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Actualité jurisprudentielle : obligations et responsabilités des intermédiaires en vente d’art

Actualité jurisprudentielle : obligations et responsabilités des intermédiaires en vente d’art
Publié le 19/04/2022 à 09:52

La vente est définie par le Code civil comme la convention par laquelle une personne s’oblige à livrer une chose tandis qu’une autre s’engage à en payer le prix1. En conséquence, il s’agit, en principe, d’une opération bipartite réunissant deux intervenants, le vendeur et l’acquéreur.

Cependant, il arrive fréquemment qu’une vente fasse intervenir d’autres personnes, en particulier lorsque la vente porte sur une œuvre d’art. La technicité de l’objet de la cession peut en effet requérir l’intervention d’un intermédiaire, sélectionné en raison de sa connaissance de l’artiste, du marché de l’art ou encore de la relation établie avec le vendeur ou l’acquéreur.

Dans le langage courant, l’intermédiaire est « la personne qui intervient entre deux autres pour leur servir de lien, pour les mettre en rapport » ou plus précisément « toute personne, physique ou morale, qui intervient dans les circuits commerciaux (…) ou pour faire conclure une affaire commerciale (représentant, commissionnaire, courtier)2 ».

Comme dans tout autre domaine, l’intermédiaire en matière de vente d’art est ainsi la personne mettant en relation le vendeur et l’acheteur d’un objet ou d’une œuvre d’art.

Certains intermédiaires sont particulièrement connus du grand public et ont vu leur statut réglementé par la loi en raison de la fréquence de leur intervention. Il s’agit en particulier des antiquaires ou galeristes et des commissaires-priseurs. D’autres sont moins visibles tels que les courtiers en art. La jurisprudence récente a cependant eu l’occasion de traiter de l’ensemble de ces acteurs afin de rappeler les obligations auxquels ces derniers peuvent être soumis à l’égard tant du vendeur que de l’acquéreur d’un bien dit artistique.

 

 

Les antiquaires et galeristes

Les antiquaires et les galeristes, regroupés au sein de syndicats, tels que le Syndicat national des antiquaires négociants en objets d’art ou encore le Comité Professionnel des galeries d’art, sont notamment organisés par le biais d’un système d’autorégulation. Les syndicats sélectionnent leurs membres et définissent leurs droits et obligations par le biais de règles déontologiques3?dont la violation de ces règles est susceptible de déclencher une procédure disciplinaire et diverses sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion.

Le Comité des galeries d’art distingue les galeristes des antiquaires en ce que les uns achètent directement les œuvres auprès des artistes tandis que les autres les achètent à leurs confrères, à des particuliers ou lors de ventes publiques4. Les galeristes s’illustrent donc sur le premier marché alors que les marchands ou antiquaires opèrent sur le second marché de revente des œuvres. Le Syndicat national des antiquaires précise pour sa part que « les antiquaires doivent se considérer d’abord comme des spécialistes de la recherche, de l’identification, qui leur permettent et leur imposent de formuler des garanties sur leurs diagnostics et leurs études ».

Leur principale obligation en ce qu’ils sont en relation directe avec l’artiste, en leur qualité de galeriste, ou disposent d’une expertise particulière de sa production passée, en leur qualité d’antiquaires est en conséquence de garantir et de justifier de l’authenticité de l’objet vendu. À cet égard, par décision en date du 18?janvier 2022, la cour d’appel de Paris5?a condamné un galeriste faute d’avoir rapporté la preuve de la provenance des œuvres litigieuses attribuées selon lui à l’artiste catalan Juan Miró. En effet, sur la base de nombreuses expertises s’appuyant sur des techniques scientifiques et de l’analyse de la pratique de l’artiste, la Cour a conclu que le galeriste ne justifiait pas de ce que les œuvres concernées étaient authentiques. En particulier, l’argument selon lequel le professionnel aurait recueilli les œuvres auprès de la veuve de l’artiste en remerciement de services rendus, notamment en tant qu’intermédiaire avec le roi d’Espagne, n’a pas convaincu les magistrats.

Il apparaît en conséquence qu’il appartient à cette catégorie de professionnels de justifier de l’authenticité d’une œuvre ou d’un objet d’art, étayée par la traçabilité de sa provenance, par des éléments techniques et objectifs.

 

 

Les opérateurs de ventes volontaires

Est qualifié d’opérateur de vente volontaire (OVV), toute personne physique habilitée par le Conseil des ventes à diriger une vente publique aux enchères ou personne morale comprenant parmi ses membres au moins une personne possédant cette habilitation.

Ces professionnels sont soumis aux articles L. 320-1?à L. 321-43?du Code de commerce qui règlementent les ventes aux enchères publiques.

Ainsi, dans le cadre d’une vente publique, l’OVV, intervient dans la vente comme mandataire du vendeur en son nom et pour son compte6, étant précisé que ce mandat ne saurait être qualifié de mandat d’intérêt commun comme l’a souligné la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 1er décembre 20217.

Il doit notamment :

adjuger le bien au mieux disant des enchérisseurs, ce processus devant être ouvert au public et transparent. Ainsi, la vente doit avoir fait l’objet d’une publicité préalable ;

dresser un procès-verbal de la vente aux enchères ; et

s’assurer de la bonne exécution de la transaction avec l’adjudicataire.

La jurisprudence se prononce fréquemment sur la responsabilité des OVV dans le contexte de ventes publiques. Récemment, la cour d’appel de Paris8?a ainsi rappelé le régime applicable en cas de réclamation relative à l’authenticité d’une œuvre ou d’un objet d’art. En l’espèce, un particulier avait acheté ce qu’il pensait être un plat en faïence du XVe siècle attribué à latelier de Masséot Abaquesne.

Se fondant sur plusieurs expertises écartant cette attribution, la cour d’appel a :

conclu qu’il s’agissait d’une copie datant du XIXe siècle et que les mentions portées au catalogue étaient erronées ;

prononcé la nullité de la vente ;

a rappelé que :

- les commissaires-priseurs n’ont pas la qualité de vendeur de sorte que les dispositions du Code civil relatives aux obligations du vendeur ne leur sont pas applicables ;

- leur responsabilité peut être engagée sur le fondement de l’article?L. 321-17?al. 1?du Code de commerce, l’article?1240?du Code civil et sur le fondement du décret « Marcus » du 3?mars 19819, « imposant aux professionnels une description rigoureuse des objets et œuvres proposés à la vente de nature à garantir leur authenticité » ;

- l’action engagée par l’acquéreur doit être engagée sur le fondement de l’erreur sur les qualités substantielles de la chose et qu’il appartient à celui-ci de prouver que l’authenticité se heurte à des doutes réels et sérieux et que cette erreur a été déterminante de son consentement, c’est-à-dire que les mentions au catalogue de la vente ont revêtu une importance particulière.

Les OVV interviennent également dans les ventes de gré à gré qui représentent plus d’un quart de leur activité, ces dernières présentant comme avantage de pouvoir être réalisées à des conditions plus souples. Plus rapide et plus discrète qu’une adjudication, elles permettent par ailleurs aux OVV de prélever une commission moins élevée que pour les enchères publiques.

En ce qui concerne ce type de ventes, la cour d’appel de Paris, par décision en date du 16?juin 202010, a confirmé qu’à l’occasion d’une vente de gré à gré, un OVV pouvait conserver l’identité de l’acheteur anonyme et, en particulier, sa qualité de marchant d’art, sans que cela ne porte atteinte à son devoir de transparence et de diligence à l’égard du vendeur. Il est en effet d’usage dans le cadre de ventes de gré à gré que les maisons de vente « ne communiquent pas le nom de l’acheteur au vendeur, ni le nom du vendeur à l’acheteur, de sorte que tous les aspects d’une vente privée restent strictement confidentiels ». Or, dans le cadre du mandat confié à Sothebys, le vendeur navait pas spécifié quil souhaitait connaître le nom de lacquéreur pour lagréer et la somme obtenue paraissant satisfaisante au regard des données du marché, la cour dAppel a écarté toute exécution fautive de la part de la maison de ventes.

A ces intermédiaires traditionnels dans la vente dart, peuvent sajouter dautres intervenants dont la fonction et le régime juridique qui leur est applicable est généralement moins connu. Cependant, la jurisprudence récente est venue préciser ou rappeler certaines règles à leur égard.

 

 

Les courtiers en œuvres d’art

Le courtier est un professionnel de l’art dont la principale mission est de mettre en relation un vendeur et un acheteur. Une fois le travail de recherche de l’objet ou de l’œuvre d’art sur le marché et d’expertise terminé, il contacte de potentiels acquéreurs et en négocie le prix.

Cette activité n’est pas réglementée et la responsabilité est en principe limitée à la mise en relation entre l’acheteur et le vendeur, sauf lorsque ce dernier revend des œuvres qu’il a achetées.

Cependant, le courtier doit veiller à ne pas se présenter explicitement ou implicitement comme vendeur du bien afin de ne pas créer de confusion. En effet, il convient de rappeler ici que l’intermédiaire doit se présenter comme tel afin d’être certain que ses obligations et ses responsabilités puissent être distinguées de celles du vendeur et de l’acheteur. Ainsi, par décision du 9?novembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne11?a pu requalifier un intermédiaire de vendeur faute pour celui-ci d’avoir clairement exposé son rôle dans la vente de l’œuvre. En conséquence d’une telle requalification, l’intermédiaire a été soumis aux obligations pesant sur le vendeur lui-même et l’acheteur à même de se retourner contre celui-ci afin d’obtenir la résolution du contrat ou une réduction du prix de vente.

Plus récemment, par arrêt du 19?octobre 2021, la cour d’appel de Paris12?a retenu la responsabilité d’un courtier qui avait acquis deux dessins présentés de Keith Haring et Jean-Michel Basquiat avec leurs certificats d’authenticité avant de les revendre à un particulier. Ce dernier a ensuite décidé de confier les dessins à Sotheby’s en vue de leur revente. L’examen conduit par la maison de vente a révélé que les dessins et leurs certificats étaient faux. En conséquence, l’acquéreur s’est retourné contre le courtier, qui s’est lui-même retourné contre son vendeur.

La cour d’appel a ainsi :

prononcé la nullité de la vente intervenue entre le particulier et le courtier et retenu la responsabilité de ce dernier en ce qu’il aurait dû vérifier l’authenticité des certificats et des dessins ;

annulé ensuite la première vente intervenue entre le courtier et son propre vendeur.

 

 

L’intermédiaire innommé

Il arrive enfin qu’une personne intervienne dans la réalisation d’une vente sans disposer d’un statut particulier.

Ainsi, la cour d’appel de Paris, dans sa décision en date du 31?mars 202113, a confirmé la validité et la bonne exécution du mandat confié par les propriétaires d’un pot à pinceaux chinois en jade vert et daté du 18/19e siècle. Ce pot appartenant en indivision à quatre frères et sœurs, l’un d’entre eux a donné, au nom de tous les propriétaires, mandat de vente à un intermédiaire chargé de négocier les conditions de sa vente par la maison Christie’s. Aux termes de ce mandat, il était convenu d’une rémunération progressive par le biais d’une commission proportionnelle au montant de l’adjudication.

Lors de la vente d’art asiatique conduite en décembre 2010?par Christie’s, ledit pot à pinceau a été adjugé au prix de 2,9?millions d’euros. À l’issue de la vente, l’intermédiaire a réclamé une commission de 15 % sur le prix d’adjudication à laquelle les indivisaires ont consenti. Cependant, un seul membre de l’indivision s’étant honoré du paiement de sa part, l’intermédiaire a assigné les vendeurs restants en paiement de ses honoraires. Ces derniers ont alors invoqué le dol prétendant que leur consentement aurait été vicié alors qu’ils étaient dans l’euphorie du résultat de la vente et qu’ils n’avaient pas été informés de la relation intime entretenue entre leur frère, signataire du mandat, et le mandataire lui-même.

La cour d’appel a cependant écarté le dol estimant que la fratrie avait acquiescé au paiement de la commission de 15 %. De plus, elle a souligné que l’intermédiaire avait « bien exécuté ses obligations de mise en valeur optimale du pot à pinceaux chinois, son rôle d’intermédiaire ayant permis d’atteindre un prix record supérieur de 15?fois l’estimation de la société Christie’s ». À ce titre, la Cour a retenu que ce dernier avait entamé des diligences ayant permis d’attester de la provenance de l’objet, la mention d’une datation précise, obtenu une publication dans la Gazette de l’Hôtel Drouot et que l’inscription de ces éléments dans la notice du lot avait permis d’optimiser le résultat final de la vente.

 

Il apparait ainsi que la jurisprudence récente a réitéré les principales obligations des intermédiaires en vente d’art soulignant que, quel que soit leur statut, ceux-ci étaient en particulier tenus de :

s’assurer de l’authenticité et de la provenance de l’objet ou de l’œuvre d’art offert à la vente ;

d’exécuter le mandat de vente confié – dont il conviendra de préciser les termes notamment en matière de confidentialité et de rémunération – de manière diligente, en s’assurant de la mise en valeur de l’objet ou de l’œuvre d’art et de sa vente dans des conditions conformes au marché, un résultat exceptionnel pouvant justifier une augmentation de la commission due par les vendeurs ;

et, qu’à défaut, leur responsabilité pour faute pouvait être retenu et la vente annulée pour erreur.

 

 

1) Art. 1582, C. civ.

2) https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/interm%C3%A9diaire/43740

3) Ainsi, à titre d’exemple, le Code de déontologie des galeries d’art (réactualisé en 2018) est composé de quatre chapitres qui exposent les droits et obligations des galeristes envers les artistes et ayants droit, les vendeurs et acquéreurs, et enfin entre confrères.

4) F. Duret-Robert, Droit du Marché de l’Art, Dalloz Action, 2020-2021.

5) CA Paris, 18 janv. 2022, n° 19/16118.

6) Art. L. 321-4, C. com.

7) CA Paris, 1er déc. 2021, n° 19/00979.

8) CA Paris, 30 juin 2021, n°17/22660 ; voir également CA Paris, 11 janv. 2022, n° 19/15778 relative à une paire de sellettes en marqueterie estampillées et datées du 18e siècle.

9) Décret n° 81-522 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transaction d’œuvres d’art et d’objets de collection.

10) CA Paris, 16 juin 2020, n°18/10105.

11) CJUE, 9 nov. 2016, aff., C-149/15, Sabrina Wathelet v Garage Bietheres & Fils SPRL.

12) CA Paris, 19 oct. 2021, n° 19/09052.

13) CA Paris, 31 mars 2021, n° 18/23358.


 

Clémence Lapôtre,

Avocate et Principal Associate au sein du cabinet Gowling WLG,

Membre de l’Institut Art & Droit




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