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(95) À Cergy, l’État condamné à réparer le préjudice subi par des élèves pour des heures d’enseignement perdues

(95) À Cergy, l’État condamné à réparer le préjudice subi par des élèves pour des heures d’enseignement perdues
Le ministère de l'Education nationale indique "étudier de près ces jugements"
Publié le 11/04/2024 à 14:49
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, le 10 avril, condamné lEtat pour avoir failli à sa mission d’enseignement après que des élèves de l’académie de Versailles aux enseignants absents non-remplacés ont été privés de dizaines dheures de cours. Le ministère de l’Education nationale annonce au JSS étudier les voies de recours.

« Cette première décision était très attendue », réagit Joyce Pitcher au JSS, lune des avocates des parents d’élèves après la condamnation de l’Etat par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le 10 avril, à réparer le préjudice subi par des enfants dont les heures d’enseignement perdues n’ont pas été remplacées. La juridiction reconnaît la « responsabilité de lEtat pour carence dans lorganisation du service public de lenseignement », après que plusieurs élèves de lacadémie de Versailles ont intenté un recours motivé par le non-remplacement de professeurs absents. LEtat est condamné à verser des indemnisations à huit requérants à la suite des préjudices « nés de la perte de chance de leurs enfants de réussir leurs années et cursus scolaires futurs en raison de la rupture de la continuité pédagogique ». Trois affaires sont en outre renvoyées et une requête rejetée.

Pas de quoi entacher une « victoire » pour les familles, comme l’affirme Joyce Pitcher, spécialisée dans les affaires de contentieux de masse. Cette décision confirme la faute de l’Etat en cas de manquement à sa « mission d’intérêt général d’enseignement » et condamne aussi lattitude du rectorat dans ce dossier, souligne l’avocate. Contacté, le rectorat de Versailles na pas répondu à nos sollicitations. De son côté, le ministère de lEducation national fait savoir au JSS qu'il « allait étudier de près ces jugements pour voir dans quelles conditions faire appel » et assure que « lensemble des services du ministère, administration centrale et services déconcentrés sont pleinement mobilisés pour améliorer le remplacement des enseignants absents ».

Pour le TA, un non-remplacement entraîne un préjudice automatique

Le 12 mars, le tribunal de Cergy-Pontoise était saisi de douze requêtes provenant de parents d’élèves d’écoles publiques de lacadémie de Versailles. Dans ces douze affaires, « les élèves se plaignaient davoir été privés soit dun volume dheures dabsence cumulées très important au cours dune même année scolaire, soit dune part importante du volume horaire annuel dun enseignement obligatoire sans que le recteur de lacadémie de Versailles nait pu justifier de nécessités inhérentes à lorganisation du service », détaille le communiqué de la juridiction. L’administration na ni assisté à laudience du 12 mars, ni n’y a été représentée.

« Le rectorat avait répondu à nos requêtes en nous disant que le décompte fait par les familles était faux et contestait à chaque fois le nombre dheures comptabilisées sans apporter la moindre preuve mais le tribunal a confirmé que leur argument était irrecevable », explique Joyce Pinter. Dautre part, le rectorat contestait lexistence dun préjudice effectif en avançant qu’il s’agissait d’un raisonnement fallacieux. Mais là encore, pour le tribunal, le non-remplacement des enseignants entraîne en réalité un préjudice automatique.

Assurer le service public en cas dabsence des professeurs

Déjà, en 2017, le TA de Cergy-Pontoise avait condamné lEtat à verser un euro par heure denseignement non assuré aux parents dun élève de troisième du collège Lakanal de Colombes, dans les Hauts-de-Seine. Il avait manqué des dizaines d'heures en histoire-géographie, espagnol ou encore éducation physique durant lannée scolaire 2014-2015. Mais la procédure groupée emmenée par Joyce Pitcher est unique au vu du nombre de requêtes soumises devant la juridiction du Val dOise. Elle émane du mouvement #OnVeutDesProfs, créé en 2022, qui engage des actions ciblées en justice contre lEtat dans plusieurs villes de France. Lobjectif est de faire en sorte que le service public soit tout de même assuré en cas dabsence des professeurs et que lEtat ne manque pas à ses obligations.

Aujourdhui, ce sont environ « 250 dossiers qui sont en attente de date daudience, et on en reçoit encore quotidiennement », avance Joyce Pitcher, également représentante du mouvement #OnVeutDesProfs. Dans deux jugements en date du 3 avril publiés sur son site, dont lun concerne une élève en classe de cinquième au collège George Pompidou de Villeneuve-la-Garenne qui a été privée de 156 heures de cours en 6e et en 5e, et une autre, inscrite en CE2 à l’école élémentaire Les Tilleuls de Cergy-Pontoise, qui a raté 30 jours de cours, le tribunal a condamné lEtat à verser 150 euros à chaque famille au titre du préjudice subi. Une somme jugée beaucoup trop « symbolique » par lavocate, représentante de trois des requérants ayant obtenu une indemnisation. « On se réserve encore le droit de faire appel car ces montants ne sont pas de nature à faire réagir et à imposer à lEtat de prendre des mesures », indique Joyce Pinter, qui déplore également la non prise en compte dans le jugement du préjudice moral mais aussi financier des parents dans ces affaires.

Les parents également lésés

« Pour moi, il est évident quils devraient être indemnisés de manière automatique comme pour les élèves, car ce sont les parents qui doivent pallier aux défaillances de l’éducation nationale. [Ce sont les parents] qui sinquiètent de fournir les apprentissages aux élèves en sachant que cela crée un déséquilibre entre les familles car tout le monde nest pas en mesure de donner une instruction à ses enfants. Cela génère beaucoup dinquiétudes », avance Joyce Pitcher. Lavocate indique par exemple quun parent a déboursé 1000 euros de cours particuliers pour son enfant mais cela na pas été retenu comme un préjudice par le tribunal.

La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance estime que chaque année « 15 millions dheures » d'enseignement sont perdues en raison d'absences d'enseignants non remplacés. Selon les chiffres du service statistique rattaché au ministère de l’Eduction nationale, 8,8% des 175 millions d'heures dispensées dans le second degré (collèges et lycées) en 2020-2021 n'ont pas été assurées, soit 15,4 millions d'heures. Mais selon la Cour des comptes, qui sappuie sur un rapport de 2021 portant sur l’enseignement dans le secondaire, près de 10% des heures de cours avaient été perdues en 2018-2019, en hausse de 24% sur un an, en raison principalement des difficultés de remplacement des absences de courte durée, soit moins de 15 jours.

Yslande Bossé

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