On la décrit comme marquise avant-gardiste,
scientifique talentueuse, philosophe des Lumières brillante ayant un goût prononcé pour les brillants, très douée pour les langues et
les mathématiques. Femme polymathe, elle aime le maquillage et les diamants, a
des liaisons tumultueuses, et il lui arrive de s’habiller en homme pour se
rendre au café parisien Gradot, aussi célèbre que le Procope ou le Régence, où
l’on rencontre de beaux esprits, où se retrouvent et échangent les savants de
son époque, mais cependant interdit aux femmes.
Son père, Louis Nicolas Le Tonnelier
de Breteuil, introduit les ambassadeurs auprès du roi.
Elle est l’auteure d’un discours sur
le bonheur. L’un des plus beaux discours sur le bonheur, selon Élisabeth
Badinter. Elle y écrit : « Il faut, pour
être heureux, s’être défait des préjugés, être vertueux, se bien porter,
avoir des goûts et des passions, être
susceptible d’illusions, car nous devons la plupart de nos plaisirs à
l’illusion, et malheureux est celui qui la perd. »
Émilie Le
Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, aime le luxe, les mondanités, les
arts décoratifs… et les bibelots.
Indépendante et distinguée, la cliente du café Gradot
se moque des ragots la décrivant comme virago, n’aime guère les cagots, déteste
les rapports inégaux, et cultive son ego. Elle collectionne les magots. Les
magots, qu’on appelle aussi pagodes, sont des figurines orientales en faïence,
porcelaine ou terre cuite, représentant des Chinois bedonnants, parfois
grotesques, qui hochent la tête. Certains viennent d’extrême orient, d’autres
sont fabriqués par les manufactures de Chantilly ou de Villeroy (l’actuel Café
parisien Des Deux Magots doit son nom aux deux figurines chinoises qui ornent
sa salle). Si l’encyclopédiste Diderot déteste les magots, qu’il qualifie de
colifichets précieux, et dont il dénonce la mode ridicule, la marquise affirme de
son côté : "les bonheurs
physiques sont la source des plaisirs des sens. Une boîte, une
porcelaine, un meuble nouveau sont une vraie jouissance pour moi".
Elle reçoit un proscrit, ancien embastillé, dans le
château d’un mari trompé et peu regardant, voire très accommodant. En effet,
elle accueille dans le château familial de son époux à Cirey-sur-Blaise
(Haute-Marne) son amant François-Marie Arouet, de douze ans son aîné. Émilie du Châtelet héberge ainsi
Voltaire, fils d’un notaire au… Châtelet ! Écrivain adulé, Arouet dit
Voltaire a été puni par onze mois de forteresse pour ses écrits satiriques sur
le Régent qui s’est vengé par une lettre de cachet l’envoyant à la Bastille.
Son ouvrage, Les Lettres philosophiques, condamné par le Parlement de
Paris, est brûlé au pied de l’escalier du Palais de la Cité. Un exil en
Lorraine le sauve d’un nouvel embastillement. Cirey dépend en effet du duché de
Lorraine qui n’est pas encore définitivement intégré au royaume de France. À compter de 1737,
le dernier duc souverain de la Lorraine, l’ex-roi de Pologne Stanislas Leszczynski, n’exerce son autorité que par la volonté de son
beau-père, Louis XV. Au château de Cirey, Voltaire entreprend des travaux,
construit une nouvelle aile, et fait réaliser un portail richement sculpté dédié
aux sciences et aux arts, au fronton duquel il fait inscrire la phrase
prononcée par Tityre dans la première églogue
des Bucoliques de Virgile : "Deus nobis haec otia fecit " ("un dieu nous a donné ces
loisirs)".
Voltaire partage et défend les goûts de son égérie,
dans son poème « Le Mondain » composé de décasyllabes aux rimes
croisées :
" J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce, La propreté, le goût, les
ornements : Tout honnête homme a de tels sentiments". Et il adopte ses
couleurs. Les armoiries de la famille Le Tonnelier de Breteuil,
d’azur à l’épervier essorant d’or, représentent un oiseau doré sur fond d’azur,
et sont donc de couleur jaune d’or et bleu d’azur. Voltaire adopte
indirectement ces couleurs lorsque, dans Zadig, il attribue au ministre Zadig
des babouches bleues et à la femme de celui-ci des rubans jaunes.
La marquise s’intéresse à la chimie,
manipule bocaux, éprouvettes et cupules. Est-ce son tempérament de feu qui
l’amène à publier anonymement un essai
sur la propagation du feu ? Elle découvre l’astronomie, est une physicienne
accomplie et est parfois surnommée Madame Pompon-Newton, car elle admire Newton
et traduit ses œuvres. Élève du mathématicien-physicien-astronome Maupertuis,
elle procède à de nombreuses expérimentations dans son château de
Cirey-sur-Blaise et cherche les formules permettant de quantifier l’énergie cinétique. Newton
avait affirmé que l’énergie d’un corps en mouvement était proportionnelle à sa
masse et à sa vitesse. Émilie, elle, va démontrer en 1740 que l’énergie d’un corps
en mouvement est en réalité proportionnelle à sa masse et au carré de sa
vitesse ! La marquise, moins connue que le célèbre scientifique anglais,
se révèle bien supérieure en physique ! Et elle demeure, dans l’Histoire,
la première à avoir écrit l’équation de l’énergie cinétique, E = mv2 !
Épouse d’un
Châtelet par mariage de raison, muse inspirée d’un Voltaire pour de mutuelles
initiations, intelligente femme d’équations, éblouissante femme de passions,
femme de lettres par subtile récréation, étincelante chercheuse aux nombreuses
réalisations, femme savante qui ne connaît pas la renonciation, Émilie du
Châtelet, décédée bien trop jeune en 1749 à l’âge de 42 ans, est incontestablement
l’une des figures rayonnantes de son siècle.
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire