsommation collective se définit comme la possibilité pour un
groupe de consommateurs, en s’associant à un ou plusieurs producteurs, de
produire eux-mêmes tout ou partie de l’électricité consommée (L. 315-2 du Code
de l’énergie).
Concrètement,
une telle opération consiste à raccorder par exemple une installation
photovoltaïque, une installation de cogénération ou encore une unité de
méthanisation sur un réseau privé alimentant un certain nombre de consommateurs
finals.
Reliés entre
eux, les bâtiments n’interagissent plus individuellement mais collectivement,
selon les besoins (résidentiels, industriels, services publics…). L’objectif
est de créer de véritables boucles énergétiques locales, c’est-à-dire un
« système qui vise à optimiser l’adéquation entre l’offre et la demande
énergétique à une échelle territoriale donnée (quartier, aire urbaine, commune,
région) et qui tente de valoriser au maximum les apports énergétiques existants
(chaleur fatale notamment pour les réintégrer dans cette boucle (7)) ». La loi relative à l’énergie et au climat de 2019 a permis aux bailleurs
sociaux de devenir la personne morale organisatrice des opérations
d’autoconsommation collective situées sur leurs bâtiments (L. 315-2-1 du Code
de l’énergie).
Ce
dispositif a été renforcé par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019
relative à l’énergie et au climat. De nombreux projets d’autoconsommation
collective sont aujourd’hui en cours de réalisation.
En parallèle, la directive du 11
décembre 2018 a également créé les communautés d’énergie renouvelable
La loi
relative à l’énergie et au climat de 2019 est venue transposer ces dispositions
(L. 211-3-2 du Code de l’énergie)
La
communauté d’énergie renouvelable est une entité juridique autonome autorisée à
1) produire, consommer, stocker et vendre de l’énergie renouvelable, y compris
par des contrats d’achat d’électricité renouvelable, 2) partager, au sein de la
communauté, l’énergie renouvelable produite par les unités de production
détenues par ladite communauté et 3) accéder à tous les marchés de l’énergie
pertinents, directement ou par l’intermédiaire d’un agrégateur.
Elle annonce
donc le passage d’un système centralisé nucléaire de l’énergie à une
décentralisation énergétique gérée à l’échelle locale. Le bâtiment semble ainsi
avoir trouvé un système énergétique pérenne, s’appuyant sur les principes de
l’économie circulaire.
NOTE :
1) Ministère
de l’Environnement, Data Lab, Entreprises du BTP : 227,5 millions de
tonnes de déchets en 2014, mars 2017.
2) Site
Internet du ministère de l’Environnement, énergie
dans les bâtiments, 8 juin 2017.
3) Site
Internet du ministère de l’Environnement, Les émissions des gaz à effet de
serre du secteur tertiaire, 23 août 2019.
4) INEC,
Focus énergie, quels changements pour le secteur suite à l’adoption de la loi
anti-gaspillage pour une économie circulaire ? mars 2020.
5) INEC,
Focus énergie, quels changements pour le secteur suite à l’adoption de la loi
anti-gaspillage pour une économie circulaire ?, mars 2020.
6) ADEME,
Évaluation du gisement de déchets Bois et son positionnement dans la filière
Bois/Bois Énergie, avril 2015.
7) IDDRI,
Sciences Po, Working Paper, Fabrique
urbaine, n° 08/14, Gouvernance locale de l’énergie, clarification des enjeux et
illustration par la planification territoriale, octobre 2014.
Andréa Marti,
Avocat à la Cour,
Huglo Lepage Avocats