Après une année « particulière »,
comme le prouvent les statistiques « inhabituelles »
et paradoxales de sa juridiction ainsi que de ses homologues, la
présidente Arrouas a prévenu qu’en 2021, le tribunal de commerce serait « au centre d’enjeux essentiels ».
Elle a notamment évoqué la création de « cellules »
pour gérer les conséquences de la crise sanitaire. Par ailleurs, à évry, les effectifs des magistrats ont
été renforcés, et la
« prévention présidence » bat son plein. Objectif de ces
entretiens : faire comprendre aux chefs d’entreprise en difficulté qu’ils ne
doivent « pas
fuir » le tribunal… Mais se placer sous
sa protection.
2020 fut « éprouvante », Sonia
Arrouas a pesé ses mots. La présidente du tribunal de commerce (TC) d’Évry,
habituée à teinter ses discours de rentrée de bienveillance et d’empathie, n’a
pas dérogé à la règle, le 19 décembre dernier, lors de la traditionnelle audience solennelle. Elle
s’est fermement engagée à continuer à « sauver le plus grand nombre
possible d’entreprises ». La cheffe de juridiction a également rendu
hommage à « [s]es » juges et l’ensemble des personnes
travaillant aux côtés du TC, pour leur « engagement remarquable »
et le travail accompli, souvent « dans des conditions difficiles »,
durant une période extrêmement complexe pour les sociétés et leurs dirigeants.
« Ensemble, nous avons donné l’image d’un groupe solidaire, d’un
tribunal mobilisé et prompt à la décision. » Elle l’a souligné :
la pandémie a nécessité jusqu’alors une « formidable capacité
d’adaptation ». Un avis partagé par la procureure près le tribunal
judiciaire d’Évry. Alors que le pays s’est quasiment retrouvé à l’arrêt
mi-mars, Caroline Nisand a salué la « continuité du service public de
la justice commerciale ». Une quasi ininterruption rendue possible par
la poursuite à distance des audiences de procédures collectives, via
l’application Tixéo, adoubée par le Conseil national des greffiers, et
française de surcroît.
« Le
virus fait voir la vie sous un angle différent. Il pousse à de nouvelles façons
de travailler, d’échanger. Il pousse aussi à une prise de conscience de la
fragilité du monde et des mutations qu’une pandémie peut engendrer »,
a résumé Sonia Arrouas.
Des
chiffres « inhabituels », reflet d’une année « particulière »
Dressant le
bilan des derniers mois écoulés, Sonia Arrouas est d’abord revenue sur les
efforts engagés par son tribunal dans la réduction des délais de procédure – un
serpent de mer pour bien des juridictions. « Nous avons signé une
convention à cette fin, avec le concours de la bâtonnière de l’Essonne »,
a-t-elle indiqué. Objectif : garantir que les litiges puissent se dénouer
« dans un délai minimum théorique de 6?mois », pour « apporter la preuve que la juridiction est capable
de rendre une justice rapide et de qualité, et attester de la compétence et du
sérieux des avocats de l’Essonne », précise le texte.
En 2020?également, qui dit année « particulière »
dit chiffres « inhabituels » : le tribunal de commerce d’Évry a vu diminuer de 30 % le nombre d’affaires traitées
en contentieux, un chiffre proche des statistiques nationales. Les procédures
collectives sont quant à elles passées de 812?à 582?en un an, a observé Caroline Nisand.
En la
matière, parmi les « dossiers d’ampleur » traités par le TC
l’an passé – au titre de son statut de juridiction de commerce spécialisée –,
la procureure n’a pas manqué de citer la reprise des restaurants Courtepaille
par le fonds britannique TDR Capital, propriétaire depuis 2017?de Buffalo Grill. Accusant une chute de
40 % de son chiffre d’affaires depuis le premier confinement, l’enseigne
avait en effet été placée en redressement judiciaire le 29 juillet 2020.
L’offre de reprise validée par le tribunal de commerce d’Évry a fortement
limité le nombre de licenciements, avec la reprise d’une majorité des salariés,
et la proposition de reclassement de ceux issus des quelques restaurants
définitivement fermés. Un « sujet de satisfaction » toutefois
rapidement assombri par les mesures gouvernementales successives : les
restaurants de la chaîne n’ont, depuis, toujours pas rouvert.
Sur le plan
de la justice commerciale, les sanctions prononcées sont elles aussi en baisse,
pour une bonne raison : « Les audiences de sanction ont été
suspendues à compter du mois de mars, pour concentrer les moyens disponibles
sur l’urgence. Elles ont repris depuis septembre, même s’il est difficile
d’apprécier les fautes de gestion dans la période actuelle. »
La
situation paradoxale des entreprises françaises
« La
crise sanitaire a plongé la France, comme beaucoup d’autres États, dans une
crise profonde de l’économie réelle, à la différence de la crise de 2008, qui
n’était qu’une crise financière », a souligné la procureure.
En dépit de
ces derniers mois mouvementés, Caroline Nisand a salué la poursuite « envers
et contre tout » de la création d’entreprises, notant une tendance,
renforcée par le confinement, à la création d’entreprises individuelles.
La
procureure est également revenue sur les « nombreux mécanismes d’aide »
mis en place : reports de charges, crédits d’impôt, mais aussi les « fameux »
PGE, lesquels ont permis de verser pas moins de 131 milliards d’euros à
641 000 entreprises.
Sur ce point
néanmoins, Caroline Nisand a rapporté que la presse se faisait l’écho de
phénomènes paradoxaux. Ainsi, tandis que Le Monde rapporte une baisse
des défaillances d’entreprises de 40 % sur le plan national, certains
spécialistes parlent, dans les médias, d’entreprises « zombies »
qui ne peuvent plus survivre « sans perfusion ». Or, « la
perspective de rembourser les différents prêts et charges courantes sera
bientôt une réalité tangible », a alerté la procureure, qui redoute
« un mur de faillites » – quoique la Fédération bancaire
française ait estimé la semaine dernière qu’une telle catastrophe « n'aurait
pas lieu ». L’avenir proche le dira…
Bien que l’heure soit,
légitimement, « à la sollicitude envers les entreprises » qui
rencontrent des difficultés, la procureure a pointé une autre conséquence des
aides aux entreprises : la multiplication des fraudes, « facilitées
par la rapidité de l’indemnisation ». En septembre, la fraude sur les
fausses déclarations d'activité partielle était par exemple évaluée à
225 millions d'euros, selon le ministère du Travail, qui indiquait en
avoir bloqué ou récupéré la moitié. Caroline Nisand a rappelé que le rôle du
parquet, au tribunal de commerce comme au tribunal judiciaire, était de mettre
en œuvre les enquêtes nécessaires « pour écarter les dirigeants peu
scrupuleux qui faussent la concurrence ». Elle a indiqué que des
convocations avaient ainsi été délivrées à des entrepreneurs ayant notamment
« faussement majoré la masse salariale pour bénéficier des indemnités
Covid », qui comparaîtront devant le tribunal de commerce à compter de
fin mars.
Cap
sur 2021
En 2021?plus que jamais, Sonia Arrouas a auguré que
le tribunal de commerce, « vecteur pour sauver les entreprises »,
serait « au centre d’enjeux essentiels ». « La crise
économique sans précédent que nous subissons nécessite de mettre nos tribunaux
au centre de l’action. Il n’y a certes pas encore de vaccin pour guérir les
entreprises en difficulté, mais nous devons être le remède permettant de sauver
un maximum entreprises »,
a martelé la cheffe de juridiction, assurant que les TC trouveraient des
solutions pour que la reprise économique et le sauvetage des sociétés « ne
soient pas de vains mots ».
Sonia
Arrouas a ainsi affirmé que les présidents de tribunaux devaient créer des
« cellules » permettant de gérer les conséquences de la crise.
Un « travail collectif » favorisé par la Conférence générale
des juges consulaires de France, laquelle favorise, durant la crise sanitaire,
la mutualisation des compétences et l’engagement d’un dialogue national auprès
des instances politiques. « Il en va de la transformation sociétale et
de l’évolution de la justice commerciale vers une justice des affaires
économiques », a appuyé la présidente du TC d’Évry.
À l’échelle du tribunal de commerce d’Évry,
cette dernière a également évoqué, au titre des objectifs pour l’année en
cours, une « coopération quotidienne » inchangée avec le
parquet, à l’origine, s’est-elle félicitée, d’une gestion des dossiers « de
plus en plus efficace ».
Gestion
également optimisée par l’ouverture du tribunal vers une diversité des
nominations : « La cellule des juges taxateurs mise en place l’an
dernier a apporté une vision plus réelle de la proportion des honoraires
présentés pour validation. Dans notre esprit, les rémunérations doivent être
justes, équilibrées et sans débordement. Nos juges taxateurs sont là pour le
vérifier et le valider. En 2021, nous en augmentons l’effectif », a
annoncé Sonia Arrouas.
La
présidente a également précisé qu’elle comptait sur « les qualités et
la rigueur » des administrateurs, mandataires et commissaires-priseurs
pour continuer à « aider à sauver les entreprises » mises à
mal par la pandémie ; ainsi que sur « l’aide précieuse »
des experts judiciaires, comptables et commissaires aux comptes. « Les
audits et les expertises permettent d'appréhender les bons outils pour un
accompagnement plus serein dans les entreprises en difficulté »,
a-t-elle notamment soutenu. Une bonne façon de mettre en valeur toute la
palette d’acteurs impliqués dans le sauvetage des sociétés. Mais Sonia Arrouas
a également souhaité « mettre en garde » les professionnels de
l’entreprise en difficulté contre des concurrents indélicats. « Des “piloteurs
d’entreprises” viennent sur le marché pour proposer leurs services à des
chefs d’entreprise à bout de force alors qu'ils ne connaissent rien au sujet.
Le seul résultat est d’en précipiter la chute. Je me permettrais de les appeler
des “pipeauteurs d’entreprises” », a fustigé la cheffe
de juridiction.
Revenant à un sujet plus positif,
Sonia Arrouas a indiqué qu’elle avait décidé de s’entourer, pour l’année en
cours, des deux mêmes vice-présidents, qui l’épauleront « dans deux
pôles majeurs du tribunal » : les procédures collectives et le
contentieux général. « Avec les huit présidents de chambre, nous
formons une équipe soudée. Comme l’a dit Aimé Jacquet, le travail individuel
permet de gagner un match, mais c’est l’esprit d’équipe et l’intelligence
collective qui permettent de gagner la coupe du monde ! », a
lancé la cheffe de juridiction avec malice.
La présidente a toutefois fait part d’une nouveauté pour cette
année : l’augmentation du nombre de juges au tribunal de commerce d’Évry.
Ceux-ci passent désormais de 50?à 55, et alors que plusieurs magistrats s’apprêtent
à quitter le navire essonnien, huit nouveaux juges consulaires, présentés ce
19 janvier, rejoignent ses rangs. Un renforcement des effectifs qui vient
s’ajouter à la création récente de quatre chambres de contentieux « pour
une meilleure fluidité des délibérés », et à une formation « toujours
plus pointue » des magistrats, a considéré la présidente. Cette
dernière a d’ailleurs insisté sur ce point, précisant qu’à cet égard, l’École
nationale de la magistrature (ENM) constituait une « solide alliée »
en assurant à la fois une formation initiale et continue. Sonia Arrouas a
ajouté que le TC d’Évry organisait lui aussi, en son sein, une série
d’enseignements, réalisés « sous l’impulsion de personnalités du monde
de l’économie, du droit, de l’entreprise, et de juges de grande expérience ».
« Toutes ces formations donnent du sens à notre engagement, a
certifié la présidente. Nous avons le devoir d’apprendre constamment pour
être plus performants. »
La modestie face à des compétences toujours perfectibles : voilà l’une des
valeurs phares que Sonia Arrouas tente de transmettre aux magistrats sous son
égide. Des magistrats certes « tous bénévoles », bénéficiant
d’une expérience professionnelle reconnue, mais à qui « la réussite ne
doit pas faire oublier l’humilité nécessaire à tout bon jugement ».
Dirigeants
en difficulté : « appeler à l’aide est synonyme de bonne gestion »
Si le virus a agi comme un « révélateur des peurs et des
souffrances de chacun », « il a également été l’opportunité de
montrer que nous sommes là pour accompagner dans les difficultés », a
mis en relief la cheffe de juridiction.
À ce titre, Sonia Arrouas a ajouté qu’il lui tenait « à
cœur » d’évoquer la « prévention présidence ». La
présidente du tribunal d’Évry a d’abord succinctement rappelé le
contexte : en Essonne, sur 51 000?entreprises, 88 % du
bassin économique est constitué de TPE et PME, et de quelques ETI représentant
beaucoup d’emplois. « Quelle que soit la taille de leur entreprise, les
dirigeants doivent avoir une vision plus réelle du fonctionnement du tribunal »,
a-t-elle estimé. Ainsi, depuis le début de la crise sanitaire, 38?chefs d’entreprise ont été reçus en rendez-vous présidence au tribunal de
commerce d’Évry. « Cela correspond à 8 965?salariés et à un chiffre d’affaires
d’1 120 971 000?euros.
Un chiffre colossal dont je n’avais pas mesuré l’ampleur », a avoué Sonia Arrouas. Celle-ci a rapporté
une augmentation des demandes dernièrement, allant jusqu’à huit entretiens
par semaine.
Un succès, aux yeux de la présidente, qui n’en a pas
démordu : les chefs d'entreprise en difficulté doivent comprendre qu’il ne
faut pas fuir le tribunal. « Appeler à l’aide dans une crise sans
précédent est synonyme de bonne gestion. » Selon elle, les dirigeants
ne doivent pas éprouver de sentiment de culpabilité : ils ne sont « ni
responsables du virus, ni à l’origine des arrêts d’activité les ayant conduits
vers des situations à haut risque ». Pour Sonia Arrouas, il est donc
nécessaire qu’ils prennent conscience que les juges consulaires ont
l’expérience de la réalité de la vie économique ; qu’ils savent
appréhender et comprendre les difficultés des entrepreneurs. « Nous
savons juger et sanctionner, bien sûr, mais actuellement, nous soutenons les
mesures préservant l’emploi et la structure économique du département »,
a affirmé la présidente du TC. Cette dernière a également rappelé que toute
procédure amiable visant à aider les entreprises en difficulté faisait partie
des fonctions fondamentales d’un tribunal de commerce, et qu’il était « vital »
que les chefs d'entreprise puissent se mettre sous la protection du tribunal.
« Beaucoup le font, mais pas suffisamment. Il faut du courage ! »
a reconnu Sonia Arrouas.
Depuis deux
ans, trois structures associatives ont vu le jour en Essonne :
60 000 Rebonds, qui accompagne les entrepreneurs post-faillite,
CIP 91, qui contribue à détecter les entrepreneurs en difficulté et à les
orienter, et un « nouveau-né », APESA 91, antenne locale de cette
association nationale qui propose d’aider gratuitement les dirigeants en
situation de souffrance psychologique. Dans le cadre d’APESA 91, une
formation de « sentinelle » a récemment eu lieu, au tribunal
de commerce d’Évry, afin de former des acteurs à la détection et au secours des
entrepreneurs en situation de mal-être. Car il ne faut pas oublier que les
chefs d’entreprises peuvent « perdre tous leurs repères au milieu des
difficultés », a insisté Sonia Arrouas.
Bérengère Margaritelli