ENTREPRISE

TRIBUNE. Le mandat de protection future, un « canot de sauvetage » pour l’entreprise

TRIBUNE. Le mandat de protection future, un « canot de sauvetage » pour l’entreprise
Publié le 23/01/2023 à 10:24

Le mandat de protection future offre des avantages majeurs : à faible coût, il protège à la fois le chef d’entreprise contre le risque d’incapacité… et son avocat, rappellent, dans une tribune, Emmanuelle Bergès, ancienne mandataire judiciaire à la protection des majeurs, Alain Cornec, avocat à Paris, et Michel Peters, avocat à Brest, tous trois respectivement présidente et vice-présidents de l’Association française des mandataires de protection future (AFMPF).

Pas de voyage maritime au long cours sans capitaine et second, sans canot de sauvetage, sans boussole, sans penser à l’avance à parer l’accident, l’avarie loin de tout, éviter le naufrage « corps et biens ». Cette logique s’applique à l’entreprise et à son dirigeant, comme à ceux en situation « inhabituelle » : célibataires, couples de fait, familles décomposées, etc.

Le mandat de protection future (MPF), contrat du Code civil (article 477), constitue le « canot de sauvetage » de l’entreprise. Il réunit le mandant (le chef d’entreprise, « le capitaine ») et le ou les mandataires (« les seconds ») qu’il choisit lui-même et à qui il donne ses directives (« la carte » et « la boussole »). Bien préparé, mis en œuvre à temps, bien suivi, le MPF est un instrument juridique très puissant et peu onéreux. En cas d’incapacité du mandant, constatée légalement, le mandat est mis en œuvre sans délai ni jugement, évitant tutelle ou curatelle et les lenteurs d’une justice surchargée et mal équipée.

Le chef d’entreprise met lui-même en place ses propres solutions en cas d’incapacité : l’accident routier ou médical peut intervenir à tout moment.

Le MPF, utile dans la vie des affaires

« Gouverner, c’est prévoir ». Tout chef d’entreprise doit imaginer ne plus se trouver à la tête de son entreprise, qu’elle ne puisse temporairement pas compter sur ses compétences et son expérience uniques. Pour protéger entreprise, enfants, associés extérieurs, employés et cadres, il doit imaginer son absence même temporaire, et éviter les recours judiciaires trop longs, donc dommageables à la vie de son affaire.

Prévoir l'avenir, penser qu’un accident ou une maladie grave puisse survenir brutalement ne les provoque pas. Le MPF peut ne jamais entrer en vigueur. Mais on est plus serein en sachant que, en personne responsable, on a prévu des solutions efficaces pour préserver le fruit de son travail, ses proches et soi-même. Les pouvoirs publics nous incitent à nous prendre en main seuls (divorce sans juge…).

Le MPF sans juge nous assure que, si besoin, notre entreprise serait traitée selon nos instructions, dans les conditions prévues par nous, sous la direction du ou des « seconds » que nous avons choisis, pas nécessairement dans notre famille ni dans le personnel.

Les avantages du MPF s’ajoutent aux autres mesures de protection

Seules, sans MPF, les autres mesures de protection sont insuffisantes en cas d’incapacité soudaine, ce qui laisse brutalement l’entreprise dans un vide juridique total.  

En cas d’incapacité, le testament est inutile : il ne prend effet qu’au décès.

Le pacte d’associé, assez fréquent (hypothèses d’associés investisseurs extérieurs, ou d’un majoritaire avec des associés « managers »…), traite rarement du décès du majoritaire sauf sous l’angle du droit de préemption, ce qui ne suffit pas. De plus, il ne traite pratiquement jamais de l’incapacité. Il ne prévoit pas d’« exécuteur », mandataire commun. Il manque le « capitaine ». Ce pacte, simple contrat sans force exécutoire, ne peut prévoir toutes les situations. Bref, il ne suffit pas seul à éviter le judiciaire. Au contraire, le mandataire du MPF prend immédiatement le relai du mandant pour assurer le respect du pacte. Faute de MPF adjoint, le pacte risque d’être incompris, voire remis en cause par la famille du chef d’entreprise ou par certains associés qui y auraient intérêt.

De son côté, l’« assurance homme clé » règle en partie les conséquences pécuniaires de l’indisponibilité du dirigeant, à hauteur de 6 à 12 mois de salaires chargés. L’entreprise peut ainsi embaucher un manager de transition, trouver le recrutement ad hoc, mais sans donner au nouveau dirigeant de directive de gestion ni régler les aspects juridiques ; il manque « la boussole ». Contrairement à l’assurance homme-clé, le MPF ne coûte pratiquement rien entre sa rédaction et sa mise en place, qui peut ne jamais avoir lieu.

Majeurs incapables : le mandat, pratique pour prévoir et anticiper l’avenir

Le MPF s’ajoute aussi aux mesures judiciaires de protection des incapables majeurs. Son principal intérêt est de permettre au mandant – le dirigeant – de prévoir et d’anticiper l'avenir, de fixer ses directives anticipées et de permettre aux mandataires de confiance désignés dans le mandat de prendre les décisions suivant ses strictes volontés, sans passer par la case judiciaire.

Avec le MPF, on n’attend pas la désignation d'un curateur ou d'un tuteur par le juge du contentieux de la protection (ex juge des tutelles). En général, sans expérience directe des affaires, ce juge a trois mois pour prendre une décision.

 

 

Dans un premier temps, le juge choisit une personne pour représenter ou assister l’incapable : tuteur ou curateur. Il choisit a priori soit un membre de la famille, pas nécessairement rompu aux affaires, soit un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM), rarement expérimenté dans ce domaine. La personne désignée devra agir dans l'intérêt du protégé, et non de l'entreprise, sans directive précise, ignorant généralement la vie des affaires et celle de l’entreprise de son protégé. Ce nouveau « capitaine » sans expérience est sans « carte » ni « boussole ». Malgré les bonnes volontés, la solution judiciaire laisse trop de place au hasard dans le monde de l'entreprise. Agir en bon père de famille ne suffit pas.

Le mandataire pourra assurer la pérennité de l'entreprise. Si c’est indispensable, dans le cadre de l’exécution du mandat, il recherchera un acquéreur tiers, et l’entreprise se vendra mieux si elle est « vivante ». Le temps est précieux : le mandataire passera directement les contrats, sans devoir les soumettre au juge de la protection (avec un nouveau délai de décision de trois mois).

Un champ d’action considérable pour les avocats qui connaissent l’entreprise

Pour faire connaître et bien utiliser le MPF, l’Association française des mandataires de protection future réunit des professionnels du droit, de la médecine ou du travail social, ayant l’expérience du domaine. Par exemple, un membre de l’AFMPF peut intervenir comme mandataire seul, ou avec un/des membres de l’entourage ou les conseils habituels, selon la situation.

L’avocat mandataire comme le MJPM sont assurés pour leur responsabilité professionnelle. Tuteurs ou curateurs familiaux sont responsables de leurs fautes, mais pas assurés. L'avocat évite un risque de responsabilité en proposant un MPF quand un dossier repose uniquement sur un client, personne physique, ou chef d’entreprise unipersonnelle. En procédure, l'incapacité soudaine ou la détérioration grave de la santé du client n’interrompent pas l’instance (cf. articles 369 et 370 du Code de procédure civile), mais sans personne pour donner à l’avocat des instructions et valider les choix procéduraux, que faire ?

Un MPF et la présence immédiate d’un mandataire permettent à l’avocat d’agir : interrompre une prescription, faire appel, continuer les procédures en cours. En abordant un dossier long et/ou important, même non contentieux, quel que soit l’âge du client, il faut lui faire établir un MPF. En cas d’incapacité, le mandataire prendra très rapidement les décisions nécessaires, selon les instructions qu’il a lui-même reçues.

L’avocat habituel ne peut jouer tous les rôles du MPF : il doit choisir sa place. Le mieux placé pour préparer le MPF est l’avocat habituel du dirigeant ou de l’entreprise. Il a la meilleure connaissance du terrain. Ayant préparé le mandat, il peut aussi être mandataire, mais pas le rédacteur. Pour l’avocat de l’entreprise, travailler à préparer le mandat avec des membres de l’AFMPF l’assure que les aspects juridiques et pratiques du MPF seront pris en compte efficacement (telles les modalités de contrôle du mandat).

Le MPF peut résulter d’un acte d’avocat ou d’un acte notarié, mais le rédacteur de l’acte ne peut être mandataire lui-même. Le mandataire pressenti a seulement pu préparer le projet, validé et assumé par le rédacteur, qui apporte un regard extérieur. Client-mandant, mandataire et rédacteur du MPF discuteront des aspects techniques et pratiques importants, confirmant la pertinence des solutions retenues, sans intervention ultérieure du rédacteur du mandat dans la vie de l’entreprise.

L’avocat habituel peut être mandataire du MPF, sans le rédiger lui-même (voir supra). L’article 419 du Code civil permet de rémunérer le mandataire. Il faut en prévoir les termes, les modalités d’approbation et de contrôle dans le MPF. Comme un mandataire ad hoc, le mandataire du MPF ne peut pas être en même temps l’avocat chargé du contentieux. Alors, quand le mandat est mis en œuvre, si l’avocat habituel devient mandataire du MPF, il n’agit plus au judiciaire. Il peut être plus efficace de nommer mandataire ou co-mandataire un membre de l’AFMPF, qui agira comme « maître d’ouvrage délégué », aux côtés du conseil habituel.

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