Lagny-sur-Marne
(Seine-et-Marne). En 1430, la ville s’appelle Lagny le Clou. Le Clou qui orne
toujours ses armoiries est une relique de la Passion, offerte au XIe
siècle à l’abbaye Saint-Pierre par le roi Robert II dit Robert le Pieux. Il
a disparu lors du pillage de cette abbaye en 1567 par les calvinistes.
En avril 1430, Jeanne d’Arc,
portant son étendard en boucassin, protégée par son harnois blanc confectionné
sur mesure quelques semaines auparavant par le brigandinier tourangeau Colas de
Montbazon, affronte l’ennemi à Melun, puis prend la direction de Lagny où elle
est déjà venue en septembre 1429. Elle y arrive le
23 avril 1430 et y combat avec l’aide de la garnison locale qui apporte
« moult couleuvrines, arbalestres et autres habillements de guerre » les Anglo-Bourguignons qui « furent
tous vaincus et déconfits et la plus grande partie mise à l’épée ».
Après la guerre, la prière.
Jeanne apprécie le calme de la bourgade située au cœur de la campagne
nourricière, à quelques lieues de Paris, et aime se recueillir dans l’église
qui domine la Marne alluvionnaire. L’Église de la future cité johannique est
dédiée à Notre-Dame des Ardents. Elle possède en effet un reliquaire contenant
un fragment de la « Sainte chandelle des Ardents d’Arras ». Le 28 mai 1105, jour de Pentecôte, la Sainte vierge, resplendissante de clarté,
serait descendue de la voûte de l’église tenant à la main un cierge allumé
destiné à guérir 144 malades, en versant de la cire dans de l’eau puis en
leur donnant l’eau à boire. Le mal des Ardents, qui correspond à la maladie de
l’ergotisme, était au Moyen Âge également appelé le feu de Saint Antoine. Cette
maladie était provoquée par la consommation d’un champignon attaquant certaines
graminées, l’ergot de seigle.
Jeanne vient prier avec ardeur
dans l’Église Notre-Dame des Ardents. Tout à coup, la femme de guerre devient
femme thaumaturge. Ses prières ressuscitent un nouveau-né mort depuis
trois jours. Ce miracle sera évoqué le 3 mars 1431 lors du procès de
Rouen. La relation de cet épisode devant les juges normands figure sur une
plaque commémorative fixée sur le pilier devant laquelle priait à genoux
l’ardente cavalière : « L’enfant avait trois jours, il fut
apporté devant l’image de Notre Dame de Lagny. On me dit que les jeunes filles
de la Ville étaient devant cette image et que j’y voulusse bien aller prier
Dieu et Notre Dame de rendre la vie à l’enfant, j’y allai et je priai avec les
autres. À la fin, la Vie reparut chez l’enfant qui bâilla trois fois, et
fut baptisé ; aussitôt après ; il mourut et fut inhumé en terre
sainte. Il y avait trois jours, disait-on, que la vie n’était apparue dans
l’enfant, il était noir comme ma cotte, mais quand il eut baillé, la couleur
commença à lui revenir. Pour moi, j’étais avec les autres jeunes filles à prier
à genoux devant Notre Dame ».
Le miracle accompli, la
pucelle se remet en selle, quitte Lagny le 5 mai 1430 et n’y reviendra
plus. Elle laisse plusieurs épées sur place dont l’une, considérée comme
miraculeuse, appelée Fierbois (car retrouvée dans la chapelle Sainte
Catherine de Fierbois, située au sud de Tours) aurait été celle de Charles
Martel lors de la bataille de Poitiers en 732.
La légende affirme que la
célèbre épée est cachée soit dans l’abbatiale soit dans l’abbaye mitoyenne,
actuelle mairie de Lagny-sur-Marne, dans un souterrain, ou dans un mur, ou dans
un pilier. Des recherches archéologiques ont été opérées à une époque, mais en
vain.
Curieusement, le miracle de
Lagny n’est guère évoqué lors de l’enquête préalable à la canonisation de
Jeanne. Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, est le premier à demander en 1869
que Jeanne soit dans le « Canon des saints ». En 1894, Jeanne est faite Vénérable par Léon XIII, qui
affirme : « Jeanne est nôtre ». Lors du procès en béatification
(122 sessions à partir de 1897), de nombreux historiens sont consultés. On
retient trois miracles de guérison intervenus au XIXe siècle,
donc bien postérieurs à sa mort. Faite Bienheureuse en 1909 par Pie X, qui
retient « l’héroïcité des vertus de la vénérable servante de Dieu
Jeanne d’Arc, la vierge », elle est invoquée lors de la
bataille de la Marne par le chef des armées françaises qui retient « Jeanne
d’Arc » comme
mot d’ordre pour ses troupes. Puis elle
est finalement déclarée Sainte le
16 mai 1920, en présence de 300 évêques, d’une
délégation du Québec et de milliers de pèlerins français (qui ont du mal à arriver à Rome
en raison des mouvements de grève qui
paralysaient l’Italie).
Le procès de Rome est celui
d’une vierge héroïque qui a sauvé la France et qui a exprimé des vertus
fondamentales. Belle réhabilitation posthume pour celle qui dut affronter
l’injuste procès de Rouen, à l’issue duquel elle fut condamnée à mort en 1431.
Procès politique d’une femme se disant « Envoyée par Dieu », dont la plus belle phrase prononcée le
24 février 1431 devant ses juges, en réponse à la question d’un accusateur
lui demandant si elle croyait être en état de grâce, fut : « Si je
n’y suis, Dieu veuille m’y mettre, et si s’y suis, Dieu veuille m’y tenir ».
Procès mené par
des hommes qui la jugent outrageusement habillée en homme et
qui, devant sa pertinacité et sa résistance, abandonnent l’idée de l’amener à
la résipiscence.
Hérétique, relapse, apostate,
idolâtre… tels sont les quatre mots
écrits sur la mitre dont on l’embéguine le 30 mai 1431 avant d’enflammer
le bucher qui va la réduire en cendres. Enlacée à sa foi et à son espérance,
conservant le mystère des voix célestes entendues, héroïque et courageuse
devant l’implacable sentence, pendant que rougissent les terribles braises du
supplice, celle qui s’évanouit dans le souffle du feu, celle qui a redonné
souffle de vie à un petit innocent, s’élève pour l’éternité dans le souffle
ininterrompu de la postérité, de l’histoire de la patrie et de la Chrétienté.
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire