L’expérimentation de la vaccination antigrippale en
officine a pris fin le 1er mars 2019 [article 59 de la loi
de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2019].
Depuis cette date, la vaccination – uniquement pour
le moment contre la grippe saisonnière – fait partie des missions pouvant
être exercées par les pharmaciens d’officine sur l’ensemble du territoire. Les
pharmacies ont fortement participé au renforcement de la couverture vaccinale
pour les personnes ciblées par les recommandations vaccinales en vigueur. Outre
des obligations de déclaration auprès du directeur général de l’ARS et des
obligations de formation pour les pharmaciens, ces derniers doivent exercer
dans une officine répondant à des conditions techniques spécifiques. L’officine
dans laquelle exerce le pharmacien doit disposer de locaux adaptés pour assurer
l’acte de vaccination. Elle doit également s’être dotée d’équipements comme une
table ou un bureau, des chaises et/ou un fauteuil pour installer la personne
pour l’injection, un point d’eau pour le lavage des mains ou des solutions
hydroalcooliques, une enceinte réfrigérée pour le stockage des vaccins,
disposer du matériel nécessaire pour l’injection du vaccin et d’une trousse de
première urgence, et éliminer les déchets d’activité de soins à risque
infectieux (DASRI) produits dans ce cadre conformément à la réglementation
(article R. 1335-1 et suivants du Code de la santé publique). Dans le
dossier adressé à l’ARS, la déclaration doit être accompagnée d’une attestation
sur l’honneur de conformité au cahier des charges relatif aux conditions
techniques (matériel, stock vaccins, locaux notamment).
Précisément,
quelles caractéristiques doit avoir le local dans lequel le pharmacien va
vacciner ?
Il doit comprendre un espace de confidentialité clos
pour mener l’entretien préalable, accessible depuis l’espace client, sans accès
possible aux médicaments. Des travaux sont souvent nécessaires pour aménager
cet espace, même si beaucoup de pharmaciens, pour le moment encore, se
contentent de leur salle dédiée, par exemple, à l’orthopédie, ou d’un petit
bureau qu’ils ont aménagé eux-mêmes à cet effet. À l’avenir cependant, il
pourra devenir difficile de ne disposer que d’un seul local pour mener à bien
les différentes missions que peut être amené à exercer le pharmacien, celles-ci
allant nécessairement augmenter (pour le moment, la vaccination par les
pharmaciens est limitée à la grippe saisonnière, mais on pourrait imaginer, si
un vaccin contre la Covid-19 était trouvé, qu’elle soit élargie à ce cas). Il
est donc difficile d’envisager une pharmacie qui se transformerait en salle
d’attente en ces temps de Covid-19 où nous devons justement limiter les
contacts et les regroupements de personnes dans un espace clos.
Qui devra
supporter le coût des travaux quand l’aménagement actuel des lieux les rend
indispensables pour pouvoir vacciner dans les règles ?
Dans la plupart des cas, le bail qu’a signé le
pharmacien à son entrée dans les lieux prévoit que ces travaux seront à sa
charge. Il est en effet tout à fait légal d’envisager, dans le cadre d’un bail
commercial ou professionnel, une clause aux termes de laquelle le preneur devra
prendre à sa charge soit certains travaux de mise aux normes limitativement
énumérés (et dans ce cas, la clause ne peut être étendue à des travaux non
expressément visés par celle-ci), soit tous les travaux de mise aux normes
quels qu’ils soient (et dans ce cas, la clause doit être rédigée de façon
suffisamment claire, expresse et non équivoque pour éviter toute ambiguïté).
Le décret d’application de la loi Pinel en date du
3 novembre 2014, qui a institué l’article R. 145-35 du Code de
commerce, est venu poser une limite impérative à cette faculté de faire
supporter au locataire les travaux de mise en conformité : ceux-ci ne doivent
pas relever des « grosses
réparations » prévues à l’article 606 du Code civil (comprenant les
travaux qui intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale).
Cependant, quand le bail est silencieux, il convient de
s’interroger. Quid de la prise en charge de ces travaux lorsqu’ils sont
effectués pour exercer une mission de service public prévue dans la destination
des locaux et pour se conformer à la règlementation ?
Tout d’abord, il convient de distinguer autorisation et
prise en charge. La première peut être prévue par le bail – et il convient
alors de la solliciter auprès du bailleur, sans que la seconde ne soit évoquée.
Concernant cette question de la prise en charge, le
parallèle pourrait être fait avec les travaux de mise en conformité. En
l’absence de clause spécifique, les travaux de mise en conformité des locaux
sont à la charge du bailleur au titre de son obligation de délivrance sur le
fondement de l’article 1719-2 du Code civil, lequel dispose que le bailleur est
tenu « par la nature du
contrat, et sans qu’il soit besoin d’une stipulation particulière (…)
d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été
louée ». Ainsi, en application de cet article et en l’absence de
clause contraire expresse, c’est au bailleur de supporter la mise en conformité
des lieux à la destination contractuelle promise.
Le 4 juillet 2019, la 3e Chambre de la Cour de cassation
a rappelé que « le bailleur ne peut
s’affranchir de son obligation de délivrance par le biais d’une clause relative
à l’exécution des travaux dans les lieux loués. Ainsi, la clause d’acceptation
par le preneur des lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le
bailleur de son obligation de délivrer un local conforme à la destination
contractuelle, qui doit, sauf stipulations expresses contraires, réaliser les
travaux de mise en conformité aux normes de sécurité qu’exige l’exercice de
l’activité du preneur même si elle est différente de celle à laquelle les lieux
étaient antérieurement destinés, dès lors qu’elle est autorisée par le bail »
(JurisData n° 2019-011803 ; JCP E 2019, 1548).
Dans le cas de la vaccination, le pharmacien a le choix
de la pratiquer ou non dans son officine, et donc d’y faire les travaux
d’aménagement nécessaires. Ce ne sont pas des travaux de mises aux normes
obligatoires, comme ont pu l’être, par exemple, ceux concernant l’accessibilité
aux personnes handicapées.
Dès lors que
l’activité de vaccination est autorisée par le bail en cours, et sauf clause
expresse l’excluant, le preneur ne serait-il pas en droit de demander à son
bailleur de réaliser les travaux d’aménagement correspondant à l’exercice de
cette mission de vaccination sur le fondement de l’obligation de délivrance du
bailleur qui se poursuit au cours du bail ?
Le premier conseil pour un pharmacien qui souhaite
aménager un local aux fins de vaccination est d’examiner ou de faire examiner
son bail par un professionnel.
Notamment vérifier que l’activité de vaccination est
prévue dans la destination des locaux loués, par exemple en ce qu’elle
constitue une activité annexe à l’activité de pharmacien déontologiquement
acceptée par l’Ordre des pharmaciens.
Une fois qu’il est sûr que les travaux sont conformes à
l’activité exercée dans les locaux et à la destination prévue dans le bail, le
pharmacien pourrait solliciter leur prise en charge par son bailleur, au titre
de son obligation de délivrance.
Les nouvelles missions de service public (vaccination,
téléconsultation…) ayant vocation à devenir à l’avenir des sources de revenus
non-négligeables pour les officines de pharmacie, ces travaux d’aménagement
apporteront une plus-value au fonds, mais auront également une incidence sur la
valeur locative, et le bailleur pourrait donc y voir un intérêt.
Les échanges clairs et francs sur ce sujet avec le
bailleur sont à privilégier, car le partage des travaux qui est contenu dans le
Code civil ou/et dans le bail n’est pas rigide, les parties peuvent y déroger
si elles s’accordent sur une autre répartition en fonction de l’évolution des missions
que peut mener le pharmacien. Si ce dernier s’apprête à signer le bail, il doit
avoir en tête ce point de négociation essentiel face à son bailleur, compte
tenu des évolutions récentes de ses missions et de celles à venir pour que le
local soit susceptible de lui en permettre le plein exercice.
En effet, face à ces nouvelles missions d’importance, on
le voit, la pharmacie d’aujourd’hui n’aura rien à voir avec celle de demain. Le
pharmacien d’officine disposera de locaux avec des caractéristiques différentes
selon les missions : un espace de confidentialité clos pour mener
l’entretien préalable, accessible depuis l’espace client, sans accès possible
aux médicaments pour vacciner, un espace pour une machine de téléconsultation
dans un endroit calme et confidentiel mais non isolé dans la pharmacie, un
espace de stockage pour le matériel médical… Autant d’espaces qu’il pourra y
avoir de missions, ce qui supposera des officines aménagées différemment, mais
sans aucun doute plus grandes.
La question de la prise en charge de ces travaux, aussi
bien d’aménagement intérieur que d’agrandissement (ces derniers relevant alors
des « gros travaux » de
l’article 606 du Code civil) qui s’avèreront nécessaires, est donc dès
maintenant pertinente.
Pauline Vanden
Driessche, Avocate associée du Cabinet Parthema membre du réseau ETELIO
Céline Marandet, Avocate
du Cabinet Parthema membre du réseau ETELIO