Arrivée
en plein contexte inflationniste, bouleversant le calendrier des industriels,
la réforme, qui prône la transparence, a été difficile à appréhender par le
monde des affaires comme par les juristes. Alors que plusieurs obstacles dans
le texte sont venus compliquer les négociations, les spécialistes s’accordent
sur une loi imparfaite, mais surtout, après une année transitoire, force est de
constater qu’EGalim 2 n’a pas pu porter ses fruits.
Un
peu plus d’un an après la promulgation de la loi EGalim 2, publiée le 19
octobre 2021 au Journal officiel, que pouvons-nous en retenir ? Pour rappel, le
texte fait suite à une première loi de 2018 ayant pour objectif d’équilibrer
les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, laquelle
avait essuyé de nombreuses critiques du fait de ses lacunes.
« Le
problème est qu’elle instaurait un dogme de ruissellement pour sanctuariser la
rémunération du producteur en amont de la chaîne sans en apporter les
mécaniques », note Gilles Rota, directeur juridique
commerce-distribution d’ITM Entreprises, lors des Assises juridiques de
l’alimentation et des filières agroalimentaires du 8 décembre.
EGalim
2 avait donc pour ambition de refondre et compléter sa prédécesseure, et
d’introduire de nouveaux dispositifs de régulation et de transparence au profit
d'une meilleure rémunération des agriculteurs.
Un
contexte pas vraiment idéal
Son
timing a cependant fait grincer des dents : « Elle est arrivée
au moment où l’inflation reprenait de façon galopante », analyse
Jacques Davy, directeur des affaires juridiques et fiscales à la Fédération du
commerce et de la distribution. En plus de la surchauffe liée à la reprise post
covid et des phénomènes climatiques qui sont venus affecter certains produits
comme le blé dur, la guerre en Ukraine, avec la hausse des prix de l’énergie, a
elle aussi tiré l’inflation vers le haut. « Evidemment, les professionnels
- généralement - se couvrent, prennent une position qui permet garantir la
stabilité de leur prix d’achat. Mais un certain nombre d’entre eux ont pu être
surpris par le redémarrage de l’inflation. »
Par
ailleurs, cette loi est arrivée un mois avant la fin du délai de communication
des conditions générales de vente (CGV) pour les industriels, les obligeant à
les re-rédiger « de manière brutale ».
Des
négociations longues et tendues
Jacques
Davy précise que les « changements de paradigme importants »
entraînés par EGalim 2 ont fortement perturbé les négociations. De fait, « les
services juridiques ont été très sollicités par les directions commerciales »,
affirme Marie Buisson, directrice juridique de l’Association nationale des
industries alimentaires. Problème : les juristes n’avaient pas forcément
toutes les réponses à leurs questions, « car le droit n’est pas une
science exacte, et appliquer la pensée du législateur n’est pas toujours
évident », souligne Jacques Davy.
Au
global, une réforme « compliquée » à appréhender, assortie
d’un coût important de mise en conformité pour les entreprises : « 15
000 euros en moyenne, entre les frais d’avocats, les commissaires aux comptes,
les formations etc. », détaille Marie Buisson. La directrice juridique
témoigne en outre de négociations longues et « tendues », sous
le coup de ce cadre législatif nouveau, mais aussi « très peu
commerciales ». « On a beaucoup parlé de transparence, de preuves des
hausses demandées… Nos directions commerciales sont presque devenues des
directions financières et juridiques, et finalement, le produit était peu au
cœur des négociations », déplore-t-elle.
De
son côté, Gilles Rota n’hésite pas à qualifier EGalim 2, au même titre que sa
grande sœur, « d’OVNI » dans le paysage réglementaire, et de « tsunami »
pour les juristes, financiers et commerciaux. En un temps record, « il
a fallu intégrer et comprendre cette réforme ».
Le
principe de transparence et l’option 3 dans le viseur
Un
des points phares de cette loi : elle instaure un principe de transparence dans
les conditions générales de vente (CGV) du fournisseur, s’agissant de la part
de matière première agricole (MPA) ou de produits transformés comportant plus
de 50% de matières premières agricoles dans le propre produit alimentaire du
fournisseur. Pour Marie Buisson, « il ne faut pas faire de la
transparence l’alpha et l'oméga de la relation commerciale, car cela
renforcerait le pouvoir de négociation des acheteurs, mais c’est une
condition de la confiance entre les maillons de la filière ». Toutefois,
« il a fallu changer rapidement de mindset », dans un monde où
le secret des affaires est davantage la règle que la transparence.
Précisons
que le texte laisse le choix entre trois options de transparence pour le fournisseur
: option 1, la transparence totale, option 2, la transparence via les matières
premières agrégées, ou option 3, la transparence via un tiers indépendant,
chargé de certifier au terme de la négociation que celle-ci n’a pas porté sur
la part de l’évolution du tarif résultant de l’évolution du prix des matières
premières agricoles ou des produits transformés. « La loi ne spécifiant
pas les tiers de confiance auxquels on pouvait faire appel, on s’est dirigés de
toute urgence vers les commissaires aux comptes, qui ont dû se former
sur le tas », rapporte Marie Buisson, qui estime « très
complexe » l’intervention d’un tiers indépendant après les
négociations commerciales. « On fait peser sur lui une responsabilité
très forte car il est garant d’être le juge de paix à l’issue du processus »,
abonde Gilles Rota.
Le directeur commercial se demande néanmoins si un tiers
peut réellement être indépendant s’il est choisi et payé par le fournisseur. Il
signale qu’avec l’option 3, « le distributeur n’a pas le droit de négocier
une part de hausse dans le tarif portant sur de la hausse de matière première
agricole qu’il ne connaît pas, car l’industriel n’a pas l’obligation de la
dévoiler » et parle « d’injonctions contradictoires » : « On
nous demande de ne pas négocier une part de tarif qu’on ne connaît pas car on
ne nous l’a pas révélée ! », met-il en exergue. Quant à Jacques Davy,
il juge que l’option 3 « est le contraire de la transparence, même si l’on
peut comprendre que les industriels se soient réfugiés dans cette option pour
garder l’opacité et le secret de la composition de leurs tarifs ».
Des
effets pervers
Parmi
les autres mesures principales d’EGalim 2, on retrouve notamment la non-négociabilité
de la part du prix correspondant au coût des matières premières agricoles,
appliquée à tous les produits alimentaires. « On a toujours soutenu
cette disposition pour sécuriser la rémunération des agriculteurs »,
assure Marie Buisson, qui note cependant un « effet pervers »,
car « la négociation a été compliquée sur tout ce qui est matière
première industrielle - énergie, emballage, transport… Des intrants, cette
année encore, très en hausse ».
Autre
obstacle ayant compliqué les négociations : l’obligation d’intégrer dans les
contrats une clause de révision automatique des prix en fonction de la
variation du coût des matières premières agricoles entrant dans la composition
du produit alimentaire. De l’avis de Marie Buisson, ces clauses sont « difficiles
à rédiger » : « Il faut pouvoir trouver des indicateurs
pertinents, les bons seuils de déclenchement, les périodicités ». Une
opération d’autant plus délicate étant donné le nombre de produits concernés du
côté des industriels ; et là encore, les négociations tardives n’ont rien
arrangé. « Au mois de mars, la guerre a débuté en Ukraine et on a
souhaité faire jouer ces clauses, mais dans la majorité des cas, cela n’a pas
été possible puisqu’elles n’avaient pas été bien rédigées. Le gouvernement nous
a donc accompagnés, et on a signé une charte d’engagement dans le cadre de la
crise pour réouvrir les négociations commerciales de façon officielle »,
relate Marie Buisson.
Difficile
bilan
Un an
après, les spécialistes sont unanimes : ils ne sont « pas en mesure »
de dresser un bilan d’EGalim 2, qui n’a pas pu porter ses fruits. « Sur
2022, on est encore sur un régime de transition. On peut considérer que 2023
sera réellement la première année d’application, mais il s’agira de toute façon
d’une année un peu perturbée », augure Jacques Davy. Par
ailleurs, le directeur des affaires juridiques et fiscales indique que
les tarifs annoncés pour 2023 sont prospectifs et ont anticipé l’augmentation
du coût de l’énergie pour éviter la renégociation. « Tout le problème
d’EGalim 2 est que c’est une loi basée sur une négociation annuelle, alors
qu’aujourd’hui on est en renégociation permanente », alerte-t-il.
Pour
sa part, Gilles Rota fait le constat d’une loi « complexe »,
génératrice d'insécurité. Entre autres lacunes, il constate un grand oublié du
dispositif législatif : le consommateur, qui paie le prix fort de l’inflation. « À
la fin, c’est lui qui règle l’addition. Combien de temps cela pourra-t-il durer
? » s’inquiète-t-il, invitant à négocier « en responsabilité »
à l’égard du marché final.
Au
final, Gilles Rota dépeint - sans surprise - une « loi imparfaite »,
mais dont tous les acteurs ont, semble-t-il, saisi l’esprit. Pour le directeur
juridique, l’urgence est claire : « Il faut arrêter de légiférer »,
à l’heure où, pourtant, de nouveaux textes sont déjà sur la table.
Proposition
de loi
En
effet, deux propositions de loi (PPL) ont été déposées fin 2022, dont l’une par
le député Frédéric Descrozaille, le 29 novembre, qui sera débattue en janvier à
l’Assemblée. Comme l’explique Marie Buisson, celle-ci contient quatre articles
dont l’objectif « est d’apporter des correctifs, pas de réécrire
la loi ». Ainsi, l’article 4 prévoit, en ce qui concerne l’option 3
mentionnée plus haut, que le tiers indépendant pourrait également intervenir
avant la conclusion du contrat, en plus de l’actuelle certification a
posteriori, pour attester de la véracité de l’évolution de la part de MPA dans
le tarif proposé, en comparaison avec le tarif précédent. « Certainement
qu’une telle attestation en amont permettrait de faire taire le débat autour de
cette option 3 », opine Marie Buisson.
Par
ailleurs, l’article 2 de cette PPL vient prolonger les dispositions de la loi EGalim
1 sur l’encadrement des promotions et le seuil de revente à perte, déjà
reconduites. Sur ce point, Jacques Davy se montre critique : « Avec
cette disposition, on est loin de défendre la rémunération des agriculteurs,
mais plutôt les intérêts de L’Oréal, Unilever, etc. On a l’impression
que les députés veulent finir le travail : on ne sait pas si c’est pour ajuster
EGalim 2 ou pour pousser un peu plus la stratégie de certains groupes
industriels », fustige-t-il.
Le
directeur des affaires juridiques et fiscales se dit également « surpris »
par l’article 3, qui dispose en l’état qu’en cas d’échec des négociations au
1er mars, c’est le tarif du fournisseur proposé dans ses CGV qui s’applique.
Selon Jacques Davy, ce dispositif pose « des problèmes de principe »
: « On n’a jamais vu des parties appliquer un contrat sur lequel elles
ne sont pas d’accord ! » « C’est une négation totale de la
négociation », acquiesce Gilles Rota. « Ne faisons pas de ce
véhicule législatif un cheval de Troie. Il y a un maillon très important de
négociation qu’il faut continuer à respecter. Attention aux effets de bord de
certains articles », prévient le directeur juridique.
Rendez-vous en janvier pour la suite du feuilleton EGalim…
Bérengère Margaritelli