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Vingt propositions de révision de la directive du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal

Vingt propositions de révision de la directive du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal
Publié le 10/05/2021 à 13:52
Après d’âpres débats sur la loi climat des interrogations récentes sur la place de l’économie verte dans la gouvernance des entreprises, et l’affaire d’un siècle d’irresponsabilité, une consultation européenne sur la révision de la directive 2008/99/CE relative à la protection de l’environnement par le droit pénal offre une formidable opportunité de redonner une crédibilité à la protection de l’environnement.

De la révision des notions comme celles d’intérêt à agir pour faciliter la recevabilité des recours, au dommage à l’environnement qui ne connaît pas de frontières, de la responsabilisation des personnes morales, en particulier leurs administrateurs, à l’impact sur la concurrence des manœuvres du greenwashing et face à l’émergence d’une criminalité organisée environnementale transnationale qui se joue des enjeux environnementaux, la voie pénale déployée harmonieusement à l’échelle européenne pourrait devenir incontournable pour une justice environnementale enfin efficiente.

Enseignant, magistrats, avocats et étudiants (1) au sein du Cycle Droit répressif de l’environnement (2) (Paris 1) ont soumis leur réponse à la consultation dont les axes principaux sont décrits dans la présente tribune (3).

 


La directive 2008/99/CE relative à la protection de l’environnement par le droit pénal est le principal instrument de l’Union dans le domaine du droit pénal de l’environnement. Elle exige l’incrimination des comportements illégaux entraînant ou susceptibles d’entraîner une dégradation de l’environnement ou de la faune et de la flore, ou de causer la mort ou de graves lésions à des personnes. Un comportement est qualifié d’« illégal » lorsqu’il enfreint des obligations énoncées dans les 72 actes législatifs de l’Union énumérés dans les deux annexes de la directive ou dans tout acte des États membres donnant effet à cette législation.

Les transpositions timides ou approximatives dans la quasi-totalité des États membres, et la dégradation constante des écosystèmes qui en résulte indirectement, ont démontré que la directive n’avait pas pleinement rempli ses objectifs et que, en contemplation des exigences du marché intérieur, des écarts significatifs subsistaient entre les États membres, des effets de « dumping environnemental » n’étant pas à exclure.

En outre, les compétences de la Commission ont considérablement évolué depuis 2008.
En première part, l’article
83 du TFUE énonce qu’en fonction des développements de la criminalité, le Conseil peut adopter une décision identifiant des domaines de criminalité particulièrement graves revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d’un besoin particulier de les combattre sur des bases communes. La nouvelle directive devra placer les atteintes à l’environnement parmi les développements les plus préoccupants de la criminalité.

En deuxième lieu, lorsque le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres en matière pénale s’avère indispensable pour assurer la mise en œuvre efficace d’une politique de l’Union dans un domaine ayant fait l’objet de mesures d’harmonisation, des directives peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine concerné.

Enfin, les opérateurs personnes physiques ou personnes morales dont les activités constituent un risque pour l’environnement, au sens que la nouvelle directive devra donner à cette notion, doivent se trouver chacun en ce qui les concerne placés sur un plan d’égalité s’agissant de leurs obligations, de sorte de préserver la concurrence au sein du marché intérieur.

C’est dans ce contexte d’élan nouveau donné à son action que la direction de l’environnement de la Commission a établi un bilan de la mise en œuvre de la directive du 19 novembre 2008 « Protection de l’environnement par le droit pénal », avant de lancer une consultation générale en vue de la révision de ce texte, sans cependant annoncer la confection d’un règlement, appelé de leurs vœux par quelques-uns des – fort rares – acteurs de la matière répressive.

Les consignes données aux soumissionnaires sont explicites en ouvrant le champ des possibilités :

1- Des mesures pourraient être envisagées afin de collecter des statistiques et des données sur les infractions environnementales de manière cohérente dans toute l’Union et de les communiquer à la Commission.

2- L’interprétation de certains termes juridiques nécessitant des précisions concrètes pourrait être facilitée.

3- Davantage d’efforts pourraient être consentis afin de standardiser le niveau de sanctions dans tous les États membres, dans le respect des traditions juridiques nationales et des systèmes pénaux des États membres.

4- Des sanctions supplémentaires, ainsi que des sanctions liées à la situation financière des personnes morales, pourraient être envisagées.

5- Le champ d’application de la directive est lié aux instruments environnementaux mentionnés dans ses annexes. Cette approche pourrait être reconsidérée.

6- Le champ d’application de la directive pourrait être élargi afin de couvrir davantage de domaines de la criminalité environnementale, ou des domaines émergents.

7- La directive pourrait inclure davantage de mesures relatives à la coopération transfrontière et à la criminalité organisée.

8- On pourrait envisager de clarifier le rapport entre sanctions pénales et administratives.

9- Des mesures visant à améliorer la mise en œuvre pratique de la directive pourraient être envisagées (par exemple, la spécialisation des praticiens).

10- Plus de mesures visant à sensibiliser davantage le public aux infractions environnementales pourraient être envisagées.

Le Parlement européen a immédiatement entrepris un travail de même type, et le Conseil de l’Europe a dès à présent considérablement avancé dans sa proposition de Convention pour l’environnement.

Si le secrétariat général pour les affaires européennes a fait connaître qu’il préparait, pour l’État français, une réponse à la consultation, celle-ci a été largement ouverte aux cercles économique et universitaire, pendant les quatre premiers mois de l’année 2021. En espérant conjuguer de manière convaincante la connaissance du droit européen et les compétences en droit pénal et en droit de l’environnement, nos propositions ont été transmises à la Commission et sont accessibles par lien hypertexte.

L’objectif n’est pas ici de répéter à l’envi ce que tant d’autres ont proclamé sur leur attachement à la protection de l’environnement, ni même de recopier les prémisses de la commande de la Commission, mais de présenter les orientations strictement juridiques qui semblent permettre d’avancer vers une directive réellement repensée.

Il importe, sous cet angle, de faire confiance au droit pénal en tant qu’instrument de prévention autant que de répression (I.), et de mettre fin à l’illusion d’une délinquance qui serait la contrepartie inéluctable, donc en bonne part excusable, du développement économique (II).


 


I. SE SAISIR À NOUVEAU DU CHAMP PÉNAL


En l’état, les considérants de la directive ont lieu d’être modifiés, d’une part pour se référer au TFUE et aux compétences nouvelles que ce dernier confère à la Commission ; d’autre part pour élargir le champ d’application proprement juridique de la directive à la totalité des normes générales ou individuelles en matière de protection de l’environnement, y compris le droit souple, à l’ensemble de la législation proprement européenne, énumérée aux annexes A et B, régissant la protection de l’environnement, qui doivent être assorties de mesures de droit pénal et de sanctions pénales appropriées, proportionnées et décrites par nature sinon par quantums.

Il paraît indispensable en parallèle que l’Union s’engage à renforcer le rôle de la Cour des comptes européenne, notamment par la voie des audits relatifs au changement climatique, l’environnement, les ressources naturelles et la biodiversité conformément à la stratégie de la Cour des comptes européenne 2021-2025.

Conformément à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à Nice le 7 décembre 2000 et intégrée au Traité signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne, notamment l’article 67 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les législations répressives des États membres doivent respecter les principes généraux qu’impose une protection renforcée de l’environnement afin de limiter d’urgence les atteintes aux milieux et à la biodiversité.

Ces exigences conduisent à faire de chaque citoyen de l’Union un défenseur de l’intérêt général dans les termes et conditions de notre proposition n° 17 annexée ci-dessous. Parmi les principes généraux appelant à une réflexion :

Le principe de clarté : dans la mesure, croissante, où la lutte contre les atteintes à l’environnement tel que défini par la nouvelle directive passe par l’échange d’informations et la coopération, entre enquêteurs et magistrats d’un même État ou de plusieurs États, il importe de promouvoir cet échange et cette coopération. Les définitions communes doivent être imposées par la directive, en beaucoup plus grand nombre que dans la version de 2008 (voir notre proposition n° 8). Notamment, les concepts d’environnement, de dommage, de gravité, d’imprudence ou négligence ou intention, et de devoir de vigilance, manquent de précision alors même qu’ils sont porteurs des valeurs à protéger.

Le principe d’autonomie du droit pénal : les États membres ne doivent pas s’en remettre à leurs administrations pour la mise en œuvre de la loi pénale en vue de la protection de l’environnement, l’administration ne présentant, dans la plupart des États membres, pas de garantie suffisante d’impartialité par rapport aux groupes de pression politiques, économiques et sociaux. Les auteurs d’infractions ne peuvent pas revendiquer un quelconque droit de négocier avec l’administration ou tout autre organe de gouvernement. Les États membres instituent à ce sujet une limite à la sphère d’action de l’administration et reconsidèrent la place du droit pénal (notre proposition n° 16). Il importe que le lien établi entre les processus administratif de sanctions ou de réparation, et les processus judiciaires indépendants soient clarifiés par la législation des États membres, dès l’enquête (notre proposition n° 7), et y compris lorsque le magistrat entend négocier une sanction avec la personne ou l’entreprise qui s’est préalablement reconnue coupable (notre proposition n° 15).

Principe de réparation : s i l’existence d’un dommage n’est pas une condition d’existence d’une infraction (notre proposition n° 10 sur la reconnaissance du risque), la Directive doit en préciser la définition et les États membres doivent attacher une importance réelle à la nécessité d’une réparation de l’environnement tel que défini par la nouvelle directive, après la commission de l’infraction, la préconiser comme une peine complémentaire et en faire un élément essentiel des processus transactionnels (voir nos propositions n° 12, 14 et 15).









 

II. FAIRE FACE AUX NOUVELLES RÉALITÉS CRIMINELLES

Le recours au droit pénal doit donner les instruments juridiques pour mettre fin à l’illusion d’une délinquance qui serait la contrepartie inéluctable, donc en bonne part excusable, du développement économique. Les principes généraux suivants recouvrent nombres de moyens à développer de manière homogène au niveau européen :

Le principe d’anticipation et de dissuasion : il importe que les États membres mettent en place les moyens humains e t matériels qui permettent la mise en œuvre des enquêtes (notre proposition n° 7) et des sanctions (notre proposition n° 12 et 13) dont l’homogénéité sur le territoire de l’Union est une condition de fonctionnement normal du marché intérieur et dont le caractère dissuasif est un instrument indispensable de la prévention des atteintes à l’environnement. Les sanctions pénales doivent être suffisamment variées, selon le lieu de l’infraction, et ses caractères isolés ou pas, professionnels ou non, intentionnels ou non, pour répondre aux objectifs de proportionnalité et d’adaptation qu’impose le droit de l’Union. La pluri-délinquance doit faire l’objet de dispositifs spécifiques. Ces sanctions doivent être effectives et leur exécution doit être assurée. Les sanctions administratives (notre proposition n° 16) et les alternatives aux sanctions (nos propositions n° 13 et n° 15), jusqu’à présent considérées par l’actuelle Directive et par les législations nationales comme prioritaires, doivent au contraire devenir secondaires.

Le principe de réalité : la délinquance environnementale a considérablement évolué depuis 2008, et de nombreux comportements devraient faire l’objet, dans les États membres, de qualifications pénales appropriées (notre proposition n° 9 relativement aux incinérateurs, aux IOTA, aux piscicultures, à la chasse, aux cirques…).

En outre, une part grandissante des atteintes à l’environnement au sens de la directive procède désormais de la criminalité organisée, parfois de rayon international, d’atteintes à la concurrence et à l’intégrité du marché intérieur, et/ou de la délinquance financière.

Beaucoup de ces comportements nocifs sont l’œuvre de personnes morales, qui ne doivent plus rester en dehors du champ pénal et doivent faire l’objet de sanctions spécifiques, principales ou complémentaires, qui soient à la mesure des profits réalisés et qui protègent les intérêts financiers de l’Union et des États membres (notre proposition n° 13).

Ces comportements reçoivent en outre le secours d’incitateurs ou de complices. Les États membres devraient mettre en place des qualifications pénales et des sanctions à la mesure de ces enjeux. Les enquêteurs (notre proposition n° 7) et les juges (notre proposition n° 11 relative aux mécanismes de l’incitation et de la complicité) doivent être dotés de moyens suffisants pour affronter cette criminalité. Il ne doit pas être fait obstacle aux poursuites contre les administrateurs qui, en connaissance de cause, ont utilisé leurs pouvoirs pour inciter à la commission d’infractions. Une coopération interétatique et européenne doit se mettre en place de manière vigoureuse (nos propositions n° 19 et 20).

Pour ces infractions comme pour les infractions moins graves, les enquêteurs et les juges doivent disposer de recueils de textes qui leur permettent de connaître parfaitement les diverses législations susceptibles d’être mises en œuvre.

Dans la mesure des moyens disponibles, les états membres doivent spécialiser des personnels, policiers et judiciaires (notre proposition n° 7).

Le Principe d’efficacité des peines : il importe que s’établisse une proportionnalité entre les peines prononcées et les profits réalisés par l’auteur de l’infraction, et/ou avec la taille de son entreprise qui est à la mesure de sa capacité de nuisance notre proposition n° 13).

Il importe de même de renforcer les mécanismes d’exécution des sanctions financières, ce qui impose de prévoir des dispositifs de saisies préalables.

Le Principe de coopération des États