Le rapport d’information « La
politique de la ville, un tremplin pour les habitants » a été élaboré par trois sénatrices spécialisées
dans la politique de la ville. Dans ce document adopté par la commission des
affaires économiques le 19 juillet dernier, les trois sénatrices réclament la
révision de la loi Lamy et la garantie d’un traitement égal des quartiers par
rapport au reste du territoire.
Trois sénatrices, spécialistes de la politique de la ville
– Viviane Artigalas du groupe Socialiste Écologiste Républicain, Dominique
Estrosi Sassone des Républicains, et Valérie Létard de l’Union Centriste – ont
réalisé un rapport d’information en conclusion de leur mission d’évaluation sur
la politique de la ville, qui se définit comme une politique de cohésion
urbaine et de solidarité envers les quartiers défavorisés, et la loi Lamy du
21 février 2014. Ce rapport a été rédigé après une trentaine d’auditions et
quatre déplacements dans des quartiers prioritaires à Val-de-Reuil, Allonnes,
Valenciennes et Nice. La commission des affaires économiques a adopté ce rapport
d’information sur « La politique de la
ville, un tremplin pour les habitants », le 19 juillet dernier.
Ce rapport plaide pour un changement de regard sur la
politique de la ville afin de retrouver son rôle de tremplin pour les
habitants. D’ailleurs, pour les maires de France, c’est « dans ces territoires que se joue une partie de l’avenir de la France,
en particulier de sa jeunesse, et, si ces territoires cumulent des difficultés,
ils sont aussi des ressources de vitalité et d’initiatives ». Pourtant, l’inégalité
territoriale demeure un enjeu essentiel de la cohésion nationale. « Loin de bénéficier d’un traitement
préférentiel, les services publics de droit commun y sont insuffisants. Il y a
moins de personnels médicaux, moins de crèches, moins de bibliothèques, moins
de présence de Pôle emploi, mois de justice, moins de police… », déplore
Viviane Artigalas.
Le rapport appelle à une révision de
la loi Lamy
Le
rapport préconise au ministre délégué de la Ville, Olivier Klein, de lancer une
loi de programmation afin de garantir les moyens financiers nécessaires, mais
aussi de réviser la loi Lamy, « fondement juridique de la politique de
la ville ».
L’objectif
de la loi Lamy du 21 février 2014 consiste à recentrer la politique de la ville
sur la réduction des écarts entre les quartiers prioritaires et les autres, et
donc de diminuer les inégalités entre les territoires où se concentrent la
pauvreté et le reste du pays. Le rapport réclame une adaptation de la
géographie prioritaire, c’est-à-dire l’identification et la délimitation des
quartiers les plus fragiles, mais aussi pour des contrats de ville. Les
sénatrices déplorent que cette politique ait laissé de côté, sans vraie
solution, des poches de pauvreté diffuses ou localisées. Pour appuyer ce point,
le rapport présente l’exemple du bassin minier exemple. L’absence
d’actualisation de la géographie prioritaire est également à déplorer, alors
qu’elle aurait dû avoir lieu en 2020, rappellent les auteures pour qui cela
constitue « la
première urgence ». Le rapport plaide également
pour que
l’actualisation de la loi Lamy soit aussi l’opportunité de laisser plus liberté
aux maires et aux préfets afin d’« ajuster le zonage sur le fondement des analyses de
besoins sociaux ».
Les
contrats de villes doivent devenir des outils opérationnels. Comme la
géographie prioritaire, le rapport rappelle « qu’ils n’ont pas été actualisés depuis 2014,
mais il faut également les assouplir afin que les établissements publics de
coopération intercommunale (EPCI) puissent choisir leurs priorités et décliner
des objectifs concrets et mesurables quartier par quartier ».
Les
contrats des villes pourraient comprendre un volet investissement, ce qui
aurait particulièrement de sens dans les quartiers non-éligibles à l’Agence
nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ; pointe le rapport. En outre, sous
réserve d’un meilleur contrôle et de sa compensation aux communes, l’abattement
de 30 %
de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) au profit des bailleurs
sociaux, qui s’achève en 2023, doit être pérennisé, selon les sénatrices. Le
rapport propose également «
d’expérimenter et d’évaluer la délégation des crédits de la politique de la
ville auprès de quelques EPCI volontaires ».
En
outre, « Les sénatrices demandent le retour d’une contractualisation avec
les autres ministères pour garantir un traitement égal des quartiers par
rapport au reste du territoire, abandonné à tort depuis 2016. »
La politique de la ville souvent
critiquée
Le quinquennat précédent a été marqué par une politique
de la ville en « stop & go » entre les quartiers et le
gouvernement, estiment les auteures qui se traduit par une succession de coups
d’accélérateur puis de frein sans constance ni boussole.
Ajouté au classement sans suite du rapport
Borloo de 2018, à l’oubli
des quartiers dans le plan de relance après une
crise sanitaire dramatique, le rapport
d’information pointe l’urgence de redonner un cap clair à cette politique qui
fait l’objet de nombreuses critiques malgré ses 40 ans d’existence. En effet,
entre 1981 et 1983, trois rapports (Schwartz, Bonnemaison, Hubert Dubedout)
fondent les principes de la politique de la ville. Pourtant, ces quartiers sont
toujours confrontés à de multiples difficultés en matière de sécurité,
d’éducation, d’intégration, de santé ou de chômage.
Le rapport appelle notamment le Gouvernement à s’engager
« au plus haut point ». Pour cela, les rapporteures demandent à la Première ministre, Élisabeth
Borne, de reprendre le pilotage interministériel de la politique de la ville
comme le faisait Jean Castex. Les sénatrices recommandent aussi la convocation
d’un Comité Interministériel des Villes (CIV) avant la fin de l’été, selon un
rythme semestriel, ce qui apparaît comme le premier signal politique et
opérationnel à donner : « Elle doit ensuite s’assurer que les
différents ministères mobilisent les moyens de droit commun dans les quartiers
de la politique de la ville (QPV). La signature de conventions
interministérielles dans ce but doit être relancée par Matignon. Il n’y en a
plus depuis 2016 ! Le Gouvernement doit également donner une visibilité sur les
crédits de la politique de la ville dans la durée à travers une loi de
programmation pour la ville. »
Renforcer le tissu associatif
La
complémentarité et le dialogue entre l’État et les villes doit aussi se
développer. Les Alpes-Maritimes, les Cités éducatives et les Bataillons de la
prévention sont de bons exemples du travail approfondi accompli pour adapter
ces programmes au territoire et les compléter grâce à des financements
complémentaires locaux, constatent les rapporteures. Les territoires doivent
pouvoir prendre en compte les poches de pauvreté aujourd’hui sans solution et
mettre en œuvre un vrai projet de territoire. L’expérimentation de la
décentralisation des crédits aux collectivités qui le souhaitent doit ainsi
être envisagée.
Le rapport préconise ensuite de renforcer le tissu
associatif des quartiers, en sortant des appels à projets systématiques afin de
favoriser les conventions pluriannuelles, notamment pour aider les associations
à grandir. L’accompagnement des associations de grande proximité doit se
généraliser et des enveloppes de crédits leur être réservées. Concernant la
participation des habitants, le rapport recommande de réformer les conseils
citoyens dont les résultats sont « hétérogènes
» et proposent pour cela : « plus de
souplesse à l’exemple des conseils de quartier et une logique de projet avec
des moyens appropriés ». Enfin, l’implication des entreprises en faveur des
quartiers devrait être favorisée d’après les sénatrices spécialisées dans les
politiques de la ville, à travers les conventions de revitalisation, comme cela
se fait déjà dans les Alpes-Maritimes. De plus, l’idée de créer une fondation
comme prévu dans la loi de 2014, mais qui n’a jamais vu le jour, pourrait être
relancée.
Dans les quartiers transformés par l’Agence nationale pour
la rénovation urbaine (ANRU), des résultats sont visibles, observent les
sénatrices, comme à Val-de-Reuil. D’ailleurs, elles rappellent que dans son
rapport de 2020, la Cour des comptes regrette que la situation des quartiers ne
s’améliore pas. « Il y aurait une forme
d’échec récurrent de la politique de la ville malgré les milliards engloutis
» déplore le rapport. Ce dernier appelle à «
déconstruire certaines idées reçues ». Par exemple, malgré les préjugés,
les quartiers prioritaires ne sont pas mieux lotis, l’insuffisance des services
publics « de droit commun » demeure
une réalité et améliorer la vie des habitants reste un enjeu. Les rapports
Borloo, Cornut-Gentille-Kokouendo et de l’Institut Montaigne l’ont largement
démontré. Selon le rapport, « il y a
moins de personnels de la fonction publique hospitalière pour 100 000?habitants
en Seine-Saint-Denis que dans les départements les moins peuplés de France ».
La politique de la ville doit être
un tremplin
Pour les rapporteures, ces quartiers sont des « SAS » et
la politique de la ville un « tremplin ». Certains ont pu dire que la
Seine-Saint-Denis était un « Ellis Island français » c’est-à-dire « une terre d’accueil des immigrés et des plus
précarisés » comme l’a déclaré Hakim El Karoui, essayiste, dans une
interview dans le Journal du dimanche en octobre 2020, dans le sens où, dans
les métropoles, les quartiers populaires ont des fonctions d’accueil et de
rebond. Même si le rapport pointe un « manque
d’études de cohortes pour confirmer les témoignages et les analyses
sociologiques, plusieurs travaux montrent qu’il y a une réelle mobilité
résidentielle et de revenu dans ces quartiers. » Notons que les
personnes déménagent
autant, voire plus qu’ailleurs.
Cependant, les nouveaux entrants qui les remplacent ont en moyenne un niveau de
revenu inférieur.
De
récentes études réalisées par l’INSEE et par France Stratégie montrent que la mobilité
intergénérationnelle des revenus est plus importante en France qu’aux
États-Unis, à condition de pouvoir accéder à l’enseignement supérieur et être
mobile géographiquement. Dans ce sens, les sénatrices exhortent donc d’adopter
une vision dynamique de la politique de la ville. Car de manière statique, au
bout de dix ans, un quartier pauvre va généralement être confronté aux mêmes
difficultés. Alors que de manière dynamique, au bout de dix ans, les habitants
ne sont plus les mêmes, environ 50 %
auront déménagé. Enfin, la contribution de ces quartiers à l’économie nationale
est bien réelle :
« Bien que la Seine-Saint-Denis soit le
département le plus pauvre de France métropolitaine, il se révèle être le 8e
contributeur net à la protection sociale, mais est aussi le département où la
masse salariale a le plus augmenté entre 2007 et 2018. »
Le
rapport propose douze recommandations, demande notamment « de mettre fin aux appels à projets systématiques qui fragilisent les
associations, d’impliquer plus les entreprises et de développer et
d’accompagner l’entrepreneuriat comme modèle de réussite accessible, notamment
pour les femmes ». « Nous déposerons
notre propre proposition de loi si le Gouvernement ne le fait pas », ont
annoncé les sénatrices dans un communiqué du 22 mai.
Tina Millet