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(75) Au rassemblement des barreaux à Paris en soutien à la contestation tunisienne, « les avocats ne se laissent pas intimider »

(75) Au rassemblement des barreaux à Paris en soutien à la contestation tunisienne,  « les avocats ne se laissent pas intimider »
Les avocats ont rencontré un cordon policier au moment de se rendre à l'ambassade tunisienne
Publié le 21/05/2024 à 16:54
À lappel de la Conférence internationale des barreaux, une centaine d'avocats parisiens se sont mobilisés vêtus de leurs robes noires vendredi 17 mai, à la suite de la vague darrestations de leurs confrères tunisiens opposés à la politique du président Kaïs Saïed. Lensemble de la profession a appelé à la « libération sans conditions » des avocats, des magistrats mais aussi des journalistes maintenus en détention en Tunisie.

« Nous sommes tous des avocats tunisiens ! », « Libérez les avocats ! » ont scandé au mégaphone, vendredi 17 mai, les robes noires munies de banderoles, lors du rassemblement en soutien aux défenseurs des droits en Tunisie, place André Tardieu, à Paris. Huit organisations davocats, dont la Conférence internationale des barreaux (CIB) qui réunit les barreaux de 40 pays francophones, avaient appelé dans un communiqué à une mobilisation, à la suite de l'interpellation musclée, le 11 mai, de lavocate et chroniqueuse tunisienne Sonia Dahmani.

Une semaine auparavant, lavocate avait été convoquée pour comparaître devant un juge dinstruction pour des propos ironiques formulés sur un plateau de télévision, au sujet de la situation politique dans le pays. Alors quelle s’était réfugiée dans la Maison de lavocat de Tunis, Sonia Dahmani a été violemment arrêtée par des hommes encagoulés devant les caméras de la chaîne France 24.

L'opposante au régime du président tunisien Kaïs Saïed, fait aujourdhui lobjet de poursuites pénales sur la base dun décret qui criminalise les « rumeurs et fausses nouvelles ». Cest dans ces circonstances tendues que le surlendemain, le 13 mai, l’avocat à Tunis Mehdi Zagrouba a lui aussi été interpellé de façon brutale à lintérieur de la Maison de lavocat. Emmené en garde à vue, il aurait été victime de tortures durant sa détention selon lOrdre national des avocats de Tunisie. 

« Un palier a été franchi »

« Le barreau français est évidemment traversé ce matin par une immense vague d'indignation alors que plusieurs dizaines d'avocats tunisiens sont toujours, à l'heure où nous parlons, emprisonnés, poursuivis, harcelés dans l'exercice de leur fonction. Cette crise sans précédent dans l'histoire de la Tunisie révèle la gravité de la détérioration de l'État de droit à l'œuvre depuis maintenant 2021 », a prononcé dun ton urgent, Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux (CNB), aux côtés de représentants de différents ordres, dassociations davocats et de syndicats de la corporation.

« Il est absolument certain aujourd'hui qu'un palier a été franchi et nous ne pouvons évidemment pas l'accepter », a-t-elle continué avant de « demander solennellement aux autorités tunisiennes de libérer sans conditions nos confrères et les journalistes détenus ».

Pour Paul-Albert Iweins, ancien président du CNB et actuel co-président dAvocats sans frontières France, association qui « intervient dans tous les pays pour la défense des droits de l'homme et spécifiquement celle des avocats », ce quil se passe actuellement en Tunisie est du « jamais-vu ».

Pire qu’au temps de Ben Ali

Celui qui sest rendu par le passé en Tunisie comme observateur à des procès « du temps de Ben Ali » a rappelé à quel point « la profession d'avocat était respectée ». « On admettait qu'il y ait des gens qui défendent. Aujourd'hui, on n'admet plus, a-t-il poursuivi. Dès que quelqu'un se manifeste pour la défense, il risque la détention, la torture, c'est le cas des confrères qui ont été récemment arrêtés. »

Banderole à la main et les larmes aux yeux, Mohamed Bensaïd, membre du Comité pour le respect des libertés et des droits de lhomme en Tunisie sest dit « fier » de la solidarité exprimée par les avocats et les barreaux envers leurs confrères. « Ce qu'il s'est passé est très grave. La Maison des avocats n'a jamais été attaquée sous Bourguiba ou sous Ben Ali. Aujourd'hui, elle a été bafouée par des gens qui nont aucune valeur démocratique et qui ne respectent aucunement tous les traités ratifiés par l'État tunisien. »

Parmi ceux-là, la Tunisie a ratifié le Pacte international de 1968 relatif aux droits civils et politiques, qui protège le droit à la vie, à la liberté de pensée, de conscience et de religion et linterdiction de la détention arbitraire. Le pays a également ratifié la Convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. 

« Le président tunisien a pris en main tous les pouvoirs »

En grève générale depuis le 13 mai, les avocats tunisiens ont de nouveau crié leur colère trois jours plus tard lors dun important mouvement de protestation contre larrestation de leurs collègues et contre la politique du président Kaïs Saïed, qui détricote les acquis démocratiques de la Révolution de 2011. À la suite des inquiétudes exprimées par lUnion européenne, les États Unis et la France en raison des arrestations davocats, de militants et personnalités de la société civile, le président tunisien a dénoncé le même jour, « l'ingérence étrangère inacceptable » des pays occidentaux.

« C'est une rhétorique assez classique en la matière, a rétorqué Mohamed Ejait, avocat au barreau de Paris et président de la section locale du Syndicat des avocats de France (SAF). Quand des gens interpellent les régimes autoritaires de l'extérieur, les dirigeants jouent sur la fibre nationaliste. On voit derrière nous des personnes qui s'excitent [durant le rassemblement, quelques individus ont fait part de leur soutien à la politique du président Kaïs Saïed et se sont opposés aux manifestants présents, ndlr]. Ce n'est pas du rationnel, c'est plus de l'ordre de l’émotionnel. Le président Kaïs Saïed sait très bien les ressorts qu'il mobilise et auprès de quel électorat. »

Exilé en France, lancien bâtonnier de Tunis, Abderrazak Kilani, est un avocat réputé qui fait lobjet de poursuites judiciaires en Tunisie. Présent lors du défilé de soutien, il na pas manqué de fustiger les dérives autoritaires de Kaïs Saïed. 

« Après avoir mis la main sur tous les pouvoirs, surtout celui de la justice, il a muselé les juges, qui aujourd'hui travaillent sous la peur et la menace d’être à tout moment révoqués, explique celui qui fut ministre chargé des relations avec l’Assemblée constituante après la Révolution de 2011. Le président tunisien a pris en main tous les pouvoirs et est en train de régler ses comptes avec tous ses opposants. »

Bloqués par un cordon policier

Alors que la délégation davocats devait se rendre à pied à lambassade de Tunisie, située à quelques rues de la place André Turdieu, afin de remettre un courrier récapitulatif des inquiétudes prononcées par la profession et « solliciter une rencontre », le cortège a été empêché davancer pour des raisons dautorisation. « Est-ce que le trottoir de la rue a été privatisé par l'État tunisien ? », a ironisé un avocat devant le cordon policier.

La présidente du CNB, à la tête du cortège d'avocats, a détaillé au mégaphone : « L'ambassade refuse de nous recevoir. Nous allons nous rendre devant l'ambassade pour remettre ce courrier que nous avons préparé. Les avocats ne se laissent pas intimider. » Après des dizaines de minutes dattente, seuls quelques représentants ont pu se rendre à lambassade de Tunisie. Mais le courrier na pu être remis en raison de labsence de boîte aux lettres et de personnes pouvant recueillir le pli. « Nous l'enverrons par dautres voies » a fait savoir Julie Couturier.

Yslande Bossé 

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