Usurpation d'identité : « le plus dur est de prouver l'innocence des victimes »


mardi 17 décembre 20245 min
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À l’ère du numérique, de plus en plus d’arnaques voient le jour et certaines peuvent coûter cher. C’est le cas pour les victimes d’usurpation d’identité qui se font pirater leur compte bancaire. Elles peuvent, par exemple, se retrouver engagées à rembourser un crédit à leur nom, ou encore être déclarées responsables d’une entreprise sans le savoir.

200 000, c’est le nombre d’individus qui chaque année sont victimes d’usurpation d’identité en France. De plus en plus pointus, les voleurs de données perfectionnent leurs méthodes pour toucher un large panel de Français et de Françaises. Marie-Camille Eck, avocate au barreau de Paris depuis 2009, affirme qu’il « n’y a pas de type de personnes, tout le monde peut être victime ». On est loin du cliché de la personne dupe ou naïve. Dans ses dossiers, elle rencontre des chefs d’entreprise, des jeunes, des CSP+, mais aussi des gens plus modestes, et enfin des personnes âgées.

Parfois, les plus grandes entreprises elles-mêmes subissent des cyberattaques. Dernièrement, les sociétés SFR et Free ont été victimes de vols de données. Les IBAN des clients – cinq millions environ – ont été dupliqués. « Avec les noms, prénoms, adresses mail et postales, numéro de téléphone, identifiant abonné et les données contractuelles », précise l’entreprise de Xavier Niel dans un mail aux clients, le 26 octobre dernier. Confronté à ce genre de situation, il faut appeler sa banque immédiatement pour surveiller les sorties d’argent du compte et éviter l’usurpation d’identité.

Ce délit pénal est sanctionné d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Par définition, il consiste à prendre sans accord l’identité ou les données personnelles d’un individu à des fins malveillantes. L’article 226-4-1 du Code pénal prévoit un doublement de peine si les faits sont commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire de pacs.

L’usurpation la plus fréquente

D’après Marie-Camille Eck, spécialisée dans la défense des victimes d’usurpation d’identité, la méthode la plus banale reste le vol bancaire avec la souscription à de nouveaux comptes ou crédits au nom du consommateur usurpé. L’une des autres possibilités est celle de la création d’entreprise. Les malfaiteurs volent une identité, déclarent une société pour « probablement toucher des aides, arnaquer d’autres personnes sous couvert d’une entreprise ». Ces usurpateurs-là sont « souvent en situation irrégulière. »

En dehors des délits opérés par la voie d’Internet, d’autres fraudes existent, comme le vol de portefeuille, « toujours d’actualité ». Guillaume en a été victime. Il y a quelques années, un chéquier et une carte d’identité lui ont été dérobés. « Un jour, ma banquière m’a appelé, car elle trouvait mes dépenses non habituelles. » En effet, le voleur a rapidement utilisé six chèques du carnet, pour régler les achats d’appareils électroniques onéreux.

Lors de la plainte de Guillaume, les gendarmes ont pensé que le plaignant voulait escroquer la banque en déclarant un faux vol. « Il s’en est suivi des pages de signatures à la gendarmerie pour prouver que je faisais toujours la même et comparer avec celles dessinées sur les chèques », détaille-t-il. L’individu n’a jamais été retrouvé, la banque, grâce à une assurance, a pu rembourser les frais dépensés.

« C’est ce qui est le plus dur dans les démarches juridiques. Il faut que la victime puisse prouver qu’elle est victime », explique Marie-Camille Eck. Il faut « prouver un fait négatif, que l’on n'a pas fait », cette suspicion est « compliquée à vivre ». C’est là où peuvent intervenir les associations. France victimes travaille en lien direct avec le ministère de la Justice notamment pour accompagner les plaignants dans « un parcours juridique, économique, social et psychologique financé par le ministère », souligne Jérôme Moreau, porte-parole de l’association.

« Tout va très vite lorsque vous êtes victime d’usurpation d’identité. » Alors que, le membre de France victimes en témoigne : « Être reconnue comme victime, c’est très compliqué, c’est long parfois, il faut une, deux ou trois années pour obtenir justice. » Pour l’avocate, la justice s’avère même presque impossible à rendre dans ces situations : « Le plus souvent, le vol est temporaire, sur un court terme. L’usurpateur fait ce qu’il sait faire sur quelques semaines, puis change de victime. Il est très dur de retrouver l’individu. » Comme dans toutes les affaires pénales, les cibles préfèrent confronter leur bourreau. Mais, le plus souvent, ils restent introuvables et donc non-condamnés. Raison pour laquelle l’avocate se concentre sur les dédommagements. « J’essaye d’aider sur les conséquences pour qu’ils n’aient pas à payer les crédits, l’Urssaf et qu’ils soient remboursés en cas de dépenses. »

De nouvelles voies ouvertes aux hackers

« La délinquance a changé », affirme le porte-parole de l’association. Il existe encore des vols de sacs à main ou de plaques d’immatriculation, mais ce qui a ouvert de nouvelles voies à l’usurpation d’identité, ce sont les réseaux sociaux. Tout se fait à distance. Des vies administratives et identitaires sont dérobées en un claquement de doigts. D’après Jérôme Moreau, « il faudrait revenir à la notion de vie privée, ne pas tout exposer sur Internet ». Pour contrer le pillage de données, les applications accroissent leur vigilance en employant par exemple la double identification. Un système dont on n'a pas encore les résultats, mais qui devrait limiter certains vols.

Suivant ses propres développements, l’administration française a ouvert en février 2024, la plate-forme France identité permettant d’avoir tous ses papiers dématérialisés sur son téléphone. L’application assure la fiabilité et la sécurité de cette solution numérique en empêchant la commercialisation des données d’identité. Le gouvernement rappelle le sondage IPSOS d’octobre 2020 qui révèle que 28 % des Français ont fait l’objet d’une ou plusieurs tentatives de vol d’identité en ligne sur les deux dernières années. Les chiffres de cette étude donnent une moyenne de 751 euros de préjudice pour les 18 % qui ont effectivement été usurpés.

Comment limiter les risques ?

« Plus on débloque les choses en amont, plus elles sont simples à débloquer, il ne faut pas procrastiner », rappelle Marie-Camille Eck. Par exemple, dès la première saisie sur salaire, il peut y avoir une procédure judiciaire. Il faut contester la saisie immédiatement pour « limiter la casse ». Beaucoup de gens agissent en amont dès le premier doute ou « s’ils reconnaissent avoir rentré des données là où ils n’auraient pas dû », mais parfois « on s’en rend compte trop tard ». Il faut s’interdire de fournir des renseignements personnels par téléphone ou d’ouvrir des liens reçus par sms.

Le piège le plus commun, ces dernières années, est la technique de la fausse annonce immobilière. Beaucoup de futurs locataires donnent des documents à la volée comprenant identité, adresse, salaire et toutes les informations utiles pour être usurpé facilement. Pour encadrer les prises à bail et notamment proscrire ce type d’arnaque, le gouvernement a instauré Dossier facile. Ce service permet de sécuriser les documents fournis grâce à un filigrane et de limiter les dépôts à ceux qui sont nécessaires. Le décret 2015-1437 du 8 novembre 2015 fixe les pièces justificatives pouvant être demandées. Ainsi, il est interdit de demander des relevés bancaires, la carte vitale, une photo d’identité ou même un chèque de réservation avant la signature du bail. Les demandes abusives illicites peuvent être sanctionnées pénalement.

Tessa Biscarrat

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