Charles-René Tandé,
président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables et Gabriel
Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la
Jeunesse, ont débattu d’un sujet redondant pour la profession et sa clientèle,
à savoir celui du mécénat. Les experts-comptables le pratiquent des deux côtés,
étant à la fois conseillers des donateurs et des donataires. L’Ordre a lancé un
programme sur le mécénat depuis 2006 comme l’a rappelé son président.
Gabriel Attal travaille sur la vie associative, son
développement, son financement, les questions de mécénat et de philanthropie.
Il souhaite entendre les experts-comptables sur ces sujets, puisque leur réseau
est engagé dans une logique de mécénat. Motivé par l’intérêt général, la
profession suit au quotidien des actions associatives et des liens qui se
nouent entre les entreprises et le monde associatif. Le ministre, en charge de
la jeunesse et de la vie associative, propose un autre regard sur le sujet. Il
s’appréhendait classiquement en appuyant le développement de la vie associative sur des aspects juridiques et financiers, essentiellement des
subventions. Gabriel Attal souhaite s’impliquer sur le mécénat et la
philanthropie, éléments traditionnellement gérés par Bercy.
Ce dernier considère en effet que nous vivons un
bouleversement fondamental de la société. Les frontières s’estompent entre des
univers anciennement distincts. Entreprise, association, les modes de
financement se diversifient. Des filiales associatives apparaissent. Développement
de ressources propres, de services fournis par les associations, etc. Les
mutations sont globales, et la seule subvention publique ne pourvoit pas à
tout. Par ailleurs, les entreprises trouvent plus d’intérêt à s’impliquer
aujourd’hui pour différentes raisons : répondre à une attente des
consommateurs ;
guider les achats ;
attirer les talents ;
donner du sens au travail des salariés. Actions sociales,
environnementales ou mécénat participent à cette stratégie née dans les grands groupes qui se répand maintenant dans des structures de toutes
dimensions. Le ministre entend soutenir ce volet-là, faire en sorte que le mécénat, les liens, les ponts entre
les entreprises, les associations, les actions d’intérêt général se déploient
sur l’ensemble du territoire. Une mobilisation collective autour de l’intérêt
dépasse ainsi les clivages habituels.
Les entreprises rencontrent des difficultés pour
recruter. Pour disposer de jeunes formés, quelques-unes soutiennent des
associations qui se concentrent sur l’apprentissage et l’insertion dans le
monde du travail. On peut ainsi voir leurs dons comme un investissement pour
l’avenir. D’autres sociétés s’inquiètent quant à elle de l’insécurité de la de la
région où elles sont implantées. Cela les
empêche d’accéder à certains marchés ou complique leur stratégie commerciale.
Choisir d’accompagner des associations qui
œuvrent pour le lien social et pacifient localement leur
apporte une première réponse pragmatique au problème.
Une mesure très importante votée dans la loi de
finances 2019 concerne
les règles de déduction fiscale pour les petites et moyennes entreprises
jusqu’à 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. Auparavant, toutes les
entreprises étaient soumises à la règle du 5 ‰ du chiffre
d’affaires. Une grande entreprise avait beaucoup de latitude pour défiscaliser, mais une petite assez peu. La loi de finances
2019 a
initié pour ces dernières un plafond absolu à 10 000 euros. Cette
marge supplémentaire sera peut-être revue à la hausse dans les années qui
viennent. Organes représentatifs du patronat ou association, tout le monde voit
l’intérêt de la mesure, mais sur le terrain, personne n’est au courant. Les
experts-comptables ont un rôle à jouer pour diffuser l’information auprès de
leurs clients.
Des associations diversifient fortement leur mode de
financement. Leurs modèles économiques changent. Le phénomène amène à se poser
des questions notamment sur les filiales associatives. Aujourd’hui, de petites
associations développent des filiales, des entreprises détenues à 100 % par
l’association qui permettent d’alimenter l’action d’intérêt général. Il n’en
ressort pas de profit pécuniaire, juste un altruisme.
Cependant, on peut se demander quel est le seuil de
lucrativité pour ce type d’associations ou qu’advient-il de la
concurrence ? Le projet de loi de finances 2020 porte le seuil de
lucrativité des associations à 72 000 euros. Au-delà du coup de
pouce fiscal, on s’interroge également sur
les dividendes versés par ces filiales à l’association, leur nature et la
fiscalité applicable.
Évidemment, le fait que des
entreprises du secteur associatif jouissent de règles privilégiées alors que
leur activité de production se place sur un marché totalement concurrentiel
pose des difficultés. Des limites s’imposent pour ne pas déséquilibrer
l’ensemble du tissu commercial. Plusieurs rapports de la
Cour des comptes montrent une dépense fiscale liée au mécénat quasi
exclusivement captée par des grands groupes. Il faudrait, selon les
intervenants, réussir à en réorienter une part vers les territoires. On
constate également des dérives du mécénat, des contreparties inappropriées, des bienfaits publics
discutables. Ces pratiques remettent en cause l’ensemble du principe qui a
besoin d’un encadrement. Les Français disent avoir du mal à savoir où vont
leurs impôts. La déduction fiscale liée au don permet de flécher ses impôts, de
les orienter vers une cause.
À propos de contrepartie, on parle de 25 % sans savoir comment la valoriser, comment
la calculer. Il a été décidé de ramener la défiscalisation de 60 à 40 % pour les 78 entreprises qui donnent plus de 2 millions d’euros par an en France. Toutes les associations qui relèvent
de la loi Coluche, les associations d’aide aux plus démunis en matière
d’alimentation, d’hygiène, de logement sont exclues de ce calcul. Les
entreprises touchées n’ont pas prévu de restreindre leur générosité suite à cet
alourdissement de fiscalité. Elles ont atteint une maturation dans leur
philanthropie qui dépasse largement l’attrait de la déduction fiscale. Leur
engagement embarque les collaborateurs. C’est aussi une question d’image.
En réalité, la défiscalisation favorise l’entrée dans le mécénat, elle
sert de catalyseur, mais passé un certain niveau, ce n’est pas la motivation
principale. Le plafond accru pour les PME/TPE contrebalance utilement cette
mesure.
Gabriel Attal a lancé deux missions parlementaires : l’une sur la réserve héréditaire pour lever les freins actuels, et l’autre sur le
statut des fonds et fondations.
Aujourd’hui existe un maquis de types juridiques de
statuts entraînant des droits et devoirs distincts. En conséquence, très peu de
fondations françaises se situent parmi les 200 plus grandes fondations mondiales.
C2M