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Un rapport du Sénat plaide pour une révision de la politique de la ville

Un rapport du Sénat plaide pour une révision de la politique de la ville
Publié le 30/08/2022 à 10:03

Le rapport d’information « La politique de la ville, un tremplin pour les habitants » a été élaboré par trois sénatrices spécialisées dans la politique de la ville. Dans ce document adopté par la commission des affaires économiques le 19 juillet dernier, les trois sénatrices réclament la révision de la loi Lamy et la garantie d’un traitement égal des quartiers par rapport au reste du territoire.



 

Trois sénatrices, spécialistes de la politique de la ville – Viviane Artigalas du groupe Socialiste Écologiste Républicain, Dominique Estrosi Sassone des Républicains, et Valérie Létard de l’Union Centriste – ont réalisé un rapport d’information en conclusion de leur mission d’évaluation sur la politique de la ville, qui se définit comme une politique de cohésion urbaine et de solidarité envers les quartiers défavorisés, et la loi Lamy du 21 février 2014. Ce rapport a été rédigé après une trentaine d’auditions et quatre déplacements dans des quartiers prioritaires à Val-de-Reuil, Allonnes, Valenciennes et Nice. La commission des affaires économiques a adopté ce rapport d’information sur « La politique de la ville, un tremplin pour les habitants », le 19 juillet dernier.

Ce rapport plaide pour un changement de regard sur la politique de la ville afin de retrouver son rôle de tremplin pour les habitants. D’ailleurs, pour les maires de France, c’est « dans ces territoires que se joue une partie de l’avenir de la France, en particulier de sa jeunesse, et, si ces territoires cumulent des difficultés, ils sont aussi des ressources de vitalité et d’initiatives ». Pourtant, l’inégalité territoriale demeure un enjeu essentiel de la cohésion nationale. « Loin de bénéficier d’un traitement préférentiel, les services publics de droit commun y sont insuffisants. Il y a moins de personnels médicaux, moins de crèches, moins de bibliothèques, moins de présence de Pôle emploi, mois de justice, moins de police… », déplore Viviane Artigalas.

 



Le rapport appelle à une révision de la loi Lamy

Le rapport préconise au ministre délégué de la Ville, Olivier Klein, de lancer une loi de programmation afin de garantir les moyens financiers nécessaires, mais aussi de réviser la loi Lamy, « fondement juridique de la politique de la ville ».

L’objectif de la loi Lamy du 21 février 2014 consiste à recentrer la politique de la ville sur la réduction des écarts entre les quartiers prioritaires et les autres, et donc de diminuer les inégalités entre les territoires où se concentrent la pauvreté et le reste du pays. Le rapport réclame une adaptation de la géographie prioritaire, c’est-à-dire l’identification et la délimitation des quartiers les plus fragiles, mais aussi pour des contrats de ville. Les sénatrices déplorent que cette politique ait laissé de côté, sans vraie solution, des poches de pauvreté diffuses ou localisées. Pour appuyer ce point, le rapport présente l’exemple du bassin minier exemple. L’absence d’actualisation de la géographie prioritaire est également à déplorer, alors qu’elle aurait dû avoir lieu en 2020, rappellent les auteures pour qui cela constitue « la première urgence ». Le rapport plaide également pour que l’actualisation de la loi Lamy soit aussi l’opportunité de laisser plus liberté aux maires et aux préfets afin d’« ajuster le zonage sur le fondement des analyses de besoins sociaux ».

Les contrats de villes doivent devenir des outils opérationnels. Comme la géographie prioritaire, le rapport rappelle « qu’ils n’ont pas été actualisés depuis 2014, mais il faut également les assouplir afin que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) puissent choisir leurs priorités et décliner des objectifs concrets et mesurables quartier par quartier ».

Les contrats des villes pourraient comprendre un volet investissement, ce qui aurait particulièrement de sens dans les quartiers non-éligibles à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ; pointe le rapport. En outre, sous réserve d’un meilleur contrôle et de sa compensation aux communes, l’abattement de 30 % de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) au profit des bailleurs sociaux, qui s’achève en 2023, doit être pérennisé, selon les sénatrices. Le rapport propose également « d’expérimenter et d’évaluer la délégation des crédits de la politique de la ville auprès de quelques EPCI volontaires ».

En outre, « Les sénatrices demandent le retour d’une contractualisation avec les autres ministères pour garantir un traitement égal des quartiers par rapport au reste du territoire, abandonné à tort depuis 2016. »

 

 



La politique de la ville souvent critiquée

Le quinquennat précédent a été marqué par une politique de la ville en « stop & go » entre les quartiers et le gouvernement, estiment les auteures qui se traduit par une succession de coups daccélérateur puis de frein sans constance ni boussole. Ajouté au classement sans suite du rapport Borloo de 2018, à loubli des quartiers dans le plan de relance après une crise sanitaire dramatique, le rapport d’information pointe l’urgence de redonner un cap clair à cette politique qui fait l’objet de nombreuses critiques malgré ses 40 ans d’existence. En effet, entre 1981 et 1983, trois rapports (Schwartz, Bonnemaison, Hubert Dubedout) fondent les principes de la politique de la ville. Pourtant, ces quartiers sont toujours confrontés à de multiples difficultés en matière de sécurité, d’éducation, d’intégration, de santé ou de chômage.

Le rapport appelle notamment le Gouvernement à s’engager « au plus haut point ». Pour cela, les rapporteures demandent à la Première ministre, Élisabeth Borne, de reprendre le pilotage interministériel de la politique de la ville comme le faisait Jean Castex. Les sénatrices recommandent aussi la convocation d’un Comité Interministériel des Villes (CIV) avant la fin de l’été, selon un rythme semestriel, ce qui apparaît comme le premier signal politique et opérationnel à donner : « Elle doit ensuite s’assurer que les différents ministères mobilisent les moyens de droit commun dans les quartiers de la politique de la ville (QPV). La signature de conventions interministérielles dans ce but doit être relancée par Matignon. Il n’y en a plus depuis 2016 ! Le Gouvernement doit également donner une visibilité sur les crédits de la politique de la ville dans la durée à travers une loi de programmation pour la ville. »

 



Renforcer le tissu associatif

La complémentarité et le dialogue entre l’État et les villes doit aussi se développer. Les Alpes-Maritimes, les Cités éducatives et les Bataillons de la prévention sont de bons exemples du travail approfondi accompli pour adapter ces programmes au territoire et les compléter grâce à des financements complémentaires locaux, constatent les rapporteures. Les territoires doivent pouvoir prendre en compte les poches de pauvreté aujourd’hui sans solution et mettre en œuvre un vrai projet de territoire. L’expérimentation de la décentralisation des crédits aux collectivités qui le souhaitent doit ainsi être envisagée.

Le rapport préconise ensuite de renforcer le tissu associatif des quartiers, en sortant des appels à projets systématiques afin de favoriser les conventions pluriannuelles, notamment pour aider les associations à grandir. L’accompagnement des associations de grande proximité doit se généraliser et des enveloppes de crédits leur être réservées. Concernant la participation des habitants, le rapport recommande de réformer les conseils citoyens dont les résultats sont « hétérogènes » et proposent pour cela : « plus de souplesse à l’exemple des conseils de quartier et une logique de projet avec des moyens appropriés ». Enfin, l’implication des entreprises en faveur des quartiers devrait être favorisée d’après les sénatrices spécialisées dans les politiques de la ville, à travers les conventions de revitalisation, comme cela se fait déjà dans les Alpes-Maritimes. De plus, l’idée de créer une fondation comme prévu dans la loi de 2014, mais qui n’a jamais vu le jour, pourrait être relancée.

Dans les quartiers transformés par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), des résultats sont visibles, observent les sénatrices, comme à Val-de-Reuil. D’ailleurs, elles rappellent que dans son rapport de 2020, la Cour des comptes regrette que la situation des quartiers ne s’améliore pas. « Il y aurait une forme d’échec récurrent de la politique de la ville malgré les milliards engloutis » déplore le rapport. Ce dernier appelle à « déconstruire certaines idées reçues ». Par exemple, malgré les préjugés, les quartiers prioritaires ne sont pas mieux lotis, l’insuffisance des services publics « de droit commun » demeure une réalité et améliorer la vie des habitants reste un enjeu. Les rapports Borloo, Cornut-Gentille-Kokouendo et de l’Institut Montaigne l’ont largement démontré. Selon le rapport, « il y a moins de personnels de la fonction publique hospitalière pour 100 000?habitants en Seine-Saint-Denis que dans les départements les moins peuplés de France ».

 



La politique de la ville doit être un tremplin

Pour les rapporteures, ces quartiers sont des « SAS » et la politique de la ville un « tremplin ». Certains ont pu dire que la Seine-Saint-Denis était un « Ellis Island français » c’est-à-dire « une terre d’accueil des immigrés et des plus précarisés » comme l’a déclaré Hakim El Karoui, essayiste, dans une interview dans le Journal du dimanche en octobre 2020, dans le sens où, dans les métropoles, les quartiers populaires ont des fonctions d’accueil et de rebond. Même si le rapport pointe un « manque d’études de cohortes pour confirmer les témoignages et les analyses sociologiques, plusieurs travaux montrent qu’il y a une réelle mobilité résidentielle et de revenu dans ces quartiers. » Notons que les personnes déménagent autant, voire plus quailleurs. Cependant, les nouveaux entrants qui les remplacent ont en moyenne un niveau de revenu inférieur.

De récentes études réalisées par l’INSEE et par France Stratégie montrent que la mobilité intergénérationnelle des revenus est plus importante en France qu’aux États-Unis, à condition de pouvoir accéder à l’enseignement supérieur et être mobile géographiquement. Dans ce sens, les sénatrices exhortent donc d’adopter une vision dynamique de la politique de la ville. Car de manière statique, au bout de dix ans, un quartier pauvre va généralement être confronté aux mêmes difficultés. Alors que de manière dynamique, au bout de dix ans, les habitants ne sont plus les mêmes, environ 50 % auront déménagé. Enfin, la contribution de ces quartiers à l’économie nationale est bien réelle : « Bien que la Seine-Saint-Denis soit le département le plus pauvre de France métropolitaine, il se révèle être le 8e contributeur net à la protection sociale, mais est aussi le département où la masse salariale a le plus augmenté entre 2007 et 2018. »

Le rapport propose douze recommandations, demande notamment « de mettre fin aux appels à projets systématiques qui fragilisent les associations, d’impliquer plus les entreprises et de développer et d’accompagner l’entrepreneuriat comme modèle de réussite accessible, notamment pour les femmes ». « Nous déposerons notre propre proposition de loi si le Gouvernement ne le fait pas », ont annoncé les sénatrices dans un communiqué du 22 mai.


Tina Millet


 

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