ACTUALITÉ

1740 : quelle éblouissante marquise aimant les magots, les belles pierres et Voltaire, s’intéresse au carré de la vitesse ?

1740 : quelle éblouissante marquise aimant les magots, les belles pierres et Voltaire, s’intéresse au carré de la vitesse ?
Publié le 26/09/2019 à 13:46


On la décrit comme marquise avant-gardiste, scientifique talentueuse, philosophe des Lumières brillante ayant un goût prononcé pour les brillants, très douée pour les langues et les mathématiques. Femme polymathe, elle aime le maquillage et les diamants, a des liaisons tumultueuses, et il lui arrive de s’habiller en homme pour se rendre au café parisien Gradot, aussi célèbre que le Procope ou le Régence, où l’on rencontre de beaux esprits, où se retrouvent et échangent les savants de son époque, mais cependant interdit aux femmes.


Son père, Louis Nicolas Le Tonnelier de Breteuil, introduit les ambassadeurs auprès du roi.


Elle est l’auteure d’un discours sur le bonheur. L’un des plus beaux discours sur le bonheur, selon Élisabeth Badinter. Elle y écrit : « Il faut, pour être heureux, s’être défait des préjugés, être vertueux, se bien porter, avoir des goûts et des passions, être susceptible d’illusions, car nous devons la plupart de nos plaisirs à l’illusion, et malheureux est celui qui la perd. »


Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, aime le luxe, les mondanités, les arts décoratifs… et les bibelots.


Indépendante et distinguée, la cliente du café Gradot se moque des ragots la décrivant comme virago, n’aime guère les cagots, déteste les rapports inégaux, et cultive son ego. Elle collectionne les magots. Les magots, qu’on appelle aussi pagodes, sont des figurines orientales en faïence, porcelaine ou terre cuite, représentant des Chinois bedonnants, parfois grotesques, qui hochent la tête. Certains viennent d’extrême orient, d’autres sont fabriqués par les manufactures de Chantilly ou de Villeroy (l’actuel Café parisien Des Deux Magots doit son nom aux deux figurines chinoises qui ornent sa salle). Si l’encyclopédiste Diderot déteste les magots, qu’il qualifie de colifichets précieux, et dont il dénonce la mode ridicule, la marquise affirme de son côté : "les  bonheurs physiques sont la source des plaisirs des sens. Une boîte, une porcelaine, un meuble nouveau sont une vraie jouissance pour moi".


Elle reçoit un proscrit, ancien embastillé, dans le château d’un mari trompé et peu regardant, voire très accommodant. En effet, elle accueille dans le château familial de son époux à Cirey-sur-Blaise (Haute-Marne) son amant François-Marie Arouet, de douze ans son aîné. Émilie du Châtelet héberge ainsi Voltaire, fils d’un notaire au… Châtelet ! Écrivain adulé, Arouet dit Voltaire a été puni par onze mois de forteresse pour ses écrits satiriques sur le Régent qui s’est vengé par une lettre de cachet l’envoyant à la Bastille. Son ouvrage, Les Lettres philosophiques, condamné par le Parlement de Paris, est brûlé au pied de l’escalier du Palais de la Cité. Un exil en Lorraine le sauve d’un nouvel embastillement. Cirey dépend en effet du duché de Lorraine qui n’est pas encore définitivement intégré au royaume de France. À compter de 1737, le dernier duc souverain de la Lorraine, lex-roi de Pologne Stanislas Leszczynski, nexerce son autorité que par la volonté de son beau-père, Louis XV. Au château de Cirey, Voltaire entreprend des travaux, construit une nouvelle aile, et fait réaliser un portail richement sculpté dédié aux sciences et aux arts, au fronton duquel il fait inscrire la phrase prononcée par Tityre dans la première églogue des Bucoliques de Virgile : "Deus nobis haec otia fecit " ("un dieu nous a donné ces loisirs)".


Voltaire partage et défend les goûts de son égérie, dans son poème « Le Mondain » composé de décasyllabes aux rimes croisées : " J’aime le luxe, et même la mollesse, Tous les plaisirs, les arts de toute espèce, La propreté, le goût, les ornements : Tout honnête homme a de tels sentiments".  Et il adopte ses couleurs. Les armoiries de la famille Le Tonnelier de Breteuil, d’azur à l’épervier essorant d’or, représentent un oiseau doré sur fond d’azur, et sont donc de couleur jaune d’or et bleu d’azur. Voltaire adopte indirectement ces couleurs lorsque, dans Zadig, il attribue au ministre Zadig des babouches bleues et à la femme de celui-ci des rubans jaunes.


La marquise s’intéresse à la chimie, manipule bocaux, éprouvettes et cupules. Est-ce son tempérament de feu qui l’amène à publier anonymement un essai sur la propagation du feu ? Elle découvre l’astronomie, est une physicienne accomplie et est parfois surnommée Madame Pompon-Newton, car elle admire Newton et traduit ses œuvres. Élève du mathématicien-physicien-astronome Maupertuis, elle procède à de nombreuses expérimentations dans son château de Cirey-sur-Blaise et cherche les formules permettant de quantifier l’énergie cinétique. Newton avait affirmé que l’énergie d’un corps en mouvement était proportionnelle à sa masse et à sa vitesse. Émilie, elle, va démontrer en 1740 que l’énergie d’un corps en mouvement est en réalité proportionnelle à sa masse et au carré de sa vitesse ! La marquise, moins connue que le célèbre scientifique anglais, se révèle bien supérieure en physique ! Et elle demeure, dans l’Histoire, la première à avoir écrit l’équation de l’énergie cinétique, E = mv2 !


Épouse d’un Châtelet par mariage de raison, muse inspirée d’un Voltaire pour de mutuelles initiations, intelligente femme d’équations, éblouissante femme de passions, femme de lettres par subtile récréation, étincelante chercheuse aux nombreuses réalisations, femme savante qui ne connaît pas la renonciation, Émilie du Châtelet, décédée bien trop jeune en 1749 à l’âge de 42 ans, est incontestablement l’une des figures rayonnantes de son siècle.

 


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


 


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles