Selon l’INSEE,
le vieillissement de la population s’accélère depuis 2011.
Jusqu’en 2040, la proportion des personnes de 65 ans ou plus devrait
fortement progresser. La question de la prise en charge des seniors en
perte d’autonomie est donc plus que jamais d’actualité. Privilégiant le « bien
vieillir chez soi », Cosima est une entreprise à mission qui propose des
domiciles partagés et accompagnés destinés aux personnes âgées en perte
d’autonomie. Entretien avec son cofondateur, Maxence Petit.
Créée en 2020, Cosima est une
entreprise dédiée au bien vieillir. Pouvez-vous nous la présenter ?
Nous avons créé fin 2020 notre entreprise, qui
s’appelait au départ Colivio. Mais le nom étant trop proche d’une autre
entreprise immobilière, nous avons donc fait le choix, début 2022, d’en changer
pour éviter toute confusion, et de l’appeler Cosima.
Avant cela, je travaillais dans l’aide auditive, et ai
vendu ma boite au groupe médical Urgo. Je me préparais à vivre une année
sabbatique, mais mon projet a vite été écourté suite à une visite à ma grand-mère, dans
son EHPAD. Dans le cadre de
ma précédente activité, j’avais l’habitude d’être au contact des seniors, mais
je ne m’étais jamais aperçu de l’impact de la vie en EHPAD sur l’identité et la
dignité de la personne. En rendant visite à une personne proche, le prisme
était alors différent. Obligée de se plier au rythme d’une structure, ma
grand-mère s’était totalement oubliée. Il m’est alors apparu essentiel de
proposer une solution de domicile alternative pour les personnes âgées. Un lieu
capable d’individualiser l’accompagnement sans infantiliser les habitants. Il
fallait à mon sens redimensionner ces lieux d’accueil à plus petite échelle
pour préserver l’identité des personnes.
Ma première volonté était de permettre le maintien à
domicile. En effet, si vous interrogez les seniors, 85 % déclarent vouloir
rester chez eux. Cela nécessite toutefois la mise en place d’aides et d’un
accompagnement qui supposent un engagement financier conséquent (entre
9 000 à 12 000 euros par mois pour une présence permanente). La
solution était alors à mon sens de mutualiser cet accompagnement. Mais pas
question pour autant de s’inscrire dans un processus
de « ghettoïsation ». En effet, comme leur nom l’indique, les
maisons de « retraite » sont fréquemment installées en
« retrait » de la ville, en périphérie, et donc en dehors de la
société, ce qui suppose que leurs habitants le sont aussi, en attendant la fin.
C’est pourquoi nous mettons un point d’honneur à intégrer des lieux en ville et
déjà existants. Il faut réintégrer nos aînés
dans la société, au cœur des villes.
« Se définir comme entreprise à mission permet de
déterminer un cadre à l’entreprise, qui ne recherche pas le profit au détriment
de ses salariés ou de ses clients. »
Vous êtes une « entreprise à
mission ». Dites-nous en plus à ce sujet !
Ce qui m’anime en tant qu’entrepreneur, c’est réussir à
combiner une activité rentable à une action utile ; lier la profitabilité
et l’impact. Lors de ma première aventure entrepreneuriale, j’étais déjà dans
cette optique. On peut dire que j’étais une entreprise à mission sans le
savoir, sans l’avoir réellement conceptualisé. Se définir comme entreprise à
mission permet de déterminer un cadre pour l’entreprise, qui ne recherche pas le
profit au détriment de ses salariés ou de ses clients.
Car de mauvais réflexes
peuvent rapidement arriver, et pour reprendre le scandale lié aux EHPAD, on
peut facilement tomber dans de la « maltraitance » sans même le
vouloir ou même s’en rendre compte. Fixer un cadre permet de s’assurer que
l’activité commerciale ne se fait pas au détriment des habitants.
Le cadre fixé est engageant. Il est par exemple inscrit
dans nos statuts. Nous avons également défini un certain nombre de critères à
mesurer au moins deux fois par an, par la mise en place d’une enquête réalisée
auprès des habitants et d’un questionnaire adressé aux auxiliaires de vie et
aux proches des habitants. Cela nous permet de mesurer l’atteinte des objectifs
fixés. Enfin, une fois par an, un audit externe est réalisé pour valider ou non
le respect de la mission.
Il n’y a pas de contraintes à proprement parler, mais ce
statut permet de créer une discipline, de garder l’essence même du concept et
les valeurs de l’entreprise, sans tomber dans des fins purement marketing.
D’ici 2030, 150 000 places de
logements pour seniors seront nécessaires. En parallèle, 85 % des
personnes âgées souhaitent vieillir chez elles, une solution onéreuse et pas
toujours facile à mettre en œuvre. Quelle alternative Cosima
propose-t-elle ?
Le maintien à domicile est une priorité pour les Français
et les pouvoirs publics. C’est en effet ce qui semble le plus souhaitable, mais
parfois, certaines solutions sont à mettre en place pour répondre à la perte
d’autonomie des seniors. Les logements ne sont en effet pas toujours adaptés,
et l’accompagnement quotidien ou pluriquotidien n’est pas systématiquement
possible, pour des raisons financière ou organisationnelle. Sans parler de
l’isolement social auquel les personnes âgées peuvent faire face.
Cosima se présente comme une réponse complémentaire à
l’EHPAD, qui va davantage se concentrer sur la très grande dépendance. Le GIR
(groupe iso-ressources) évalue la perte d’autonomie de 1 à 6, 6 étant le stade
d’autonomie le plus élevé. Notre service accueille principalement des habitants
évalués
entre GIR 3 et 4, des personnes pour qui l’EHPAD n’est pas réellement adapté.
Cela permet alors à ces établissements de se concentrer sur les GIR 1 et 2, qui
demandent un accompagnement plus poussé. Notre enjeu reste de pouvoir
accompagner les personnes jusqu’au bout, sauf si leur état de santé demande un
suivi médicalisé permanent. Dans ce cas-là, on les oriente vers des EHPAD. Pour
rappel, la durée moyenne au sein de ces établissements est d’à peine 20?mois.
Comment sont conçus vos domiciles
partagés ?
Nous
ne construisons rien, l’objectif étant d’intégrer des lieux de vie dans des domiciles
classiques pour que nos locataires continuent à vivre le plus possible dans la société. Nous travaillons
avec des promoteurs immobiliers et mettons un point d’honneur à mixer les
usages de l’immobilier pour coconstruire la ville de demain, une ville plus
inclusive.
Notre investisseur immobilier achète pour notre compte
et sur plan des espaces divisés en deux lieux de vie de 400 m2, chacun étant prévu pour huit personnes.
Au sein de cet habitat, les habitants sont en location, ou plutôt en
colocation, devrais-je dire. Une équipe d’auxiliaires de vie leur est dédiée,
ainsi que la présence permanente d’une personne la nuit. Les frais de cet
accompagnement sont mutualisés entre les locataires, qui signent un contrat
d’accompagnement correspondant à 1/8e du prix. Ce dernier est un peu
moins cher que les tarifs des EHPAD.
Les habitants conservent leur espace privé, avec la
possibilité de profiter d’un espace de vie commune. Loin de l’infantilisation,
les locataires cuisinent ensemble et font des activités en commun, ce qui
participe au maintien de leur état de santé. Nous jouons sur cette émulation
collective. Les habitants sont actifs, c’est un retour dans l’action. On développe
aussi ce sentiment d’utilité
sociale, un sentiment d’utilité à soi et aux autres,
primordial pour tout un chacun.
On s’aperçoit également que ce
sont des lieux de vie dans lesquels les familles des habitants prennent plaisir
à venir. Cela constitue un réel témoin de réussite pour nous. Notre objectif
est d’aller chercher le meilleur des mondes.
Comment expliquez-vous que, hormis
en matière de retraites, la question du vieillissement de la
population est absente des débats, notamment lors de la dernière campagne
présidentielle ?
Nous sommes un pays de culture latine, pour qui le sujet
de mort est tabou. Moins on en parle, mieux on se porte. Pourtant, il est
urgentissime d’y répondre, car c’est maintenant que la décision doit être
prise. Quelles valeurs communes souhaitons-nous porter ? C’est un vrai
sujet de société. Il est question de dignité de la personne, de solutions
d’hébergement, d’accompagnement, et même de droit à la fin de vie. Nous faisons
face à un réel manque de ressources et de structures. À ce sujet, depuis cette
année, Cosima fait partie, avec une quinzaine d’autres acteurs, du collectif « 150 000 en
2030 » visant à alarmer les pouvoirs publics sur les freins
administratifs au développement de l’habitat partagé pour
seniors.
C’est à
Lourdes que vous avez ouvert, en septembre dernier, votre premier logement.
Quels sont les premiers retours ?
Nous avons en effet ouvert notre premier domicile
partagé à Lourdes. Cela s’est fait un peu par hasard, suite à une
discussion avec une personne qui y développait un concept similaire au nôtre,
mais destiné aux personnes porteuses de handicaps. Il se trouve que dans le
complexe immobilier qu’elle allait investir, une surface était encore
disponible. Nous nous sommes donc lancés ! Nous avons modifié les plans
pour les adapter à nos besoins, puis avons dû nous adapter
au temps immobilier qui est un temps très long, pour finalement ouvrir en
septembre dernier. Ce domicile partagé s’est rempli immédiatement. Ici, nous
accueillons huit habitants,
qui ont en moyenne 90 ans. L’accompagnement est mutualisé avec l’habitat destiné
aux personnes en situation de handicap.
Nous avons également reçu un très bon accueil de la
ville et du Centre commun d’actions sociales, notre projet s’inscrivant dans la
démarche de redynamisation portée par la municipalité ; un vrai dynamisme
d’accueil avec une volonté d’inclusion. Les habitants peuvent par exemple
profiter des solutions existantes proposés par la ville, et l’accès aux
activités leur est également facilité.
Dans les faits, les résultats dépassent nos attentes.
Les locataires sont remobilisés. Depuis leur aménagement, ils ont tous repris
du poids, ce qui est un excellent indicateur pour nous.
Quel regard portez-vous sur le
scandale qui touche aujourd’hui les EHPAD ?
Je dois avouer que les révélations faites ne m’ont
malheureusement pas étonné. Mais je n’aime pas les généralisations, et tiens à
rappeler que tous les EPHAD ne font pas n’importe quoi. Certains sont fabuleux,
notamment en milieu rural.
La maltraitance vient aussi du manque de vision par les
politiques. Que veulent nos aînés ? Et que
voulons-nous pour eux ? Le sujet glisse sans être réellement pris en main.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la cellule
familiale a explosé. La solution immédiate trouvée a été la construction de
maisons de retraite ou d’EHPAD, pour répondre avant tout au besoin de volume,
sans notamment préserver les âmes. Mais est-il raisonnable de concentrer
100 personnes au même endroit ?
Auparavant, trois ou quatre générations
vivaient ensemble, dans la même maison. Aujourd’hui, notre société, plus
individualiste, a tendance à se désintéresser de l’autre. À cela s’ajoute la
problématique financière, et notamment de logement. J’habite
à Paris, et il me serait par exemple impossible matériellement d’accueillir une
personne âgée chez moi.
Dans les pays nordiques ou anglo-saxons, le sujet est
traité de façon plus pragmatique, plus réaliste. Face à la situation, ils
trouvent des moyens adaptés. Nous devrions nous en inspirer. La réponse est
éminemment politique.
Quels sont vos futurs projets pour
Cosima ?
Le scandale des EHPAD et la crise sanitaire ont provoqué
une réelle prise de conscience. De nouvelles solutions sont attendues, il y a
une réelle demande. Une cinquantaine d’implantations partout en France sont
prévues d’ici 2025 : Enghien-les-Bains
(95) et Saint-Cloud (92) en 2023,
mais aussi Aix-en-Provence (13), Sannois (95), Draveil (91) ou encore Etiolles
(91). Nous ambitionnons de concrétiser entre 10 et 15 projets par an, car le
besoin est partout.
Propos recueillis par
Constance Périn