Ça
y est – enfin, presque ! Le 1er juillet, les commissaires
de justice, issus de la fusion entre commissaires-priseurs judiciaires et
huissiers de justice, feront officiellement leurs premiers pas. Pour
l’occasion, Patrick Sannino, président sortant de la nouvelle Chambre nationale
des commissaires de justice et l’un des « principaux artisans »
de la réforme, répond aux questions du JSS.
Après une longue transition, le
commissaire de justice va enfin voir le jour. Quelles seront ses
missions ?
Le commissaire de justice étant la réunion de deux
professions, ses missions seront celles des huissiers de justice et des
commissaires-priseurs judiciaires. C’est, pour ainsi dire, une « offre
intégrée » que nous proposerons désormais.
En amont et pendant le procès, ainsi que pour tous les
cas qui le prévoient, le commissaire de justice aura la charge de la
signification des actes judiciaires et extrajudiciaires, de la mise en
application des décisions de justice, du recouvrement des créances – pour
lequel il existe maintenant diverses possibilités de recouvrement amiable, avec
le développement des modes alternatifs de règlement des litiges.
Le commissaire de justice sera également chargé des
constats, de la rédaction d’actes sous seing privé, et il sera, de manière
générale, compétent pour du conseil juridique.
Il aura la charge de l’inventaire en matière de
succession, de tutelle ou de procédure collective, et devra estimer les biens
pour éventuellement les vendre aux enchères publiques.
Plus généralement, le commissaire de justice aura un
éventail d’activités particulièrement large, avec une vraie spécialité en
procédure civile d’exécution, et plus largement, une expertise en matière de
procédure civile.
Il sera possible d’aller voir un commissaire judiciaire
pour lui exposer un problème, et ce dernier s’en chargera ou aiguillera le
justiciable vers le professionnel dont c’est la spécialité.
Vous nous l’indiquiez, huissiers de
justice et commissaires-priseurs judiciaires « disparaîtront » au
profit d’un nouvel acteur. Pourquoi ces deux professions ?
Qu’ont-elles en commun ?
Ces deux professions ont déjà été unies par le passé et
ont connu un destin proche. Rappelons que la profession avec laquelle fusionne
les huissiers de justice est celle de commissaire-priseur judiciaire et non
d’opérateur de ventes volontaires, puisque les deux métiers sont séparés depuis
la loi de 2000 sur les ventes. Nous sommes donc unis par notre statut
d’officiers publics et ministériels, par notre action au service de la justice
de notre pays. En termes d’activités, les huissiers de justice ont toujours
pratiqué les ventes judiciaires, et mêmes volontaires.
Il existait donc une affinité naturelle entre nos deux métiers.
Malgré cette proximité, leur
remplacement interpelle. Étaient-ils devenus obsolètes ?
Quels sont les objectifs poursuivis par la nouvelle profession et comment le
commissaire de justice saura-t-il se substituer à ses prédécesseurs tout en
assumant un nouveau rôle ?
On ne peut pas dire que nos deux professions étaient
obsolètes, ça n’aurait pas de sens. Un avocat, un notaire peuvent-ils être
obsolètes ?
En revanche, il y a une volonté politique, celle de
l’exécutif et du législateur qui ont voulu faire souffler un vent de modernité
sur toutes les professions réglementées.
« C’est l’occasion
de faire peau neuve, de dépoussiérer »
Nos professions avaient été préservées de toute grande
évolution depuis 1945. Dans le monde que nous connaissons, on ne peut pas
rester statique indéfiniment et travailler aujourd’hui comme il y a 50 ou
70 ans.
Le commissaire de justice va, bien entendu, assurer la
continuité de nos deux professions et de nos missions. C’est surtout l’occasion
de faire peau neuve, de dépoussiérer. C’est un nouveau départ pour 3 800 professionnels !
Le commissaire de justice, c’est un nouvel élan pour nos
deux professions, pour montrer qu’elles sont bien dans leur temps à l’écoute
des attentes des justiciables, conscientes des mutations économiques et
numériques qui impactent notre métier, ainsi que de l’évolution des usages.
Ces dernières années, de quelle
façon huissiers et commissaires-priseurs se sont-ils organisés pour opérer la
bascule ? Quels étaient les enjeux principaux ?
Nous nous sommes mis en ordre de marche pour être prêts le
jour J. Il a fallu travailler
d’arrache-pied pour, au-delà des grandes lignes de l’ordonnance du 2 juin
2016 relative au statut du commissaire de justice, se préparer et fusionner nos
textes réglementaires. C’est un travail inédit que nous avons mené :
opérer le rapprochement de deux professions aussi réglementées que les nôtres,
c’est du jamais vu dans le monde pourtant feutré des professions juridiques.
Évidemment,
un tel travail d’expertise juridique soulève de très nombreux points de
négociations. La proximité entre nos textes a, paradoxalement, rendu la tâche
plus difficile encore, puisqu’il fallait trancher sur de nombreux détails, là
où, comme dit le proverbe, se cache le diable.
Le principal enjeu durant ces trois dernières années a
été, sans nul doute, la mise en place de la formation initiale des futurs
commissaires de justice, puis il a fallu faire la formation passerelle pour
l’ensemble des consœurs et confrères, ce que nous avons réussi, puisque 80 % des professionnels seront qualifiés commissaires de justice au
1er juillet 2022.
Comment la réforme pourra-t-elle être menée à bien ? Et quels
changements espérez-vous avec le « coup de jeune » entrepris,
notamment en termes d’image ?
Cette réforme sera une réussite à deux conditions
essentielles.
D’abord, que les professionnels des deux professions
d’origine s’associent et créent de vrais offices de commissaires de justice qui
exerceront tout le spectre des activités que la loi leur permet, de l’exécution
à l’inventaire et la vente judiciaire. Cela permettrait également de consolider
capitalistiquement certains offices fragiles, de créer des synergies, notamment
en termes de clientèles. C’est une condition essentielle pour la réussite
économique de la profession. Pour cela, il faut seulement surmonter le réflexe
conservatiste.
Ensuite, que tous les professionnels saisissent la balle
au bond et utilisent à leur avantage cette formidable opportunité qui leur est
offerte. Le commissaire de justice est une page vierge dans l’esprit de nos
concitoyens. C’est l’occasion de rompre avec les dessins peu flatteurs de
l’huissier croqués par Daumier au XIXe siècle ou, un peu plus récemment, par les sketchs des
Inconnus qui ont caricaturé notre métier. L’occasion de rompre avec
une image certes prestigieuse, mais vieillotte et bourgeoise. Nous avons une
chance à saisir pour insuffler un esprit neuf, montrer que nos professions se
renouvellent et ont beaucoup à offrir aux justiciables. Mais cela ne peut être
qu’un élan collectif.
Quelle communication mettez-vous en
œuvre autour de ce bouleversement majeur ?
Une campagne de communication nationale intégrant des
publi-reportages, des diffusions digitales et des spots de publicité TV sont
prévus. Tout cela a été préparé en bonne intelligence entre les deux sections
de la Chambre nationale pour que tous nos concitoyens soient bien informés de
cette transformation.
Toutefois, tout ne peut pas reposer sur une campagne menée
par la Chambre nationale : les professionnels
eux-mêmes vont devoir s’en saisir et faire savoir à tous leurs clients qu’une
nouvelle profession a vu le jour.
« Le cœur de
métier est le même, la manière de travailler doit changer »
À la tête de la Chambre depuis 2014,
comment vivez-vous ces transformations à titre personnel, alors que vous vous
apprêtez à céder votre place d’ici quelques jours ?
J’approche en effet du terme de mon mandat, et comme un
symbole, alors que j’ai été l’un des principaux artisans de cette réforme, je
laisserai ma place le jour de son avènement.
C’est évidemment avec une certaine émotion que je vois ma
profession de cœur, celle que j’ai pratiquée durant 42?années, écrire une
nouvelle page de son histoire, radicalement nouvelle.
Je ne peux qu’être heureux de voir
aboutir un travail aussi intense et ambitieux que celui que nous avons mené. À 70 ans révolus, je suis toujours aussi
optimiste quant à l’avenir, et si la future équipe de la Chambre poursuit le
travail qui a été entamé pour faire de notre profession une profession du droit
du XXIe siècle, alors le commissaire de justice a de beaux jours
devant lui.
Comment voyez-vous l’avenir de la
profession et l’évolution des besoins de la société dans ce cadre ?
Les deux questions sont intimement liées, le commissaire
de justice doit être davantage à l’écoute des besoins de ses clients. Nous
avons eu trop tendance à considérer que la matière était acquise, que le
justiciable venait à nous faute de solutions alternatives.
Mais aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, des solutions
alternatives existent : il existe pléthore d’entreprises qui proposent des
solutions de recouvrement amiable peu onéreuses ; des plateformes de
ventes ou de reventes en ligne sont plébiscitées par les consommateurs ; certaines entreprises proposent même des solutions de
constatations dégradées, sans réelle valeur probante.
Nous devons donc sans cesse mettre en avant la plus-value
que nous apportons au client, la sécurité juridique de nos actes, la force
probante de nos constats, l’expertise qui est la nôtre pour les prisées ou les
ventes. Le justiciable doit acquérir le « réflexe commissaire de
justice », non par défaut, mais parce qu’il sait que 3 800 professionnels rigoureux sont là pour lui garantir un
service de qualité.
Pour
cela, nous devons davantage aller vers les justiciables, davantage
raisonner en termes de « parcours client ». Nous devons sans cesse
chercher ce que nous pouvons améliorer dans notre pratique quotidienne. On ne
peut plus travailler comme il y a quarante ans sous prétexte que nos procédures
n’ont pas changé ! Le cœur de métier est le même, la manière de travailler
doit changer, voilà le message.
Propos recueillis par Bérengère Margaritelli