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114e congrès des notaires de France - Les notaires façonnent le territoire de demain

114e congrès des notaires de France - Les notaires façonnent le territoire de demain
Publié le 02/06/2018 à 10:00

Le Congrès des notaires de France 2018 s’est tenu à Cannes du 27 au 30 mai sur le thème de « Demain le territoire ». Au programme : discours politiques, commissions plénières présentant les quatre commissions et les propositions élaborées par chacune d’entre elles, conférences, forums, consultations gratuites, expositions, etc. Lors de la cérémonie d’ouverture, les organisateurs du congrès ont présenté les enjeux de cette 114e édition et accueilli avec déférence, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. L’occasion pour eux d’évoquer les attentes de toute une profession envers le ministère qu’elle représente, ainsi que les perspectives à venir.



La ville de Cannes n’a jamais été aussi bien pourvue de notaires qu’en ces quatre jours de congrès. Ils sont en effet environ quatre mille à s’être rendus à Cannes pour cette 114e édition. La cérémonie d’ouverture, organisée dans l’immense auditorium Louis Lumière et placée sous la présidence de Nicole Belloubet, ministre de la Justice et garde des Sceaux, a réuni sur scène les organisateurs du congrès, notamment Maître Didier Coiffard, président du Conseil supérieur du notariat ; Maître Emmanuel Clerget, président du Congrès des notaires ; et Maître Antoine Bouquemont, rapporteur général. Tour à tour ces hommes se sont exprimés, le premier pour présenter sa vision de la profession en général ainsi que les attentes de celles-ci envers les pouvoirs publics, le deuxième pour présenter le thème du congrès (« Demain le territoire »), le dernier enfin pour présenter les quatre commissions et, de manière succincte les propositions qu’elles ont élaborée. Le discours de la garde des Sceaux a clos la matinée.

 


Attentes et perspectives d’une profession d’avenir



« Au fil des siècles, la fonction s’impose dans le temps, comme dans l’espace, puisqu’elle se répand sur tous les continents », a affirmé en introduction de son discours Didier Coiffard, avant d’inviter l’assemblée à « parcourir le notariat dans toutes ses dimensions : sa largeur, sa hauteur, sa profondeur, et cette 4e dimension (…), bien sûr, l’univers virtuel ».


La largeur d’abord. Par largeur, Maître Coiffard veut parler des effectifs et du maillage territorial. Il y a en effet aujourd’hui en France près de douze mille notaires, une prospérité qui est, selon lui, due à la fois à une conjoncture favorable et au travail acharné de ces professionnels du droit. Ainsi, les notaires sont devenus au fil des siècles (depuis leur apparition il y a près de 1 000 ans) des acteurs indispensables pour assurer « au mieux le service public de la preuve et de la sécurité juridique ».


Encore faut-il que ceux-ci puissent réellement exercer sur tout le territoire. Maître Coiffard est donc revenu sur la révision de la carte d’installation des notaires. Pour rappel, la loi Macron du 6 août 2015 a prévu de nouvelles règles d’installation des notaires. Et, avec le décret n° 2016-216 du 26 février 2016, le principe de liberté d’installation encadrée des notaires, prévu dans cette même loi Macron, est devenu une réalité. Celui-ci prévoyait une révision de la carte d’installation des notaires avant deux ans. Nous y sommes.


Or, pour nombre de notaires, cette nouvelle carte d’implantations met à mal leur maillage territorial qu’ils estiment déjà très bon : « le choix des zones d’emploi par sa maille trop lâche et par la faculté de transfert des offices dans ce périmètre n’a pas été pour le notariat une symphonie pastorale », a rappelé Maître Coiffard, « Oui ! Il faut que le notariat persiste à être présent en tout lieu, mais il ne doit pas l’être par la dispersion d’offices individuels si fragiles. », a-t-il ajouté. Avant de s’interroger : faut-il créer encore et encore des offices sans avoir la moindre idée du sort de ceux qui débutent dans la carrière ? Faut-il déstabiliser encore les offices existants privés d’autant de cadres qui ont tenté l’aventure de la création et que l’on ne trouve pas à remplacer ? À son avis, les pouvoirs publics devraient désormais décider d’une pause afin de « dresser le bilan de ce que nous venons de vivre ».


S’attardant ensuite sur la hauteur, le président du Conseil supérieur du notariat a fait référence à l’influence du notariat français dans le monde, et plus largement l’essor de plus en plus flagrant du droit continental, auparavant souvent écarté au profit du Common Law. Il a ainsi rappelé son voyage en Chine avec le président de la République, les actions engagées avec les notaires d’Afrique (notamment avec l’OHADA) : « Chaque fois, nous sommes accueillis avec une chaleur, une attente, une impatience même, par les confrères étrangers qui, tels ceux des Comores, malgré leurs grandes difficultés financières, exercent avec compétence et dévouement leur "Mission" d’officier public », a-t-il affirmé. Il s’est ensuite félicité du fait que partout dans le monde « s’installe et se conforte un notariat vigoureux qui a même franchi les portes des institutions internationales pourtant si imprégnées de droit américain. »


Concernant la profondeur, Maître Didier Coiffard a fait état de missions notariales de plus en plus diversifiées. Il est ainsi revenu sur le projet de loi sur la simplification de la justice mené par la garde des Sceaux depuis plusieurs mois. Selon lui, les mesures contenues dans ce projet de loi font « encore progresser l’idée de médiation ». Une notion « qui parle aux oreilles des notaires », a-t-il ajouté, amusé.
En effet, les notaires ne font-ils pas de la médiation chaque jour ? Maître Coiffard a ainsi évoqué la médiation de la consommation dont la profession vient de se doter (un site ad hoc a été ouvert et un médiateur désigné), le développement d’un réseau de centre de médiation qui offrira bientôt à tous les Français la médiation en ligne. Sur le besoin de médiation en France, les notaires sont d’accord avec la Chancellerie. Cependant, ce projet de loi contient aussi un grand nombre d’autres dispositions qui déplaisent à la profession : suppression du délai de deux ans pour changer de régime matrimonial, fin de l’exigence d’homologation judiciaire systématique en présence d’enfants mineurs, simplification des partages et des acceptations de succession, modernisation des modalités de délivrance des apostilles et des légalisations… Pour contrer ces mesures qui fâchent, les notaires ont remis ce jour à la ministre « une offre de services exhaustive et précise » sur laquelle ils souhaitent que celle-ci se prononce très prochainement.


Didier Coiffard a enfin évoqué la question tarifaire. Le projet de loi de la Chancellerie semble privilégier une estimation globale du résultat des offices. Ce que salue la profession. « Il faut là saluer la pertinence de la DGCCRF qui, en lien avec la direction des Affaires civiles, a su convaincre de la stabilité du tarif, consciente de la grande sensibilité de l’économie notariale au marché immobilier  ». Le président Coiffard a cependant dénoncé la « mesure d’écrêtement » contenue dans la loi, « qui porte un préjudice réel aux plus petits offices ».


La quatrième dimension, quant à elle, concerne le monde virtuel. Le notariat a depuis un demi-siècle « multiplié les initiatives en matière numérique », a rappelé Maître Coiffard. Il a ainsi évoqué le fichier central des dispositions de dernières volontés, la visioconférence qui permet au notariat de proposer l’acte authentique à distance, la plateforme planète qui a permis de multiplier les échanges avec l’État… Et la profession ne compte pas s’arrêter là, elle souhaite créer désormais l’office augmenté « qui ira jusqu’au domicile du citoyen et qui lui permettra de chez lui de signer un acte authentique ». Il a également évoqué dans son discours la blockchain, « présentée comme un épouvantail », mais qui ne fait pas peur aux notaires, puisqu’elle est au service de l’authenticité. Or, « c’est dans cette direction que nous travaillons, pour assurer notamment la traçabilité des copies exécutoires ce qui ne peut qu’intéresser le monde bancaire », a-t-il précisé. Il est vrai que les Français sont inquiets devant l’essor de ce monde virtuel, a-t-il reconnu, et souhaitent davantage de sécurité juridique dans le domaine du numérique. Tout en jouant ce rôle de confiance (notamment avec la mise en place du RGPD), le notariat multipliera également les services sur Internet via sa plateforme Notaviz qui intégrera bientôt les prises de rendez-vous en ligne. Bref, « le notariat connaît la quatrième dimension, il y est à l’aise ». L’objectif pour lui sera de conserver son avance technologique.


Enfin, Didier Coiffard a évoqué une cinquième dimension, non annoncée au début de son discours, « un cinquième élément qui est la synthèse des quatre précédents ». Il s’agit de « l’authenticité bien sûr ». Une notion qui, selon lui, doit être au service du droit continental, au service des Français et au service de l’État.


 


Demain le territoire, une réflexion sur le monde en devenir


Dans son discours, Maître Emmanuel Clerget, le président du congrès, a quant à lui présenté plus en détail le thème du congrès et explicité les raisons qui ont amené les organisateurs à le choisir.


« Depuis le 5 mai dernier, nous vivons à crédit », a-t-il commencé. C’est-à-dire que « cela fait déjà trois semaines que notre pays a épuisé les ressources de notre territoire ». Un constat qui selon lui pose « l’enjeu de la thématique de ce congrès : Demain le territoire ». Afin de mieux appréhender cette notion de territoire, et de démontrer à quel point les actions de l’homme sont pernicieuses pour la nature, il a examiné cette notion à travers quatre prismes : sa géographie, son organisation politique, son économie et sa sociologie.


Géographiquement, la France est très diversifiée dans ses paysages. Cependant, en moins de quarante ans, l’environnement dans lequel nous vivons a été profondément bouleversé. « D’un côté, un phénomène de métropolisation qui s’est accentué, de l’autre une dévitalisation des villes moyennes et des territoires ruraux », a-t-il déploré.


Politiquement, le rôle de l’État-nation depuis la Révolution consiste à « imposer l’égalité des territoires et par là même l’égalité des citoyens ». Or, a expliqué Maître Clerget, cette égalité des territoires est aujourd’hui menacée. Menacée par l’évidente disparité entre les territoires du fait de l’industrialisation et de l’urbanisation, par l’effacement des monopoles publics (postal, ferroviaire et communication), et par le risque de voir certaines régions contester cette idée même d’égalité au nom d’une économie libéralisée.


Économiquement, « notre territoire porte les stigmates de notre modèle », a-t-il expliqué. Ainsi, au fil des ans, les commerces se sont déplacés du centre de la ville en périphérie. Le parc des surfaces commerciales a considérablement progressé entre 1992 et 2007,passant de 48 à 77 millions de m2, ce qui a profondément remodelé le paysage urbain.


En termes énergétiques, notre modèle économique repose sur le nucléaire, lequel fournit près de 78 % de l’électricité en France contre 23 % en Allemagne.


Sociologiquement, enfin, il faut s’interroger : que reste-t-il aujourd’hui du monde paysan et de son identité ? Le constat est en effet alarmant : de 2 millions d’exploitations agricoles en 1960, nous sommes passés à moins de 450 000 aujourd’hui. Quant au niveau d’endettement moyen des exploitations, il est très élevé, et près d’un agriculteur sur cinq ne trouve pas de repreneur. « Cette fin des paysans s’est faite au profit de l’urbanité, mais une urbanité fracturée », a regretté Maître Clerget. Reprenant les conclusions de Christophe Guilluy dans La France périphérique, il a expliqué que « la véritable fracture n’oppose pas les urbains aux ruraux, mais les territoires les plus dynamiques à la France des fragilités sociales ».


Cette vision préoccupante, voire partiale, du territoire, permet cependant « d’identifier les principaux défis à relever pour construire le territoire de demain », d’où le choix du thème de cette 114e édition du congrès des notaires de France. Il convient de se demander : ce territoire que voulons-nous en faire ? Comment le voulons-nous ? Pour les notaires, la réponse est simple : « nous le voulons adapté aux nouveaux modèles économiques, sans pour autant renier les valeurs qui sont les nôtres », a affirmé le président du congrès. Puisque les Français sont devenus plus mobiles, plus tertiaires et plus citadins, il est nécessaire de prévoir la construction d’un territoire qui réponde à deux questions, a ajouté Maître Clerget : quelle économie pour accompagner l’essor de nos villes de demain, et quelle économie pour préserver les autres espaces ?


Concernant les villes de demain, il faudra, selon lui, les concevoir à la fois économes en énergie et productrices d’énergie. « Cette sobriété énergétique » devra passer par de nombreuses adaptations de nos modes de vie : travail à distance, coworking, production de denrées alimentaires en zone urbaine ou périphérie (zones maraîchères et jardins ouvriers). Quant à l’immobilier, il devra s’adapter en « multipliant ses usages ».


Les autres espaces trouveront leur salut, selon le président du congrès, « sur la pérennité des phénomènes d’héliotropisme et d’haliotropisme » pour les littoraux, et pour les zones rurales sur un nouveau modèle agricole. Un nouveau modèle qui reposera sur trois axes : le numérique, le commerce et l’écologie. En outre, les agriculteurs devront adopter de nouvelles pratiques afin que leur activité ne soit pas néfaste pour les sols et les eaux.


Quatre commissions, vingt propositions


Enfin Maître Antoine Bouquemont, le rapporteur général du 114e Congrès des notaires a brièvement présenté les quatre commissions et leurs propositions. L’urgence aujourd’hui, « c’est la protection de l’environnement, la cohésion des territoires et la solidarité entre leurs habitants » a-t-il commencé. Et puisque, selon lui, la construction d’un environnement harmonieux ne peut se concevoir que dans le respect des altérités de chacun, « il nécessite également un projet de société global ». « Transformer nos vies et nos modes d’organisation. Telle est la nature de notre avenir. Telle est l’ambition de nos propositions », a-t-il scandé.


Ainsi, lors de la première commission Guillaume Lorisson et Rachel Dupuis-Bernard ont présenté cinq propositions réformant en profondeur le droit rural français. En effet, la plupart des outils qui régissent actuellement la matière ont été élaborés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale… Depuis, les enjeux de l’agriculture ont considérablement évolué.


La deuxième commission a réfléchi aux défis à relever dans le domaine de la transition énergétique. Car si la volonté des pouvoirs publics est d’améliorer la gestion durable de la forêt et de développer les énergies renouvelables « les outils juridiques actuels sont insuffisants ». Mardi matin, cette commission, présidée par Maîtres Antoine Gence et Éric Meiller, a présenté ses cinq propositions en la matière.


L’après-midi du même jour, Maîtres Christophe Sardot et Antoine Teitgen ont invité l’assemblée à bâtir la ville de demain à travers cinq autres propositions, dont deux ont concerné la transition écologique (agriculture urbaine, rénovation énergétique des bâtiments), deux autres la densification et une autre a promu l’urbanisme tridimensionnel.


Enfin, puisque toutes les mutations évoquées par les trois premières commissions nécessitent d’être financées, la quatrième commission, présidée par Maîtres Christophe Le Gudayer et Marie-Lore Treffot, a soumis à l’assemblée des notaires cinq propositions visant à la fois à améliorer des dispositifs existants en matière agricole, et à instaurer des dispositifs innovants en faveur de la transition écologique.


« Quatre commissions. Vingt propositions. Un défi : bâtir ensemble le territoire de demain (…). Au commencement de l’aventure, l’équipe du 114e congrès des notaires de France ne savait pas que c’était impossible. Alors elle l’a fait ! » a conclu Maître Bouquemont.


La séance solennelle d’ouverture s’est close par le discours très attendu de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, qui a répondu aux nombreuses observations du président du Conseil supérieur du notariat. La garde des Sceaux a d’abord salué le choix du thème retenu par les notaires cette année, « tant cette question [du territoire] est indissociable de celle de la citoyenneté ». Et, « c’est parce que la prise en compte des territoires est primordiale que j’ai fait de la proximité un axe fort du projet de loi de programmation de réforme de la justice » a-t-elle ajouté. Pour elle, cette thématique révèle également une « approche extrêmement judicieuse de ce qu’est le rôle de notaire ». Après avoir souligné qu’elle avait confiance en cette profession, dans son expertise et dans les valeurs qu’elle porte, elle est revenue sur les conséquences de la loi Macron de 2015. Consciente des « inquiétudes légitimes qu’elle a pu susciter parmi la profession », elle a néanmoins défendu la loi qui selon elle a « permis des avancées réelles allant dans le sens de la proximité, en renforçant l’effectif notarial tout en rajeunissant et en féminisant la profession ». « Par la création des nouveaux offices, elle renforce la présence et la proximité du notariat contribuant ainsi à la cohésion sociale et territoriale ». C’est pourquoi, cette loi constitue une « étape constructive dans l’évolution de votre profession » a-t-elle précisé. Pour autant, a-t-elle promis, « il n’est pas question de mettre en péril le maillage territorial au nom d’une liberté qui s’exercerait sans limites ». En réponse à la demande de Maître Didier Coiffard souhaitant une pause dans la création de nouveaux offices (prévue par la nouvelle carte d’installation des notaires), afin de procéder à un bilan d’étape, la ministre a annoncé, pour cet été, une évaluation de l’ouverture de la profession. Son allocution a également été l’occasion d’évoquer son projet de loi de réforme de la justice qui selon elle ouvrira de nouvelles perspectives à la profession : « Sur des sujets comme la PMA ou les successions, votre rôle de médiation va s’accentuer, je veux développer la résolution amiable des conflits. La médiation deviendra obligatoire pour les conflits de voisinage et il faudra qu’un montant financier minimal soit en cause avant de saisir le juge. » Cette loi prévoit donc de renforcer le rôle du notaire : rôle d’authentificateur, rôle de médiateur. Simples promesses pour amadouer les notaires ou réelle volonté de la Chancellerie de valoriser une profession en pleine mutation ?


 


Maria-Angélica Bailly


 


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