La vente est définie par le Code civil comme la
convention par laquelle une personne s’oblige à livrer une chose tandis qu’une
autre s’engage à en payer le prix1. En conséquence, il s’agit, en
principe, d’une opération bipartite réunissant deux intervenants, le vendeur et
l’acquéreur.
Cependant, il arrive fréquemment qu’une vente fasse
intervenir d’autres personnes, en particulier lorsque la vente porte sur une
œuvre d’art. La technicité de l’objet de la cession peut en effet requérir
l’intervention d’un intermédiaire, sélectionné en raison de sa connaissance de
l’artiste, du marché de l’art ou encore de la relation établie avec le vendeur
ou l’acquéreur.
Dans le langage courant, l’intermédiaire est « la personne qui intervient entre deux autres
pour leur servir de lien, pour les mettre en rapport » ou plus précisément
« toute personne, physique ou morale, qui
intervient dans les circuits commerciaux (…) ou pour faire conclure une affaire
commerciale (représentant, commissionnaire, courtier)2 ».
Comme dans tout autre domaine, l’intermédiaire en
matière de vente d’art est ainsi la personne mettant en relation le vendeur et
l’acheteur d’un objet ou d’une œuvre d’art.
Certains intermédiaires sont particulièrement connus du
grand public et ont vu leur statut réglementé par la loi en raison de la
fréquence de leur intervention. Il s’agit en particulier des antiquaires ou
galeristes et des commissaires-priseurs. D’autres sont moins visibles tels que
les courtiers en art. La jurisprudence récente a cependant eu l’occasion de
traiter de l’ensemble de ces acteurs afin de rappeler les obligations auxquels
ces derniers peuvent être soumis à l’égard tant du vendeur que de l’acquéreur
d’un bien dit artistique.
Les antiquaires et galeristes
Les antiquaires et les galeristes, regroupés au sein de
syndicats, tels que le Syndicat national des antiquaires négociants en objets
d’art ou encore le Comité Professionnel des galeries d’art, sont notamment
organisés par le biais d’un système d’autorégulation. Les syndicats
sélectionnent leurs membres et définissent leurs droits et obligations par le
biais de règles déontologiques3?dont la
violation de ces règles est susceptible de déclencher une procédure
disciplinaire et diverses sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion.
Le Comité des galeries d’art
distingue les galeristes des antiquaires en ce que les uns achètent directement
les œuvres auprès des artistes tandis que les autres les achètent à leurs
confrères, à des particuliers ou lors de ventes publiques4. Les galeristes
s’illustrent donc sur le premier marché alors que les marchands ou antiquaires
opèrent sur le second marché de revente des œuvres. Le Syndicat national des
antiquaires précise pour sa part que « les
antiquaires doivent se considérer d’abord comme des spécialistes de la
recherche, de l’identification, qui leur permettent et leur imposent de
formuler des garanties sur leurs diagnostics et leurs études ».
Leur principale obligation en ce
qu’ils sont en relation directe avec l’artiste, en leur qualité de galeriste,
ou disposent d’une expertise particulière de sa production passée, en leur
qualité d’antiquaires est en conséquence de garantir et de justifier de
l’authenticité de l’objet vendu. À cet égard, par décision en date du
18?janvier 2022, la cour d’appel de Paris5?a condamné un galeriste faute
d’avoir rapporté la preuve de la provenance des œuvres litigieuses attribuées
selon lui à l’artiste catalan Juan Miró. En effet, sur la base de nombreuses
expertises s’appuyant sur des techniques scientifiques et de l’analyse de la
pratique de l’artiste, la Cour a conclu que le galeriste ne justifiait pas de
ce que les œuvres concernées étaient authentiques. En particulier, l’argument
selon lequel le professionnel aurait recueilli les œuvres auprès de la veuve de
l’artiste en remerciement de services rendus, notamment en tant
qu’intermédiaire avec le roi d’Espagne, n’a pas convaincu les magistrats.
Il apparaît en conséquence qu’il
appartient à cette catégorie de professionnels de justifier de l’authenticité
d’une œuvre ou d’un objet d’art, étayée par la traçabilité de sa provenance,
par des éléments techniques et objectifs.
Les opérateurs de ventes volontaires
Est qualifié d’opérateur de vente
volontaire (OVV), toute personne physique habilitée par le Conseil des ventes à
diriger une vente publique aux enchères ou personne morale comprenant parmi ses
membres au moins une personne possédant cette habilitation.
Ces professionnels sont soumis aux
articles L. 320-1?à L. 321-43?du Code de commerce qui règlementent les ventes
aux enchères publiques.
Ainsi, dans le cadre d’une vente
publique, l’OVV, intervient dans la vente comme mandataire du vendeur en son
nom et pour son compte6, étant précisé que ce mandat ne saurait être qualifié
de mandat d’intérêt commun comme l’a souligné la cour d’appel de Paris dans un
arrêt du 1er décembre
20217.
Il doit notamment :
• adjuger le bien au mieux disant des
enchérisseurs, ce processus devant être ouvert au public et transparent. Ainsi,
la vente doit avoir fait l’objet d’une publicité préalable ;
• dresser un procès-verbal de la vente
aux enchères ; et
• s’assurer de la bonne exécution de la
transaction avec l’adjudicataire.
La jurisprudence se prononce
fréquemment sur la responsabilité des OVV dans le contexte de ventes publiques.
Récemment, la cour d’appel de Paris8?a ainsi rappelé le régime
applicable en cas de réclamation relative à l’authenticité d’une œuvre ou d’un
objet d’art. En l’espèce, un particulier avait acheté ce qu’il pensait être un
plat en faïence du XVe siècle
attribué à l’atelier de
Masséot Abaquesne.
Se fondant sur plusieurs expertises
écartant cette attribution, la cour d’appel a :
• conclu qu’il s’agissait d’une copie
datant du XIXe siècle
et que les mentions portées au catalogue
étaient erronées ;
• prononcé la nullité de la
vente ;
• a rappelé que :
- les commissaires-priseurs n’ont pas
la qualité de vendeur de sorte que les dispositions du Code civil relatives aux
obligations du vendeur ne leur sont pas applicables ;
- leur responsabilité peut être engagée
sur le fondement de l’article?L. 321-17?al. 1?du Code de commerce,
l’article?1240?du Code civil et sur le fondement du décret « Marcus »
du 3?mars 19819, « imposant aux professionnels une description
rigoureuse des objets et œuvres proposés à la vente de nature à garantir leur
authenticité » ;
- l’action engagée par l’acquéreur doit
être engagée sur le fondement de l’erreur sur les qualités substantielles de la
chose et qu’il appartient à celui-ci de prouver que l’authenticité se heurte à
des doutes réels et sérieux et que cette erreur a été déterminante de son
consentement, c’est-à-dire que les mentions au catalogue de la vente ont revêtu
une importance particulière.
Les OVV interviennent également dans
les ventes de gré à gré qui représentent plus d’un quart de leur activité, ces
dernières présentant comme avantage de pouvoir être réalisées à des conditions
plus souples. Plus rapide et plus discrète qu’une adjudication, elles
permettent par ailleurs aux OVV de prélever une commission moins élevée que
pour les enchères publiques.
En ce qui concerne ce type de ventes,
la cour d’appel de Paris, par décision en date du 16?juin 202010, a
confirmé qu’à l’occasion d’une vente de gré à gré, un OVV pouvait conserver
l’identité de l’acheteur anonyme et, en particulier, sa qualité de marchant
d’art, sans que cela ne porte atteinte à son devoir de transparence et de
diligence à l’égard du vendeur. Il est en effet d’usage dans le cadre de ventes
de gré à gré que les maisons de vente « ne communiquent pas le nom de
l’acheteur au vendeur, ni le nom du vendeur à l’acheteur, de sorte que tous les
aspects d’une vente privée restent strictement confidentiels ».
Or, dans le
cadre du mandat confié à Sotheby’s,
le vendeur n’avait pas spécifié qu’il
souhaitait connaître le nom de l’acquéreur pour l’agréer et la somme obtenue paraissant satisfaisante au
regard des données du marché, la cour d’Appel a écarté toute exécution fautive de la part de la maison de ventes.
A ces intermédiaires traditionnels dans la vente d’art,
peuvent s’ajouter d’autres
intervenants dont la fonction et le régime
juridique qui leur est applicable est généralement moins connu. Cependant, la jurisprudence récente est venue préciser
ou rappeler certaines règles
à leur égard.
Les courtiers en œuvres d’art
Le courtier est un professionnel de
l’art dont la principale mission est de mettre en relation un vendeur et un
acheteur. Une fois le travail de recherche de l’objet ou de l’œuvre d’art sur
le marché et d’expertise terminé, il contacte de potentiels acquéreurs et en
négocie le prix.
Cette activité n’est pas réglementée
et la responsabilité est en principe limitée à la mise en relation entre
l’acheteur et le vendeur, sauf lorsque ce dernier revend des œuvres qu’il a
achetées.
Cependant, le courtier doit veiller à
ne pas se présenter explicitement ou implicitement comme vendeur du bien afin
de ne pas créer de confusion. En effet, il convient de rappeler ici que
l’intermédiaire doit se présenter comme tel afin d’être certain que ses
obligations et ses responsabilités puissent être distinguées de celles du
vendeur et de l’acheteur. Ainsi, par décision du 9?novembre 2016, la Cour de
justice de l’Union européenne11?a pu requalifier un intermédiaire de
vendeur faute pour celui-ci d’avoir clairement exposé son rôle dans la vente de
l’œuvre. En conséquence d’une telle requalification, l’intermédiaire a été soumis
aux obligations pesant sur le vendeur lui-même et l’acheteur à même de se
retourner contre celui-ci afin d’obtenir la résolution du contrat ou une
réduction du prix de vente.
Plus récemment, par arrêt du
19?octobre 2021, la cour d’appel de Paris12?a retenu la
responsabilité d’un courtier qui avait acquis deux dessins présentés de Keith
Haring et Jean-Michel Basquiat avec leurs certificats d’authenticité avant de
les revendre à un particulier. Ce dernier a ensuite décidé de confier les
dessins à Sotheby’s en vue de leur revente. L’examen conduit par la maison de
vente a révélé que les dessins et leurs certificats étaient faux. En
conséquence, l’acquéreur s’est retourné contre le courtier, qui s’est lui-même
retourné contre son vendeur.
La cour d’appel a ainsi :
• prononcé la nullité de la vente
intervenue entre le particulier et le courtier et retenu la responsabilité de
ce dernier en ce qu’il aurait dû vérifier l’authenticité des certificats et des
dessins ;
• annulé ensuite la première vente
intervenue entre le courtier et son propre vendeur.
L’intermédiaire innommé
Il arrive enfin qu’une personne
intervienne dans la réalisation d’une vente sans disposer d’un statut
particulier.
Ainsi, la cour d’appel de Paris, dans
sa décision en date du 31?mars 202113, a confirmé la validité et la bonne
exécution du mandat confié par les propriétaires d’un pot à pinceaux chinois en
jade vert et daté du 18/19e siècle. Ce pot appartenant en indivision à quatre
frères et sœurs, l’un d’entre eux a donné, au nom de tous les propriétaires,
mandat de vente à un intermédiaire chargé de négocier les conditions de sa
vente par la maison Christie’s. Aux termes de ce mandat, il était convenu d’une
rémunération progressive par le biais d’une commission proportionnelle au
montant de l’adjudication.
Lors de la vente d’art asiatique
conduite en décembre 2010?par Christie’s, ledit pot à pinceau a été adjugé au
prix de 2,9?millions d’euros. À
l’issue de la vente, l’intermédiaire a réclamé une commission de 15 % sur le prix d’adjudication à laquelle les
indivisaires ont consenti. Cependant, un seul membre de l’indivision s’étant
honoré du paiement de sa part, l’intermédiaire a assigné les vendeurs restants
en paiement de ses honoraires. Ces derniers ont alors invoqué le dol prétendant
que leur consentement aurait été vicié alors qu’ils étaient dans l’euphorie du
résultat de la vente et qu’ils n’avaient pas été informés de la relation intime
entretenue entre leur frère, signataire du mandat, et le mandataire lui-même.
La cour d’appel a cependant écarté le
dol estimant que la fratrie avait acquiescé au paiement de la commission de 15 %. De plus, elle a souligné que
l’intermédiaire avait « bien exécuté ses obligations de mise en valeur optimale du
pot à pinceaux chinois, son rôle d’intermédiaire ayant permis d’atteindre un
prix record supérieur de 15?fois l’estimation de la société Christie’s ». À ce titre, la Cour a retenu que ce dernier
avait entamé des diligences ayant permis d’attester de la provenance de
l’objet, la mention d’une datation précise, obtenu une publication dans la
Gazette de l’Hôtel Drouot et que l’inscription de ces éléments dans la notice
du lot avait permis d’optimiser le résultat final de la vente.
Il apparait ainsi que la
jurisprudence récente a réitéré les principales obligations des intermédiaires
en vente d’art soulignant que, quel que soit leur statut, ceux-ci étaient en
particulier tenus de :
• s’assurer de l’authenticité et de la
provenance de l’objet ou de l’œuvre d’art offert à la vente ;
• d’exécuter le mandat de vente confié
– dont il conviendra de préciser les termes notamment en matière de
confidentialité et de rémunération – de manière diligente, en s’assurant de la
mise en valeur de l’objet ou de l’œuvre d’art et de sa vente dans des
conditions conformes au marché, un résultat exceptionnel pouvant justifier une
augmentation de la commission due par les vendeurs ;
• et, qu’à défaut, leur responsabilité
pour faute pouvait être retenu et la vente annulée pour erreur.
1)
Art. 1582, C. civ.
2) https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/interm%C3%A9diaire/43740
3)
Ainsi, à titre d’exemple, le Code de déontologie des galeries d’art
(réactualisé en 2018) est composé de quatre chapitres qui exposent les droits
et obligations des galeristes envers les artistes et ayants droit, les vendeurs
et acquéreurs, et enfin entre confrères.
4) F.
Duret-Robert, Droit du Marché de l’Art, Dalloz Action, 2020-2021.
5) CA
Paris, 18 janv. 2022, n° 19/16118.
6)
Art. L. 321-4, C. com.
7) CA
Paris, 1er déc. 2021, n° 19/00979.
8) CA
Paris, 30 juin 2021, n°17/22660 ; voir également CA Paris, 11 janv. 2022, n°
19/15778 relative à une paire de sellettes en marqueterie estampillées et
datées du 18e siècle.
9)
Décret n° 81-522 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de
transaction d’œuvres d’art et d’objets de collection.
10)
CA Paris, 16 juin 2020, n°18/10105.
11)
CJUE, 9 nov. 2016, aff., C-149/15, Sabrina Wathelet v Garage Bietheres &
Fils SPRL.
12)
CA Paris, 19 oct. 2021, n° 19/09052.
13)
CA Paris, 31 mars 2021, n° 18/23358.
Clémence
Lapôtre,
Avocate
et Principal Associate au sein du cabinet Gowling WLG,
Membre
de l’Institut Art & Droit