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Politique budgétaire et crise sanitaire

Politique budgétaire et crise sanitaire
Publié le 21/04/2020 à 10:10


Pour justifier son plan d’aide et la fin de l’orthodoxie budgétaire, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin déclarait le 17 mars 2020 : « Quand la maison brûle, on ne compte pas les litres d’eau pour éteindre l’incendie. » Pourtant, et pour filer la métaphore du ministre, la ressource en eau n’est pas illimitée.


Il n’en demeure pas moins que la politique budgétaire est un levier essentiel pour affronter la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 et espérer en limiter au maximum les impacts sur la croissance. 

D’ailleurs, et de manière évidente, l’adaptation budgétaire a été de mise dans la plupart des États européens. Puisque le Président Macron considère que nous sommes en guerre face à ce virus sans précédent, il peut alors être constaté que nos voisins européens ont sorti la grosse artillerie budgétaire, spécialement en Allemagne : Berlin a ainsi prévu 123 milliards d’euros de dépenses supplémentaires (3,6 % de son PIB) et indique même avoir un plan financier de 1 100 milliards en comptant notamment les quelque 822 milliards de garanties d’État accordées aux crédits des entreprises. La réponse des autres grands pays de la zone euro est plus modeste, mais n’en reste pas moins imposante : l’Italie a doublé son enveloppe initiale de 25 à 50 milliards (2,8 % du PIB), l’Espagne est un peu plus en retrait, avec des nouvelles dépenses réelles estimées à 17 milliards (1,4 % de son PIB). Au total, l’effort budgétaire devrait représenter 2 % du PIB de la zone euro pour ses dix-neuf membres, selon l’Eurogroupe.

La France n’est pas en reste et, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. La loi fixant les contours de l’état d’urgence sanitaire a été adoptée le 23 mars 20201, habilitant notamment le gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance dans un délai de trois mois (ce qui est un délai relativement long par rapport à un confinement prévu au départ pour 15 jours récemment prolongé jusqu’au 11 mai au moins), toute mesure permettant de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique. Ces différentes adaptations passent par des mesures de soutien à la trésorerie ainsi que d’un fonds dont le financement sera partagé avec les régions.


Face aux conséquences de la crise sanitaire, un projet de loi de finances rectificative2 a également été voté le 23 mars 2020, se fondant sur des prévisions budgétaires très dégradées. Cette crise sanitaire se traduirait irrémédiablement par une crise économique. En France, elle entraînerait une baisse de 1 % du PIB en 2020 et devrait fortement creuser le déficit à 3,9 % du PIB (108,5 milliards d’euros contre 93,1 milliards initialement). La consommation devrait également chuter de 2 % selon les prévisions du gouvernement. L’inflation serait de +0,6 % en 2020, après +1,1 % en 2019 et la dette devrait dépasser les 100 % du PIB. L’exécutif prévoit aussi que les recettes fiscales ne baisseront pas davantage que l’activité (-10,7 milliards d’euros des recettes fiscales nettes par rapport à la loi de Finances initiale). Il faut néanmoins préciser que ces prévisions ont été faites sur l’hypothèse d’un confinement limité à un mois, et d’un retour rapide à la normale de la demande une fois la crise terminée.


Il a donc été nécessaire d’adapter la politique budgétaire du pays aux conséquences de la crise sanitaire engendrée. Face à la survenance d’une crise majeure telle que l’épidémie de Covid-19, la définition d’une politique publique spécifique s’impose. Des adaptations budgétaires ont alors été adaptées à différentes échelles : quelles sont donc les mesures économiques et budgétaires prises à l’échelle européenne, nationale, mais également locale ? Quels sont les secteurs prioritaires soutenus par cette politique budgétaire de crise ? En voici les réponses de manière synthétique.



Les mesures budgétaires européennes


Le vendredi 13 mars 2020, la Commission européenne a présenté des mesures de soutien aux États membres de l’Union européenne, mais aussi aux entreprises pour limiter l’impact de l’épidémie de Covid-19. 

La principale réponse budgétaire à la crise sanitaire provient des budgets nationaux des États membres. Ainsi, la Commission a assoupli les règles de l’UE en matière d’aides d’État permettant aux États membres de prendre des mesures rapides et efficaces pour aider les citoyens et les entreprises qui sont confrontés à des difficultés économiques en raison de l’épidémie de Covid-19. Cette dérogation est prévue par le Traité de Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), elle pose le principe de la licéité des « aides destinées à remédier aux dommages causés par des évènements extraordinaires »3. Celle-ci n’est assortie d’aucune limite a priori, que ce soit sur le plan des volumes d’aide mobilisés ou du point de vue des secteurs économiques concernés. Elle couvre notamment les garanties susceptibles d’être apportées aux banques pour leur permettre de poursuivre la mise à la disposition de leurs clients des liquidités.

Toujours dans l’optique de faciliter l’action budgétaire des États dans la traversée de cette crise, les 27 ministres des Finances de l’UE ont validé lundi 23 mars 2020 la suspension des règles de discipline budgétaire, une décision permettant aux États membres de dépenser autant qu’il le faut pour compenser les conséquences économiques de la crise sanitaire en cours. 

La Commission européenne ayant qualifié la pandémie de Covid-19 « d’événement hors du contrôle des gouvernements avec un impact majeur sur les finances publiques », elle a ainsi considéré avec le Conseil européen que les conditions d’activation de la clause dérogatoire générale du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) sont remplies. Cette mesure permet aux gouvernements nationaux d’injecter de l’argent dans leurs économies. La clause, créée en 2011 et jamais utilisée depuis prévoit que, pendant un temps limité, les États membres ne sont pas obligés de suivre leur trajectoire budgétaire.

Les aides européennes pourraient également venir appuyer l’action budgétaire des États membres. Ainsi, pour soulager immédiatement les PME durement touchées, le budget de l’UE déploiera ses instruments existants pour apporter à ces entreprises un soutien en liquidités, en complétant les mesures prises au niveau national. Environ 8 milliards d’euros permettront de venir en aide à au moins 100 000 PME et petites entreprises de taille intermédiaire européennes. Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation pourrait également être mobilisé pour soutenir les travailleurs licenciés et les travailleurs indépendants. De plus, la Commission propose d’allouer 37 milliards d’euros au titre de la politique de cohésion pour lutter contre la crise provoquée par le coronavirus.



LES MESURES BUDGÉTAIRES NATIONALES


À l’échelle nationale, la loi de finances rectificative du 23 mars 2020 constitue le principal véhicule législatif des dispositions budgétaires prévues par le gouvernement. Elle permet ainsi la création d’une mission temporaire intitulée « Plan d’urgence face à la crise sanitaire »4. L’article 7 de la loi organique relative aux lois de finances5 prévoit en effet qu’« une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie. Seule une disposition de loi de finances d’initiative gouvernementale peut créer une mission. » Cette mission est ici confiée au ministre chargé de l’Action et des Comptes publics. La mission nouvelle comprend elle-même deux programmes : « Prise en charge du dispositif exceptionnel de chômage partiel à la suite de la crise sanitaire » et le « Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire ».

Il permet dans un premier temps de financer le plan d’urgence à hauteur de 6,25 milliards d’euros pour prendre en charge le dispositif de chômage partiel afin d’éviter les licenciements (5,5 milliards d’euros), mais aussi de fournir un fonds d’indemnisation pour les très petites entreprises qui est cofinancé avec les régions (750 millions d’euros). 

L’autre partie du dispositif de soutien aux entreprises présenté dans le cadre de la loi de finances rectificative consiste en la garantie, par l’État, des prêts qui seraient octroyés entre le 16 mars et le 31 décembre 2020 au bénéfice d’entreprises dont l’activité est pénalisée par les mesures d’urgence prises par le gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire. Ce dispositif de garantie exceptionnelle ne se limite pas, comme celui mis en place après la crise économique de 2008, à maintenir à flot le système interbancaire, mais concerne les entreprises non financières immatriculées en France dont l’activité subit « un choc brutal à la suite des mesures d’urgence sanitaires prises par les autorités ». Le montant global maximal s’élève à 300 milliards d’euros. 

La crise sanitaire a des répercussions évidentes pour les entreprises et les travailleurs, mais elle souligne aussi le manque de moyens dans plusieurs secteurs pourtant essentiels pour traverser une telle crise. Nul doute d’ailleurs que des enseignements seront à tirer des carences constatées. Le temps des responsabilités viendra nécessairement.

Ce constat est bien sûr criant pour le service public de la santé et plus spécifiquement pour l’hôpital public qui n’est pas aujourd’hui en mesure de faire face aux besoins de santé des malades. En effet, selon l’OCDE, la France ne disposait en 2018 que de 3,1 lits d’hôpitaux en soins intensifs pour 1 000 habitants. Elle se classe seulement au 19e rang mondial, loin, très loin des trois premiers pays ayant le plus de lits en soins intensifs à offrir à leurs habitants : Japon (7,8 lits pour 1 000 habitants), Corée du Sud (7,1) et Allemagne (6). Soit un peu plus de 200 000 lits pour une population de 67 millions.

Face à cette situation pourtant connue de tous depuis plusieurs années, le président de la République s’est décidé à annoncer la mise en place d’un « plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières » pour l’hôpital, une fois la crise sanitaire passée. Pour l’heure, Bercy prévoit « une provision supplémentaire de 2 milliards d’euros de dépenses de santé, pour couvrir les achats de matériel (masques), les indemnités journalières et la reconnaissance de l’engagement des personnels hospitaliers ». Concrètement, la capacité de réanimation va être portée à 14 000 lits, 1 milliard de masques ont été commandés, ainsi que 5 millions de nouveaux tests de dépistage rapide.

Dans le contexte de la propagation du virus Covid-19, il apparaît primordial de coordonner et soutenir la recherche médicale. Répondre aux besoins de la communauté scientifique mobilisée est une des priorités. L’effort global de recherche sur le Covid-19 a ainsi été porté à 8 millions d’euros afin de fournir une réponse scientifique à la propagation du virus sur le territoire national.



DES MESURES BUDGÉTAIRES AU SOUTIEN DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 


À l’échelle locale, les collectivités et en première ligne, les communes, ont dû s’adapter à la situation sanitaire en devant soutenir plusieurs postes de dépenses inédits comme les mesures d’hygiène drastiques prises pour la tenue du premier tour des élections municipales le 15 mars, l’achat de masques de protection, l’accueil dans les écoles et crèches des enfants des personnels soignants ou encore les mesures d’aides aux entreprises et aux commerces.

La loi d’urgence a ainsi suspendu pour 2020 l’application des contrats dits « de Cahors ». Depuis 2018, ces dispositions concernaient les 322 régions, départements, communes et intercommunalités ayant passé un contrat financier avec l’État qui limite l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 % par an. En 2020, ces collectivités seront donc autorisées à dépasser ce plafond maximal de dépenses sans risquer de sanctions financières. La loi d’urgence reporte de trois mois la date limite d’adoption des budgets des communes, c’est-à-dire au 31 juillet 2020 (au lieu du 15 ou du 30 avril). 

Une autre ordonnance dévoilée le 25 mars 20206 vient donner plus de souplesse aux collectivités dans l’exécution de leur budget. Elles auront notamment la possibilité d’aller plus loin en matière de dépenses imprévues. Au titre de l’exercice 2020, le plafond maximal autorisé sera ainsi porté à 15 % des dépenses prévisionnelles de chaque section, contre 7,5 % en temps normal.

Des adaptations ont également été prises en compte pour adapter le traitement du budget actuel. Une ordonnance du 25 mars dernier7 indique expressément que les mesures de restriction, de circulation et de confinement depuis le 12 mars 2020 ainsi que l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020 sont constitutifs de la force majeure. Ainsi, du fait de ces circonstances exceptionnelles, les comptables publics ne voient pas mise en jeu leur responsabilité personnelle et pécuniaire. En temps normal et depuis 1963, ces derniers sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d’un comptable public, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité, du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités, ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable. C’est un des principes fondamentaux de la comptabilité publique qui est bouleversée en cette période tristement exceptionnelle. L’ordonnance précise également que pour les opérations réalisées lors de cette période, les déficits résultant de circonstances de force majeure sont supportés par le budget de l’organisme intéressé.

Face à une situation sanitaire inédite, il apparaît nécessaire pour la politique budgétaire de s’adapter aux besoins de la société. Cet enjeu est d’autant plus important car il permet certes d’affronter la crise actuelle, mais aussi d’anticiper les répercussions économiques et sociales que cette dernière aura à long terme une fois terminée. Une politique budgétaire repensée pourrait également dessiner les contours d’une nouvelle politique publique qui accorderait plus de moyens et de ressources au service public de la santé, mais aussi à la recherche médicale afin d’éviter qu’une nouvelle crise sanitaire puisse se reproduire. 

Puisqu’il n’est de richesse que d’hommes, et que Jean Bodin l’avait déjà compris au XVIe siècle, cette crise sanitaire pourrait être l’occasion de repenser le modèle économique, en remettant l’humain au centre des préoccupations. L’avenir nous le dira…


1) Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

2) Loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020.

3) Article 107 du TFUE paragraphe 3, point b).

4) Loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020.

5) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

6) Ordonnance n° 2020-330 du 25 mars 2020 relative aux mesures de continuité budgétaire, financière et fiscale des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19.

7) Ordonnance n° 2020-326 du 25 mars 2020 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics.




Madeleine Babès, Avocate à la cour, Huglo Lepage Avocats

Sophia Faddaoui, Élève-avocate


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