Après d’âpres débats sur la loi climat des
interrogations récentes sur la place de l’économie verte dans la gouvernance
des entreprises, et l’affaire d’un siècle d’irresponsabilité, une
consultation européenne sur la révision de la directive 2008/99/CE relative à
la protection de l’environnement par le droit pénal offre une formidable
opportunité de redonner une crédibilité à la protection de l’environnement.
De la révision des notions comme celles
d’intérêt à agir pour faciliter la recevabilité des recours, au dommage à
l’environnement qui ne connaît pas de frontières, de la responsabilisation des
personnes morales, en particulier leurs administrateurs, à l’impact sur la
concurrence des manœuvres du greenwashing et face à l’émergence
d’une criminalité organisée environnementale transnationale qui se
joue des enjeux environnementaux, la voie pénale déployée harmonieusement
à l’échelle européenne pourrait devenir incontournable pour une justice
environnementale enfin efficiente.
Enseignant, magistrats, avocats et étudiants (1) au sein du Cycle Droit répressif de l’environnement (2)
(Paris 1) ont soumis leur réponse à la consultation dont les axes principaux
sont décrits dans la présente tribune (3).
La directive 2008/99/CE relative à la protection de l’environnement par le
droit pénal est le principal instrument de l’Union dans le domaine du droit
pénal de l’environnement. Elle exige l’incrimination des comportements illégaux
entraînant ou susceptibles d’entraîner une dégradation de l’environnement ou de
la faune et de la flore, ou de causer la mort ou de graves lésions à des
personnes. Un comportement est qualifié d’« illégal » lorsqu’il
enfreint des obligations énoncées dans les 72 actes législatifs de l’Union
énumérés dans les deux annexes de la directive ou dans tout acte des États
membres donnant effet à cette législation.
Les
transpositions timides ou approximatives dans la quasi-totalité des États
membres, et la dégradation constante des écosystèmes qui en résulte
indirectement, ont démontré que la directive n’avait pas pleinement rempli ses
objectifs et que, en contemplation des exigences du marché intérieur, des
écarts significatifs subsistaient entre les États membres, des effets de
« dumping environnemental » n’étant pas à exclure.
En outre,
les compétences de la Commission ont considérablement évolué depuis 2008.
En première part, l’article 83 du TFUE énonce qu’en fonction des développements de la criminalité, le
Conseil peut adopter une décision identifiant des domaines de criminalité
particulièrement graves revêtant une dimension transfrontière résultant du
caractère ou des incidences de ces infractions ou d’un besoin particulier de
les combattre sur des bases communes. La nouvelle directive devra placer les
atteintes à l’environnement parmi les développements les plus préoccupants de
la criminalité.
En deuxième
lieu, lorsque le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires
des États membres en matière pénale s’avère indispensable pour assurer la mise
en œuvre efficace d’une politique de l’Union dans un domaine ayant fait l’objet
de mesures d’harmonisation, des directives peuvent établir des règles minimales
relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le
domaine concerné.
Enfin, les
opérateurs personnes physiques ou personnes morales dont les activités
constituent un risque pour l’environnement, au sens que la nouvelle directive
devra donner à cette notion, doivent se trouver chacun en ce qui les concerne
placés sur un plan d’égalité s’agissant de leurs obligations, de sorte de
préserver la concurrence au sein du marché intérieur.
C’est dans
ce contexte d’élan nouveau donné à son action que la direction de
l’environnement de la Commission a établi un bilan de la mise en œuvre de la
directive du 19 novembre 2008 « Protection de l’environnement par le droit pénal »,
avant de lancer une consultation générale en vue de la révision de ce texte,
sans cependant annoncer la confection d’un règlement, appelé de leurs vœux par
quelques-uns des – fort rares – acteurs de la matière répressive.
Les
consignes données aux soumissionnaires sont explicites en ouvrant le champ
des possibilités :
1- Des mesures pourraient être envisagées afin
de collecter des statistiques et des données sur les infractions
environnementales de manière cohérente dans toute l’Union et de les communiquer
à la Commission.
2- L’interprétation de certains termes
juridiques nécessitant des précisions concrètes pourrait être facilitée.
3- Davantage d’efforts pourraient être
consentis afin de standardiser le niveau de sanctions dans tous les États
membres, dans le respect des traditions juridiques nationales et des systèmes
pénaux des États membres.
4- Des sanctions supplémentaires, ainsi que des
sanctions liées à la situation financière des personnes morales, pourraient
être envisagées.
5- Le champ d’application de la directive est
lié aux instruments environnementaux mentionnés dans ses annexes. Cette
approche pourrait être reconsidérée.
6- Le champ d’application de la directive
pourrait être élargi afin de couvrir davantage de domaines de la criminalité
environnementale, ou des domaines émergents.
7- La directive pourrait inclure davantage de
mesures relatives à la coopération transfrontière et à la criminalité
organisée.
8- On pourrait envisager de clarifier le
rapport entre sanctions pénales et administratives.
9- Des mesures visant à améliorer la mise en
œuvre pratique de la directive pourraient être envisagées (par exemple, la
spécialisation des praticiens).
10- Plus de mesures visant à sensibiliser
davantage le public aux infractions environnementales pourraient être
envisagées.
Le Parlement
européen a immédiatement entrepris un travail de même type, et le Conseil de
l’Europe a dès à présent considérablement avancé dans sa proposition de
Convention pour l’environnement.
Si le
secrétariat général pour les affaires européennes a fait connaître qu’il
préparait, pour l’État français, une réponse à la consultation, celle-ci a été
largement ouverte aux cercles économique et universitaire, pendant les quatre
premiers mois de l’année 2021. En espérant conjuguer de manière convaincante la
connaissance du droit européen et les compétences en droit pénal et en droit de
l’environnement, nos propositions ont été transmises à la Commission et sont
accessibles par lien hypertexte.
L’objectif
n’est pas ici de répéter à l’envi ce que tant d’autres ont proclamé sur leur
attachement à la protection de l’environnement, ni même de recopier les
prémisses de la commande de la Commission, mais de présenter les orientations
strictement juridiques qui semblent permettre d’avancer vers une directive
réellement repensée.
Il importe,
sous cet angle, de faire confiance au droit pénal en tant qu’instrument de
prévention autant que de répression (I.), et de mettre fin à l’illusion d’une
délinquance qui serait la contrepartie inéluctable, donc en bonne part
excusable, du développement économique (II).
I. SE
SAISIR À NOUVEAU DU CHAMP PÉNAL
En l’état,
les considérants de la directive ont lieu d’être modifiés, d’une part pour se
référer au TFUE et aux compétences nouvelles que ce dernier confère à la
Commission ; d’autre part pour élargir le champ d’application proprement
juridique de la directive à la totalité des normes générales ou individuelles
en matière de protection de l’environnement, y compris le droit souple, à
l’ensemble de la législation proprement européenne, énumérée aux annexes A et
B, régissant la protection de l’environnement, qui doivent être assorties de
mesures de droit pénal et de sanctions pénales appropriées, proportionnées et
décrites par nature sinon par quantums.
Il paraît
indispensable en parallèle que l’Union s’engage à renforcer le rôle de la Cour
des comptes européenne, notamment par la voie des audits relatifs au changement
climatique, l’environnement, les ressources naturelles et la biodiversité
conformément à la stratégie de la Cour des comptes européenne 2021-2025.
Conformément
à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à Nice le 7 décembre 2000 et intégrée au Traité
signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne, notamment l’article 67 du Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne, les législations répressives des États membres doivent respecter
les principes généraux qu’impose une protection renforcée de
l’environnement afin de limiter d’urgence les atteintes aux milieux et à la
biodiversité.
Ces
exigences conduisent à faire de chaque citoyen de l’Union un défenseur de
l’intérêt général dans les termes et conditions de notre proposition n° 17 annexée ci-dessous. Parmi les principes généraux appelant à une
réflexion :
• Le principe de clarté :
dans la mesure, croissante, où la lutte contre les atteintes à l’environnement
tel que défini par la nouvelle directive passe par l’échange d’informations et
la coopération, entre enquêteurs et magistrats d’un même État ou de plusieurs
États, il importe de promouvoir cet échange et cette coopération. Les
définitions communes doivent être imposées par la directive, en beaucoup plus
grand nombre que dans la version de 2008 (voir notre proposition n° 8). Notamment, les concepts d’environnement, de dommage, de gravité,
d’imprudence ou négligence ou intention, et de devoir de vigilance, manquent de
précision alors même qu’ils sont porteurs des valeurs à protéger.
• Le principe d’autonomie du droit pénal : les États membres ne doivent pas
s’en remettre à leurs administrations pour la mise en œuvre de la loi pénale en
vue de la protection de l’environnement, l’administration ne présentant, dans
la plupart des États membres, pas de garantie suffisante d’impartialité par
rapport aux groupes de pression politiques, économiques et sociaux. Les auteurs
d’infractions ne peuvent pas revendiquer un quelconque droit de négocier avec
l’administration ou tout autre organe de gouvernement. Les États membres
instituent à ce sujet une limite à la sphère d’action de l’administration et
reconsidèrent la place du droit pénal (notre proposition n° 16). Il importe que
le lien établi entre les processus administratif de sanctions ou de réparation,
et les processus judiciaires indépendants soient clarifiés par la législation
des États membres, dès l’enquête (notre proposition n° 7), et y compris lorsque
le magistrat entend négocier une sanction avec la personne ou l’entreprise qui
s’est préalablement reconnue coupable (notre proposition n° 15).
• Principe de réparation : s
i l’existence d’un dommage n’est
pas une condition d’existence d’une infraction (notre proposition n° 10 sur la
reconnaissance du risque), la Directive doit en préciser la définition et les
États membres doivent attacher une importance réelle à la nécessité d’une
réparation de l’environnement tel que défini par la nouvelle directive, après
la commission de l’infraction, la préconiser comme une peine complémentaire et
en faire un élément essentiel des processus transactionnels (voir nos
propositions n° 12, 14 et 15).
II. FAIRE
FACE AUX NOUVELLES RÉALITÉS CRIMINELLES
Le recours
au droit pénal doit donner les instruments juridiques pour mettre fin à
l’illusion d’une délinquance qui serait la contrepartie inéluctable, donc en
bonne part excusable, du développement économique. Les principes généraux
suivants recouvrent nombres de moyens à développer de manière homogène au
niveau européen :
• Le principe d’anticipation et de dissuasion : il
importe que les États membres mettent en place les moyens humains e
t matériels qui permettent la
mise en œuvre des enquêtes (notre proposition n° 7) et des sanctions (notre
proposition n° 12 et 13) dont l’homogénéité sur le territoire de l’Union est
une condition de fonctionnement normal du marché intérieur et dont le caractère
dissuasif est un instrument indispensable de la prévention des atteintes à
l’environnement. Les sanctions pénales doivent être suffisamment variées, selon
le lieu de l’infraction, et ses caractères isolés ou pas, professionnels ou
non, intentionnels ou non, pour répondre aux objectifs de proportionnalité et
d’adaptation qu’impose le droit de l’Union. La pluri-délinquance doit faire
l’objet de dispositifs spécifiques. Ces sanctions doivent être effectives et
leur exécution doit être assurée. Les sanctions administratives (notre
proposition n° 16) et les alternatives aux sanctions (nos propositions n° 13 et
n° 15), jusqu’à présent considérées par l’actuelle Directive et par les
législations nationales comme prioritaires, doivent au contraire devenir
secondaires.
• Le principe de réalité : la délinquance environnementale a considérablement évolué depuis 2008, et de nombreux comportements devraient faire l’objet, dans les
États membres, de qualifications pénales appropriées (notre proposition
n° 9 relativement aux incinérateurs, aux IOTA, aux piscicultures, à la chasse,
aux cirques…).
En outre,
une part grandissante des atteintes à l’environnement au sens de la directive
procède désormais de la criminalité organisée, parfois de rayon international,
d’atteintes à la concurrence et à l’intégrité du marché intérieur, et/ou de la
délinquance financière.
Beaucoup de
ces comportements nocifs sont l’œuvre de personnes morales, qui ne doivent plus
rester en dehors du champ pénal et doivent faire l’objet de sanctions
spécifiques, principales ou complémentaires, qui soient à la mesure des profits
réalisés et qui protègent les intérêts financiers de l’Union et des États
membres (notre proposition n° 13).
Ces
comportements reçoivent en outre le secours d’incitateurs ou de complices. Les
États membres devraient mettre en place des qualifications pénales et des
sanctions à la mesure de ces enjeux. Les enquêteurs (notre proposition n° 7) et les juges (notre proposition n° 11 relative aux mécanismes de l’incitation et de la complicité) doivent
être dotés de moyens suffisants pour affronter cette criminalité. Il ne doit
pas être fait obstacle aux poursuites contre les administrateurs qui, en
connaissance de cause, ont utilisé leurs pouvoirs pour inciter à la commission
d’infractions. Une coopération interétatique et européenne doit se mettre en
place de manière vigoureuse (nos propositions n° 19 et 20).
Pour ces
infractions comme pour les infractions moins graves, les enquêteurs et les
juges doivent disposer de recueils de textes qui leur permettent de connaître
parfaitement les diverses législations susceptibles d’être mises en œuvre.
Dans la
mesure des moyens disponibles, les états
membres doivent spécialiser des personnels, policiers et judiciaires (notre
proposition n° 7).
• Le Principe d’efficacité des peines :
il importe que s’établisse une proportionnalité entre les peines prononcées et
les profits réalisés par l’auteur de l’infraction, et/ou avec la taille de son
entreprise qui est à la mesure de sa capacité de nuisance notre proposition n° 13).
Il importe
de même de renforcer les mécanismes d’exécution des sanctions financières, ce
qui impose de prévoir des dispositifs de saisies préalables.
• Le Principe de coopération des États